On constate une émergence, relativement récente, d’un droit international des migrations (DIM), encore embryonnaire, aux côtés du droit des réfugiés et apatrides plus conséquent.
1. En premier lieu, le droit international général s’intéresse assez peu à la question des migrations.
> Certes, la , adoptée le 10 décembre 1948 sous forme d’une résolution de l’AGNU, comporte trois dispositions susceptibles de les intéresser.
Tx.D'une part, l'article 13 prévoit que :
« 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat.
2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. »
=> droit absurde : droit d’émigrer (sortir) mais pas d’immigrer (entrer dans un autre pays)
D’autre part, les articles 3 et 5 garantissent le droit à la vie et la prohibition des TTID.
=> Protection par ricochet.
Tx.Article 3 : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. »
Article 5 : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »
En savoir plus : Monique Chemillier-Gendreau, « La virtualité de la libre circulation », Plein droit n° 36-37, décembre 1997
«
La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, antérieure aux Pactes analysés ici, est une pièce essentielle de la formation du droit coutumier. Elle proclame (article 3) : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». Mais pas plus que les Pactes, elle ne déploie explicitement la notion de liberté dans toutes ses conséquences quant au droit de circuler. Il est ainsi précisé (alinéa 1 de l'article 13) : « Toute personne a le droit de circuler et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un État ». Et l'article 14 ajoute : « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays ». Est-ce suffisant pour considérer que la libre circulation des hommes d'un pays à l'autre fait partie des droits fondamentaux ?
[...] La Déclaration ne va pas jusqu'à assimiler totalement l'étranger et le national du point de vue des droits dont ils peuvent jouir. La Commission des Droits de l'homme des Nations unies, lors de sa deuxième session avait débattu du projet préparé sous l'égide du secrétariat. Il y avait été question de l'absence complète d'entraves à la liberté de circulation. Alors avait été soulignée l'incohérence qu'il y a à reconnaître le droit à l'émigration si ne sont pas accordées parallèlement des facilités pour l'immigration et le transit dans et à travers d'autres pays.
Madame Roosevelt, représentant les États-Unis, avait déclaré que rien dans cet article ne se rapportait au droit à l'immigration qui restait soumis à la législation nationale de chaque État.
Sauf à faire dire au texte et à ses auteurs plus qu'ils ne l'ont fait réellement, on doit admettre que selon la Déclaration, l'étranger une fois admis sur un territoire y dispose des mêmes droits que le national en matière de circulation et de résidence, que toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien. Mais un droit strict à l'immigration n'a pas été formulé comme tel, même si l'on trouve trace dans les travaux préparatoires de l'idée que les Nations unies auraient à coopérer pour accorder les facilités nécessaires à la réalisation du droit de quitter son pays ».
Pour accéder à cet article,
cliquez ici .
> En application de la DUDH, le (PIDCP) du 16 décembre 1966 (entrée en vigueur le 23 mars 1976) garantit aussi le droit à la vie (art. 6), la prohibition à la torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 7).
L’article 12 garantit la liberté de circulation (dans le sens de la sortie) et prohibe le bannissement des nationaux.
Tx.« 1. Quiconque se trouve légalement sur le territoire d'un Etat a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence.
2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien.
3. Les droits mentionnés ci-dessus ne peuvent être l'objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l'ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d'autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le présent Pacte.
4. Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d'entrer dans son propre pays. »
Plus spécifiquement sur les étrangers, l’article 13 encadre les procédures d’expulsion :
Tx.« Un étranger qui se trouve légalement sur le territoire d'un Etat partie au présent Pacte ne peut en être expulsé qu'en exécution d'une décision prise conformément à la loi et, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ne s'y opposent, il doit avoir la possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et de faire examiner son cas par l'autorité compétente, ou par une ou plusieurs personnes spécialement désignées par ladite autorité, en se faisant représenter à cette fin. »
Pour défendre les droits des étrangers (cristallisation des pensions des anciens combattants de ex-colonies et protectorats français), il a aussi été mobilisé l’article 26 du PIDCP.
Tx.« Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique et de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »
En 1989, saisi par plus de 700 anciens tirailleurs sénégalais dont les pensions avaient été cristallisées dans les années 1980, le Comité des droits de l’Homme avait estimé la législation française contraire à l’article 26 PIDCP en raison de son caractère discriminatoire.
- Comité des droits de l’homme 3 avr. 1989, communication n° 196/1985, Gueye c/ France.
Il a pourtant fallu plus de trente années de contentieux pour aboutir à un rétablissement de l’égalité des droits au bénéfice des anciens fonctionnaires civils et militaires des anciens territoires sous souveraineté française dont les pensions avaient été « cristallisées » lors de la décolonisation.
En effet, dans un avis Doukouré de 1996 le Conseil d’Etat avait neutralisé l’article 26 du PIDCP en refusant, contra legem, de faire une application autonome de ce principe d’égalité devant la loi et de non-discrimination selon la nationalité.
Tx.C.E., Ass., avis, 15 avr. 1996, Doukouré ; RFDA 1996, p. 808, concl. contr. Ph. Martin :
« Il résulte de la coexistence du Pacte relatif aux droits civils et politiques et du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ouverts à la signature le même jour, que l'article 26 précité du premier de ces Pactes ne peut concerner que les droits civils et politiques mentionnés par ce Pacte et a pour seul objet de rendre directement applicable le principe de non-discrimination propre à ce Pacte.
Les dispositions de l'article 26 du Pacte relatif aux droits civils et politiques ne sont donc invocables que par les personnes qui invoquent une discrimination relative à l'un des droits civils et politiques énumérés par ce Pacte. »
L’égalité sera rétablie par l’invocation de l’article 14 de la + l’article 1er du 1er protocole additionnel mais aussi grâce à la QPC n° 1 et grâce au film Indigènes.
Tx.C.E., Ass., 30 nov. 2001, Ministre de la Défense c/ Diop, n°
212179, publié au recueil Lebon ; CJCE, 13 juin 2006, Ameur Echouikh c. Secrétaire d'État aux Anciens Combattants, aff.
C-336/05 ; C.E., Sect., 18 juillet 2006, Gisti et Ka (avis), n°
274664. Cons. const., déc. n°
2010-1 QPC, 28 mai 2010, consorts Labane.
2. En second lieu, il est possible aux étrangers d’invoquer les conventions sectorielles des Nations-Unies avec les 9 organes de traités des droits de l’Homme.
Ex.1/ Par exemple, la
protection par ricochet est issue de la
Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 (EV : 26 juin 1987) :
Article 3 : «
1. Aucun Etat partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre Etat où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.
2. Pour déterminer s'il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l'existence, dans l'Etat intéressé, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives. »
Cette convention bénéficie d’un comité onusien chargé d’en assurer l’application :
Comité contre la torture (CAT).
2/ Autre exemple, la prise en compte de
l’intérêt supérieur de l’enfant est issue de la
Convention relative aux droits de l'enfant (CIDE) adoptée le 20 novembre 1989 à NY et entrée en vigueur le 2 septembre 1990.
Principe qui est garanti par l’article 3-1 de la CIDE :
Tx.Article 3 : « 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.
2. Les Etats parties s'engagent à assurer à l'enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées. »
Si la Cour de cassation a hésité sur l’effet direct de ces stipulations (Cass., 1993, Le Jeune C/ Sorel et revirement de mai 2005), le Conseil d’Etat a reconnu son effet direct dès 1997.
- C.E., 22 sept. 1997, Mlle Cinar, n° 161364, Lebon p. 319.
- C.E., 7 juin 2006, Assoc. Aides et a., n° 285576, Lebon (aide médicale d’Etat).
Rq.NB : Avec l’article 8 de la CESDH, l’article 3-1 de la CIDE est la disposition la plus invoquée devant les tribunaux en droit des étrangers.
En revanche,
toutes les stipulations de la CIDE ne sont pas d’effet direct. Certaines ne créent pas de droits subjectifs au profit des particuliers mais seulement des obligations à charge des Etats membres dont ils doivent rendre compte devant le Comité des droits de l'enfant (CRC) mais pas devant les juridictions internes.
Par exemple, l’
article 9 de la CIDE :
Tx.« 1. Les Etats parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l'enfant, ou lorsqu'ils vivent séparément et qu'une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l'enfant. »
Pas d’effet direct :
C.E., 28 juillet 1994, Préfet de la Seine-Maritime c/ époux Abdelmoula, T. p. 732 ; C.E., 10 juin 1998, Sanches Lopes, n°
165388.
3/ Dans le domaine du droit des étrangers, la seule
convention internationale qui concerne les travailleurs migrants (y compris sans-papiers) et leur famille est la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille du 18 décembre 1990 (entrée en vigueur le 1
er juillet 2003, après avoir été ratifiée par vingt États).
- Mais ni la France ni aucun de ses partenaires européens ou occidentaux ne l'a signé ni ratifié.
Depuis 2004, il bénéficie d’un
Comité des travailleurs migrants (CTM, en 2003 /
Committee on Migrant Workers (CMW)).
3. En troisième lieu, participe à l’émergence d’un Droit international des migrations, le Pacte de Marrakech – même s’il ne relève que de la soft law et n’est pas très ambitieux.
Ce Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières a été adopté à l’occasion d’une conférence intergouvernementale organisée à Marrakech, au Maroc, les 10 et 11 décembre 2018.
Cette conférence est organisée sous les auspices de l'Assemblée générale des Nations Unies, à travers la résolution 71/1 du 19 septembre 2016, intitulée « Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants », selon laquelle les États Membres s'engagent à lancer un processus de négociations intergouvernementales devant conduire à l’adoption du pacte mondial.
Ce Pacte a défini vingt-trois objectifs.
L’idée est de privilégier le dialogue et la coopération entre les Etats membres des Nations Unies et les organisations internationales (OIM) dans la gestion des flux d'immigration et d'émigration.
Mais, les Etats ont tenu à insister, dans la déclaration préliminaire consacrée à la « souveraineté nationale », sur le fait que le Pacte réaffirme clairement que « le droit souverain des Etats de définir leurs politiques migratoires nationales et leur droit de gérer les migrations relevant de leur compétence, dans le respect du droit international ».
Le point 7 du préambule renvoie ainsi à un « cadre de coopération juridiquement non contraignant, qui repose sur les engagements convenus par les Etats membres dans la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants ».
=> S’il a le mérite d’exister et d’exprimer l’Etat d’un consensus (ou d’un dissensus) international et des standards existants dans ce domaine, le Pacte ne crée aucune obligation nouvelle et relève de la soft law.
Tx.
-
Sami Acef, Claire Gallen, « Non, la France ne va pas abandonner sa souveraineté migratoire en signant un pacte des Nations unies », AFP (factuels), 6 décembre 2018.
-
Anne Lagerwall, Olivier Corten, François Dubuisson et Vaios Koutroulis, , « Une brève analyse de la portée juridique du Pacte Mondial des migrations sûres, ordonnées et régulières », blog Centre de droit international, Université libre de Bruxelles, 7 décembre 2018.
-
Baptiste Jouzier, « Une analyse critique du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières » (mémoire Master 2 CJI), Revue des droits de l'homme, 17 | 2020.
4. En dernier lieu, il ne faut pas négliger l’importance de certaines conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), parfois anciennes.
Certaines de ces conventions garantissent des droits aux travailleurs migrants légalement installés. Et le Conseil d’Etat a reconnu l’effet direct de certaines des stipulations de ces conventions :
Ex.Par ex., l'
article 6 de la convention internationale du travail n° 97 du 1er juillet 1949 concernant les travailleurs migrants sur le Droit au logement .
- C.E., Ass., 11 avr. 2012, GISTI et FAPIL, n° 322326, Lebon, p. 142.
C’est aussi le cas de l'
article 4-1 de la convention n° 118 de l'organisation internationale du travail du 28 juin 1962 .
- C.E., Sect., 23 avril 1997, Groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI), n° 163043, au Lebon, concl. R. Abraham (égalité de traitement en matière de sécurité sociale).
Cette protection conventionnelle des migrants reste donc indirecte (dans la mesure où elle ne garantit pas que très peu de droits fondamentaux spécifiquement aux migrants), embryonnaire et surtout soumise au bon vouloir des juridictions pour la reconnaissance de l’invocabilité directe de ces stipulations ou leur application autonome.
Partager : facebook twitter google + linkedin