Les domiciles professionnels
1. Le domicile professionnel
La question du domicile du professionnel est pertinente lorsque le professionnel est tenu au secret professionnel. Dans ces conditions, il s'agit de respecter le secret et de permettre aux enquêteurs de rechercher des preuves.
a. Pour les avocats :
La Cour européenne accorde une protection particulière au cabinet d'un avocat faisant l'objet d'une perquisition. Elle reconnaît ainsi l'application de l'article 8 qui vise à prémunir les individus contre les ingérences arbitraires des États dans les cabinets d'avocat.
Dans l'arrêt Niemietz c/ Allemagne du 16 décembre 1992[1], il s'agissait d'une perquisition d'un cabinet d'avocat dans le cadre de poursuites pénales contre un tiers :
:
« La Cour ne juge ni possible ni nécessaire de chercher à définir de manière exhaustive la notion de "vie privée". il serait toutefois trop restrictif de la limiter à un "cercle intime" où chacun peut mener sa vie personnelle à sa guise et d'en écarter entièrement le monde extérieur à ce cercle. Le respect de la vie privée doit aussi englober, dans une certaine mesure, le droit pour l'individu de nouer et développer des relations avec ses semblables. Il paraît, en outre, n'y avoir aucune raison de principe de considérer cette manière de comprendre la notion de "vie privée" comme excluant les activités professionnelles ou commerciales (...). »
(§ 29).
« Plus généralement, interpréter les mots "vie privée" et "domicile" comme incluant certains locaux ou activités professionnels ou commerciaux répondrait à l'objet et au but essentiels de l'article 8 : prémunir l'individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics (...). Les États contractants ne s'en trouveraient pas indûment bridés car ils conserveraient, dans la mesure autorisée par le paragraphe 2 de l'article 8, leur droit d'ingérence" et celui-ci pourrait fort bien aller plus loin pour des locaux ou activités professionnels ou commerciaux que dans d'autres cas. »
(§ 31).
Le droit positif français met en place des règles procédurales tentant à préserver l'équilibre entre la protection de la vie privée, la protection du secret professionnel et la recherche des preuves. Les perquisitions faites dans les cabinets d'avocat doivent, outre les conditions de l'article 59 du Code de procédure pénale, être effectuées par un magistrat et en présence du bâtonnier ou de son délégué. Le bâtonnier peut s'opposer à la saisie d'un document s'il estime celui-ci couvert par le secret professionnel et n'étant pas en lien avec l'affaire concernant l'avocat en cause mais l'un de ses clients. Le document litigieux est alors placé sous scellé et transmis à un juge des libertés et de la détention qui statuera rapidement sur le sort de cette pièce.
b. Pour les journalistes :
La loi du 4 janvier 2010 sur la protection des sources journalistiques consacre dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse que « le secret des sources des journalistes est protégé afin de permettre l'information du public sur des questions d'intérêt général »
.
Tous les journalistes, au sens du code du travail, mais également les directeurs de rédaction et les correspondants de presse réguliers, sont protégés par cette loi.
Désormais, le journaliste peut assurer le secret de ses sources à tous les stades de la procédure pénale, et non plus uniquement en tant que témoin devant le juge d'instruction.
La loi accorde ainsi aux journalistes de nouvelles protections en cas de perquisition. Ces garanties ne sont plus limitées aux locaux des entreprises de presse mais sont étendues à leur domicile et à leur véhicule. Les journalistes peuvent s'opposer à toute saisie et faire trancher ces contestations par le juge des libertés et de la détention.
Enfin, le texte instaure un équilibre entre la protection des sources et les nécessités de l'ordre public. La loi encadre l'intervention de l'autorité judiciaire qui ne peut porter atteinte au secret des sources que lorsqu'un intérêt impérieux l'impose. Le secret ne peut donc être levé qu'à titre exceptionnel, si la nature et la particulière gravité du crime ou du délit le justifient et que cela est nécessaire à l'enquête.
Dans des affaires récentes mettant en cause la jurisprudence française, la Cour EDH[2] a eu à se prononcer sur la violation de la liberté d'expression des journalistes. Ces derniers arguaient de leur liberté d'expression et de la protection du secret de leurs sources pour justifier de leur violation de la vie privée des personnes concernées.
L'affaire concerne des investigations conduites dans les locaux des journaux L'Équipe et Le Point, ainsi qu'au domicile de journalistes accusés de violation du secret de l'instruction et de recel. Il s'agissait pour les autorités de découvrir l'origine de fuites ayant eu lieu au sujet d'une enquête portant sur un éventuel dopage de coureurs cyclistes.
Violation de l'article 10. La Cour conclut que le Gouvernement n'a pas démontré qu'une balance équitable des intérêts en présence a été préservée. Les mesures litigieuses ne représentaient pas des moyens raisonnablement proportionnés à la poursuite des buts légitimes visés compte tenu de l'intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse.
L'affaire concerne une perquisition ordonnée par un juge d'instruction dans les locaux du quotidien Le Midi Libre pour déterminer les conditions et circonstances dans lesquelles des journalistes avaient obtenu copie d'un rapport provisoire et confidentiel de la Chambre régionale des comptes - protégé par le secret professionnel - portant sur la gestion de la région Languedoc-Roussillon.
Violation de l'article 10.
Journaliste à l'hebdomadaire allemand Stern, le requérant se plaignait des perquisitions et des saisies qui avaient été pratiquées à son domicile et sur son lieu de travail à la suite de la publication d'articles portant sur des irrégularités commises au sein des institutions européennes et fondés sur des informations figurant dans des documents confidentiels de l'Office européen pour la lutte anti-fraude. Ayant souligné que le droit des journalistes de taire leurs sources ne pouvait être considéré comme un simple privilège qui pouvait leur être accordé ou retiré en fonction de la licéité ou de l'illicéité des sources, mais un véritable attribut du droit à l'information, la Cour a conclu à l'insuffisance des motifs invoqués par les tribunaux belges pour justifier les perquisitions litigieuses.
A lire : "Liberté d'expression. Protection des sources", J. Francillon, RSC 2012, p. 603.
2. Le domicile commercial
L'arrêt Sté Colas Est et a. c/ France du 16 avril 2002[6] (RDP[7] 2003, p. 707) marque une évolution intéressante de la jurisprudence de la Cour concernant le domaine d'application de la notion de domicile au sens de l'article 8. Il tend à donner à cette notion une portée autonome, spécifique à la Convention, au-delà des dispositions internes des États membres. La Cour admet désormais que la même protection joue également « dans certaines circonstances »
, aussi bien pour le siège social d'une société que pour ses agences ou ses locaux professionnels.