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Droits des étrangers et de l'asile

La pénalisation (crimmigration)

Cette leçon porte sur le processus de pénalisation des étrangers (ou, pour reprendre un concept américain, de « crimmigration ») qui consiste, sous prétexte de lutte contre l’immigration irrégulière et les passeurs, a incriminé de nombreux comportements susceptibles de faire obstacle à l’efficacité des instruments luttant contre l’immigration irrégulière et a facilité l’interpellation des étrangers en situation irrégulière.



Le processus de pénalisation des étrangers (ou, pour reprendre un concept américain, de « crimmigration ») s'inscrit dans un contexte européen et international. La convention de Schengen a constitué l'un des premiers textes alliant lutte contre l'immigration irrégulière et gestion des flux migratoires, sous prétexte de lutte contre les passeurs et la traitre de l'être humain (Convention de Palerme de 2000). Un certain nombre de directives, comme celle relative aux sanctions contre les transporteurs (Directive n° du Conseil du 28 juin 2001 visant à compléter les dispositions de l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985) ou encore la directive relative à l'accueil des demandeurs d'asile (Directive n° du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale), ont entraîné une extension du champ pénal.

Les incitations européennes ou internationales ainsi que l'inflation pénale en droit interne participent de cette pénalisation croissante du droit des étrangers. Tant l'interpellation, à l'issue d'un contrôle d'identité et/ ou de séjour, et l'arrestation des étrangers (Section 1), que la répression pénale (Section 2) sont encadrées par des règles spécifiques, souvent dérogatoires à la procédure pénale et au droit pénal substantiel de droit commun.

Section 1. L'interpellation, à l'issue d'un contrôle, et l'arrestation de l'étranger


Les étrangers sont susceptibles d'être soumis à des contrôles d'identité et de leur séjour régulier sur le territoire français (§1) qui relèvent à la fois de la procédure pénale de droit commun et de règles spécifiques, ainsi qu'à une forme d'arrestation visant les étrangers dans le cadre du contrôle du séjour (§2).
Source : Les étrangers en France 2020, p. 83




Les contrôles d'identité sont des opérations qui permettent aux agents des forces de l'ordre habilités (OPJ, APJ) de demander aux personnes contrôlées de justifier des documents nécessaires à leur identification. Conformément à l'article 78-1 du Code de procédure pénale, il n'est pas possible de s'y soustraire.

Deux séries de textes sont susceptibles de fonder des contrôles d'identité. D'une part, l'article L. 812-1 du CESEDA prévoit des contrôles du séjour spécifiques aux étrangers (B). D'autre part, les articles 78-1 et suivants du Code de procédure pénale, qui concernent les contrôles d'identité de droit commun, s'appliquent également aux étrangers (A). 
En savoir plus : Avis du CNCDH


Le droit commun de la procédure pénale prévoit plusieurs cas de figure : les contrôles d'identité judiciaires (1) et les contrôles d'identité préventifs ou administratifs « Schengen » (2).


En application de l'article 78-2 al. 1er du CPP, un officier de police judiciaire, ou OPJ/APJ sous son contrôle, peut contrôler l'identité d'une personne à l'égard de laquelle il existe une ou plusieurs raisons de soupçonner qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction, qu'elle se prépare à commettre un crime ou un délit, qu'elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à une enquête, qu'elle est recherchée par les autorités judiciaires ou qu'elle a violé son contrôle judiciaire, son assignation à résidence ou encore des obligations ou interdictions assortissant une sanction pénale.

L'article 78-2 alinéa 1er du Code de procédure pénale dispose :
Tx.« Les officiers de police judiciaire et, sur l'ordre et sous la responsabilité de ceux-ci, les agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1° peuvent inviter à justifier, par tout moyen, de son identité toute personne à l'égard de laquelle existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner :
  • qu'elle a commis ou tenté de commettre une infraction ;
  • ou qu'elle se prépare à commettre un crime ou un délit ;
  • ou qu'elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à l'enquête en cas de crime ou de délit ;
  • ou qu'elle a violé les obligations ou interdictions auxquelles elle est soumise dans le cadre d'un contrôle judiciaire, d'une mesure d'assignation à résidence avec surveillance électronique, d'une peine ou d'une mesure suivie par le juge de l'application des peines ;
  • ou qu'elle fait l'objet de recherches ordonnées par une autorité judiciaire. »

=> Sauf flagrant délit, ce n'est pas le contrôle d'identité judiciaire qui aboutit au plus d'interpellation d'étrangers en séjour irrégulier en France.

Parmi les contrôles d'identité préventifs, également parfois qualifiés de contrôles administratifs, trois cas de figure se présentent :
  • Les contrôles d'identité sur réquisitions du procureur de la République (1), semi-judiciaire, semi-administratif ;
  • Les contrôles d'identité de maintien de l'ordre public (2) ;
  • Les contrôles d'identité dits « Schengen » (3).


L'article 78-2 alinéa 7 du Code de procédure pénale énonce :
Tx.« Sur réquisitions écrites du procureur de la République aux fins de recherche et de poursuite d'infractions qu'il précise, l'identité de toute personne peut être également contrôlée, selon les mêmes modalités, dans les lieux et pour une période de temps déterminés par ce magistrat. Le fait que le contrôle d'identité révèle des infractions autres que celles visées dans les réquisitions du procureur de la République ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. »

Sur réquisitions du procureur de la République, il est possible de procéder à des contrôles d'identité sur toute personne présente dans des lieux et pendant une période que le procureur aura préalablement déterminés.

Si des limites spatiales et temporelles doivent figurer dans les réquisitions écrites, tout type d'infractions peut, en revanche, être visé. De surcroît, le fait que la compétence des fonctionnaires de police ne soit pas limitée aux infractions énumérées dans les réquisitions accentue encore l'incidence de ce type de contrôles. En d'autres termes, le fait que le contrôle d'identité révèle d'autres infractions que celles visées dans les réquisitions n'entraîne pas la nullité des opérations réalisées.

Ex.
Source : Etude de l'Open Society Justice Initative - https://www.justiceinitiative.org

En pratique, il n'est pas rare que des réquisitions portant sur certains quartiers de Paris, renouvelées de manière quotidienne, visent des infractions très variées : actes de terrorisme, infractions en matière d'armes et d'explosifs, vol, recel, trafic de stupéfiants.

Voir l'étude de l'Open Society Justice Initative de 2007.

En pratique le CI est le plus utilisé pour interpeller des ESI. Le CI avec le plus haut potentiel discriminatoire.

Des organisations non gouvernementales ont décidé de contester un certain nombre de contrôles d'identité présentant un caractère contestable, voire discriminatoire.

Par plusieurs décisions du 9 novembre 2016, la Cour de cassation a accepté que soit engagée la responsabilité de l'Etat pour faute lourde dès lors qu'une personne a fait l'objet d'un contrôle d'identité en raison de « caractéristiques physiques associées à une origine, réelle ou supposée ».

Elle a précisé que les règles de preuve doivent être aménagées en la matière. Ainsi, si la personne interpellée présente au juge des éléments permettant de penser que le contrôle d'identité repose sur des motifs discriminatoires, il appartiendra à l'administration de démontrer que ce contrôle n'est pas de nature discriminatoire.

Cet aménagement des règles de preuve, qui est notamment connu en matière de discrimination au travail, devrait favoriser la personne subissant le contrôle d'identité.

Ex.Cass. civ. 1ère, 9 novembre 2016, n° pourvoi : 15-24210, 15-24212, 15-25872 et 15-25873. Consultez les communiqués de la Cour de cassation sur les contrôles d'identité dsicriminatoires.

Voir Hafida Belrhali, « Contrôles d’identité au faciès : qu’attendre de l’action collective ? », Blog club des juristes, 4 février 2021.
BD réalisée pour expliquer le contentieux stratégique d'OPJI (open society justice initiative) sur les contrôles au facies. Source : http://procescontroleaufacies.blogspot.com
BD réalisée pour expliquer le contentieux stratégique d'OPJI (open society justice initiative) sur les contrôles au facies. Source : http://procescontroleaufacies.blogspot.com


Parallèlement, rejet par le Conseil constitutionnel de la QPC contre les CI sur réquisitions : encadrement par quelques réserves d’interprétation pour prohiber (en vain ?) les contrôles discriminatoires.

Tx.Cons. constit., déc. n° 2016-606/607 QPC du 24 janvier 2017, M. Ahmed M. et autre [Contrôles d'identité sur réquisitions du procureur de la République] :

« 19. Il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre, d'une part, la prévention des atteintes à l'ordre public et la recherche des auteurs d'infractions, toutes deux nécessaires à la sauvegarde de droits et de principes de valeur constitutionnelle, et, d'autre part, l'exercice des libertés constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figurent la liberté d'aller et de venir, composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789.

20. L'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions peut justifier que soient engagées des procédures de contrôle d'identité. S'il est loisible au législateur de prévoir que les contrôles mis en œuvre dans ce cadre peuvent ne pas être liés au comportement de la personne, la pratique de contrôles d'identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté personnelle, en particulier avec la liberté d'aller et de venir.

21. Les dispositions contestées autorisent les services de police judiciaire à contrôler l'identité des personnes quel que soit leur comportement, en tout lieu visé par les réquisitions écrites du procureur de la République.

22. Toutefois, en premier lieu, le législateur a confié au procureur de la République, magistrat de l'ordre judiciaire, le pouvoir d'autoriser de tels contrôles. Ces derniers ne peuvent être ordonnés qu'aux fins de recherche et de poursuite d'infractions.

23. En second lieu, il ressort des dispositions contestées que les réquisitions du procureur de la République ne peuvent viser que des lieux et des périodes de temps déterminés. Ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître la liberté d'aller et de venir, autoriser le procureur de la République à retenir des lieux et périodes sans lien avec la recherche des infractions visées dans ses réquisitions. Elles ne sauraient non plus autoriser, en particulier par un cumul de réquisitions portant sur des lieux ou des périodes différents, la pratique de contrôles d'identité généralisés dans le temps ou dans l'espace.

24. Sous les réserves énoncées au paragraphe précédent, le grief tiré de la violation de la liberté d'aller et de venir doit être écarté.

- S'agissant du grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la procédure pénale :

25. Selon l'article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi ... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». S'il est loisible au législateur, compétent pour fixer les règles de la procédure pénale en vertu de l'article 34 de la Constitution, de prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.

26. Les dispositions contestées n'instituent par elles-mêmes aucune différence de traitement dès lors que toute personne se trouvant sur les lieux et pendant la période déterminés par la réquisition du procureur de la République peut être soumise à un contrôle d'identité. En outre, la mise en œuvre des contrôles ainsi confiés par la loi à des autorités de police judiciaire doit s'opérer en se fondant exclusivement sur des critères excluant toute discrimination de quelque nature que ce soit entre les personnes. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la procédure pénale doit être écarté.
»

=> Refus du récépissé de contrôle par Manuel Valls, Expérimentation de caméra piéton.

L'article 78-2 alinéa 8 du Code de procédure pénale prévoit :
Tx.« L'identité de toute personne, quel que soit son comportement, peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, pour prévenir une atteinte à l'ordre public, notamment à la sécurité des personnes ou des biens. »

L'article 78-2 alinéa 8 du Code de procédure pénale prévoit un type de contrôle particulièrement peu défini, en ce qu'il vise à prévenir une atteinte à l'ordre public, notion aux contours incertains.
  • Il appartient aux forces de police de faire état, dans le procès-verbal d'interpellation, des éléments permettant de caractériser un risque d'atteinte à l'ordre public, afin que la seule apparence physique d'une personne ne puisse pas servir de prétexte à un contrôle.
Cette exigence a été énoncée par le Conseil constitutionnel dans une décision du 5 août 1993.

Tx.Cons. const., déc. 5 août 1993, n°  :

« 9. Considérant que la prévention d'atteintes à l'ordre public, notamment d'atteintes à la sécurité des personnes ou des biens, est nécessaire à la sauvegarde de principes et de droits ayant valeur constitutionnelle ; que toutefois la pratique de contrôles d'identité généralisés et discrétionnaires serait incompatible avec le respect de la liberté individuelle ; que s'il est loisible au législateur de prévoir que le contrôle d'identité d'une personne peut ne pas être lié à son comportement, il demeure que l'autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque d'atteinte à l'ordre public qui a motivé le contrôle ; que ce n'est que sous cette réserve d'interprétation que le législateur peut être regardé comme n'ayant pas privé de garanties légales l'existence de libertés constitutionnellement garanties. »

Depuis la suppression des contrôles aux frontières intérieures de l'espace Schengen en 1995, le législateur français a créé des contrôles d'identité particuliers qui doivent permettre, dans des zones frontalières ou dans des lieux ouverts au trafic international, de vérifier que les personnes détiennent les documents prévus par la loi.

L'article 78-2 alinéa 9 du Code de procédure pénale dispose :
Tx. « Dans une zone comprise entre la frontière terrestre de la France avec les Etats parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, ainsi que dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international et désignés par arrêté et aux abords de ces gares, pour la prévention et la recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalière, l'identité de toute personne peut également être contrôlée, selon les modalités prévues au premier alinéa, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi. Lorsque ce contrôle a lieu à bord d'un train effectuant une liaison internationale, il peut être opéré sur la portion du trajet entre la frontière et le premier arrêt qui se situe au-delà des vingt kilomètres de la frontière. Toutefois, sur celles des lignes ferroviaires effectuant une liaison internationale et présentant des caractéristiques particulières de desserte, le contrôle peut également être opéré entre cet arrêt et un arrêt situé dans la limite des cinquante kilomètres suivants. Ces lignes et ces arrêts sont désignés par arrêté ministériel. Lorsqu'il existe une section autoroutière démarrant dans la zone mentionnée à la première phrase du présent alinéa et que le premier péage autoroutier se situe au-delà de la ligne des 20 kilomètres, le contrôle peut en outre avoir lieu jusqu'à ce premier péage sur les aires de stationnement ainsi que sur le lieu de ce péage et les aires de stationnement attenantes. Les péages concernés par cette disposition sont désignés par arrêté. Le fait que le contrôle d'identité révèle une infraction autre que celle de non-respect des obligations susvisées ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. Pour l'application du présent alinéa, le contrôle des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi ne peut être pratiqué que pour une durée n'excédant pas douze heures consécutives dans un même lieu et ne peut consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans les zones ou lieux mentionnés au même alinéa.

Dans un rayon maximal de dix kilomètres autour des ports et aéroports constituant des points de passage frontaliers au sens de l'article 2 du règlement (UE) 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen), désignés par arrêté en raison de l'importance de leur fréquentation et de leur vulnérabilité, l'identité de toute personne peut être contrôlée, pour la recherche et la prévention des infractions liées à la criminalité transfrontalière, selon les modalités prévues au premier alinéa du présent article, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi. L'arrêté mentionné à la première phrase du présent alinéa fixe le rayon autour du point de passage frontalier dans la limite duquel les contrôles peuvent être effectués. Lorsqu'il existe une section autoroutière commençant dans la zone mentionnée à la même première phrase et que le premier péage autoroutier se situe au-delà des limites de cette zone, le contrôle peut en outre avoir lieu jusqu'à ce premier péage sur les aires de stationnement ainsi que sur le lieu de ce péage et les aires de stationnement attenantes. Les péages concernés par cette disposition sont désignés par arrêté. Le fait que le contrôle d'identité révèle une infraction autre que celle de non-respect des obligations susmentionnées ne constitue pas une cause de nullité des procédures incidentes. Pour l'application du présent alinéa, le contrôle des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi ne peut être pratiqué que pour une durée n'excédant pas douze heures consécutives dans un même lieu et ne peut consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans les zones mentionnées au présent alinéa. »

Sont visées les zones frontalières terrestres entre la France et chacun de ses voisins, qui correspondent à une bande de vingt kilomètres tracée à partir de la frontière géographique. Sont également concernées les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international.

La conformité de ces contrôles d'identité Schengen aux articles 20 et 21 du règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant un Code communautaire relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (Code frontières Schengen) est loin d'être acquise.

En effet, la Cour de justice de l'Union européenne a, en plusieurs occasions, rappelé que ce type de contrôle ne doit, ni par son intensité ni par sa fréquence, constituer des mesures systématiques susceptibles de produire un effet équivalent à des vérifications aux frontières.
Ex.CJUE, Gde ch., 22 juin 2010, Sélim Abdeli, et Aziz Melki, .

Suite à l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne Abdeli et Melki du 22 juin 2010, l'article 78-2 al. 4 du Code de procédure pénale avait fait l'objet d'une réécriture par la loi du 14 mars 2011. Le législateur français exige désormais que le contrôle des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi ne soit pas pratiqué pour une durée excédant six heures consécutives dans un même lieu et ne puisse consister en un contrôle systématique des personnes s'y trouvant. En d'autres termes, il est nécessaire que ces contrôles aient une dimension aléatoire.

Source : Les étrangers en France 2020, p. 82

En savoir plus : Références bibliographiques

Depuis le 13 novembre 2015, la France renouvelle systématiquement, officiellement pour motifs terroristes, les contrôles aux frontières extérieures.
  • Massification des interpellations aux frontières franco-italienne et franco-espagnole.

Vois Anafé, Rétablissement des contrôles aux frontières internes et état d'urgence. Conséquences en zone d'attente, Note d’analyse, 2017.

Tx.Section 1 : Contrôle des obligations de détention, de port et de présentation des pièces et documents autorisant à circuler ou séjourner en France (articles L. 812-1 à L. 812-2).

Article L. 812-1 :

« Tout étranger doit être en mesure de présenter les pièces ou documents sous le couvert desquels il est autorisé à circuler ou à séjourner en France à toute réquisition d'un officier de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale et, sur l'ordre et sous la responsabilité de celui-ci, des agents de police judiciaire et agents de police judiciaire adjoints mentionnés à l'article 20 et au 1° de l'article 21 du code de procédure pénale, dans les conditions prévues à la présente section. »

Article L. 812-2 :

« Les contrôles des obligations de détention, de port et de présentation des pièces et documents prévus à l'article L. 812-1 peuvent être effectués dans les situations suivantes :

1° En dehors de tout contrôle d'identité, si des éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l'intéressé sont de nature à faire apparaître sa qualité d'étranger ; ces contrôles ne peuvent être pratiqués que pour une durée n'excédant pas six heures consécutives dans un même lieu et ne peuvent consister en un contrôle systématique des personnes présentes ou circulant dans ce lieu ;

2° A la suite d'un contrôle d'identité effectué en application des articles 78-1 à 78-2-2 du code de procédure pénale, selon les modalités prévues à ces articles, si des éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l'intéressé sont de nature à faire apparaître sa qualité d'étranger ;

3° En application de l'article 67 quater du code des douanes, selon les modalités prévues à cet article.
»

Ce contrôle d'identité spécifique permet aux autorités policières de demander à une personne de présenter les documents sous couvert desquels elle est autorisée à demeurer en France.

Il peut être effectué selon deux modalités : soit un contrôle d'identité de droit commun révèle l'extranéité de la personne interpelée, soit des « éléments objectifs déduits de circonstances extérieures à la personne même de l'intéressé sont de nature à faire apparaître sa qualité d'étranger ».

Les éléments objectifs ont été définis de manière un peu plus précise par la Cour de cassation.
Ex.Ainsi est considérée comme un élément objectif, la conduite d'un véhicule immatriculé à l'étranger (Cass. crim., 25 avril 1985, Bull. crim. n° 159), tandis que le fait de s'exprimer dans une langue étrangère n'en constitue pas un (Cass. crim., 14 décembre 2000, Bull. crim. n° 171). Evidemment, l'apparence physique ne saurait constituer un élément objectif, qu'il s'agisse de la couleur de la peau ou des vêtements portés.

 : « Un contrôle fondé sur l'article L. 611-1 du CESEDA, doit reposer sur des éléments objectifs faisant apparaître la qualité d'étranger, qui ne sauraient résulter des documents d'identité présentés spontanément aux services interpellateurs. »

Ces contrôles d'identité n'ont par conséquent pas tout à fait le même objet que les contrôles de droit commun. Ils cherchent moins à identifier la personne qu'à s'assurer de sa situation au regard des règles administratives relatives à l'entrée et au séjour sur le territoire.

Le placement en garde à vue a longtemps constitué l'un des maillons de la chaîne d'éloignement (près de 100 000 GAV « ESI » avant 2011). A l'issue d'un contrôle d'identité, l'intéressé était placé en garde à vue, le temps pour les autorités préfectorales de prendre une mesure d'éloignement et de placement en rétention administrative.

Suite aux arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 28 avril 2011, El Dridi, C-61/11 PPU ; CJUE, 6 décembre 2011, Achughbabian, C-329/11), le législateur français a été amené en 2012 à dépénaliser le délit de séjour irrégulier. Une garde à vue ne pouvait par conséquent plus être mise en œuvre, cette procédure étant réservée aux personnes soupçonnées d'avoir commis une infraction pénale punie d'emprisonnement.

Tx.CJUE, 6 décembre 2011, Achughbabian, C-329/11 :

« 28. Il convient de relever d'emblée que la directive n° 2008/115 ne porte que sur le retour de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans un État membre et n'a donc pas pour objet d'harmoniser dans leur intégralité les règles nationales relatives au séjour des étrangers. Par conséquent, cette directive ne s'oppose pas à ce que le droit d'un État membre qualifie le séjour irrégulier de délit et prévoie des sanctions pénales pour dissuader et réprimer la commission d'une telle infraction aux règles nationales en matière de séjour.

29. Les normes et les procédures communes instaurées par la directive 2008/115 ne portant que sur l'adoption de décisions de retour et l'exécution de ces décisions, il y a lieu de relever, également, que cette directive ne s'oppose pas à un placement en détention en vue de la détermination du caractère régulier ou non du séjour d'un ressortissant d'un pays tiers.

30. Cette constatation est corroborée par le dix-septième considérant de ladite directive, duquel il ressort que les conditions de l'arrestation initiale de ressortissants de pays tiers soupçonnés de séjourner irrégulièrement dans un État membre demeurent régies par le droit national. Par ailleurs, ainsi que le gouvernement français l'a observé, il serait porté atteinte à l'objectif de la directive 2008/115, à savoir le retour efficace des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, s'il était impossible pour les États membres d'éviter, par une privation de liberté telle qu'une garde à vue, qu'une personne soupçonnée de séjour irrégulier s'enfuie avant même que sa situation n'ait pu être clarifiée.

31. Il importe de considérer, à cet égard, que les autorités compétentes doivent disposer d'un délai certes bref mais raisonnable pour identifier la personne contrôlée et pour rechercher les données permettant de déterminer si cette personne est un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier. La détermination du nom et de la nationalité peut, en cas d'absence de coopération de l'intéressé, s'avérer difficile. La vérification de l'existence d'un séjour irrégulier peut, elle aussi, se révéler complexe, notamment lorsque l'intéressé invoque un statut de demandeur d'asile ou de réfugié. Cela étant, les autorités compétentes sont tenues, aux fins d'éviter de porter atteinte à l'objectif de la directive 2008/115, tel que rappelé au point précédent, d'agir avec diligence et de prendre position sans tarder sur le caractère régulier ou non du séjour de la personne concernée. Une fois constatée l'irrégularité du séjour, lesdites autorités doivent, en vertu de l'article 6, paragraphe 1, de ladite directive et sans préjudice des exceptions prévues par cette dernière, adopter une décision de retour.
»

Pour remplacer ce rouage essentiel, le législateur a imaginé en 2012 une forme de garde à vue simplifiée. Si cette procédure de retenue aux fins de vérification du droit au séjour emprunte largement ses modalités à la garde à vue (A), elle est toutefois entourée de garanties moindres que cette dernière (B).



Tx.Article L. 813-1 :

« Si, à l'occasion d'un contrôle mentionné à l'article L. 812-2, il apparaît qu'un étranger n'est pas en mesure de justifier de son droit de circuler ou de séjourner en France, il peut être retenu aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français. Dans ce cadre, l'étranger peut être conduit dans un local de police ou de gendarmerie et y être retenu par un officier de police judiciaire de la police nationale ou de la gendarmerie nationale. »

Article L. 813-2 :

« Lorsqu'un étranger retenu aux fins de vérification de son identité en application de l'article 78-3 du code de procédure pénale n'est pas en mesure de justifier de son droit de circuler ou de séjourner en France, les dispositions de l'article L. 813-1 sont applicables. »

Article L. 813-3 :

« L'étranger ne peut être retenu que pour le temps strictement exigé par l'examen de son droit de circulation ou de séjour et, le cas échéant, le prononcé et la notification des décisions administratives applicables. La retenue ne peut excéder vingt-quatre heures à compter du début du contrôle mentionné à l'article L. 812-2.

Dans le cas prévu à l'article L. 813-2, la durée de la retenue effectuée aux fins de vérification d'identité en application de l'article 78-3 du code de procédure pénale s'impute sur celle de la retenue pour vérification du droit de circulation ou de séjour.
»

En dehors de la finalité administrative (identifier l'ESI), la retenue s'apparente sur de nombreux aspects à la garde à vue.

En 2012, la durée de la retenue était limitée à 16 heures mais pour des problèmes d'organisation des préfectures pour édicter les OQTF à l'issue d'une nuit de retenu, le législateur a porté en 2016 cette durée à 24 h – comme une garde à vue. Dans l'hypothèse où la personne retenue serait ultérieurement placée en garde à vue, la durée de la retenue serait à imputer sur la durée de la garde à vue (réserve du Conseil constitutionnel).

Il s'agit d'une mesure de contrainte, mise en œuvre par un officier de police judiciaire, sous le contrôle du procureur de la République qui doit être informé dès le début de la mesure et peut y mettre fin à tout moment (article L. 813-4).

Un procès-verbal doit mentionner les motifs du contrôle, ainsi que les opérations réalisées pour vérifier le droit de circulation et de séjour. L'ensemble des éléments permettant de s'assurer du respect des règles doit figurer au procès-verbal : conditions d'interpellation, information sur les droits, date de la retenue, horaire de début et de fin de la retenue, etc...

Si les opérations de vérification ont conduit à prendre des photographies ou des empreintes dactyloscopiques, cela doit également être mentionné.

Ce procès-verbal permettra au juge des libertés et de la détention, qui doit être saisi de la demande de prolongation du maintien éventuel en rétention administrative de l'intéressé, de vérifier que les modalités légales de la retenue et les garanties l'entourant ont été respectées. Dans le cas contraire, le juge des libertés et de la détention peut mettre fin au maintien en rétention administrative (v. leçon sur l'éloignement).

Le texte prévoit toute une série de garanties : le droit à un interprète, le droit à être assisté par un avocat, le droit à être examiné par un médecin, le droit de prévenir sa famille ou toute personne de son choix, le droit d'avertir les autorités consulaires de son pays... Là aussi, la filiation entre la garde à vue et la retenue apparaît clairement.

Tx.Section 2 : Droits garantis à l'étranger retenu (articles L. 813-5 à L. 813-7).

Article L. 813-5 :

« L'étranger auquel est notifié un placement en retenue en application de l'article L. 813-1 est aussitôt informé, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, des motifs de son placement en retenue, de la durée maximale de la mesure et du fait qu'il bénéficie des droits suivants :

1° Etre assisté par un interprète ;

2° Etre assisté, dans les conditions prévues à l'article L. 813-6, par un avocat désigné par lui ou commis d'office par le bâtonnier, qui est alors informé de cette demande par tous moyens et sans délai ;

3° Etre examiné par un médecin désigné par l'officier de police judiciaire ; le médecin se prononce sur l'aptitude au maintien de la personne en retenue et procède à toutes constatations utiles ;

4° Prévenir à tout moment sa famille et toute personne de son choix et de prendre tout contact utile afin d'assurer l'information et, le cas échéant, la prise en charge des enfants dont il assure normalement la garde, qu'ils l'aient ou non accompagné lors de son placement en retenue, dans les conditions prévues à l'article L. 813-7 ;

5° Avertir ou de faire avertir les autorités consulaires de son pays.

Lorsque l'étranger ne parle pas le français, il est fait application des dispositions de l'article L. 141-2.
»


Article L. 813-6 :

« L'avocat de l'étranger retenu peut, dès son arrivée au lieu de retenue, communiquer avec lui pendant trente minutes, dans des conditions qui garantissent la confidentialité de l'entretien.

L'étranger peut demander que l'avocat assiste à ses auditions. [...]
»

Section 2. La répression pénale


Dans un premier temps, ce sont principalement les règles relatives à l'entrée, au séjour et à l'éloignement des étrangers qui ont été assorties de sanctions pénales par la voie d'une pénalisation directe (§1).

Plus récemment, le législateur a incriminé des comportements d'aide aux étrangers, ou relevant de leur vie privée, par le biais d'une pénalisation indirecte (§2).

En outre, il existe, en droit pénal français, une peine réservée aux étrangers, celle de l'interdiction judiciaire du territoire français (§3).

La pénalisation directe de l'entrée et du séjour irréguliers a été remise en cause par la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne.

Ex.
  • CJUE, 28 avril 2011, El Dridi, C-61/11 PPU ;
  • CJUE, 6 décembre 2011, Achughbabian, C-329/11 ;
  • CJUE, 7 juin 2016, Affum, aff. C-47/15.

En savoir plus : Références bibliographiques
  • M.-L. Basilien-Gainche, S. Slama, « L'arrêt El Dridi : la nécessaire remise à plat du dispositif de pénalisation de l'irrégularité », AJP n° 7-8/ 2011, pp. 362 ;
  • P. Henriot, « Garde à vue et séjour irrégulier : les enseignements de l'arrêt Achughbabian sont limpides », Gaz. Pal. 12 au 14 février 2012, pp. 17 ;
  • C. Saas, « Dépénalisation partielle de l'entrée irrégulière par la directive "retour" », note sous CJUE, 7 juin 2016, n° C-47/15, AJP n° 7-8/2016, p. 387 à 388.

Par plusieurs arrêts portant sur la conformité des infractions d'entrée et de séjour irréguliers à la directive n° « retour » du 16 décembre 2008, la Cour de Luxembourg a estimé que ces infractions étaient incompatibles avec le droit de l'Union.

Ex.En revanche, dans une décision n° 2011-217 QPC du 3 février 2012, M. Mohammed Akli B. [Délit d'entrée ou de séjour irrégulier en France], le Conseil constitutionnel a estimé « eu égard à la nature de l'incrimination pour laquelle elles sont instituées, les peines [encourues à raison du délit d'entrée ou de séjour irrégulier], qui ne sont pas manifestement disproportionnées, ne méconnaissent pas l'article 8 de la Déclaration de 1789 ».

En définitive, le législateur français a partiellement adapté le droit français au droit de l'Union européenne, en dépénalisant le séjour irrégulier par la loi n° du 31 décembre 2012. En revanche, il a maintenu le délit d'entrée irrégulière, révisé en 2018 pour assurer sa conformité au droit de l'UE (A) et a créé une nouvelle infraction, très proche de celle du séjour irrégulier, de maintien irrégulier (B). La soustraction à une mesure d'éloignement demeure, quant à elle, inchangée (C).


Suite à l'arrêt Affum en 2016, le législateur français aurait dû dépénaliser le délit d'entrée irrégulière pour mettre le droit français en conformité avec le droit de l'Union européenne. Il n'a répondu qu'a minima à ce constat d'inconventionnalité, en précisant que le délit d'entrée irrégulière ne devait plus pouvoir être constaté qu'en situation de flagrance. Autrement dit, ce délit ne peut être constaté qu'immédiatement après le franchissement irrégulier de la frontière.

En 2018, législateur français a restreint ce délit d'entrée irrégulière en France pour limiter au seul périmètre prévu par le droit de l'UE (Code frontière Schengen).

Tx.Chapitre I : MÉCONNAISSANCE DES OBLIGATIONS RELATIVES À L'ENTRÉE EN FRANCE (articles L. 821-1 à L. 821-13).

Article L. 821-1 :

« Est puni d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende le fait, pour un étranger, de pénétrer sur le territoire métropolitain :

1° Sans remplir les conditions mentionnées aux points a, b ou c du paragraphe 1 de l'article 6 du règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil du 9 mars 2016 concernant un code de l'Union relatif au régime de franchissement des frontières par les personnes (code frontières Schengen) et sans avoir été admis sur le territoire en application des points a et c du paragraphe 5 de l'article 6 de ce même règlement ;

2° Alors qu'il faisait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission en application d'une décision exécutoire prise par l'un des autres Etats parties à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990.

L'étranger condamné en application du présent article encourt la peine complémentaire de trois ans d'interdiction du territoire français.

Pour l'application du présent article, l'action publique ne peut être mise en mouvement que lorsque les faits ont été constatés dans les circonstances prévues à l'article 53 du code de procédure pénale.
»

Article L. 824-12 :

« Est puni de trois ans d'emprisonnement le fait, pour un étranger, de pénétrer de nouveau sans autorisation en France après avoir fait l'objet d'une décision de remise aux autorités d'un autre État, d'une interdiction de circulation sur le territoire français ou d'une décision de transfert prévue à l'article L. 572-1.

L'étranger condamné en application du présent article encourt la peine complémentaire de trois ans d'interdiction du territoire français.
»

La Cour estime que « les États membres ne sauraient permettre, du seul fait de l'entrée irrégulière, conduisant au séjour irrégulier, l'emprisonnement des ressortissants de pays tiers, pour lesquels la procédure de retour établie par la directive n° 2008/115 n'a pas encore été menée à son terme, un tel emprisonnement étant susceptible de faire échec à l'application de cette procédure et de retarder le retour, portant ainsi atteinte à l'effet utile de cette directive. » (n° 63) (CJUE, Gde ch., Sélina Affum, 7 juin 2016, C-47/15).

Par la loi n° du 31 décembre 2012, le législateur français a supprimé le délit de séjour irrégulier (qui existait depuis 1938). Mais il a incriminé le maintien irrégulier sur le territoire, sans motif légitime.

Cette infraction se substitue, au moins partiellement, au délit de séjour irrégulier.

Tx.Article L. 824-3 :

« Est puni d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende le fait, pour un étranger, de se maintenir irrégulièrement sur le territoire français sans motif légitime, après avoir fait l'objet d'une mesure régulière de placement en rétention ou d'assignation à résidence ayant pris fin sans qu'il ait pu être procédé à son éloignement en exécution d'une interdiction administrative du territoire français, d'une obligation de quitter le territoire français, d'une décision de mise en œuvre une décision prise par un autre État, d'une décision d'expulsion ou d'une peine d'interdiction du territoire français.

L'étranger condamné en application du présent article encourt la peine complémentaire de trois ans d'interdiction du territoire français.
»

Le législateur a donc pris en considération, de la manière la moins contraignante possible, la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne. Tant que la personne présente de manière irrégulière sur le territoire français n'a pas fait l'objet d'une mesure d'éloignement et que le dispositif de mise en œuvre de l'éloignement n'a pas été pleinement utilisé, l'infraction n'est pas caractérisée. Il n'y a donc à proprement parler pas eu d'abrogation totale du délit de séjour irrégulier, simplement une abrogation partielle.
 

Toutes les étapes du parcours d'un étranger présent sur le territoire étant ponctuées par le droit pénal, le non-respect de la mise en œuvre d'une mesure d'éloignement est également incriminé.

La soustraction à une mesure d'éloignement suppose, pour être caractérisée, une réelle opposition de la personne concernée. Ainsi, il faudra que l'intéressé ait résisté aux tentatives d'embarquement. Le circuit pénal n'est pas privilégié en la matière, l'objectif étant d'éloigner l'étranger concerné. Par conséquent, les forces de police tenteront, à plusieurs reprises, de faire embarquer une personne dans un avion. Si, à l'issue de plusieurs tentatives, l'étranger oppose encore une résistance, alors des poursuites pénales pourront être envisagées.

Tx.Sous-section 3 : Soustraction à l'exécution d'une décision d'éloignement (articles L. 824-9 à L. 824-10).

Article L. 824-9 :

« Est puni de trois ans d'emprisonnement le fait, pour un étranger, de se soustraire ou de tenter de se soustraire à l'exécution d'une interdiction administrative du territoire français, d'une obligation de quitter le territoire français ou d'une décision d'expulsion.
Cette peine est également applicable en cas de refus, par un étranger, de se soumettre aux modalités de transport qui lui sont désignées pour l'exécution d'office de la mesure dont il fait l'objet.

Cette peine est également applicable en cas de refus, par un étranger, de se soumettre aux obligations sanitaires nécessaires à l'exécution d'office de la mesure dont il fait l'objet.

L'étranger condamné en application du présent article encourt la peine complémentaire de dix ans d'interdiction du territoire français.
»

Article L. 824-10 :

« Est puni de trois ans d'emprisonnement le fait, pour un étranger, de se soustraire ou de tenter de se soustraire à l'exécution d'une décision de mise en œuvre d'une décision prise par un autre État, d'une décision de remise aux autorités d'un autre État ou d'une décision de transfert prévue à l'article L. 572-1.

L'étranger condamné en application du présent article encourt la peine complémentaire de trois ans d'interdiction du territoire français.
»


Sous-section 4 : Retour non autorisé sur le territoire français en méconnaissance d'une décision d'éloignement (articles L. 824-11 à L. 824-12).

Article L. 824-11 :

« Est puni de trois ans d'emprisonnement le fait, pour un étranger faisant l'objet d'une interdiction administrative du territoire, d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une décision d'expulsion ou d'une peine d'interdiction du territoire français, de pénétrer de nouveau sans autorisation en France.
L'étranger condamné en application du présent article encourt la peine complémentaire de dix ans d'interdiction du territoire français.
»


Section 3 : Méconnaissance d'une décision de refus d'entrée (articles L. 821-3 à L. 821-5).

Article L. 821-3 :

« Est puni de trois ans d'emprisonnement le fait, pour un étranger, de ne pas présenter à l'autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l'exécution d'une décision de refus d'entrée en France ou, à défaut de ceux-ci, de ne pas communiquer les renseignements permettant cette exécution ou de communiquer des renseignements inexacts sur son identité.

L'étranger condamné en application du présent article encourt la peine complémentaire de dix ans d'interdiction du territoire français.
»

Ex.Cass. crim., 1er avril 2015, n° 13-86418 :

« Un étranger ayant fait l'objet d'un placement en rétention administrative ou d'une assignation à résidence ne peut être poursuivi pour soustraction à l'exécution d'une mesure d'éloignement que dans l'hypothèse où ces mesures administratives, privatives ou restrictives de la liberté d'aller et venir, ont pris fin sans que l'éloignement de l'intéressé ait été mis en œuvre. »

Source : https://www.infomigrants.net

Jurisprudence : pénalisation des refus de test COVID 19 :

A noter que par décision du Conseil constitutionnel n° 2021-824 DC du 5 août 2021, le troisième alinéa de l'article L. 824 9 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction résultant de l'article 2 de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, a été déclaré conforme à la Constitution sous la réserve énoncée au paragraphe 95 aux termes de laquelle : « Les dispositions contestées punissent de trois ans d'emprisonnement le refus par un étranger de se soumettre aux obligations sanitaires nécessaires à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement dont il fait l'objet. L'expression obligations sanitaires, éclairée par les travaux parlementaires, doit s'entendre des tests de dépistage de la covid-19. Il appartient par ailleurs au juge pénal, saisi de poursuites ordonnées sur le fondement de ces dispositions, de vérifier la réalité du refus opposé par l'étranger poursuivi et l'intention de l'intéressé de se soustraire à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement. ».

Pourtant la Cour de cassation a fini par considérer que le refus par un étranger de se soumettre à un test PCR n'était pas constitutif dans l'ancien état du droit du délit de soustraction à l'exécution de la mesure.

Ex.Cass., 10 novembre 2021, n° 21-81.925 :

« 20. Il ne résulte pas de la législation en vigueur au moment des faits que la réalisation d'un test de dépistage au Covid-19 permettait l'exécution d'une mesure d'éloignement d'un étranger prise par l'autorité administrative.

21. Le législateur n'avait entendu sanctionner que la soustraction à l'exécution de la mesure et non le refus de consentir à des actes préparatoires à celle-ci, sauf exceptions spécialement énumérées, parmi lesquelles ne figurait pas le refus de se soumettre à un test de dépistage.

22. Ainsi, le refus par un étranger de se soumettre à un test de dépistage de la Covid 19 nécessaire à l'exécution d'une mesure d'éloignement ne constituait pas une infraction à l'époque des faits.
»

Voir GISTI, « Incarcération d'étrangers refusant de se soumettre à un test PCR : un scandale juridique et politique », 2021.

Le législateur a ensuite pénalisé tous les maillons de la chaîne, pour enserrer l'étranger récalcitrant notamment en pénalisant le non-respect des mesures prises pour l'exécution d'office d'une décision d'éloignement (rétention, assignation, maintien en zone d'attente) – notamment suite à des évasions du CRA de Vincennes.

Tx.Article L. 821-4 :

« Est puni de trois ans d'emprisonnement le fait, pour un étranger placé ou maintenu en zone d'attente, de se soustraire ou de tenter de se soustraire à cette mesure de surveillance.

Cette peine d'emprisonnement est portée à cinq ans lorsque les faits sont commis par violence, effraction ou corruption, et à sept ans lorsque les faits sont commis en réunion ou sous la menace d'une arme ou d'une substance explosive, incendiaire ou toxique.

Est puni des mêmes peines le fait, pour toute personne, de faciliter sciemment, par aide ou par assistance, la préparation ou la commission des infractions prévues au présent article.

L'étranger condamné en application du présent article encourt la peine complémentaire de dix ans d'interdiction du territoire français.
»


Sous-section 1 : Méconnaissance des prescriptions liées à l'assignation à résidence (articles L. 824-4 à L. 824-7).

Article L. 824-4 :

« Est puni de trois ans d'emprisonnement le fait, pour un étranger assigné à résidence en application des articles L. 731-1, L. 731-3, L. 731-4 ou L. 731-5, de ne pas rejoindre dans les délais prescrits la résidence qui lui est assignée ou de quitter cette résidence sans autorisation de l'autorité administrative. »

Article L. 824-5  :

« Est puni d'un an d'emprisonnement le fait, pour un étranger assigné à résidence en application des 6° ou 7° de l'article L. 731-3 ou des articles L. 731-4 ou L. 731-5, de ne pas respecter les obligations de présentation aux services de police et aux unités de gendarmerie prévues à l'article L. 733-1. »

Article L. 824-6 :

« Est puni d'un an d'emprisonnement le fait, pour un étranger assigné à résidence, de ne pas respecter les prescriptions liées au placement sous surveillance électronique mobile qui lui ont été fixées en application de l'article L. 733-14. »

Article L. 824-7 :

« Est puni d'un an d'emprisonnement le fait, pour un étranger assigné à résidence, de ne pas respecter l'interdiction de se trouver en relation, directement ou indirectement, avec certaines personnes nommément désignées dont le comportement est lié à des activités à caractère terroriste, qui lui est prescrite en application de l'article L. 733-15. »


Sous-section 2 : Soustraction au placement et au maintien en rétention administrative (article L. 824- 8).

Article L. 824-8 :

« Est puni de trois ans d'emprisonnement le fait, pour un étranger placé ou maintenu en rétention administrative, de se soustraire ou de tenter de se soustraire à la mesure de surveillance dont il fait l'objet.

Cette peine d'emprisonnement est portée à cinq ans lorsque les faits sont commis par violence, effraction ou corruption, et à sept ans lorsque les faits sont commis en réunion ou sous la menace d'une arme ou d'une substance explosive, incendiaire ou toxique.

Est puni des mêmes peines le fait, pour toute personne, de faciliter sciemment, par aide ou par assistance, la préparation ou la commission des infractions prévues au présent article.

L'étranger condamné en application du présent article encourt la peine complémentaire de dix ans d'interdiction du territoire français.
»

Articles publiés sur le site https://www.infomigrants.net


La pénalisation indirecte recouvre les hypothèses dans lesquelles ce ne sont pas directement des étapes du parcours migratoire qui sont visées, mais des situations périphériques ou relevant de la vie privée.

L'aide à l'entrée et au séjour irréguliers (A), les liens familiaux qualifiés de complaisance (B) ou encore les activités des transporteurs (C) en sont les exemples les plus caractéristiques.


Page internet du site du GISTI sur les délits de solidarité

L'aide à l'entrée et au séjour irréguliers est probablement plus connue du grand public sous le terme de « délit de solidarité ».

=> Délit très contesté par le milieu associatif, il n'en demeure pas moins incriminé en droit français (1). Il existe toutefois des causes d'immunité qui s'opposent à la répression (2).


Déjà présent à l'article 4 du décret-loi Daladier du 2 mai 1938, repris dans l'ordonnance du 2 novembre 1945 à la Libération, le délit d'aide à l'entrée et au séjour irrégulier est l'une des infractions les plus anciennes en droit des étrangers. Il figure toujours dans le CESEDA (article L. 823-1) malgré de nombreuses critiques des ONG, de la CNCDH et du DDD.

Tx.Section 1 : Aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers (articles L. 823-1 à L. 823-10).

Sous-section 1 : Peines principales (articles L. 823-1 à L. 823-3).

Article L. 823-1 :

« Sous réserve des exemptions prévues à l'article L. 823-9, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait, pour toute personne, de faciliter ou de tenter de faciliter, par aide directe ou indirecte, l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger en France.

Les dispositions du présent article sont applicables y compris lorsque les faits sont commis par une personne se trouvant sur le territoire d'un autre État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990.
»

Article L. 823-2 :

« Sous réserve des exemptions prévues à l'article L. 823-9, est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait, pour toute personne, de faciliter ou de tenter de faciliter l'entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d'un étranger :

1° Sur le territoire d'un autre État partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 ;

2° Sur le territoire d'un autre État partie au protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, signée à Palerme le 12 décembre 2000.

Les dispositions du 2° sont applicables à compter de la date de publication de ce protocole au Journal officiel de la République française.
»

Article L. 823-3 :

« Sont punies de dix ans d'emprisonnement et de 750 000 euros d'amende les infractions définies aux articles L. 823-1 et L. 823-2 lorsque les faits :
1° Sont commis en bande organisée ;

2° Sont commis dans des circonstances qui exposent directement les étrangers à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ;

3° Ont pour effet de soumettre les étrangers à des conditions de vie, de transport, de travail ou d'hébergement incompatibles avec la dignité de la personne humaine ;

4° Sont commis au moyen d'une habilitation ou d'un titre de circulation en zone réservée d'un aérodrome ou d'un port ;

5° Ont pour effet d'éloigner des mineurs étrangers de leur milieu familial ou de leur environnement traditionnel.
»

Ces dispositions résultent d'une lecture contestable du droit de l'Union européenne. En effet, en droit de l'Union européenne, le but lucratif est requis pour la pénalisation de l'aide au séjour irrégulier, l'esprit de la norme étant de permettre la répression des trafiquants. Ainsi, la directive n° 2002/90/CE du 28 novembre 2002 définissant l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irréguliers a imposé à tous les États membres l'adoption de dispositions répressives dans certaines hypothèses, en insistant sur le but lucratif. En droit interne, le but lucratif n'a jamais été pris en considération, en dépit des textes européens.

Tx.Directive n° du Conseil du 28 novembre 2002 définissant l'aide à l'entrée, au transit et au séjour irréguliers.

« Article premier - Infraction générale

1. Chaque État membre adopte des sanctions appropriées :

a) à l'encontre de quiconque aide sciemment une personne non ressortissante d'un État membre à pénétrer sur le territoire d'un État membre ou à transiter par le territoire d'un tel État, en violation de la législation de cet État relative à l'entrée ou au transit des étrangers ;

b) à l'encontre de quiconque aide sciemment, dans un but lucratif, une personne non ressortissante d'un État membre à séjourner sur le territoire d'un État membre en violation de la législation de cet État relative au séjour des étrangers.

2. Tout État membre peut décider de ne pas imposer de sanctions à l'égard du comportement défini au paragraphe 1, point a), en appliquant sa législation et sa pratique nationales, dans les cas où ce comportement a pour but d'apporter une aide humanitaire à la personne concernée.
»

Le Conseil d'Etat a pourtant estimé que la législation française n'était pas incompatible avec cette directive européenne.

Ex.C.E., réf., 15 janvier 2010, GISTI et a., n° 334879.

C.E., 19 octobre 2010, GISTI et a., n° 334878 : « Sur le moyen tiré de la méconnaissance par le 3° de l'article L. 622-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile des objectifs de la directive n° 2002/90/CE du Conseil du 28 novembre 2002 :

Considérant qu'il résulte clairement de ces dispositions que les Etats membres doivent prévoir des sanctions pour l'aide au séjour irrégulier lorsque cette aide est apportée en toute connaissance de cause et dans un but lucratif ; que la directive n'interdit en revanche pas aux Etats membres de sanctionner aussi l'aide au séjour irrégulier à des fins non lucratives ; que dès lors la circulaire, qui ne fait que réitérer les dispositions du 3° de l'article L. 622-4 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en permettant de sanctionner l'aide au séjour irrégulier non seulement dans un but lucratif mais aussi dans un but non lucratif, est conforme aux objectifs de cette directive
».

Voir :

Suite à des mobilisations associatives dans le milieu des années 1990 (affaire Jacquelin Deltombe avec le manifeste des cinéaste), le législateur a apporté en 1996/1997 des immunités pénales, lorsque l'aide à l'entrée ou au séjour irrégulier a été commise dans certaines circonstances ou par certaines personnes. Elles ont longtemps été conçues en termes très restrictifs. Seuls trois cas de figure étaient visés par les textes :
  • des ascendants ou descendants de l'étranger, de leur conjoint, des frères et sœurs de l'étranger ou de leur conjoint ;
  • du conjoint de l'étranger ou de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ;
  • de toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la personne de l'étranger, sauf s'il y a disproportion entre les moyens employés et la gravité de la menace ou s'il a donné lieu à une contrepartie directe ou indirecte.
Ex.CEDH, 10 nov. 2011, Mallah c/ France, n° 29681/08 : La Cour européenne des droits de l'homme a été saisie d'une requête individuelle introduite par un beau-père ayant été reconnu coupable puis dispensé de peine pour avoir hébergé son gendre sans-papier. Les immunités conçues en termes restrictifs n'avaient pas permis de faire obstacle à une condamnation, alors même que l'étranger hébergé était un membre du cercle familial. La Cour européenne des droits de l'homme a estimé, dans un arrêt Mallah, que le droit à la vie privée et familiale du requérant, visée à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, n'avait pas été violé.

Voir :
  • S. Lavric, « Le "délit de solidarité" devant la Cour de Strasbourg », Dalloz actualité, 21 nov. 2011.
  • S. Slama, « Délit d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour irréguliers : controverses sur la légitimité d'un "délit d'humanité" », AJ Pénal 2011. 496.
A la faveur de la loi n° du 31 décembre 2012, l'article L. 622-4 du CESEDA a été réécrit, tenant compte, partiellement, des critiques des milieux associatifs et religieux.

L'article L. 622-4 du CESEDA disposait alors :
Tx.« Sans préjudice des articles L. 621-2, L. 623-1, L. 623-2 et L. 623-3, ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement des articles L. 622-1 à L. 622-3 l'aide au séjour irrégulier d'un étranger lorsqu'elle est le fait :

1° Des ascendants ou descendants de l'étranger, de leur conjoint, des frères et sœurs de l'étranger ou de leur conjoint ;

2° Du conjoint de l'étranger, de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui, ou des ascendants, descendants, frères et sœurs du conjoint de l'étranger ou de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ;

3° De toute personne physique ou morale, lorsque l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l'étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique de celui-ci.

Les exceptions prévues aux 1° et 2° ne s'appliquent pas lorsque l'étranger bénéficiaire de l'aide au séjour irrégulier vit en état de polygamie ou lorsque cet étranger est le conjoint d'une personne polygame résidant en France avec le premier conjoint.
»

D'une part, le texte a élargi le champ des immunités familiales, en retenant une conception plus étendue de la famille.
D'autre part, l'aide solidaire semble avoir été mieux prise en compte. Avant la loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012, l'article L. 622-4 du CESEDA excluait la responsabilité pénale d'une personne ayant aidé un étranger dont la vie ou l'intégrité physique était en péril. Les associations de défense des droits des étrangers notamment estimaient que leurs activités étaient risquées, tout particulièrement lorsqu'elles fournissaient un hébergement ou dispensaient des conseils juridiques.

L'article L. 622-4 du CESEDA visait les conseils juridiques, la restauration, l'hébergement, les soins médicaux ou « toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique » de l'étranger concerné.

Ainsi que le précise la relative à l'entrée en vigueur des dispositions de la loi n° 2012-1560 du 31 déc. 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées, « l'immunité humanitaire ne se réduit plus aux actions destinées à répondre à des situations d'urgence ». L'absence de contrepartie directe ou indirecte demeure toutefois exigée.

Ex.QPC dans les affaires Herrou et Mannoni suite à leur condamnation par la CA d'Aix.

Cons. constit., décision n° 2018-717/718 QPC du 6 juillet 2018, M. Cédric H. et autre (Délit d'aide à l'entrée, à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger) :

« En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance du principe de fraternité :

7. Aux termes de l'article 2 de la Constitution : « La devise de la République est »Liberté, Égalité, Fraternité" ». La Constitution se réfère également, dans son préambule et dans son article 72-3, à l'« idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité ». Il en ressort que la fraternité est un principe à valeur constitutionnelle.

8. Il découle du principe de fraternité la liberté d'aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national.

9. Toutefois, aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national. En outre, l'objectif de lutte contre l'immigration irrégulière participe de la sauvegarde de l'ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle.

10. Dès lors, il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre le principe de fraternité et la sauvegarde de l'ordre public.

11. En application du premier alinéa de l'article L. 622-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le fait d'aider directement ou indirectement un étranger à entrer, circuler ou séjourner irrégulièrement en France est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende. Toutefois, l'article L. 622-4 du même code prévoit plusieurs cas d'exemption pénale en faveur des personnes mises en cause sur le fondement du délit d'aide au séjour irrégulier d'un étranger. Les 1 ° et 2 ° de cet article excluent toute poursuite pénale de ce chef lorsque l'aide est apportée par la proche famille de l'étranger ou par celle de son conjoint ou de la personne qui vit en situation maritale avec lui. Le 3 ° de ce même article accorde quant à lui une immunité pénale à toute personne physique ou morale ayant apporté une telle aide à un étranger lorsque cet acte « n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et consistait à fournir des conseils juridiques ou des prestations de restauration, d'hébergement ou de soins médicaux destinées à assurer des conditions de vie dignes et décentes à l'étranger, ou bien toute autre aide visant à préserver la dignité ou l'intégrité physique de celui-ci.
»

Voir GISTI, QPC Délit de solidarité - Reconnaissance du principe de fraternité.

En savoir plus : Pour une présentation plus détaillée de l'origine des deux affaires suivantes

Voir GISTI, Délit d'aide au séjour « dans une démarche d'action militante ».

Poursuites contre Cédric Herrou :
  • TGI de Nice, 10 février 2017, n° 16298000008 :
    C. avait notamment, en octobre 2016, « facilité l'entrée, la circulation et le séjour irréguliers de plusieurs étrangers se trouvant dépourvus de titre de séjour (environ 200) sur le territoire national ».
    Sur l'aide à des migrants sur le sol français, l'exemption prévue par l'art. L. 622-4 dans le cadre de l'aide au séjour est reconnue. Il en va de même pour l'aide à leur circulation dans la région car « force est de constater que l'aide à la circulation mise en œuvre par le prévenu n'était que le préalable indispensable à l'aide à leur séjour ».
    En revanche l'aide à la circulation de personnes prises en charge à Vintimille ne relève pas de cette exemption.
    Condamnation pour délit d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour mais seulement pour les transports depuis Vintimille.
    Par ailleurs, la SNCF s'était portée partie civile en raison de l'occupation, en octobre 2016, d'un bâtiment qui lui appartenait (inoccupé) pour abriter 57 migrants dont 29 enfants.
    Relaxe du délit d'installation en réunion sur le terrain d'autrui sans autorisation d'y habiter, cette occupation répondant à un état de nécessité.
    • Condamnation : amende de 3 000 € avec sursis pour les transports.
    • Relaxe sur les autres poursuites.
  • Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 8 août 2017 :
    La SNCF avait fait appel du jugement précédant en ce qui concerne l'occupation d'un bâtiment qui lui appartenait.
    Concernant l'aide au séjour, la Cour admet qu'il n'y a pas eu de contrepartie ; en revanche le but de l'action était, par une action militante, de mettre en échec l'application de la législation relative à l'immigration ne figure parmi les buts prévus dans l'article L. 622-4 qui ne s'applique donc pas : condamnation pour délit d'aide à l'entrée, à la circulation et au séjour dans toutes les situations.
    En outre, l'état de nécessité n'étant pas considéré comme établi, le délit d'installation en réunion sur le terrain d'autrui sans autorisation est retenu.
    • Condamnation à 4 mois d'emprisonnement avec sursis et 1 000 € à verser à la SNCF.

Le Conseil constitutionnel a statué sur une QPC introduite dans le cadre de ces deux affaires.

Cédric Herrou a été relaxé par la CA de Lyon.
Aide aux migrants : la justice relaxe Cédric Herrou, 13 mai 2020 (un professeur de droit se dissimule sur cette photo !). Source : Médiapart



Par la suite, intégration dans la loi du 10 septembre 2018 d'un amendement.

À son tour la loi n° du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie (art. 38) a modifié l'article L. 622-4 du CESEDA qui régit ces exemptions pénales. Cette modification s'applique depuis le 11 septembre 2018 y compris aux infractions déjà commises ( et présentant les dispositions de droit pénal immédiatement applicables de la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie.

Tx.Sous-section 3 : Conditions d'exercice des poursuites pénales (articles L. 823-9 à L. 823-10).

Article L. 823-9 :

« L'aide à la circulation ou au séjour irréguliers d'un étranger ne peut donner lieu à des poursuites pénales sur le fondement des articles L. 823-1 ou L. 823-2 lorsqu'elle est le fait :

1° Des ascendants ou descendants de l'étranger, de leur conjoint, des frères et sœurs de l'étranger ou de leur conjoint ;

2° Du conjoint de l'étranger, de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui, ou des ascendants, descendants, frères et sœurs du conjoint de l'étranger ou de la personne qui vit notoirement en situation maritale avec lui ;

De toute personne physique ou morale lorsque l'acte reproché n'a donné lieu à aucune contrepartie directe ou indirecte et a consisté à fournir des conseils ou accompagnements juridiques, linguistiques ou sociaux, ou toute autre aide apportée dans un but exclusivement humanitaire.

Les exemptions prévues aux 1° et 2° ne s'appliquent pas lorsque l'étranger bénéficiaire de l'aide à la circulation ou au séjour irréguliers vit en état de polygamie ou lorsque cet étranger est le conjoint d'une personne polygame résidant en France avec le premier conjoint.

Les dispositions du présent article s'appliquent sans préjudice des articles L. 821-1 et L. 823-11 à L. 823-17.
»

Article L. 823-10 :

« Pour l'application du second alinéa de l'article L. 823-1 et de l'article L. 823-2, la situation irrégulière de l'étranger est appréciée au regard de la législation de l'Etat partie intéressé. En outre, les poursuites ne peuvent être exercées à l'encontre de l'auteur de l'infraction que sur une dénonciation officielle ou sur une attestation des autorités compétentes de l'Etat partie intéressé.

Aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant qu'elle a été jugée définitivement à l'étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite.
»

La loi n° du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité a initié le processus de pénalisation des liens familiaux, soit par mariage, soit par filiation.

Si le mariage ou la reconnaissance d'un enfant sont effectués dans le seul but d'obtenir ou de faire obtenir un titre de séjour ou une protection contre l'éloignement, voire d'acquérir ou de faire acquérir la nationalité française, on parle de mariage ou de parenté de complaisance. Est encourue par l'auteur une peine de cinq ans d'emprisonnement.

De surcroît, la loi n° du 16 juin 2011 relative à l'immigration, l'intégration et la nationalité, est venue incriminer un « mariage gris », en prévoyant une peine de cinq ans d'emprisonnement. Est visée l'hypothèse dans laquelle un étranger contracterait mariage avec un individu en ayant « dissimulé ses intentions à son conjoint ».

L'organisation ou la tentative d'organisation d'un mariage de complaisance, d'un mariage gris ou encore de reconnaissance d'un enfant est également punie de cinq ans d'emprisonnement.

La loi du 10 septembre 2018 a développé ces incriminations.

Tx.Section 2 : Mariage contracté ou enfant reconnu à seule fin d'obtenir ou de faire obtenir à un étranger un titre de séjour ou la nationalité française (articles L. 823-11 à L. 823-17).

Sous-section 1 : Peines principales (articles L. 823-11 à L. 823-12).

Article L. 823-11 :

« Est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende le fait, pour toute personne, de contracter un mariage ou de reconnaître un enfant aux seules fins d'obtenir, ou de faire obtenir, un titre de séjour ou le bénéfice d'une protection contre l'éloignement, ou aux seules fins d'acquérir, ou de faire acquérir, la nationalité française. Ces peines sont également encourues lorsque l'étranger qui a contracté mariage a dissimulé ses intentions à son conjoint.
Ces mêmes peines sont applicables en cas d'organisation ou de tentative d'organisation d'un mariage ou d'une reconnaissance d'enfant aux mêmes fins.
»

Article L. 823-12 :

« Est punie de dix ans d'emprisonnement et de 750 000 euros d'amende toute personne qui commet le délit défini à l'article L. 823-11 lorsque les faits sont commis en bande organisée. »

Les poursuites sur ce fondement apparaissent assez limitées en pratique mais ont des effets devastateurs (cf. travaux de Lisa Carayon déjà cités)

Des sanctions contre les transporteurs ont été mises en œuvre dès les années 90, sous l'influence de la Convention d'application de l'accord de Schengen (art. 26 de la ). La volonté du législateur, européen et national, était de responsabiliser les transporteurs. Ces derniers, en amenant sur le territoire français des étrangers démunis des documents requis pour y entrer, avaient manqué à leur devoir de vérifier, dans le pays d'embarquement, que les voyageurs pourraient bien y pénétrer légalement.

La directive n° du 28 juin 2001 visant à compléter les dispositions de l'article 26 de la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985, dite « sanctions contre les transporteurs », impose aux Etats de prendre des sanctions, qui ne sont pas nécessairement pénales, à l'encontre des transporteurs. Le minimum du maximum de l'amende est fixée à 5 000 euros par l'article 4, § 1, a) de la directive. C'est ce maximum de 5 000 euros qui avait été initialement retenu par le législateur français. Il a été rehaussé à 10 000 euros par la loi n° du 7 mars 2016.

Rq.A chaque personne transportée, correspond une infraction ; le cumul des peines d'amende peut donc être élevé.

Toutefois, l'amende ne sera pas infligée :
  • lorsque l'étranger a été admis sur le territoire français au titre d'une demande d'asile qui n'était pas manifestement infondée ;
  • lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste.
La formulation de l'article L. 625-5 du CESEDA est intéressante. Le délit demeurerait apparemment caractérisé. Seule la répression serait neutralisée. En effet, une forme de dispense de peine est prévue dans ces deux cas de figure.

Tx.Chapitre I : MÉCONNAISSANCE DES OBLIGATIONS RELATIVES À L'ENTRÉE EN FRANCE (articles L. 821-1 à L. 821-13).

Section 4 : Amendes aux entreprises de transport ayant méconnu la réglementation sur l'entrée (articles L. 821-6 à L. 821-13).

Sous-section 1 : Amendes aux entreprises ayant débarqué un étranger dépourvu des documents requis (articles L. 821-6 à L. 821-9).

Article L. 821-6 :

« Est passible d'une amende administrative de 10 000 euros l'entreprise de transport aérien, maritime ou routier qui débarque sur le territoire français, en provenance d'un État qui n'est pas partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, de la République d'Islande, de la Principauté du Liechtenstein, du Royaume de Norvège ou de la Confédération suisse démuni du document de voyage et, le cas échéant, du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable en raison de sa nationalité.

Est passible de la même amende l'entreprise de transport aérien, maritime ou routier qui débarque, dans le cadre du transit, un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, de la République d'Islande, de la Principauté du Liechtenstein, du Royaume de Norvège ou de la Confédération suisse démuni du document de voyage ou du visa requis par la loi ou l'accord international qui lui est applicable compte tenu de sa nationalité et de sa destination.
»

Article L. 821-7 :

« Les entreprises de transport routier mentionnées à l'article L. 821-6 sont celles exploitant des liaisons internationales en provenance d'un Etat qui n'est pas partie à la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 sous la forme de lignes régulières, de services occasionnels ou de navette, à l'exclusion des trafics frontaliers.

Si une telle entreprise n'a pu procéder à la vérification du document de voyage et, le cas échéant, du visa des passagers empruntant ses services, elle est exonérée de l'amende prévue à l'article L. 821-6, à condition d'avoir justifié d'un contrôle à l'entrée sur le territoire d'un des États parties à ladite convention ou, à défaut d'un tel contrôle, à condition d'y avoir fait procéder à l'entrée en France par les services compétents.
»

Article L. 821-8 :

« L'amende prévue à l'article L. 821-6 peut être prononcée autant de fois qu'il y a de passagers concernés.

Elle n'est pas infligée :

1° Lorsque l'étranger a été admis sur le territoire français au titre d'une demande d'asile qui n'était pas manifestement infondée ;

2° Lorsque l'entreprise de transport établit que les documents requis lui ont été présentés au moment de l'embarquement et qu'ils ne comportaient pas d'élément d'irrégularité manifeste.

Elle ne peut être infligée pour des faits remontant à plus d'un an.
»

Article L. 821-9 :

« Lorsque l'étranger débarqué en France est un mineur sans représentant légal, la somme de 10 000 euros doit être immédiatement consignée auprès de l'agent, mentionné au premier alinéa de l'article L. 821-12, ayant établi le procès-verbal constatant le manquement de l'entreprise de transport à ses obligations. Tout ou partie de cette somme est restituée à l'entreprise selon le montant de l'amende prononcée ultérieurement par l'autorité administrative.
Si l'entreprise ne consigne pas la somme, le montant de l'amende est porté à 20 000 euros.

Les conditions de cette consignation et de son éventuelle restitution, en particulier le délai maximal dans lequel cette restitution doit intervenir, sont fixées par décret en Conseil d'Etat.

Sous-section 2 : Amendes aux entreprises n'ayant pas respecté leurs obligations de réacheminement et de prise en charge d'un étranger (Articles L821-10 à L821-11).
»

Article L. 821-10 :

« Est passible d'une amende administrative de 30 000 euros l'entreprise de transport aérien, maritime, routier ou ferroviaire qui ne respecte pas les obligations de réacheminement et de prise en charge d'un étranger qui lui sont fixées aux articles L. 333-3, L. 333-4 et L. 333-5. »

Article L. 821-11 :

« L'amende prévue à l'article L. 821-10 ne peut être infligée à raison d'un manquement aux obligations de réacheminement pour des faits remontant à plus de quatre ans. »

Validé par le Conseil constitutionnel :
Tx.Cons. constit., décision n° 2019-810 QPC du 25 octobre 2019, Société Air France (Responsabilité du transporteur aérien en cas de débarquement d'un étranger dépourvu des titres nécessaires à l'entrée sur le territoire national :

« 12. Les irrégularités manifestes qu'il appartient au transporteur de déceler sous peine d'amende, en application des dispositions contestées, lors, au moment de l'embarquement, du contrôle des documents requis, sont celles susceptibles d'apparaître à l'occasion d'un examen normalement attentif de ces documents par un agent du transporteur. En instaurant cette obligation, le législateur n'a pas entendu associer les transporteurs aériens au contrôle de la régularité de ces documents effectué par les agents de l'État en vue de leur délivrance et lors de l'entrée de l'étranger sur le territoire national. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance des exigences résultant de l'article 12 de la Déclaration de 1789 doit être écarté. »

L'interdiction du territoire français est une peine prononcée par le juge répressif et visant exclusivement les étrangers, quelle que soit leur nationalité. Elle consiste à interdire à un étranger de demeurer sur le territoire français ou d'y revenir après son éloignement.

Souvent qualifiée de « double peine », l'interdiction du territoire français peut être prononcée soit à titre de peine principale, soit à titre de peine complémentaire. Lorsqu'elle est prononcée à titre complémentaire, en application de l'article 131-10 du Code pénal, l'interdiction du territoire français peut être retenue tant en matière criminelle qu'en matière correctionnelle, conformément à l'article 131-30, alinéa 1er, du Code pénal. Il suffit que la loi ait prévu que, pour tel crime ou tel délit, il soit possible de prononcer une telle sanction.

La chambre criminelle de la Cour de cassation se montre favorable au cumul de l'interdiction du territoire français avec une autre sanction pénale.
Ex.Elle a ainsi considéré, dans plusieurs décisions (Cass. crim., 30 mai 2001, n° 99-84.867 – Cass. crim. ,18 déc. 2002, n° 02-80.944 – Cass. crim., 3 déc. 2014, n° 13-84.597), que cela n'était pas contraire au principe ne bis in idem.

Les mineurs étrangers sont protégés de manière absolue, conformément à l'article 20-4 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, quelle que soit l'infraction considérée. En revanche, les majeurs sont simplement soumis à un régime de protection relative (A) ou renforcée (B).


Aux termes de l'article 131-30-1 du Code pénal, certains étrangers bénéficient d'une protection relative. La juridiction ne peut alors prononcer une interdiction du territoire français en matière correctionnelle que par « une décision spécialement motivée au regard de la gravité de l'infraction et de la situation personnelle et familiale de l'étranger ».

Sont visés :
  • une personne « ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France » ;
  • un étranger marié depuis au moins trois ans à un conjoint de nationalité française ;
  • un étranger résidant de manière habituelle en France depuis plus de quinze ans ;
  • un étranger en situation régulière sur le territoire français pendant plus de dix ans ;
  • les étrangers titulaires « d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % ».


En application de l'article 131-30-2 du Code pénal, certains étrangers bénéficient d'une protection renforcée, adossée à l'existence de liens anciens avec la France, que l'on peut rattacher à la vie privée et familiale de l'intéressé au sens de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

Il peut s'agir :
  • d'un étranger justifiant par tout moyen de sa résidence habituelle en France depuis qu'il a atteint l'âge de 13 ans (C. pén., art. 131-30-2, 1°) ;
  • d'un étranger résidant régulièrement en France depuis plus de vingt ans de manière continue ;
  • d'un étranger résidant régulièrement en France depuis plus de dix ans et marié depuis au moins quatre ans à un Français qui a conservé sa nationalité française ;
  • d'un étranger résidant régulièrement en France depuis plus de dix ans et marié, depuis au moins quatre ans, à un étranger justifiant par tout moyen avoir sa résidence habituelle en France depuis qu'il a atteint l'âge de 13 ans ;
  • d'un étranger résidant régulièrement en France depuis au moins dix ans, à condition qu'il ne vive pas en état de polygamie, qu'il soit parent d'un enfant français mineur résidant en France et qu'il établisse qu'il contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de cet enfant, depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ;
  • d'un étranger résidant régulièrement en France sous couvert d'un titre de séjour pour maladie.

Rq.Il faut que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage. S'agissant de la continuité de la communauté de vie, il faudra, en cas de détention provisoire, être en mesure de produire des documents permettant d'attester de visites régulières. La jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne peut également être utilisée, puisqu'elle retient que l'unicité de logement familial n'est pas nécessaire à l'établissement de la communauté de vie (CJCE, 13 févr. 1985, Diatta, aff. 267/83, Rec. CJCE 567).

La protection de ces six catégories d'étrangers est renforcée, car elle s'applique, d'une part, contrairement à la protection relative, tant en matière délictuelle que criminelle, et doit s'appliquer, d'autre part, de plein droit dès lors que les conditions sont remplies (Cass. crim., 14 mars 2012, n° 11-87.402).

Cette protection n'est cependant pas absolue, car elle peut être écartée à raison de la nature des faits ayant entraîné la condamnation pour laquelle une interdiction du territoire français est envisagée. En premier lieu, la seule protection liée au mariage ou à la parentalité (C. pén., art. 131-30-2, 3° et 4°) n'est pas applicable lorsque les faits qui ont entraîné la condamnation ont été commis à l'encontre du conjoint ou des enfants de l'étranger ou d'enfants sur lesquels l'intéressé exerce l'autorité parentale. En second lieu, toutes les protections visées à l'article 131-30-2 du Code pénal ne sont pas applicables pour toute une série d'infractions limitativement énumérées (atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, terrorisme, fausse monnaie, etc...).

La Cour européenne des droits de l'homme a rendu deux décisions particulièrement importantes en la matière :
Tx.CEDH, 2 août 2001, Boultif c/ Suisse, req. n°  ; CEDH, gr. ch., 18 oct. 2006, Üner c/ Pays-Bas, req. n° .

Y sont énumérés les dix critères permettant aux juges de Strasbourg de déterminer si une interdiction du territoire porte une atteinte acceptable au droit à la vie privée et familiale du condamné :
  • la nature et la gravité de l'infraction commise par le requérant ;
  • la durée du séjour de l'intéressé dans le pays dont il doit être expulsé ;
  • le laps de temps qui s'est écoulé depuis l'infraction, et la conduite du requérant pendant cette période ;
  • la nationalité des diverses personnes concernées ;
  • la situation familiale du requérant, et notamment, le cas échéant, la durée de son mariage, et d'autres facteurs témoignant de l'effectivité d'une vie familiale au sein d'un couple ;
  • la question de savoir si le conjoint avait connaissance de l'infraction à l'époque de la création de la relation familiale ;
  • la question de savoir si des enfants sont issus du mariage et, dans ce cas, leur âge ;
  • la gravité des difficultés que le conjoint risque de rencontrer dans le pays vers lequel le requérant doit être expulsé.
  • l'intérêt et le bien-être des enfants, en particulier la gravité des difficultés que les enfants du requérant sont susceptibles de rencontrer dans le pays vers lequel l'intéressé doit être expulsé ;
  • la solidité des liens sociaux, culturels et familiaux avec le pays hôte et avec le pays de destination.

En savoir plus : Nouveau focus : le nouveau Code pénitentiaire

Sont publiés au JO du 5 avril, l'ordonnance et le décret concernant le nouveau Code pénitentiaire. Il regroupe tous les textes applicables à la détention contenus dans le code de procédure pénal et quelques autres corpus. Voici les principales dispositions concernant les étranger.es (en théorie c'est du droit constant comme pour le CESEDA, mais il y a quelques changements) :

PARTIE LÉGISLATIVE :

- Création d'un art. L. 611-1 sur les enquêtes sociales reprenant, à l'al. 1, les dispos générales de l'art. 41, 8° du CPP. Mais l'al. 2 est une création :

« Sur réquisition du procureur de la République dans les conditions prévues par les dispositions du même article, le service pénitentiaire d'insertion et de probation vérifie le bien-fondé des déclarations d'une personne de nationalité étrangère quant à sa situation personnelle. »

- Création d'un art. L. 214-2 sur la signalisation des étranger.es détenu.es au MI (qui reprend les dispos de l'art. 724-1 du CPP) :

« Les services pénitentiaires communiquent aux autorités administratives compétentes pour en connaître des informations relatives à l'identité de chaque personne détenue, à son lieu de détention, à sa situation pénale et à sa date de libération, dès lors que ces informations sont nécessaires à l'exercice des attributions desdites autorités.

Ils communiquent notamment aux services centraux ou déconcentrés du ministère de l'intérieur les informations de cette nature relative aux personnes détenues de nationalité étrangère faisant ou devant faire l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire.
»

PARTIE RÉGLEMENTAIRE :

- Création d'une section relative aux personnes détenues de nationalité étrangère (art. D. 216-10 à D. 216-12), reprenant les dispositions de la section éponyme du CPP (art. D. 505 à D. 507).

A noter toutefois que s'agissant de l'application aux étranger.es du même régime de détention que les Français.es (art. D. 216-10), il n'est prévu que des « précautions particulières s'imposent néanmoins à leur égard » qu'au regard des mesures prises en application de l'art. D. 118 et D. 119 sur les permissions de sortir et aménagements de peine sous écrou (alors qu'auparavant ces précautions valaient pour l'ensemble des dispositions du Livre V, Titre II, Chap. 2, Section 7). L'idée est à mon sens de viser plus explicitement les articles concernant les permissions de sortir et les aménagements de peine, et ce afin de souligner que de telles mesures doivent être utilisées avec prudence envers les étranger.es en situation irrégulière (ce que font déjà les JAP).

- Création d'une disposition expresse (art. R. 311-9) sur la notification de la convocation en Comex par le greffe pénitentiaire (reprise de l'art. R. 632-5 du CESEDA).

- Création d'un article R. 315-3 dédié aux modalités de recours contre les OQTF en détention (suite à une JP constante depuis quelques années tendant à censurer toutes les mesures ne mentionnant pas la possibilité de déposer le recours auprès du chef d'établissement) :

« Conformément aux dispositions combinées des articles R. 776-19 et R. 776-31 du Code de justice administrative, les personnes détenues de nationalité étrangère demandant au tribunal administratif l'annulation d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, d'une décision relative au délai de départ volontaire, d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une décision fixant le pays de renvoi ou d'une décision d'assignation à résidence peuvent déposer leur requête auprès du chef de l'établissement pénitentiaire, qui transmet la requête sans délai et par tous moyens au président du tribunal administratif. »

Notons aussi la création d'un art. R. 315-4 sur la possibilité de déposer une QPC au chef d'établissement.

- Création d'une disposition expresse (art. R. 642-1) sur l'enquête technique réalisée par l'AP en cas d'assignation à résidence d'un.e étranger.e condamné à une ITF ou visé par un arrêté d'expulsion pour des faits de terrorismes (reprise de l'art. R. 733-15 du CESEDA).

Source : Julien Fischmeister, doctorant à l'Université Grenoble Alpes.
En savoir plus : Références bibliographiques
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