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Quelles sont les formes de l'Etat ?



L’Etat n’est nullement une réalité naturelle mais une construction historique singulière qui s’est tardivement généralisée. L’Etat a également sa dynamique interne ; plus précisément, il est en perpétuelle mutation et sous plusieurs angles c’est pourquoi il a pris des visages historiques différents, a été traduit dans des organisations politiques variables.

Cette leçon va explorer les différents visages de l’Etat en le considérant tantôt sous l’angle culturel, tantôt comme Etat social, tantôt comme organisation politique et constitutionnelle.

Section 1 : Les visages historiques de l’État


L’Etat est une structure politique qui n’existe jamais seule ; elle s’adosse toujours à une communauté d’individus qui partagent une vie collective mais aussi des valeurs. En ce sens, l’Etat a toujours un substrat culturel plus ou moins marqué. Au cours des XIX et XXe siècles, ce substrat culturel fut la nation si bien que l’on peut parler d’Etat-nation. Cette forme historique est aujourd’hui remise en cause.




Le mot vient du latin nasci, naître. Jusqu’au Moyen-Age, la nation désigne un groupe de personnes issues de la même terre avec les mêmes habitudes. Ainsi les étudiants dans les Universités sont regroupés en nations. Par exemple, l’Université de Paris au Moyen-Age avait des étudiants de 4 nations qui vivaient regroupés entre eux : la France, la Normandie, la Picardie, l’Allemagne. De même pour les guildes de marchands et les corporations de métiers. Avec le développement de la monarchie absolue, la nation finit par désigner l’ensemble des sujets soumis au roi. Ce sens plus moderne émerge à partir du XVIe siècle en Angleterre. Là, pour la première fois, la nation désigne le peuple. Cela reflète donc un processus d’élévation du « petit peuple » qui commence à jouer un rôle politique.

La mutation vers le sens moderne ne sera complètement effectuée qu’avec la Révolution française. Rousseau pose le premier l’idée que l’unité du peuple n’existe qu’à travers le contrat social. Avant ce contrat, il n’est qu’une multitude ; après ce contrat, il devient une collectivité unifiée par les valeurs même du contrat. Donc l’Etat repose sur l’unité du peuple, sur un contrat c’est-à-dire sur la souveraineté populaire. Mais ce peuple reste une abstraction introuvable dans les faits. Les révolutionnaires vont se heurter à cette immatérialité du peuple. L’abbé Sieyès dans son pamphlet intitulé Qu’est-ce que le tiers-état ? va alors accomplir un coup de force théorique et une avancée importante. Il substitue l’idée de souveraineté nationale à celle de souveraineté populaire. Du coup, l’Etat repose sur le peuple mais par le truchement de la nation qui devient la matérialisation de l’unité du corps social et politique. Le principe est repris par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation » (art. 3). Mais en quoi la nation symbolise-t-elle l’unité du peuple ? Sieyès prend, en réalité, la notion de nation sous un angle juridique. Elle désigne tous ceux qui souscrivent au contrat social et que l’on peut identifier par le fait qu’ils bénéficient des droits énoncés par celui-ci. Il y a là un objectif politique fort ; en redéfinissant ainsi la nation dans un sens artificialiste, elle devient une machine de guerre contre les monarchies européennes. Pendant un siècle, la nation sera comprise comme un instrument d’émancipation, de libération par rapport au monarque, à la noblesse et aux privilèges. En devenant ainsi politique, la nation se rapprochait aussi de la citoyenneté conçue comme le statut juridique des membres au contrat social.


L’origine en remonte aux écrits de Johann Herder qui réagit vivement aux prétentions universalistes des Lumières françaises et allemandes. Herder développe une conception objective et organiciste de la nation. Pour lui, elle est d’abord une communauté d’hommes de sang partageant une même culture plutôt qu’une idée abstraite. Il suggère donc le primat de l’ordre social sur l’ordre politique. Le romantisme allemand puisera ici quelques matériaux. Réagissant avec virulence à l’expansion napoléonienne, Fichte dans son Discours à la nation allemande (1807) prolonge cette approche. Il en appelle à l’unité de l’Allemagne qu’il exhorte à retrouver sa force spirituelle et morale qui fonda sa supériorité intrinsèque. La nation allemande est principalement définie comme une communauté de langue mais aussi comme un peuple originel homogène. Fichte souligne le rôle de l’éducation dans la constitution d’une Allemagne dont la destinée est d’être une nation prééminente dans le monde. Ce messianisme s’accompagne aussi de la volonté d’ériger un État qui incarne la nation et serait pour chaque citoyen « l’extension de sa propre personnalité ». Avec ces thèmes, Fichte contribua à mettre sur pieds un pangermanisme qui se développa tout au long du XIXe siècle en puisant à des sources hétéroclites.

La nation élective reflète une conception subjective et volontariste de la nation. Elle met l’accent sur les principes moraux ou juridiques égalitaires structurant la communauté. Ernest Renan est considéré comme le père fondateur de cette conception bien qu’il prolonge en partie les réflexions des Lumières. Renan réagit à la guerre de 1870 et à la perte de l’Alsace-Lorraine ; il cherche à contrer l’idée que l’Alsace soit une terre de langue et de culture allemande. Dans sa célèbre conférence de 1882 « Qu’est-ce qu’une nation ? », Renan la définit comme « une âme, un principe spirituel ». Cette âme est constituée par deux choses : l’une relève du passé et est « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs » ; l’autre relève du présent et est « le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis ». Renan synthétise son approche par une formule qui restera célèbre : « l’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours ».


En savoir plus

  • Friedrich Meineke
Dès le début du XXe siècle, l'historien allemand Friedrich Meinecke consacra un ouvrage retentissant à la question de la nation opposant la « nation culturelle » (Kulturnation) à la « nation politique » (Staatnation). Il précisait alors : « la nation culturelle est essentiellement fondée sur un héritage culturel partagé (langue, religion...) alors que la nation politique repose sur la force unificatrice d'une constitution et d'une histoire politique commune » (Cité par Alain Dieckoff, « Nationalisme politique contre nationalisme culturel » in C. Jaffrelot, A. Dieckhoff (dir.), Repenser le nationalisme. Théories et pratiques, Paris, Presses de Science Po, 2006, p. 105). Cette opposition allait connaître une fortune exceptionnelle au point de constituer une sorte de clé d'entrée pour toute la littérature grise consacrée à la nation.
  • Hans Kohn
Dès l'après seconde guerre mondiale, le politiste américain d'origine allemande, Hans Kohn, reprend à son compte cette dichotomie. Il oppose ainsi un nationalisme civique, rationnel et universaliste qui serait propre à l'Ouest du monde (y compris les Etats-Unis) à un nationalisme culturel, mystique et particulariste propre à l'Est. Dans le premier cas, la nation aurait succédé à l'Etat si bien qu'elle fut un phénomène politique ; dans le second cas, la nation aurait précédé l'Etat et serait intervenue à « un stade de développement sociopolitique arriéré ». C'est pourquoi le nationalisme s'exprima essentiellement sur le terrain culturel.
  • Louis Dumont
Dans ses travaux consacrés à l'idéologie moderne, l'anthropologue français Louis Dumont oppose lui aussi deux généalogies intellectuelles différentes débouchant sur deux idéologies nationales. Ainsi écrit-il que « côté allemand..., je suis essentiellement un Allemand et je suis un homme grâce à ma qualité d'Allemand » tandis que « côté français, je suis homme par nature et français par accident ». Certes, Dumont est plus prudent que ses prédécesseurs car il soutient qu'il s'agit là de deux variantes au sein de l'idéologie moderne caractérisée par l'individualisme. Mais du moins tend-il à durcir l'opposition en la transformant en alternative politique et intellectuelle.


L’Etat-nation est une forme historique très particulière. Notons d’abord qu’il existe des Etats regroupant de très nombreuses nations : les Empires mais aussi ce que l’on appelle aujourd’hui des Etats multi-nations. On peut définir l’Etat-nation d’une manière descriptive comme le propose le géographe Yves Lacoste : il est alors considéré « comme un type d’Etat dont la majeure partie de la population relève d’une seule et même nation ». On peut aussi proposer une définition plus historique et dynamique comme le propose le politiste Yves Déloye. Dans ce cas, l’Etat-nation désigne une autorité politique instituée qui « revendique avec succès le monopole de la formation de l’identité nationale ».

Les grands fondateurs de la sociologie politique comme Durkheim ou Weber sont largement restés muets sur la nation. À partir de 1945, la sociologie politique anglo-saxonne s’est massivement interrogée sur les mécanismes qui ont conduit à la formation de l’état-nation. Il en résulte plusieurs schémas explicatifs concurrents :

Stein Rokkan 
Il fut le premier à suggérer que la construction des nations s’opérait au sein d’un processus plus large de modernisation qui se déploie d’abord dans l’ordre économique, ensuite sur le terrain spatial, enfin sur le plan culturel. La nation est vue comme un patient travail de différenciation et de cristallisation qui conduit à un renforcement du cadre institutionnel.

Charles Tilly
Tilly va insister sur le rôle des guerres dans la formation des Etats-nations. Avant même que le nationalisme ne soit le vecteur des guerres, il souligne que les guerres ont contribué à fabriquer les nations. Il est ainsi manifeste que le sentiment d’être français s’est édifié en partie lors de la guerre de cent ans contre l’Angleterre (1337-1453). En plus, la guerre oblige à lever des impôts et territorialiser l’administration pour être plus efficace.

Karl Deutsch
Deutsch insiste sur le rôle du développement des moyens de communication lors des révolutions techniques de l’ère industrielle. Ce sont ces moyens de communication qui permettent la formation et la diffusion d’un sentiment national. La thèse est que l’on sort d’une société traditionnelle en entrant dans une société nationale dont l’intégration repose sur les réseaux de communication.

Dans les années 1980, une seconde génération de chercheurs anglo-saxons vont prolonger la réflexion en délaissant l’hypothèse d’un développement linéaire avec une seule trajectoire.

Ernest Gellner
Gellner est celui qui prolonge le plus l’école de la Nation-building lorsqu’il affirme que les sociétés pré-modernes ignoraient la nation parce qu’elles étaient divisées verticalement entre une culture de l’élite et une culture populaire. C’est la recherche du développement économique qui a exigé une plus grande mobilité et polyvalence des individus. En même temps qu’il remplissait cette fonction, le système éducatif provoqua une plus grande homogénéisation culturelle engendrant, non sans réaction, un sentiment et une conscience nationale (Ernest Gellner, Nations et nationalisme, [1983] Paris, Payot, 1994). C’est donc un alliage de modernisation socio-économique et d’homogénéisation culturelle qui conduit à l’apparition de l’Etat-nation.

Anthony Smith
Smith s’est opposé radicalement à la thèse de Gellner en montrant comment certains groupes ethniques anciens étaient parvenus à diffuser leur culture propre dans les différentes strates de la population indépendamment de toute logique de développement économique. Ces « groupes ethniques démotiques » se considéraient comme des peuples élus et utilisèrent des leaders charismatiques pour imposer leur culture. Smith soutient donc que la nation puise ses racines dans un substrat ethnique antérieur à la modernité (Anthony Smith, The Ethic Origins of Nations, Oxford, Basil Blackwell, 1987).

Benedict Anderson
Anderson a sans doute permis d’accomplir une avancée importante en caractérisant la nation comme une « communauté imaginée ». Pour lui, la nation s’impose dès lors que l’on bascule dans le monde moderne avec la marginalisation des langues religieuses donnant un accès privilégié à la vérité, l’affaiblissement du lien organique avec un monarque de droit divin, une conception du temps et de l’histoire moins fataliste et plus rationnelle. Les deux vecteurs d’affirmation de la nation sont alors d’un côté, le « capitalisme de l’imprimé » c’est-à-dire le développement du livre et de la presse qui vont construire le sentiment d’appartenir à une même communauté de lecteurs et d’un autre côté, les « pèlerinages » des élites administratives formées au centre, employant la langue normalisée de l’Etat et « promenés » d’une région à l’autre de l’Empire.


Voir l’exemple de la France : unité politique ou uniformisation culturelle ?

Depuis l’après-guerre, la nation apparaissait comme un thème discrédité car il restait associé à la « honte » qu’avait constitué le déchaînement des passions nationalistes lors de la seconde guerre mondiale. En même temps, la nation ne servait guère dans le contexte de la guerre froide. C’est l’appartenance à l’un des camps qui était importante. Ce fut seulement dans le cadre de la décolonisation et du non-alignement que la nation devint un thème porteur au Sud. Ce contexte général changea totalement au cours des années 1980 ce qui explique la crise de l’état-nation. La remise en cause de l’Etat-nation s’est opérée notamment sur le terrain théorique. En Europe, c’est la théorie de Jürgen Habermas sur l’identité post-nationale couplée à un « patriotisme constitutionnel » qui marqua les esprits. Dans les pays anglo-saxons, c’est la critique menée par le communautarisme qui domina. Dans les deux cas, on vit émerger des discours réactifs à droite comme à gauche autour du « souverainisme » et de la défense de la nation. Justine Lacroix a étudié la structure de ce discours et sa dimension réactive. Nous délaisserons, ici, cette dimension théorique importante pour nous polariser sur les facteurs empiriques de la remise en cause de l’Etat-nation. Ceux-ci sont directement liés à la mondialisation.

L’internationalisation des échanges commerciaux

25% de la richesse mondiale proviennent des importations et exportations en 2003 contre 11% en 1970. Dans les années 1980, les économistes évoquaient la montée de la « contrainte extérieure » manifestant ainsi qu’un état-nation ne pouvait plus mener une politique économique seul dans son coin sans risquer de se mettre en difficulté. En réalité, les économies nationales sont devenues mutuellement interdépendantes.

L’internationalisation de la production

Elle résulte d’abord des firmes multinationales dont certaines comme Vodafone (GB) ou General Electric (USA) dépassent le PIB de la Turquie (26e puissance mondiale). Ces firmes mettent les états en concurrence entre eux. Cette logique s’est propagée au reste de l’activité de production obligeant à des phénomènes de délocalisation en chaîne. Dans le même temps, les flux d’investissements directs à l’étranger se sont considérablement accrus : de 7% du PIB mondial en 1980 à 22% en 2002 (et même 34% en Europe).

L’internationalisation des flux financiers

Les énormes masses de capitaux flottants circulent à l’échelle du monde dans le cadre d’un marché financier totalement intégré et mondial. Or, ces capitaux sont à la recherche d’un haut rendement à court terme. De ce fait, toute mesure nationale jugée négativement par les marchés risque de pénaliser très fortement la capacité de l’état et de ses composantes à se financer. La violence et la rapidité des réactions a même fait parler de « dictature des marchés ». Une conséquence de ce système est que l’équilibre classique entre rémunération du travail et du capital a été rompu. Seul le travail qui est moins mobile a pu être taxé plus lourdement tandis que les capitaux plus mobiles furent protégés afin de rester attractif.

Les flux migratoires

La mondialisation se traduit aussi par des mouvements de population. Ces mouvements peuvent se situer à l’intérieur des états surtout ceux qui sont à la taille d’un continent. En particulier, on constate un exode considérable vers les villes en Asie, en Afrique. Un second mouvement de population est la migration internationale qui suppose de passer une frontière. Il ne faut pas survaloriser ce phénomène. L’ONU chiffre à 3% de la population mondiale, ceux qui vivent dans un autre pays que celui où ils sont nés contre 2,3% en 1960. Mais la population mondiale s’est démultipliée entre temps si bien que le nombre de migrants est passés de 75 millions en 1965 à 175 millions aux débuts des années 2000. 60% se dirigent vers les pays riches. Les facteurs principaux d’explication sont les conflits armés, les régimes autoritaires mais aussi les inégalités économiques. Le salaire est multiplié par 20 lorsque l’on passe de la Tchéquie à l’Autriche, de la Chine à la Corée, de l’Indonésie à Singapour. D’où les difficultés dans les zones de tension entre l’Espagne et le Maroc, entre les Etats-Unis et le Mexique. L’effet des inégalités économiques n’est cependant pas mécanique. L’internationalisation des firmes a aussi pu conduire à l’instauration de réseaux d’importation de main d’œuvre. Certains états comme l’Allemagne mènent une politique sélective d’importation de main d’œuvre pour faire face à son vieillissement. On notera que ces chiffres ne tiennent pas compte des migrations temporaires pour cause de tourisme, de travail occasionnel… Ces migrations temporaires ont aussi fortement augmenté.

Les flux de communication

La mondialisation est souvent assimilée à tort à une uniformisation des modes de vie et de pensée, à un alignement général sur l’american way of life. Cela tient au poids de l’industrie culturelle américaine (Hollywood) et singulièrement aux grands médias (CNN, FoxNews, ABC, CBS…). En réalité, il existe bien une révolution de la communication qui s’opère à travers la généralisation de la télévision et le développement d’internet. Les flux de communication traversent désormais les frontières avec un double effet : d’une part, ce qui est lointain géographiquement peut devenir proche grâce aux médias ; il devient alors possible de se mobiliser ou d’agir sur un événement qui se passe à l’autre bout du monde. Mais d’autre part, ce qui est proche (au coin de la rue) devient lointain car cela génère moins de communication. Les chercheurs ont cependant montré que cette révolution de la communication n’engendrait aucune uniformisation mais activait, au contraire, des processus de diversification, d’hybridation culturelle. Ainsi le cinéma indien a créé Bollywood (13 millions de spectateurs par jour) qui s’exporte désormais partout dans le monde. Le monde arabe comme celui francophone se sont dotés d’outils de diffusion mondiale (Al Jazeera, France 24, TV5 Monde… Plus encore, Elihu Katz et Tamar Liebes ont montré qu’une partie des téléspectateurs voyaient la série « Dallas » comme une critique du capitalisme américain en raison de leur propre culture nationale.

La régulation et l’intégration régionale

Dans toutes les parties du monde, des collaborations régionales se sont mises en place qui viennent à la fois renforcer les effets de la mondialisation tout en jouant un rôle important d’amortisseur ou en proposant une alternative à la mondialisation à travers une « régulation régionale ». L’essentiel de ces collaborations régionales sont des accords de libre-échange (comme l’ALENA, l’ASEAN, le Mercosur, la communauté économique et monétaire d’Afrique centrale…) visant à instaurer un marché commun. Cependant, ces intégrations régionales supposent une égalité entre les états membres, une logique de collaboration et de régulation d’un espace. En ce sens, elles amplifient et modifient la mondialisation qui repose beaucoup plus sur des rapports de forces et sur l’inégalité. L’Union européenne constitue un cas à part sur la scène mondiale en raison du très fort degré d’intégration réalisé. Même si le projet européen traverse une crise certaine, l’UE apparaît à l’échelle mondiale comme une véritable alternative à la mondialisation notamment en raison du poids du social dans les sociétés européennes, du poids de la collaboration et de la négociation au lieu du rapport de forces, de la promotion d’une régulation régionale et mondiale par le droit… En même temps, l’UE intègre des éléments inévitables de la mondialisation (mobilité des personnes, du capital, des biens et des services…).


Sy.En Europe plus qu’ailleurs, la forme historique de l’Etat-Nation autarcique est remise en cause et dépassée. Cela ne signifie pas la mort de l’Etat-Nation mais plutôt sa transformation, sa recomposition vers un état plus ouvert sur la diversité et le pluralisme en interne et intégré à des ensembles plus vastes à l’externe. Le pouvoir s’exerce moins à partir d’un centre unique d’impulsion ; il s’exerce désormais à travers plusieurs niveaux qui comprennent chacun une pluralité d’acteurs importants. C’est pourquoi à la notion traditionnelle de gouvernement propre à un Etat-Nation, s’est substituée l’idée d’une « gouvernance multi-niveaux ». La décision mêle des éléments mondiaux, des éléments européens, nationaux, régionaux. Par ce biais, la décision politique implique la reconnaissance de cultures différentes et variées.

Les fonctions sociales de l’état ont également considérablement évolué depuis la fin du XVIIIe siècle. On a assisté d’abord à un processus « d’étatisation de la société » qui a conduit au passage de l’Etat-Gendarme à l’Etat-Providence. Depuis la crise des années 1970-1980, on a, au contraire, assisté au reflux de l’Etat sous le coup du règne des doctrines néo-libérales. On est ainsi passé d’un Welfare State à un Workfare State qui est lui-même remis en cause aujourd’hui.



Selon le sociologue danois Gosta Esping-Andersen, les individus ont toujours été confrontés à des risques qu’il a fallu assurer. Plusieurs institutions peuvent traditionnellement jouer ce rôle d’assureur social face aux risques :

  • d’abord, la famille en s’appuyant sur un principe de réciprocité ;
  • ensuite, le marché en s’appuyant sur une distribution fondée par l’échange monétaire ;
  • enfin, l’Etat qui peut organiser une redistribution. Dès la fin du XVIIIe siècle et tout au long du XIXe siècle, la conception dominante de l’époque conduit à ce que les risques soient pris en charge par les deux premières institutions : la famille et le marché. En conséquence, l’Etat se voit cantonner à des fonctions sociales minimales connues sous le nom de « fonctions régaliennes ».


Df.L’Etat-Gendarme est donc l’Etat qui remplit uniquement des fonctions régaliennes lesquelles découlent directement du concept de souveraineté.

Ces fonctions sont essentiellement au nombre de quatre :
  • assurer la sécurité extérieure par la diplomatie et l’armée ;
  • assurer la sécurité intérieure par l’ordre public et la police ;
  • assurer la justice au moyen des règles de droit ;
  • faciliter les échanges en émettant une monnaie au moyen d’une banque centrale.

Cette dernière fonction est d’ailleurs contestée par certains économistes libéraux comme Jean-Baptiste Say ou Friedrich von Hayek qui considèrent que les monnaies peuvent être privées et ne relèvent pas nécessairement de l’état.

Cette forme d’état est étroitement liée au règne de la doctrine du libéralisme économique qui n’a, rappelons-le, aucun lien avec le libéralisme politique.

Au XIXe siècle, le libéralisme économique introduisit une logique spécifique niant la nécessité d'une politique sociale. En effet, la croyance était que la société est essentiellement composée de propriétaires - petits ou grands - qui vivront des fruits de leur activité et de leur épargne. Les pauvres sont jugés responsables de leur situation en raison de leur imprévoyance ou de leur paresse. Les infortunés méritants sont jugés si peu nombreux que les secours privés suffisent pour les aider. Cette logique implique une composante disciplinaire ou de contrôle : le pauvre accepte l'aide mais aussi sa dépendance à l'égard de son bienfaiteur qui peut alors lui inculquer un perfectionnement moral sous la forme de « conseils ». Même le salariat n'était pas considéré comme une situation normale : il était plutôt jugé comme une situation transitoire vers la propriété réelle.

Au niveau des principes, le libéralisme économique envisage le travail comme une liberté. L'idée était que chacun avait la liberté d'accepter ou de récuser le travail et l'État avait pour fonction de garantir cette liberté. Il s'agit donc d'une liberté totalement négative qui fut dénoncée par la tradition marxiste. En même temps, la société est conçue à travers une simple égalité formelle, une égalité de droits ou de principes si bien qu'aucune inégalité réelle n'est envisagée comme justifiant un correctif.

Au niveau pratique, cette vision simpliste et naïve d'une société régulée par la main invisible du marché, d'une société marchant vers la propriété de chacun elle-même éliminant la pauvreté a été complètement démentie par le développement industriel enclenché par le libéralisme. Le phénomène de pauvreté est apparu durable (les prolétaires) et un autre compromis dut être élaboré.

L'État-Providence n'est pas la transposition d'une idée ; il est le fruit d'une lente maturation, de la construction progressive d'un compromis réalisable grâce au caractère flou, ambigu d’un ensemble d’idées puisant à plusieurs racines.


Le mot Etat-Providence est apparu, en France, pour la première fois en 1864 afin de dénoncer l’inaptitude de l’Etat à mettre en place un système de solidarité au plan national. Bien que forgé dans un optique critique, le terme a été revendiqué ensuite notamment par les Républicains. En allemand, le terme de « Wohlfahrsstaat » désigne surtout un état social. En anglais, l’expression « Welfare State » signifie « état du bien-être » et se développa surtout après la seconde guerre mondiale par opposition au Warfare State c’est-à-dire l’état de guerre nazi.

Plusieurs courants de pensée ont contribué indirectement à forger l’idée d’Etat-Providence. On en citera 3 à titre d’exemples :

  • Le courant républicain : il critique le caractère trop individualiste du système libéral et appelle à la constitution d’un Etat social qui prenne en considération chaque citoyen en redéfinissant l’intérêt général dans un sens plus social.
  • Le courant du catholicisme social : la doctrine sociale de l’Eglise formulée notamment par l’encyclique Rerum Novarum du pape Léon XIII légitime un rôle accru de l’état notamment pour que celui-ci exerce un rôle de tutelle sur la sphère économique et prenne plus en compte la pauvreté.
  • Le courant socialiste : après Marx, le courant socialiste développe une critique virulente de l’Etat libéral en poussant à la refonte du système en faveur de la classe ouvrière appauvrie (les prolétaires).


Le Welfare State n'est pas une création théorique car il ne résulte pas directement d'une doctrine mais plutôt d'une série d'adaptations à des situations données. Mais sa progression a été facilitée par des courants intellectuels et politiques comme le socialisme ou, plus tard, la doctrine économique de Keynes.

L’Etat développe deux types d’interventions nouvelles au cours de cette période :

C'est l'époque du New Deal allant de 1929 jusqu’après la seconde guerre mondiale. La philosophie est, ici, très différente de la première période car on assiste au développement d’un Etat très interventionniste dans tous les domaines.

  • L’interventionnisme économique : Dès la crise de 1929, la philosophie dominante devient keynésienne. Dans sa Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie (1936), il soutient qu’un policy mix constitué d’une politique économique, d’une politique monétaire et d’une politique budgétaire peut réguler les cycles économiques. Cette politique va soutenir la consommation et la demande (donc la production) et tendre ainsi à l’équilibre du plein-emploi qui n’est jamais atteint naturellement par le marché. Voir La théorie de Keynes.
  • La citoyenneté sociale (les droits sociaux) : la période est aussi celle de la reconnaissance des droits sociaux ajoutant une dimension sociale à la citoyenneté. Cela s’opère dès les années 30 aux Etats-Unis avec la politique de New Deal. En Europe, c’est à la fin de la seconde guerre mondiale que ces droits émergent. En France, la constitution de 1946 proclame ainsi le droit au travail, le droit de grève, le droit de se syndiquer librement, le droit à la famille…
  • L’instauration des systèmes sociaux : Dès août 1935, le Social Security Act institue, aux USA, un système d'assurance contre le chômage, la vieillesse, l'invalidité. En Grande-Bretagne, une sécurité sociale est instaurée sur la base du plan Beveridge de 1942. La France imite ce système en établissant également une sécurité sociale générale couvrant l’essentiel des populations (1945). L’état couvre ainsi les risques de vieillesse, maladie (décès, invalidité, accident), la famille (handicap, logement, enfance, familles nombreuses…). La période est celle de la généralisation de ces systèmes sociaux couvrant les principaux risques.

A partir des années 1960, la question sociale devient majeure dans les sociétés développées. Le keynésianisme est la doctrine dominante. Les Etats continuent de développer leurs interventions sur l’ensemble de la société.

  • La politique économique : c’est la période où l’état est très interventionniste y compris aux Etats-Unis où les démocrates règnent (Kennedy, Johnson). Non seulement, il régule l’économie au plan national, favorisant une démarche de planification indicative en France mais il joue un rôle important à travers la politique de défense (développement d’une industrie de pointe y compris avec l’atome) mais aussi pour des grands projets technologique (télécommunications) ou politique (l’espace). En France, l’état assure le risque du chômage à partir de 1958.
  • La politique sociétale : aux USA, les interventions se multiplient particulièrement dans le domaine social concernant les minorités, la protection des consommateurs, l'environnement… Des préoccupations similaires émergent en Europe : la Culture en France par exemple.
  • Les conséquences : cette phase est aussi celle caractérisée par deux phénomènes. D’une part, les budgets d'intervention de l’état explosent (près de la moitié du budget fédéral aux USA est consacré aux questions sociales au sens large). D’autre part, les états se sont dotés de lourdes administrations pour gérer ces politiques si bien qu’ils sont devenus le premier employeur un peu partout.



Df.L’Etat-Providence repose sur le fait que les risques sont assurés par le biais de l’Etat.

Le principe d'assurance peut cependant s'entendre en plusieurs sens :

Le modèle de Bismarck repose sur l'idée que chacun prélève sur ses revenus une part pour constituer un fonds venant couvrir les risques lorsqu'ils se réalisent (maladie, vieillesse, accident, chômage…). Cette assurance a deux caractéristiques : elle ne compense pas une invalidité dans la situation de départ qui empêcherait de cotiser (par exemple, un handicapé) car elle n'envisage pas de transferts ex ante mais seulement des transferts ex post après cotisations ; elle impose à chacun de prouver que le risque est involontaire et donc que la perte de revenu est indépendante de la volonté de travailler (pour éviter une dérive morale).

Le modèle de Beveridge (créateur de la sécurité sociale britannique et inspirateur de la sécurité sociale française) repose sur l'idée que tout titulaire d'un revenu accepte un prélèvement en faveur d'un fonds fournissant à tout membre de la société un minimum de ressources afin de faire face aux différents risques. Ce second modèle possède également deux caractéristiques : tout d'abord, le refus du transfert sans volonté de travailler commun avec le premier modèle ; ensuite, la reconnaissance des transferts ex ante. Il s'assoit sur une notion plus forte de solidarité.


Rq.L'État providence met en place une politique de « démarchandisation » qui vise à dégager l’individu des pures lois du marché, aussi bien en cherchant le plein emploi et en garantissant un revenu de substitution en cas de difficulté.

Esping-Andersen repère 3 modèles différents :

Le régime libéral : l’État n’intervient qu’en dernier recours et cherche à contraindre à un retour rapide sur le marché du travail. Ce système repose sur le principe de la responsabilité individuelle universelle, et a crû dans les pays anglo-saxons aux faibles influences catholiques et aux socialismes dispersés. L’État modeste est un credo. La régulation par le marché est réputée meilleure. L’État n'a qu'à encourager les services privés. Il limite strictement sa politique d’aide aux familles. La vieillesse reste toutefois un risque historiquement pris en charge dès le XIXe siècle. Mais ce régime béveridgien, à l’origine, s’est orienté plus tard, vers des systèmes d’épargne privée ou de fonds de pension par capitalisation. On le trouve en Irlande, au Royaume-Uni, au Canada, aux Etats-Unis, en Australie.


Le régime social-démocrate : il caractérise les États scandinaves. La protection sociale et les divers prestations sont universelles c’est-à-dire qu’elles ne dépendent pas des revenus et profitent tout autant aux pauvres qu’aux riches. Les bases de ce système sont l’universalisme et l’égalitarisme. La précoce prégnance du libéralisme n'empêcha nullement la prise en charge des risques. Il en découle un rôle redistributeur de l’État, tout à fait admis, et une vision fort large des risques sociaux. Par exemple, l’État adopte une politique permettant à chacun de choisir de travailler à l'extérieur ou de rester au foyer élever les enfants. La finalité du système est de favoriser l’autonomie individuelle.


Le régime corporatiste ou conservateur : ce modèle conservateur est la règle en Europe continentale et - de façon un peu différente - en Europe méditerranéenne. L’État-providence a une origine monarchique et est fortement influencé par le christianisme, notamment le catholicisme. Le régime est corporatiste car il est fondé sur une organisation par types de métiers. Les prestations fournies sont très liées aux revenus. L’État adopte souvent une politique familiale qui favorise le modèle du « male bread winner » (gagne-pain masculin extérieur). Les pays d’Europe continentale et méditerranéenne comme la France, ont adopté ce régime plus ou moins bismarckien mais aussi la Belgique, l'Allemagne, la Grèce, l'Espagne, l'Italie, l'Autriche et le Portugal.


Rq.Mais cette vision de l'État-Providence repose sur plusieurs conditions : la plus importante est que le risque lié au travail doit rester marginal ce qui signifie que la société sera durablement une société de plein emploi pour qu'elle puisse financer ce risque. Une seconde condition est que l'économie de marché continue de se développer à l'intérieur du cadre de l'État national afin que les coûts sociaux de l'État-Providence soient supportés.



« Dans la crise actuelle, l'État n'est pas la solution à notre problème ; l'État, voilà le problème ! » affirma Ronald Reagan, le 20 janvier 1981, lors de son premier discours d'investiture. Cette formule, à elle seule, résume à la fois la déception à l'égard de l'État-Providence (Welfare State) et l'orientation nouvelle qui émerge baptisée souvent « tournant néolibéral » tentant de mettre en place un Workfare State.


Dans son célèbre ouvrage intitulé La crise de l’état-Providence (1981), P. Rosanvallon soutint l’existence d’une triple crise du système.

  • Une crise de solvabilité : Le financement du système social est rendu de plus en plus difficile, en raison du ralentissement de la croissance et de l’augmentation des besoins sociaux. Ces difficultés se traduisent par une progression continue du taux de prélèvements obligatoires qui approchent les 50% du PIB dans les années 1980 en Europe.
  • Une crise d’efficacité : Les inégalités se creusent malgré l’effet redistributif de la protection sociale ; les dispositifs mis en place dans le passé paraissent de moins en moins adaptés aux besoins d’une société qui s’est beaucoup transformée (ex des retraites ou des politiques familiales) ; enfin, les prélèvements effectués sur l’activité économique semblent, pour certains, contre-productifs, et nuiraient à la croissance.
  • Une crise de légitimité : La solidarité nationale fondée sur un système de protection collective semble se heurter à une montée des valeurs individualistes. En effet, les mécanismes impersonnels de prélèvements et de prestations sociales, caractéristiques de l’État-providence, ne satisfont plus des citoyens à la recherche de relations moins anonymes et d’une solidarité davantage basée sur des relations inter-individuelles. L’État-providence doit également affronter l’effacement des cadres collectifs de cohésion (solidarités nationale et professionnelle) devant la montée des logiques de privatisation-Privatisation-Transfert d’une entreprise publique au secteur privé à la suite d’une cession de tout ou partie de son capital par l’Etat du risque.


Rq.L'État-Providence s'est écroulé car les conditions sur lesquelles il reposait étaient utopiques.


  • À partir des années 1980, la mondialisation s’accélère avec un fort mouvement d’internationalisation de l’économie. Or l’Etat-Providence supposait des économies nationales relativement autarciques. Les sociétés entrent en concurrence les unes avec les autres et les coûts sociaux de l’Etat-Providence apparaissent alors comme des handicaps pour la compétitivité. Par exemple, en Allemagne durant les années 1980, de nombreuses entreprises vont fuir les coûts de l’état social en délocalisant massivement. Une pression à la remise en cause des « acquis sociaux » s’installe alors.
  • L'État-Providence implique que le risque lié au travail reste marginal ce qui signifie que la société soit durablement une société de plein emploi pour qu'elle puisse financer ce risque. Là encore, les années 1980 créent une rupture en inaugurant le phénomène du chômage de masse.
  • Selon l’analyse néo-libérale, l'État-Providence se heurte à la nécessité d'éviter la dés-incitation. Il faut certes corriger les inégalités par la redistribution mais pas trop égaliser sous peine de liquider l'incitation à entreprendre, à investir, à employer, à travailler. La Suède qui explora une redistribution très importante dût faire marche arrière pour ne pas annihiler l'initiative. Or, l'équilibre entre redistribution et incitation est intenable car les dépenses structurelles de l'État-Providence sont incompressibles (dépenses d'équipement, de fonctionnement, prestations sociales, subventions économiques…)
  • Selon cette même analyse, l'État-Providence fut un échec en termes d'efficacité économique puisqu'il mobilise des moyens colossaux pour des effets très limités. Le paradoxe, en effet, est qu'une lourde redistribution fiscale ne modifie qu'à la marge la situation notamment parce que le caractère sélectif et conditionnel des aides engendre des coûts induits énormes à travers une lourde bureaucratie.

Les années 1970-1980 marque la victoire d’une école de pensée à la fois économique et politique qui se caractérise par un certain « fondamentalisme du marché ». C’est le renversement et la défaite de la théorie de Keynes. Le mouvement commença très en amont puisque Friedrich von Hayek, qui était à l'origine économiste et reçu d'ailleurs le prix Nobel [contesté] en 1974, réalisa ces travaux après-guerre. Il démontra que l'économie repose sur des informations relatives aux agents très dispersées et souvent implicites. Il montra alors que le marché permettait de surmonter cette ignorance en la réduisant tandis que les économies planifiées reposaient sur des présuppositions qui se révélaient toujours fausses. Il est donc difficile d'anticiper le comportement. Ces limites de la raison impliquent de revaloriser le marché. En 1947, il créa la Société du Mont-Pélerin qui rassembla les principaux économistes libéraux dont Milton Friedman (père de David). Parmi ceux-ci certains vont s'attacher à souligner les problèmes inhérents aux politiques keynésiennes. Par exemple, Georges Stigler (prix Nobel d'économie en 1982) va montrer que les services publics par leur politique de prix différenciés favorisent certains monopoles et entravent la libre concurrence. Arthur Laffer montrera qu'au-delà d'un certain seuil, le rendement de l'impôt décroit si bien que l'impôt devient contre-productif. A partir de ces critiques (voir aussi James Buchanan, prix Nobel d'économie en 1986 et Murray Weidenbaum qui fustigea les réglementations économiques), une alternative commence à se dessiner. Elle est principalement esquissée par Milton Friedman (prix Nobel d'économie le plus contesté de l'histoire [1976]) qui forge une théorie monétariste. Son hypothèse de base est que si la monnaie n'a pas d'effet à long terme sur l'équilibre général, elle possède en revanche un rôle effectif sur la production à court terme. Pour que ce dernier joue, il convient de mener une politique monétaire très restrictive puis de laisser faire le marché.

Lancé par Ronald Reagan aux Etats-Unis, ce modèle se retrouvera en Grande-Bretagne avec Margareth Thatcher puis se propagera un peu partout. On le retrouve, en France après le « tournant de la rigueur » en 1983 puis avec le gouvernement de Jacques Chirac (86-88), en Italie avec le mouvement de création de l'Euro, en Allemagne avec Kohl… On peut tenter d’esquisser les grands traits de ce modèle :

Pour ces auteurs néo-libéraux, l’Etat est incapable de réguler des choses qui lui échappent. Il est devenu trop omnipotent et le seul principe de régulation efficace est le marché. En conséquence, il faut transférer au marché le plus possible d’activité. Ainsi émerge un vaste mouvement de privatisations dans le monde. Le phénomène est spectaculaire en France où l’état vend, en quelques années, des banques, des assurances, des industries entières et même une chaine de TV qui passe du public au privé (TF1). Ce mouvement continuera par la suite en touchant des secteurs clés comme le gaz, l’électricité, la poste… ou le chemin de fer en Grande-Bretagne.

Elle est assise sur cette relecture de l'économie qui conduit à rejeter l'idée dominante keynésienne selon laquelle, en tant de crise, le développement ne peut être assuré que par une relance (impliquant un endettement de l'État) de la demande afin de soutenir la consommation intérieure et de bénéficier d'un effet multiplicateur. Cette idée perd alors du terrain au profit des théories de l'offre (supply-side economics) qui proposent une relance en attirant les capitaux (politique monétariste), en diminuant les impôts, en stimulant l'offre et en réduisant drastiquement le poids de l'administration dans l'économie.

Ce vocable ne doit pas être confondu avec la « déréglementation » laquelle ne désigne que le démantèlement des réglementations existantes c'est-à-dire des obstacles juridiques (et non tarifaires). La déréglementation est certes le plus souvent un aspect de la dérégulation mais celle-ci recouvre plus largement une nouvelle manière de concevoir l'action de l'État et la gestion de la société. Par exemple, la dérégulation recouvre la suppression ou l'aménagement d'un monopole, une réforme du management administratif et une rationalisation de l'intervention administrative de l'État, un affaiblissement des autorités de régulations de la société mais aussi le démantèlement de règles juridiques trop contraignantes… Elle peut recouvrir aussi des « privatisations » puisque ces dernières visent à soumettre à la régulation du marché des activités ou des secteurs relevant de la régulation étatique. En d'autres termes, la dérégulation est à la fois une doctrine (un ensemble de concepts ordonnés) et un ensemble de pratiques qui n'est pas seulement tourné contre l'omniprésence du droit mais contre toutes médiations (institutions, règles de droit, pratiques…) entravant la spontanéité naturelle des acteurs sociaux.

Les politiques sociales de l’état-Providence seront remises en cause parce qu’elles sont trop générales, généreuses, trop coûteuses et trop dés-incitatrices. Reagan puis Thatcher évoquent la nécessité de démanteler ce système inefficace et conçoivent le chômage comme un phénomène d’ajustement naturel. On tente d’opérer des coupes sombres dans les budgets sociaux et réduire les protections offertes au minimum. Les aides restantes sont alors envisagées comme devant être très ciblées avec des conditions restrictives d’accès ; on développe aussi une sorte de « culpabilisation » de l’individu qui doit sans cesse faire la preuve de ce qu’il recherche effectivement un travail, qu’il est effectivement malade…

Cette nouvelle manière de penser à influencer le monde entier dans de nombreux secteurs et pour de nombreuses politiques publiques. Néanmoins, en Europe, les gouvernements ont malgré tout maintenu un haut niveau de protection sociale au point que l’on peut parler d’un « modèle européen ». Par exemple, en France, même s’il a fallu revoir certains « acquis sociaux » comme les retraites, d’autres ont été maintenus ou même créés récemment (RMI en 1989, CMU en 1996, RSA en 2008…). L’Allemagne s’est aussi dotée en 2008 d’une politique familiale généreuse largement calquée sur celle de la France. Même dans les pays anglo-saxons, les travaux de Paul Pierson [2004] ont montré que le retrait de l’Etat était en réalité partiel et très variable selon les secteurs : si l’idéologie néolibérale a totalement reformaté les politiques industrielles ou économiques, elle n’a, en revanche, que peu entamé les politiques sociales qui ont surtout dues affronter l’accroissement des inégalités.

Plus largement, les crises économiques à répétition, dont celle de 2008-2010, ont largement contribué à discréditer l’idée d’une régulation spontanée par le marché. Trois mutations contemporaines semblent indiquer la remise en cause du règne de la pensée néolibérale :

  • D’abord, la critique théorique du néolibéralisme est devenue très puissante aussi bien par les philosophes, les sociologues, les politistes et même les économistes. Il est, à cet égard, intéressant de noter une revalorisation forte des économistes critiques du néolibéralisme comme Joseph Stiglitz ou Amartya Sen (tous deux, prix Nobel).
  • Ensuite, la crise a conduit à des formes d’interventionnisme inattendues : plan de relance massifs pour sauver le secteur bancaire et éviter une crise systémique, nationalisation de banques comme la Notherrock par un gouvernement britannique pourtant très néolibéral…
  • Enfin, une de régulation politique et économique réapparait aujourd’hui à l’échelle mondiale (notamment à travers les débats du G 20) et à l’échelle régionale (au sein de l’UE).

Section 2 : Les formes juridiques de l’État


Le processus de centralisation et de monopolisation du pouvoir qui est à l’origine de l’État va être transcrit par le droit d’une manière différenciée suivant le poids des facteurs culturel, géographique, historique. Poussé à l’extrême, le processus originel conduit à un État unitaire dont la France est l’archétype. Cependant un État peut aussi reposer sur un principe d’unité moins omniprésent et obsessionnel ce qui donnera naissance à la forme de l’État composé comme l’État fédéral ou même à des composés d’États comme la Confédération.

Df.La forme juridique la plus simple de l’État parce que la plus intégrée est celle de l’État unitaire. Ce dernier se caractérise par l’unité de sa structure politique (un seul gouvernement, un seul Parlement, un seul système juridictionnel) mais aussi par l’unicité de son ordonnancement juridique (un seul ordre juridique c’est-à-dire une seule pyramide des normes avec au sommet l’unique Constitution). Par ces deux éléments, l’État unitaire s’oppose à l’État fédéral.

Cependant, l’État unitaire connaît plusieurs variantes que sont :

  • l’État unitaire purement centralisé : dans ce cas, l’unité est à la fois politique et administrative. Il n’existe alors qu’une seule circonscription administrative correspondant au territoire national mais aussi un seul centre de décision, d’impulsion, d’animation et de gestion. Tout au plus peut-il exister des envoyés temporaires du pouvoir central dans la périphérie comme les « missi dominici » de Charlemagne ou des échelons territoriaux sans compétences propres et toujours soumis à la volonté du centre. Une telle solution n’est envisageable que pour de très petits États ; pour les autres, le risque est, selon la formule de Lamennais, « l’apoplexie au centre et la paralysie aux extrémités ». La France a bien connu durablement ce système sur lequel Montesquieu notait : « Il n’y a en France que Paris et des provinces éloignées, parce que Paris n’a pas encore eu le temps de les dévorer ». Cette tradition a laissé des traces importantes dans le vocabulaire puisque l’on « monte à Paris » aussi bien de Marseille, Lille, Nancy ou Nantes.
  • l’État unitaire politiquement centralisé et administrativement déconcentré : il s’agit d’un aménagement de la centralisation. Un nouvel échelon administratif sert de relais à la centralisation. « C’est toujours le même marteau qui frappe mais on en a raccourci le manche » selon la formule d’Odilon Barrot. La déconcentration est donc un transfert d’attributions administratives du pouvoir central à un échelon local créé au sein de la personne publique. ce transfert s’opère au bénéfice d’agents de l’État placés sous l’autorité (le pouvoir hiérarchique) du pouvoir central.

Ces deux premières formes sont aujourd’hui dépassées ou accessoires. Les deux variantes dominantes sont, en effet, l’État unitaire décentralisé et l’État unitaire régionalisé.

Le terme peu explicite de « décentralisation » correspond aux expressions anglaises de « local government » ou encore « self government » c’est-à-dire à l’idée d’auto-administration. Au sein de l’État unitaire, la décentralisation implique une étape supplémentaire de nature politique visant la reconnaissance des libertés locales. Son principe fondamental n’est plus l’autorité mais la liberté.

La décentralisation correspond à un transfert de compétences du pouvoir central en direction des pouvoirs locaux c’est-à-dire à des personnes publiques distinctes dotées d’une autonomie et d’autorités élues au suffrage universel.

La France a adopté une telle organisation depuis le début des années 1980. La révision constitutionnelle du 27 mars 2003 modifie d’ailleurs l’article 1er précisant, s’agissant de la République, que « son organisation est décentralisée ». L’Angleterre constitue un autre exemple d’État unitaire décentralisé. Là aussi, le processus de décentralisation s’accélère nettement ces dernières années.

L’État unitaire régionalisé accompli un pas de plus en direction de l’État fédéral par la reconnaissance d’une réelle autonomie politique aux régions. Cela résulte souvent de spécificités ethniques, culturelles, linguistiques, religieuses ou historiques ce qui, là aussi, le rapproche de l’État fédéral. Cependant, contrairement à ce dernier, l’État unitaire régionalisé maintient un seul ordre juridique même si plusieurs autorités participent au pouvoir normatif et notamment au pouvoir législatif. Malgré tout, il n’existe qu’une seule Constitution, qu’un seul juge constitutionnel gardien des équilibres entre le niveau national et le niveau régional. Ce régionalisme politique souvent institutionnel connaît une application partielle dans de nombreux pays comme la France (avec le nouveau statut de l’outre-mer, la Corse), le Royaume-Uni (avec le pays de Galles et l’Irlande du Nord depuis 1998) ou la Belgique (avec la reconnaissance des communautés linguistiques qui se superposent à une structure quasi-fédérale à base de régions administratives). L’Italie et l’Espagne constituent deux grands exemples d’illustration de l’État unitaire régionalisé.

Les dynamiques de regroupements des États ne sont pas nouvelles historiquement ; le processus s’est cependant accéléré au XXe siècle avec une signification différente. L’accent est aujourd’hui moins mis sur la recherche de l’unité que traduisent le terme d’union ou le préfixe médiéval « con » que sur la prise en compte de la diversité et du pluralisme. À la limite, l’analyse des formes de groupements d’États devrait aujourd’hui principalement se pencher sur les organisations internationales à vocation régionale en plein développement et qui connaissent des processus plus ou moins intenses de « fédéralisation ». Cet aspect est cependant classiquement abordé par les enseignements de « Politique internationale » ou de « Droit international institutionnel ». Nous en resteront donc ici aux formes classiques de regroupements.


L’union personnelle agrège, dans la même personne d’un même gouvernant, deux ou plusieurs États conservant juridiquement la plénitude de leur indépendance.

Dans la quasi-totalité des cas, l’union personnelle résultat des règles successorales propres à une dynastie.

En d’autres termes, deux monarchies se sont retrouvées par le jeu des règles successorales avec un seul et même monarque. Il faut que les deux États aient les mêmes règles successorales de dévolution du pouvoir sinon l’union ne peut pas durer. Il a également pu arriver que l’union résulte d’un mariage (le mariage du Duc Ladislas de Jagellon avec la reine Hedwige en 1835 opéra l’union de la Lituanie et de la Pologne) ou d’une élection (le Prince Couza fut élu « Hospodar » de Moldavie et de Valachie en 1856). Les deux ordres juridiques restent complètement distincts : ainsi l’union personnelle entre la Belgique et le Congo au temps de la colonisation n’empêchait pas que la Belgique fût une monarchie parlementaire et le Congo une monarchie absolue.

L’union réelle agrège deux ou plusieurs États à la fois dans la personne du monarque (donc dans le titulaire du pouvoir) mais aussi dans des organes de direction (l’exercice du pouvoir). Cependant ce n’est pas l’ensemble du gouvernement qui est commun mais seulement quelques organes (par exemple, ceux relatifs à la diplomatie). Contrairement à l’union personnelle, l’union réelle est une personne morale au regard du droit international public.

Df.La confédération est une association égalitaire entre États, au sein de laquelle ceux-ci acceptent de coopérer en un certain nombre de domaines, tout en conservant, à titre principal, leur souveraineté.


- Elle est une union de droit international ; elle est donc régie par un traité et non pas par une constitution.

- Elle est une association libre et volontaire si bien qu’un membre peut décider de la quitter. Chaque membre bénéficie donc d’un droit de sécession contrairement à l’État fédéral.

- L’union est limitée à quelques aspects politiques essentiels (le plus souvent la diplomatie et les questions militaires). Elle n’a pas la personnalité juridique au plan international.

- Les citoyens ne relèvent pas de la confédération mais seulement des État confédérés. Il n’y a pas superposition d’ordre juridique puisque l’ordre supérieur est seulement politique. C’est le principe de médiateté selon lequel l’action confédérale passe obligatoirement par l’intermédiaire des gouvernements confédérés. Les règles juridiques ne sont pas directement applicables dans l’ordre interne des États membres à la différence de la fédération. Elles doivent faire l’objet d’une réception par ces derniers c’est-à-dire d’une ratification et d’une publication.

- Les organes communs sont constitués de représentants des États confédérés. C’est un congrès de chefs d’État ou d’ambassadeurs souvent appelé « diète » qui constitue l’organe commun. Il statue à l’unanimité (sous réserve de confirmation ultérieure par les gouvernements des États) ou par référendum.

- La Suisse.
- Les 13 colonies britanniques d’Amérique du Nord.
- La confédération germanique.
- Le Commonwealth .

La confédération constitue, en règle générale, soit une étape dans la dislocation d’anciennes organisations structurées (les empires coloniaux) soit une étape vers une forme plus solide qu’est l’État fédéral. Dans ce dernier cas, l’on passe du composé d’États (staatenbund) à l’État composé (Bundestaat).

Le fédéralisme est un phénomène global : d’un côté, il est l’expression de valeurs, de visions du monde (importance de la diversité et du pluralisme) qui se retrouvent dans des philosophies très différentes ; d’un autre côté, il s’agit d’une culture politique, de pratiques et d’un agencement institutionnel. Bien qu’il n’y ait aucune définition universelle, le fédéralisme peut être appréhendé dans une perspective de science politique et dans une perspective juridique.

Df.Définition politique : « le fédéralisme est un mode de gouvernement qui repose sur une certaine manière de distribuer et d’exercer le pouvoir à partir de gouvernements territoriaux autonomes qui participent, d’une manière ordonnée et permanente, aux institutions et décisions du gouvernement central ».
 
Df.Définition juridique : L’État fédéral est une union d’États au sens du droit constitutionnel au sein de laquelle une nouvelle collectivité étatique se superpose à ces derniers. L’État fédéral implique donc une pluralité d’ordonnancements constitutionnels dont un – le majeur – prime sur tous les autres qui lui sont subordonnés. Pratiquement, les États souverains s’unissent pour abandonner une partie de leurs compétences au profit de la communauté.



Rq.L’État fédéral est une structure institutionnelle, une réalisation politique et juridique qui s’inscrit dans un courant de pensée, un courant intellectuel : le fédéralisme.

Ce courant a connu plusieurs variantes :

  • la racine philosophique commune se trouve chez Kant notamment dans le Projet de paix perpétuelle. L’idée de base est de substituer aux rapports de force qui prédominent dans l’ordre international, des rapports de droits. Cela ne peut s’opérer que si l’on pose une organisation où les États seront égaux et dont les hommes seront les citoyens (Kant n’ira cependant pas jusqu’à ce point). Mais il évoque cette société des nations ou les États seront égaux et parle d’une fédération alors même que la réalité fédérale n’existait pas encore.
  • la conception libérale du fédéralisme : elle fut exprimée par les pères fondateurs de la Constitution américaine et tout spécialement par Alexander Hamilton. Il s’agissait alors d’organiser une sorte de nouvelle séparation des pouvoirs entre le niveau fédéral et le niveau fédéré en permettant au juge ou au peuple d’arbitrer les éventuels conflits. Hamilton voit dans le fédéralisme, le meilleur moyen de protéger les droits du peuple et des individus car comme il l’écrivit : « le pouvoir étant presque toujours le rival du pouvoir (…) le peuple fera toujours pencher la balance du côté où il se placera. Si ses droits sont attaqués par l’un, il pourra se servir de l’autre pour se défendre ». L’idée libérale sous-jacente est donc que l’équilibre des pouvoirs ne peut être obtenu que par une balance des pouvoirs qu’organise le fédéralisme.
  • la conception socialiste et anarchiste du fédéralisme : la principale figure de ce courant fut Pierre-Joseph Proudhon (et aussi le juriste Georges Scelle). Ici, le principe fédéraliste sert d’abord à montrer les limites et les dangers de l’État unitaire et de la centralisation. En réalité, il s’agit de chercher à construire un au-delà de l’État-Nation ; il s’agit aussi d’affirmer que l’épanouissement des communautés de base ne peut se réaliser que si elles ont à la fois une liberté (autonomie) tout en étant intégrées à un ensemble qu’elle gère (principe d’auto-gestion chez Proudhon).

1-2-1 - La formation de l’État fédéral résulte de deux processus fondamentalement opposés mis en valeur par Georges Scelles :

  • d’une part, le fédéralisme par agrégation ou association cherche à unir ce qui était auparavant séparé, en s’appuyant sur une proximité géographique (ex : la Suisse et ses cantons, les USA et les anciennes colonies britanniques, l’Allemagne et les anciens royaumes de l’Empire germanique…).
  • d’autre part, le fédéralisme par ségrégation ou dissociation qui sépare ce qui était auparavant uni en tenant compte d’une solidarité historique (la Communauté des États Indépendants, le Commonwealth…).

1-2-2 - Le fédéralisme s’est répandu essentiellement au XXe siècle et sur les cinq continents. L’origine de ce phénomène tient à sa capacité de prendre en compte les particularismes linguistiques mais aussi de résoudre les difficultés issues de la décolonisation. Voir les principaux États fédéraux .


Si le fédéralisme est un courant intellectuel, il débouche sur une technique de répartition du pouvoir. Il implique une société plurielle. Toute construction fédérale suppose donc une combinaison entre trois principes : celui de superposition, celui d’autonomie et celui de participation.

La structure fédérale créée par la constitution est un nouvel ordre politique et juridique. Elle a les attributs d’un État avec un pouvoir exécutif, un pouvoir législatif, un pouvoir juridictionnel. Cet État dispose d’une souveraineté plénière et apparaît seul sur la scène internationale. Il bénéficie d’une primauté marquée par le principe « bundesrecht bricht landersrecht » ou par la clause de suprématie de l’article VI de la constitution américaine.

Ce principe pose que les États fédérés conservent un pouvoir d’auto-organisation politique et juridique, qu’ils ont une constitution propre, des pouvoirs exécutif, législatif et juridictionnel propres, un drapeau et un hymne. Surtout, ils disposent de compétences qui leurs sont réservées. Cette distribution des compétences entre le niveau fédéral et le niveau fédéré implique que l’un des niveaux ait une compétence générale de droit commun tandis que l’autre possède une compétence d’exception ou d’attribution limitativement énumérée. Aux USA et en Suisse, ce sont les États fédérés qui bénéficient de la compétence générale tandis qu’en Afrique du Sud et au Canada, cette compétence de droit commun revient à l’État fédéral. Ce principe d’autonomie implique aussi qu’il y ait un gardien des frontières entre le niveau fédéral et le niveau fédéré. Cette régulation du partage ne peut s’opérer par la voie diplomatique comme dans une confédération, ni par la voie administrative comme dans un État unitaire (même décentralisé). C’est donc le pouvoir juridictionnel qui va régler cette question. De ce fait, dans un État fédéral, ce pouvoir est toujours extrêmement important car l’enchevêtrement des ordres juridiques implique qu’il ait un rôle plus considérable qu’ailleurs. Aux USA, c’est la cour suprême et en Allemagne, c’est le tribunal constitutionnel qui sont les organes régulateurs et protecteurs du fédéralisme.

Dans la mesure où la fédération est une création volontaire des États fédérés, ceux-ci doivent participer et être associés de manière étroite à la vie de l’État fédéral. Il peut exister une participation à l’exécutif fédéral par la nomination de responsables mais cela est souvent marginal et négligeable (postes honorifiques ou de représentation). En revanche, la participation au législatif est essentielle et très développée. Elle passe par une représentation à deux niveaux : représentation des États qui est soit égalitaire, soit paritaire ; représentation des populations qui est proportionnelle. De ce fait, non seulement le bicaméralisme est un principe fondamental mais, en outre, la seconde chambre possède une composition spécifique et un poids considérable.


La structure du parlement dans un État fédéral est toujours bicamérale, ce qui ne signifie rien d’autre que l’existence de deux chambres distinctes sans fournir aucune précision quant aux spécificités de cette seconde chambre. En régime fédéral, cette seconde chambre a pourtant plusieurs originalités :

au niveau de la composition : il existe deux techniques que sont la composition égalitaire ou celle paritaire. Soit le Sénat est constitué d’un nombre égal de représentants par État fédéré comme aux Etats-Unis où chaque État envoie deux sénateurs qu’il soit très peuplé comme la Californie ou désertique comme l’Alaska. C’est également le cas en Suisse. Soit le Sénat est composé de manière quasi-égalitaire ce qui signifie que la représentation d’un État fédéré est pondérée par son importance démographique. C’est le cas en Allemagne où chaque État envoie entre 3 et 5 membres au Bundesrat suivant son poids démographique. Notons que ces membres ne sont pas toujours élus : en Allemagne, ils sont désignés par les gouvernements des États fédérés, reçoivent un mandat impératif, votent en bloc…

- au niveau des attributions : soit le bicaméralisme est égalitaire ce qui signifie que les deux chambres ont autant de pouvoir l’une que l’autre : tel est le cas de la Suisse et aussi de l’Allemagne s’agissant des questions touchant « la législation et l’administration de la Fédération » (art. 50 de la loi fondamentale) ; soit le bicaméralisme est inégalitaire ce qui implique, dans l’État fédéral uniquement, que la seconde chambre possède plus de pouvoir. Tel est le cas aux États-Unis où le Sénat possède notamment le pouvoir de confirmer les nominations aux emplois fédéraux (par exemple, à la Cour suprême mais pas seulement) et le pouvoir de donner son avis et consentir aux traités internationaux (donc de les ratifier à la majorité des 2/3 ; comme chacun le sait, le traité de Versailles qui fut largement imposé par les États-Unis ne fut pas ratifié par le Sénat).

Dans le cadre de l’État fédéral, les révisions de la Constitution sont toujours rendues très difficiles par le biais d’une procédure lourde et exigeante. C’est cette difficulté que recouvre le terme juridique de « rigidité ». Le but est bien entendu qu’il ne soit pas aisé de bousculer les équilibres délicats entre le niveau fédéral et niveau fédéré. C’est pourquoi il faut que les États fédérés soient tous d’accord et consentent à ce changement : c’est là la garantie majeure parmi les garanties du système.

Ex.Exemple 1
Aux États-Unis, l’adoption d’un amendement suppose d’une part, la majorité des 2/3 dans les deux chambres du Congrès puis d’autre part, la ratification par les 3/4 des législateurs des États fédérés (soit la ratification par 38 États). La pratique tente d’alléger ce système très lourd au moyen de conférences entre responsables pour régler une difficulté ou harmoniser les législations.

Ex.Exemple 2
En Allemagne, les révisions impliquent une majorité des 2/3 devant le Bundestag et devant le Bundesrat (art. 79). En outre, les révisions éliminant ou supprimant des Länders, celles modifiant le principe de participation des Länders à la législation ou celles concernant le caractère démocratique et social du régime ou encore toute révision concernant le respect des droits de l’homme sont interdites (art. 79 alinéa 3).
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