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L'écrit sur support électronique : la problématique de la preuve en matière contractuelle

La loi du 13 mars 2000 (JORF n° 62 du 14 mars 2000, 3968), portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relative à la signature électronique concerne en matière contractuelle plus spécifiquement la question de la preuve littérale, ou preuve par écrit.

En pratique, lors de la conclusion des contrats, la question s'était progressivement posée de savoir si un écrit sur support électronique pouvait, ou non, avoir la même valeur probatoire que l'écrit rédigé sur support papier. Il est en effet, primordial d'assurer une sécurité suffisante aux contractants, du point de vue de la preuve relative à l'existence et au contenu de leur acte juridique (negotium).

Avant la réforme, les documents électroniques ne pouvaient pas être reçus comme preuves ; a fortiori, l'écrit sur support électronique ne permettait pas d'assurer la validité d'un acte soumis à un acte soumis à l'exigence d'un écrit imposé ad validitatem.

De la même manière certaines formalités étaient incompatibles avec les modalités offertes par l'économie numérique.

Exemple

Le formulaire détachable imposé par l'article L. 121-24 du Code de la consommation, pour que le consommateur exerce sa faculté de repentir en matière de démarchage.

L'instrumentum, support écrit de l'opération, établi sous seing privé, ou en la forme authentique (acte notarié, par exemple) est quelquefois exigé en matière contractuelle par la loi, notamment par les dispositions de l'article 1341 du Code civil : écrit préconstitué requis pour l'acte civil (supérieur à 1500 euros depuis le décret n° 2004-836, du 20 août 2004 portant modification de la procédure civile) (JORF n° 195 du 22 août 2004, 15032), sous réserve des aménagements prévus par les articles 1347 du Code civil (commencement de preuve par écrit) et de l'article 1348 du Code civil (impossibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve littérale, perte de la preuve littérale par suite d'un cas de force majeure, etc. ).

Classiquement, en matière contractuelle, l'écrit exigé au titre de la preuve littérale, ad probationem, était un document établi sur un support « papier » et signé par les parties, voire dressé par un officier public selon les solennités requises.

  • En premier lieu, selon les dispositions de l'article 1316 du Code civil : « La preuve littérale, ou preuve par écrit, résulte d'une suite de lettres, de caractère, de chiffres, ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission ».

Remarque

On constate donc, déjà dans ce premier article après la réforme, le principe d'une liberté du choix du support.

  • En deuxième lieu, l'article 1316-1 du Code civil affirme que : « L'écrit sous forme électronique est admis au même titre que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans les conditions de nature à en garantir l'intégrité ».

Deux éléments importants sont mis en valeur dans cet article :

  • D'une part, l'identification de l'auteur de l'acte qui pose frontalement la problématique de la « signature électronique » et,

  • d'autre part celle de « l'archivage » sécurisé des documents numériques.

  • En troisième lieu, l'article 1316-2 du Code civil, dispose que « Lorsque la loi n'a pas fixé d'autres principes, et à défaut de conventions valable entre les parties, le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu'en soit le support ».

On relève un principe essentiel dans cette disposition légale, sous réserve de deux cas particuliers : en cas de conflits entre deux écrits, ce n'est pas la forme du support qui impose la solution.

En effet, il appartient au juge de trancher le « conflit de preuves » par une appréciation de qualité du titre du point de vue de la vraisemblance de son contenu, sans supériorité quelconque du « papier » sur le « numérique ».

La règle, qui n'est pas d'ordre public, peut toutefois être écartée, soit par une disposition légale impérative dérogatoire dans certains domaines spécifiques sensibles, soit pas la volonté clairement exprimée par les parties à l'acte qui peuvent privilégier l'un des supports par rapport à l'autre.

Les conventions relatives à la preuve présentent l'avantage de déterminer à l'avance les procédés de preuve auxquels les contractants pourront avoir recours. Leur utilisation présente des risques pour les simples particuliers maîtrisant parfois assez mal les arcanes juridiques, (possible présence de clauses abusives au sens de l'article L. 132-1 du Code de la consommation). Les professionnels de l'industrie et du commerce ont, en revanche, fréquemment recours à la technique de l'échange de données informatisées (EDI) sous forme structurée, et normalisée et ont pris l'habitude d'aménager les règles de preuve applicables aux litiges éventuels concernant le contenu des messages dématérialisés échangés.

  • En quatrième lieu, l'article 1316-3 du Code civil impose une conclusion logique aux dispositions qui le précèdent : « L'écrit sur support électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier ». L'identité de la valeur probatoire est donc pleinement affirmée, alors même que des réticences avaient été exprimées par certains juristes et des professionnels en raison des risques, (supposés importants), de fraudes et d'altérations diverses.

Certaines exigences pour que la copie informatique soit dotée de force probante sont imposées. Ainsi, la Cour de cassation (Cass. 2e civ., 4 décembre 2008, n° 07-17622[1]), a décidé récemment que : « prive sa décision de base légale, la cour d'appel qui retient qu'une caisse primaire d'assurance maladie justifie de l'accomplissement de la formalité prévue à l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale par la production de la copie informatique de la lettre d'information adressée à l'employeur sans rechercher si le document produit répondait aux exigences des articles 1334, 1348 et 1316-1 du code civil » (Th. Piette-Coudol, « De la preuve de l'écrit accidentellement ou essentiellement électronique », in RLDI, avril 2009, p. 37 et s.).

Les faits de l'espèce, relatifs à un accident du travail révélaient que la cour d'appel avait admis que la preuve de l'envoi de la lettre d'information pouvait être faite librement. (la Caisse primaire d'assurance maladie n'avait conservé qu'une copie informatique d'un courrier, et elle l'avait produite ensuite aux débats « édité sur papier à entête et revêtu d'un logo »).

La Cour de cassation, saisie d'un pourvoi de l'employeur, a cassé l'arrêt de la Cour d'appel pour n'avoir pas recherché si le document produit par la Caisse primaire d'assurance maladie, (pour justifier de l'accomplissement d'une formalité) répondait aux exigences de l'article R. 441-11 du Code de la sécurité sociale (CSS).

En savoir plus : Contrats électroniques

Consulter : sur les difficultés de prouver le contenu des contrats électroniques, A. Ayewouadan, « La preuve des actes juridiques dans le prisme des contrats électroniques », in RLDI, janvier 2009, p. 73 et s.

  • En cinquième et dernier lieu, en ce qui concerne l'acte authentique (B. Reynis, « Professionnels du droit et contrat électronique », in « Le contrat électronique », p. 121 et s., Travaux de l'Association H. Capitant, Tome V, éd. Panthéon Assas) reçu par les officiers publics ayant le droit d'instrumenter dans le lieu où l'acte a été rédigé, un principe fondamental est exprimé par le second alinéa de l'article 1317 du Code civil : « Il peut être dressé sur support électronique s'il est établi et conservé dans les conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ».

En raison des réticences exprimées par certains notaires, il a fallu attendre un décret n° 2005-973 du 10 août 2005[2] (JORF n° 186 du 11 août 2005, 13096) pour que soient précisées les règles relatives à l'établissement de l'acte notarié sur support électronique (art. 16 à 20), à l'élaboration des annexes (art. 22 al. 2), à la tenue du répertoire (art. 25), à la conservation des actes au rang de minutes (art. 28), aux mentions marginales apposées sur l'original (art. 30), à la délivrance de copies sur support électronique (art. 37).

En ce qui concerne les huissiers, c'est un décret n° 2005-972 du 10 août 2005 (JORF n° 186 du 11 août 2005, 13095) qui a mis en place les éléments nécessaires relatifs à la mise en œuvre des actes établis sur support électronique.

Dès lors, on relève une série de conditions cumulatives :

  • en premier lieu, le Conseil supérieur du notariat (CSN) et la Chambre nationale des huissiers de justice doivent agréer les systèmes de traitement et de transmission des informations afin de garantir l'intégrité et la confidentialité du contenu de l'acte et le système doit être interopérable avec les systèmes utilisés par les autres notaires et les autres huissiers.

  • en deuxième lieu, la signature de l'acte authentique doit être sécurisée et respecter les modalités imposées par le décret du 30 mars 2001.

  • en troisième lieu, la mise en place d'un « minutier central » pour assurer la conservation des actes selon des modalités garantissant leur intégrité et leur lisibilité.

  • en quatrième et dernier lieu, le traitement des données à caractère personnel aux fins d'exercice des activités notariales et de rédaction des documents des offices notariaux est soumis aux modalités de l'Autorisation unique n° AU-006 du 21 mars 2006[3] (JORF, n° 101 du 29 avril 2006, 6494).

Au-delà de la question de la preuve, stricto sensu, la question de la validité de l'acte est posée : comment s'assurer de l'identité réelle des contractants et de la réalité de leur consentement ?

  1. Date04/12/2008
    JuridictionCour de cassation chambre civile 2
    Pourvoi07-17622
    TypeNationale
    Résumé

    Prive sa décision de base légale, la cour d'appel qui retient qu'une caisse primaire d'assurance maladie justifie de l'accomplissement de la formalité prévue à l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale par la production de la copie informatique de la lettre d'information adressée à l'employeur sans rechercher si le document produit répondait aux exigences des articles 1334, 1348 et 1316-1 du code civil

    Mots clésSECURITE SOCIALE, ACCIDENT DU TRAVAIL, Procédure, Procédure préliminaire, Appréciation du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie, Obligation préalable d'information de l'employeur par la caisse, Accomplissement, Preuve, Copie informatique de la lettre d'information adressée à l'employeur, Nature, Portée, PREUVE, Moyen de preuve, Règles générales, Preuve par écrit, Écrit sous forme électronique, Production d'une copie informatique, Recherche nécessaire
    PublicationBulletin 2008, II, n° 259
    Numéro d'affaire07-17622
    Textes Appliqués

    article R. 441-11 du code de la sécurité sociale ; articles 1334, 1348 et 1316-1 du code civil

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  2. Descriptif simple

    Décret n° 2005-972 du 10 août 2005 modifiant le décret n° 56-222 du 29 février 1956 pris pour l'application de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice.

    Type de texteDécret
    Date10/08/2005
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  3. Descriptif simple

    Délibération n° 2006-089 du 21 mars 2006 portant autorisation unique de traitements de données à caractère personnel aux fins d'exercice des activités notariales et de rédaction des documents des offices notariaux.

    Type de texteAutre
    Date21/03/2006
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