L'identité sexuelle
La question de l'identité sexuelle traite du syndrome de transsexualité dont sont atteintes certaines personnes.
Jusqu'en 1992, la cour européenne ne reconnaissait pas de droit au changement d'état civil (prénom et mention relative au sexe) aux transsexuels ; ceux-ci ne pouvaient donc avoir une situation juridique correspondant à leur condition réelle.
L'arrêt B. c/ France du 25 mars 1992[1] est revenu sur cette position et la Cour a conclu pour la première fois à la violation de l'article 8 dans une affaire relative à la reconnaissance des transsexuels. Transsexuelle passée du sexe masculin au sexe féminin, Mlle B. se plaignait du refus des autorités françaises de lui accorder la modification d'état civil qu'elle sollicitait : « La Cour en arrive ainsi à conclure, ... que la requérante se trouve quotidiennement placée dans une situation globale incompatible avec le respect dû à sa vie privée. Dès lors, même eu égard à la marge nationale d'appréciation, il y a rupture du juste équilibre à ménager entre l'intérêt général et les intérêts de l'individu... »
(§ 63).
Suite à cette affaire, l'Assemblée plénière de la cour de cassation a appliqué les conséquences juridiques de cette solution conventionnelle. Dans deux arrêts importants du 11 décembre 1992, l'assemblée plénière reconnaît la modification de la mention relative au sexe et au prénom dans l'état civil de la personne atteinte du syndrome de transsexualisme (n°91-12373[2] et 91-11900[3]).
L'arrêt Christine Goodwin c/ R.-U. du 11 juillet 2002[4] reconnaît une obligation positive aux États de garantir aux transsexuels opérés le droit au respect de leur vie privée et les conséquences juridiques qui en découlent : changement d'état civil relativement à la mention relative au sexe, changement de prénom.
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« Il faut également reconnaître qu'il peut y avoir une atteinte grave à la vie privée lorsque le droit interne est incompatible avec un aspect important de l'identité personnelle (...). Le stress et l'aliénation qu'engendre la discordance entre le rôle adopté dans la société par une personne transsexuelle opérée et la condition imposée par le droit qui refuse de consacrer la conversion sexuelle ne sauraient, de l'avis de la Cour, être considérés comme un inconvénient mineur découlant d'une formalité. (...). »
« (...) La Cour est frappée par le fait que la conversion sexuelle, qui est opérée en toute légalité, ne débouche pourtant pas sur une pleine consécration en droit, qui pourrait être considérée comme l'étape ultime et l'aboutissement du processus de transformation long et difficile subi par l'intéressée. Pour l'appréciation à effectuer sous l'angle de l'article 8 de la Convention, il y a lieu d'attacher de l'importance à la cohérence des pratiques administratives et juridiques dans l'ordre interne. Lorsqu'un État autorise le traitement et l'intervention chirurgicale permettant de soulager la situation d'une personne transsexuelle, finance tout ou partie des opérations et va jusqu'à consentir à l'insémination artificielle d'une femme qui vit avec un transsexuel (...), il paraît illogique qu'il refuse de reconnaître les implications juridiques du résultat auquel le traitement conduit. »
(§ 77 et 78).
« Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que l'État défendeur ne peut plus invoquer sa marge d'appréciation en la matière, sauf pour ce qui est des moyens à mettre en œuvre pour assurer la reconnaissance du droit protégé par la Convention. Aucun facteur important d'intérêt public n'entrant en concurrence avec l'intérêt de la requérante en l'espèce à obtenir la reconnaissance juridique de sa conversion sexuelle, la Cour conclut que la notion de juste équilibre inhérente à la Convention fait désormais résolument pencher la balance en faveur de la requérante. Dès lors, il y a eu manquement au respect du droit de l'intéressée à sa vie privée, en violation de l'article 8 de la Convention. »
(§ 93).
Les conséquences attachées à la reconnaissance du changement de sexe ne sont pas toutes tranchées et posent de nombreuses difficultés au regard du droit au respect de la vie familiale.
Une personne mariée qui change de sexe car transsexuelle, se trouve dans une situation complexe au regard du mariage et au regard de la filiation vis à vis des enfants issus du couple.
Au regard du mariage, deux personnes de même sexe juridique sont mariées. Aujourd'hui cela pose problème au regard de la loi. Quelle est la valeur de ce mariage, est-ce une cause de caducité du mariage ?
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