Elles peuvent être figurées sur un tableau qui, horizontalement, se divise en deux ordres (judiciaire et administratif) et, verticalement, en trois niveaux (1er degré, 2nd degré, juridictions suprêmes).
L’organisation juridictionnelle actuelle, qui reprend la division fondamentale droit public / droit privé, est le fruit d’une longue évolution, qui a été marquée par deux grandes décisions intervenues au XVIIIème siècle : la séparation des pouvoirs et la séparation des ordres juridictionnels.
Pour lutter contre cette confusion des pouvoirs (puisque les tribunaux devenaient aussi législateurs), les révolutionnaires ont instauré un schéma de séparation entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
Cette séparation fut consacrée par l'article 16 de la DDHC qui énonce :
Depuis lors, les cours et tribunaux ont eu l’interdiction de rendre des arrêts de règlement, c’est-à-dire des jugements dont la portée dépasse le seul litige qu’ils ont à trancher (V. art. 5 du C. civ. infra).
Une fois décidée la séparation des pouvoirs, on aurait pu imaginer que les mêmes juges soient compétents pour juger toutes sortes de litiges, et pour appliquer aussi bien le droit public que le droit privé. Mais la méfiance des révolutionnaires à l’égard des juges était telle qu’ils ont adopté une loi leur interdisant de s’immiscer dans l’activité de l’Administration, et de connaître des litiges dans lesquels l’Administration est impliquée.
La dispose en effet :
Ainsi les juges se voyaient-ils non seulement interdire d’exercer un quelconque pouvoir législatif ou réglementaire, mais leur compétence juridictionnelle était limitée aux seuls litiges entre particuliers.
Dans un premier temps les litiges impliquant l’Administration furent réglés par l’Administration elle-même, et ce n’est qu’à partir de 1872 que fut véritablement créé un autre ordre juridictionnel, chargé d’appliquer le droit public aux litiges dans lesquels était impliqué l’Administration et les personnes publiques : ainsi naquit l'ordre juridictionnel administratif.
La séparation entre l’ordre juridictionnel administratif et l’ordre juridictionnel judiciaire reste aujourd’hui l'un des principes fondamentaux et caractéristiques du droit français.
Nous nous intéresserons d'abord à l'ordre juridictionnel judiciaire (Section 1) puis à l'ordre juridictionnel administratif (Section 2), enfin au Tribunal des conflits (Section 3).
Section 1. L’ordre juridictionnel judiciaire
Par exemple, quand on parle du principe de la séparation des pouvoirs, le pouvoir judiciaire s'oppose au pouvoir législatif et au pouvoir exécutif : le terme judiciaire renvoie ici à la fonction de juger en général, il concerne donc à la fois l'ordre judiciaire et l'ordre administratif.
En revanche, lorsque l’on parle d’ordre judiciaire stricto sensu, c’est pour désigner les tribunaux qui appliquent le droit privé, à des litiges qui n’impliquent pas l’Administration. L'ordre juridictionnel judiciaire s'oppose à l'ordre juridictionnel administratif.
Vous devez en conséquence faire attention à la distinction: pouvoir judiciaire / ordre judiciaire.
§1. Présentation générale : de la 1ère instance à la cassation
Les juridictions de l'ordre judiciaire sont organisées en 3 niveaux :
- la première instance,
- l'appel,
- la cassation.
A. La première instance
Les juridictions de première instance connaissent des affaires pour la première fois. Elles les examinent en fait et en droit :
En fait : L'objectif est ici de savoir ce qui s’est réellement passé. Pour cela, les juges entendent les personnes qui s’opposent (les parties) ou, plus fréquemment, les avocats qui les représentent et qui donnent leur propre version des faits.
Mme X est ici demandeur ou plutôt demanderesse à l’instance en divorce.
M. X est défendeur.
Les juges vont examiner les différentes preuves produites par chacune des parties (témoignages, lettres, constat d’huissier, etc...) et vont arrêter la version des faits qui leur semble la mieux démontrée.
En droit :
- Il va d’abord falloir que les juges attribuent aux faits qu’ils ont retenus une qualification, c’est-à-dire qu’ils vont faire entrer ces faits dans une catégorie juridique prédéterminée.Ex.Ici, il apparaît que le comportement de M. X peut être qualifié de faute, car il a commis une violation de l’obligation de fidélité, qui est l’une des obligations du mariage prévues par l'article 212 du Code civil.
Tx.Art. 212 du C. civ. : « Les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours, assistance.»
- Les juges vont ensuite devoir rechercher la règle de droit qui est applicable en cas de faute commise par un époux au cours du mariage.Tx.Art. 242 du C. civ. : « Le divorce peut être demandé par l'un des époux lorsque des faits constitutifs d'une violation grave et renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune. »
Ex.Si Mme X arrive à convaincre les juges que la faute de M. X constitue une faute grave ou renouvelée, et qu'elle rend intolérable le maintien de la vie commune, elle gagnera son procès, et obtiendra le divorce aux torts exclusifs de M. X
Si M. X n’est pas satisfait, il pourra contester cette décision devant une Cour d’appel.
On passe alors au deuxième niveau de l'ordre juridictionnel judiciaire : l'appel.
B. L'appel
La Cour d’appel va entièrement rejuger l’affaire. Elle va à nouveau examiner l’affaire en fait et en droit, sans être liée par ce qui a été décidé en première instance.
La Cour d’appel va suivre les 3 étapes précédemment évoquées : examen des faits / qualification des faits / recherche de la règle de droit applicable. C’est donc une seconde chance qui est offerte au justiciable, et c’est pour cela que l’on dit que la Cour d’appel constitue un second degré de juridiction.
Deux possibilités se présentent alors :
Soit la Cour d’appel confirme le jugement de 1ère instance. | Soit la Cour d’appel infirme le jugement. |
Ex.La Cour d'appel estime que M. X a trompé sa femme, que ce fait peut être qualifié de faute, et que cette faute justifie que le divorce soit prononcé aux torts exclusifs du mari.
| C'est à dire qu'elle répare les erreurs intellectuelles commises en première instance, en retranchant du jugement les motifs et solutions erronées, et en y substituant les siens.
Ex.La Cour d’appel estime que M. X n’a pas trompé son épouse, mais que Mme X a violé l’obligation de cohabitation, en abandonnant sans motif le domicile conjugal. Elle qualifie le comportement de Mme X de faute, et prononce le divorce aux torts exclusifs de l’épouse.
|
Que peuvent faire les époux X ?
Une dernière possibilité s’ouvre à eux : porter leur litige devant la Cour de cassation, en formant ce qu'on appelle un pourvoi en cassation.
C. La Cassation
Hypothèse de travail : la Cour d'appel a infirmé le jugement rendu en première instance ; l'arrêt d'appel prononce le divorce aux torts exclusifs de Mme X ; celle-ci forme un pourvoi devant la Cour de cassation.
Attention, la Cour de cassation n’est pas un troisième degré de juridiction.
La Cour de cassation n’a pas la même fonction que les juridictions inférieures. En effet, la Cour de cassation n’est pas juge du fait, mais seulement juge du droit.
Elle ne va pas rejuger l’affaire en fait, mais seulement en droit. Cela signifie qu'elle va considérer comme acquise la version des faits retenue par la Cour d’appel (= Mme X a abandonné le domicile conjugal) sans réexaminer les preuves (témoignages, lettres, constat d’huissier...).
Mais la Cour de cassation va en revanche suivre la 2ème et la 3ème étape du travail du juriste, en vérifiant :
- Que les faits retenus ont reçu la bonne qualification. Il peut arriver dans certains cas que l’adultère ne soit pas considéré comme une faute.
- Que c’est la bonne règle de droit qui a été appliquée, et qu’elle a été correctement appliquée.
Deux possibilités se présentent alors :
- Soit la Cour de cassation estime que la Cour d’appel a bien qualifié les faits et qu’elle a bien appliqué la bonne règle de droit. Alors elle rejette le pourvoi, et l’affaire est terminée.
- Soit elle estime que la Cour d’appel a commis une erreur dans son raisonnement. Alors elle casse et annule l’arrêt de la Cour d’appel, et renvoie l’affaire devant une autre Cour d’appel, ou devant la même Cour d’appel composée de magistrats différents, pour que l’affaire soit rejugée en fait et en droit.
Rappelons en effet que la Cour de cassation n’est que juge du droit. Elle ne peut donc substituer sa décision à celle de l’arrêt qu’elle a annulé. Elle doit donc renvoyer l’affaire à une autre Cour d’appel, qui réexaminera l’affaire dans son entier.
Tel était bien le cas en l’espèce => Si Mme X forme un pourvoi en cassation contre l’arrêt infirmatif de la Cour d’appel, la Cour de cassation pourra censurer l’arrêt d'appel au motif que celui-ci a violé l’article 245 du Code civil. L’arrêt sera cassé et annulé, et l’affaire sera renvoyée devant une autre Cour d’appel.
Nous verrons ultérieurement ce qui se passe alors, en étudiant le mécanisme du renvoi.
- Les trois étapes du travail du juge (et de tous les juristes en général) : examen des faits / qualification / recherche et application de la règle de droit.
-
La distinction entre le fait et le droit : elle recouvre globalement les différentes étapes du travail du juriste. La première étape correspond à la partie "fait" de cette distinction ; les deux dernières étapes correspondent à la partie "droit".
- Les correspondances entre cette distinction fait / droit et le travail accompli par le juge en fonction du degré de juridiction : tandis que les juridictions des 1er et 2nd degré (tribunaux de 1ère instance et Cour d’appel) jugent en fait et en droit (accomplissant donc les 3 étapes du raisonnement juridique), la Cour de cassation se contente d’être juge du droit. Elle ne constitue pas un 3ème degré de juridiction, puisqu'elle ne rejuge pas l'affaire ; elle n'examine pas les faits et se contente de contrôler les deux dernières étapes du travail : qualification et application de la règle de droit.
Maintenant que nous avons observé l'articulation entre les différents niveaux d'instance, nous pouvons examiner de plus près les différentes types de juridictions.
§2. Les juridictions de première instance
Il est nécessaire, avant d’entrer dans le détail de l’organisation des juridictions civiles, de comprendre ce que sont les règles de compétence : au premier coup d’œil, sur le tableau de l'organisation judiciaire, on constate que les juridictions de première instance sont assez nombreuses, donnant au tableau une forme pyramidale. Pour savoir quelle est la juridiction que l'on doit saisir pour régler tel ou tel litige, on doit connaitre les règles de compétence, qui précisent les attributions respectives des différentes juridictions.
Il y a deux types de compétence :
-
Df.La compétence d’attribution, ou compétence en raison de la matière (appelée compétence ratione materiae), qui détermine dans quelle sorte de litige et jusqu’à quel montant la juridiction est apte à intervenir.Ex.La plupart des litiges relatifs au droit de la famille (mariage, divorce, filiation, succession) sont de la compétence des tribunaux judiciaires (ex-tribunaux de grande instance).
-
Df.La compétence territoriale, ou compétence en raison de la personne ou du lieu (compétence ratione personae ou ratione loci) qui détermine, parmi les tribunaux d’une même catégorie, quel est celui auquel on doit s’adresser.
En principe, la règle veut que la juridiction territorialement compétente est celle du lieu où demeure le défendeur, car l'action en justice n'est pas forcément fondée et l'on veut minimiser le dérangement causé au défendeur.
- Il s’agit d’un litige relatif au droit de la filiation, qui est une branche du droit de la famille -> les règles de compétence d’attribution nous indiquent que ce sont les tribunaux judiciaires (TJ, anciennement TGI) qui sont compétents.
- Les règles de compétence territoriale nous indiquent pour leur part que, parmi tous les tribunaux judiciaires français, le TJ territorialement compétent est celui de PARIS, puisque c'est là que réside le défendeur. La femme devra donc assigner l’homme devant le TJ de PARIS. Si elle se trompe, sa demande sera irrecevable, et automatiquement rejetée. Elle devra former une nouvelle assignation devant le tribunal compétent.
Autre précision terminologique : En principe, toutes les décisions rendues par une juridiction de première instance sont susceptibles d’appel. On dit alors que les tribunaux jugent en premier ressort et les Cours d'appel en dernier ressort.
Mais le problème est que les Cours d’appel sont très encombrées : trop d’affaires, pas assez de magistrats => dans certains cas, lorsque les sommes en jeu sont faibles, l’appel n’est pas permis. La seule voie de recours possible est alors le pourvoi en cassation.
On dit dans ces cas que les tribunaux jugent en premier et dernier ressort.
Ces explications doivent normalement éclairer les développements qui vont suivre.
Après avoir examiné les différentes juridictions civiles, nous nous intéresserons aux juridictions répressives.
A. Les Juridictions Civiles
Ce secteur a fait l'objet d'une importante réforme qui est entrée en vigueur en janvier 2020.
Nous verrons successivement les juridictions spécialisées, et les juridictions à compétence générale.
1. Les juridictions spécialisées
Les juridictions spécialisées ne sont compétentes que pour les matières qu’on leur a précisément assignées. L'une d'entre elles (le TASS) a été supprimée en 2019.
Pour commencer par celles dont la compétence est la plus précisément délimitée, ces juridictions sont :
a) Les tribunaux de commerce (ou juridictions consulaires)
Ils sont compétents pour trancher :
- Les litiges entre commerçants (personnes physiques ou morales) à condition que le litige ait trait à leur activité commerciale.
- Les litiges concernant les actes de commerce (principalement, les actes d'achat pour revendre).
Les tribunaux de commerce ont ceci de particulier qu’ils ne sont pas composés par des magistrats professionnels, mais par des commerçants, qui sont élus par leurs pairs (i.e. des juges consulaires en exercice ou retirés). On justifie cette particularité par l'idée que les professionnels sont plus aptes à comprendre les litiges spécifiques au commerce. Ils doivent néanmoins suivre une formation juridique à l'Ecole Nationale de la Magistrature. Leurs fonctions sont bénévoles. Ils sont élus pour une période de 2 ans, puis 4 ans (à partir du 2ème mandat) sans pouvoir cumuler plus de 18 ans. Ils statuent en nombre impair (généralement à trois). Dans certains départements métropolitains (Alsace et Moselle) on pratique encore l’échevinage, c'est-à-dire qu'on fait siéger un magistrat professionnel au milieu des assesseurs élus.
En savoir plus
Les tribunaux de commerce font parfois l'objet d'ardentes critiques : on reproche aux juges non professionnels de ne pas connaitre suffisamment le droit, et l'on redoute les conflits d'intérêts entre les fonctions de juge et de commerçant. Sans directement répondre à ces critiques, une réforme a été engagée dans la Loi d'orientation et de programmation de la justice pour 2023-2027 qui a prévu à titre expérimental la mise en place de Tribunaux des activités économiques (TAE) dans 9 à 12 départements, pour une durée de 4 ans. Ces TAE auraient une compétence élargie, et les juges consulaires pourraient être assistés d'un magistrat professionnel. Un recours devant le Conseil constitutionnel a été déposé en octobre 2023 (à suivre).
Les tribunaux de commerce statuent en premier et dernier ressort, c’est-à-dire sans possibilité d’appel, lorsque la demande ne dépasse pas 5 000 euros. Seul le pourvoi en cassation est alors possible. Au-delà de 5 000 euros, ils statuent en premier ressort uniquement, c'est-à-dire à charge d'appel (5 000 euros, c’est ce qu'on appelle le taux de ressort).
b) Les conseils de prud’hommes (CPH)
Les conseils de prud'hommes sont compétents pour connaître des litiges individuels survenant entre employeurs et salariés à l'occasion d'un contrat de travail.
Leur compétence s'arrête dès que le litige prend une ampleur collective
Les Conseils de prud'hommes sont constitués sur un mode paritaire, c’est-à-dire qu’ils sont composés pour moitié de représentants des salariés, et pour l’autre moitié d’employeurs. Un magistrat professionnel intervient en cas de partage égal des voix.
Le mandat des conseillers prud'homme est bénévole.
Traditionnellement les conseillers prudhommaux étaient élus par leurs pairs, c'est-à-dire par les salariés et par les employeurs. Depuis le 1er janvier 2018 ils sont désignés par les Ministères du travail et de la Justice, au sein des organisations syndicales et professionnelles. Leur mandat dure 4 ans.
En savoir plus
Les salariés élus au conseil de prud'hommes bénéficient de certaines protections : leurs employeurs doivent leur accorder le temps nécessaire pour exercer leurs fonctions électives, et pour recevoir la formation nécessaire, tout en les rémunérant normalement (sur demande de l'employeur les sommes correspondantes lui sont remboursées par l'Etat). A l'instar des délégués syndicaux, ils ne peuvent être licenciés sans l'autorisation de l'inspecteur du travail.
Les Conseils de Prud’hommes statuent en premier et dernier ressort pour les affaires n’excédant pas 5 000 euros, à charge d'appel au-delà de ce seuil.
c) Les tribunaux paritaires des baux ruraux (TPBR)
Comme leur nom l'indique, les tribunaux paritaires des baux ruraux sont compétents pour juger des litiges entre bailleurs et preneurs de baux ruraux.
- Une juridiction échevinale : un magistrat du Tribunal d'instance est assisté de 4 juges non professionnels.
- Une composition paritaire : les 4 échevins représentent en nombre égal les bailleurs et les preneurs. Autrefois élus par leurs pairs, il sont depuis 2018 nommés parmi les organisations syndicales pour une durée de six ans. Ils ne constituent pas une juridiction permanente, mais se réunissent par sessions, dont le nombre et la durée varient en fonction du nombre d'affaires à juger.
Leurs décisions ne sont susceptibles d’appel que si l’enjeu du litige dépasse 5 000 €.
d) Les tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS)
La compétence des TASS portait sur toutes les contestations opposant les organismes de sécurité sociale aux usagers.
Avant qu'ils ne soient supprimés, les TASS étaient des juridictions échevinales et paritaires : ils étaient présidés par un magistrat du TGI, lequel était assisté par deux assesseurs, représentants respectivement les salariés et les employeurs.
Le taux de ressort des TASS était également de 4 000 €.
Les compétences des TASS ont été transférées au pôle social des tribunaux judiciaires,. Le pôle social du TJ est lui aussi organisé sur le mode paritaire, avec 2 assesseurs représentant salariés et employeurs. Toutefois, à la différence des anciens TASS le taux de ressort des TJ a été portée à 5 000 €.
2. Les juridictions à compétence générale
Les juridictions à compétence générale sont également appelées juridictions de droit commun. Cela signifie qu’elles ont à connaître de toutes les matières qui ne sont pas spécialement réservées aux autres tribunaux par une compétence spéciale (c’est-à-dire toutes les affaires qui ne sont pas des litiges entre commerçants, ni entre employeurs et salariés, qui ne concernent pas les baux ruraux). Leur compétence se répartit en fonction de la matière concernée et de l'enjeu financier du litige. Il s'agit du tribunal de grande instance (TGI) (a) et du tribunal d'instance (TI) (b).
Une importante réforme est entrée en vigueur le 1er janvier 2020, qui a fusionné ces deux juridictions en un seul tribunal judiciaire (c).
a) Les tribunaux de grande instance (TGI)
Jusqu'à la réforme de 2020, les TGI avaient une compétence générale et une compétence exclusive :
- Conformément à leur statut de juridiction de droit commun, les TGI étaient d'abord compétents dans toutes les matières personnelles ou mobilières qui ne sont pas du ressort des tribunaux spéciaux, pour les litiges dont l’enjeu dépasse 10 000 euros. C'était donc le tribunal des gros litiges civils
- En plus de cette compétence générale, les TGI avaient une compétence exclusive dans certaines matières (c'est-à-dire indépendamment du montant de l'affaire). Ainsi, tout ce qui concerne :
- le droit de la famille,
- le droit de la nationalité,
- le droit immobilier,
- la propriété littéraire et artistique... relevaient de la compétence exclusive du TGI.
- Le TGI comprenait en outre des formations spécialisées, qui statuaient à juge unique : ainsi, le Juge aux Affaires Familiales (JAF), le Juge de l'expropriation, le Juge des enfants (pour toutes les demandes relatives à l'assistance éducative), le Juge des tutelles pour mineurs (demande d'émancipation, gestion des biens du mineur).
Taux de ressort : Dans les matières où il a une compétence exclusive, le TGI statuait en 1er et dernier ressort (sans possibilité d'appel) si l’enjeu était inférieur à 4 000 euros.
b) Les tribunaux d’instance (TI)
- Jusqu'à la réforme de 2020, les tribunaux d'instance avaient d'abord une compétence générale : ils étaient compétents pour toutes les affaires personnelles et mobilières dont l’enjeu était inférieur ou égal à 10 000 euros C'était donc le tribunal des petits litiges civils.
Ex.Petits accidents de la circulation, dettes impayées, livraisons non conformes de biens mobiliers, etc.
- Les tribunaux d'instance avaient également une compétence spéciale exclusive (quel que soit l'enjeu financier) dans certains domaines précis :
- par exemple les litiges entre propriétaire et locataire à propos d'un bail d'habitation (paiement du loyer, résiliation du bail),
- les actions en bornage d'un terrain,
- les litiges relatifs aux crédits à la consommation...
- Le tribunal d'instance abrite enfin le juge des tutelles pour les majeurs : celui-ci statue sur les affaires civiles relatives aux majeurs incapables (tutelle, curatelle, sauvegarde de justice).
Taux de ressort : Les tribunaux d'instance statuaient en premier et dernier ressort sur les litiges dont l'enjeu ne dépassait pas 4 000 euros.
Les tribunaux d’instance avaient la particularité de statuer à juge unique.
En janvier 2020 les TI ont fusionné avec les TGI au sein des "tribunaux judiciaires". Leur compétence matérielle a été transférée aux "Juges des contentieux de la protection" qui siègent dans les TJ.
c) La réforme de 2020 : la création des tribunaux judiciaires (TJ)
La "loi de programmation 2018-2022 et de réforme de la justice" du 23 mars 2019 a prévu la fusion des TGI et des TI en une juridiction unique : le tribunal judiciaire. Cette réforme est entrée en vigueur en janvier 2020.
1° ) La compétence du tribunal judiciaire
Compétence d'attribution : Le tribunal judiciaire regroupe les compétences des anciens TI et TGI. Il est donc compétent pour :
Le tribunal judiciaire est donc le tribunal civil de tous les litiges qui ne relèvent pas de la compétence des tribunaux spéciaux, quel que soit le montant du litige.
Donc le TJ est compétent pour tout ce qui ne concerne ni les actes de commerce ou les litiges entre commerçants (qui relèvent du Tribunal de commerce), ni les litiges entre employeurs et employés à l'occasion d'un contrat de travail (compétence du Conseil de Prud'hommes), ni les baux ruraux (tribunal paritaire des baux ruraux).
Il sera notamment saisi des litiges concernant le droit des personnes et de la famille, la propriété immobilière, les conflits de voisinage... mais également le contentieux de la sécurité sociale et des aides sociales, autrefois dévolu aux TASS.
Compétence territoriale : La compétence territoriale du TJ est, en principe, celle du département.
2°) Le taux de ressort
Le tribunal judiciaire statue en premier et dernier ressort, c'est-à-dire sans possibilité d'appel, pour tous les litiges relevant de sa compétence et dont l'enjeu total est inférieur ou égal à 5 000 €.
3°) Les juges spécialisés au sein du tribunal judiciaire
Au sein du tribunal judiciaire on trouve différents magistrats spécialisés, tels que le Président, le Juge aux affaires familiales (JAF) et le Juge de l'exécution (JEX).
La loi de programmation judiciaire a ajouté un magistrat particulier : Le Juge des contentieux de la protection (JCP).
Il reprendra les compétences de l'ancien Juge des tutelles (protection des majeurs), ainsi que ce qui concerne :
- les litiges locatifs
- le surrendettement des particuliers
- les crédits aux particuliers...
On peut donc dire que le Juge des contentieux et de la protection reprend les compétences de l'ancien Tribunal d'instance.
4°) Les tribunaux de proximité (TP)
Dans les cas où, avant la réforme, le Tribunal d'instance siégeait dans un département dépourvu de TGI, alors ces TI sont généralement devenus un "Tribunal de proximité" (TP) qui constitue en quelque sorte une "annexe" du tribunal judiciaire auquel il est rattaché.
Ces tribunaux de proximité ne sont toutefois compétents que pour les litiges n'excédant pas 10 000 €.
B. Les Juridictions Répressives
Les juridictions répressives sont chargées de sanctionner les infractions commises contre le droit pénal. Le droit pénal réprime les atteintes à l’ordre public, à la santé publique et à la sécurité publique. Ces infractions sont classées en trois catégories, en fonction de leur gravité, et sont jugées par des juridictions distinctes.
1. Les catégories d'infractions
- Les contraventions sont jugées par le tribunal de Police, qui est une chambre du tribunal judiciaire (du TGI jusqu'au 01/01/20, date d'entrée en vigueur de la réforme).
- Les délits sont jugés par le tribunal correctionnel, qui est également rattaché au tribunal judiciaire (ex-TGI).
- Les crimes sont les infractions les plus graves, et sont jugés en principe par des Cours d’assises. Une réforme de 2019 a créé, à titre expérimental, une nouvelle catégorie de juridictions compétentes pour juger certains crimes : les cours criminelles.
En savoir plus
Une des particularités de la procédure pénale est qu'elle donne lieu à une stricte séparation des fonctions et des organes. Aux fonctions de poursuite, confiées au Ministère public qui a la charge de mettre en mouvement et d'exercer l'action publique, s'opposent les fonctions d'instruction, confiées au juge d'instruction pour rassembler les preuves et décider de la poursuite de la procédure, et les fonctions de jugement, qui consistent à se prononcer sur la culpabilité et sur la sanction à appliquer. Les deux dernières fonctions sont confiées à des organes juridictionnels. Un juge qui aurait participé à l'instruction n'est pas admis à participer à la phase de jugement.
2. Les juridictions répressives de droit commun
- Le Tribunal de Police et le Tribunal correctionnel sont des juridictions composées uniquement de magistrats professionnels. Les jugements du Tribunal de Police et du Tribunal correctionnel sont susceptibles d’appel, devant une chambre de la Cour d'appel dans le ressort duquel ils sont localisés.
- Les Cours d’assises sont composées de 3 magistrats professionnels, et de six jurés tirés au sort pour chaque affaire. Un avocat général représente l'Etat. La Cour d'assises n'est pas une juridiction permanente, elle se réunit par sessions, qui ont lieu généralement tous les trois mois, au chef-lieu du département. Elle est compétente pour juger les crimes de droit commun commis par les adultes. Jusqu’en 2001, les arrêts de Cour d’assises n’étaient pas susceptibles d’appel. On considérait en effet que la décision d'un "jury populaire" ne pouvait, par principe, être remise en question. Mais on est revenus sur cette vision un peu optimiste de la clairvoyance du juré, et une loi entrée en vigueur le 1er janvier 2001 prévoit la possibilité de faire appel devant des cours d’assises d’appel composées d’autres jurés (9 personnes, soit 3 de plus qu'en 1ère instance).
En savoir plus
Les jurés d'assises sont tirés au sort parmi les citoyens français de plus de 23 ans inscrits sur les listes électorales. Sont exclues :
- Les personnes ayant été condamnées pour un crime ou un délit à une peine de prison supérieure à 6 mois.
- Certaines personnes en raison de leur fonction, profession ou situation personnelle.Ex.Ex : les membres du gouvernement, les députés et sénateurs, les magistrats, les fonctionnaires des services de police, les militaires et les fonctionnaires de l’administration pénitentiaire ; les citoyens qui ont déjà été jurés dans le même département au cours des 5 dernières années.
On ne peut pas refuser d'être juré. Seuls quelques motifs dûment justifiés permettent d'obtenir une dispense de ce qu'on considère comme un devoir civique. Ainsi l'âge (+ 70 ans), la maladie (sur certificat médical), ou d'impérieuses raisons d'ordre professionnel ou familial, peuvent justifier la dispense. L'employeur d'un salarié désigné comme juré ne peut l'empêcher de se rendre aux sessions d'assises. La non-présentation d'un juré (hors motif grave) à une session est passible d'une amende de 3 750 €.
-
La loi de programmation du 23 mars 2019 a instauré des Cours criminelles départementales (CCD) compétentes pour juger les crimes frappés d'une peine de 15 ou 20 ans de réclusion commis sans récidive. Cela concerne essentiellement les viols, les homicides involontaires, les vols à main armée ou les actes de torture ou de barbarie, qui ensemble représentent environ 57 % des affaires traitées en Cour d'assises chaque année.
L'objectif annoncé était d'accélérer la procédure criminelle, en évitant la constitution de jurys populaires. En effet, les nouvelles cours criminelles sont uniquement constituées de 5 magistrats professionnels.
Cette mesure était conduite de manière expérimentale, pour une durée de 3 ans. Elle a rapidement été contestée par les professionnels, qui critiquent l'éviction des jurys populaires (symbole républicain) et considèrent en outre que la justice doit prendre son temps quand il s'agit de juger des criminels.
Sans attendre la fin du délai d'expérimentation, la loi a généralisé les CCD, qui ont été étendus à tous les départements à compter de janvier 2023. Pourtant les premiers bilans n'étaient pas vraiment favorables :- Les CCD mobilisent 5 magistrats au lieu de 3,
- Le temps économisé dans la procédure ne serait que de 12 % en moyenne,
- Le taux d'appel s'avère plus élevé que dans les Cours d'assises (ce qui dénote plus de défiance de la part des justiciables) donc perte de temps pour les juges d'appel.
3. Les juridictions répressives d'exception
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Les juridictions répressives d'exception. Il en existe plusieurs. Parmi les principales :
- Les juridictions pour mineurs : le Juge des enfants, le Tribunal pour enfants (présidé par le Juge des enfants + deux assesseurs non professionnels) et la Cour d'assises des mineurs (3 magistrats et 9 jurés).
- La Cour de justice de la République, composée de parlementaires et de trois magistrats de la Cour de cassation. Elle est compétente pour juger les ministres coupables de crimes ou délits commis dans l'exercice de leurs fonctions.
- Les juridictions pour mineurs : le Juge des enfants, le Tribunal pour enfants (présidé par le Juge des enfants + deux assesseurs non professionnels) et la Cour d'assises des mineurs (3 magistrats et 9 jurés).
JURIDICTIONS DE PREMIERE INSTANCE
JURIDICTIONS CIVILES DE DROIT COMMUN
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JURIDICTIONS CIVILES SPÉCIALISÉES
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JURIDICTIONS PENALES DE DROIT COMMUN
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JURIDICTION PENALES D'EXCEPTION
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Jusqu'au 31 décembre 2019 : TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE (TGI)
| TRIBUNAL DE COMMERCE (TC)
Litiges entre commerçants ou survenus à propos de l'exécution d'un acte de commerce. | COUR D'ASSISES
Crimes commis par des adultes, passibles de la réclusion criminelle à temps, jusqu'à la perpétuité. | JURIDICTIONS POUR MINEURS
Juge des enfants Tribunal pour enfants Cour d'assises des mineurs |
Jusqu'au 31 décembre 2019 : TRIBUNAL d'INSTANCE (TI)
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CONSEIL DES PRUD'HOMMES (CPH) Litiges individuels entre un salarié et un employeur survenus à l'occasion du contrat de travail. | COUR CRIMINELLE DÉPARTEMENTALE (CDC)
Crimes commis par des adultes et frappés d’une peine de 15 ans ou 20 ans de réclusion, commis sans récidive. | COUR DE JUSTICE DE LA REPUBLIQUE
Ministres coupables de crimes ou délits commis dans l'exercice de leurs fonctions.
Ex.En novembre 2023 s'ouvre le procès devant la CJR d'Eric Dupont-Moretti, soupçonné d'avoir utilisé ses fonctions de Ministre de la Justice pour faire pression sur des magistrats avec lesquels il avait eu des différends lorsqu'il était avocat pénaliste.
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A COMPTER DU 1er JANVIER 2020 : TRIBUNAL JUDICIAIRE (TJ)
| TRIBUNAL PARITAIRE DES BAUX RURAUX (TPBR) Litiges entre propriétaires et exploitants de terre ou de bâtiment agricole à propos d'un bail rural. | TRIBUNAL CORRECTIONNEL
Délits, passibles d'emprisonnement jusqu'à 10 ans et d'autres peines (amendes, travail d'intérêt général, interdictions diverses). |
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TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE (TASS) Litiges entre les organismes de sécurité sociale et les usagers (supprimé en janvier 2019). | TRIBUNAL DE POLICE
Contraventions de 5ème classe (classes 1 à 5, à compter du 1er janvier 2013), passibles d'amendes. |
C. Les rapports entre les juridictions répressives et les juridictions civiles
Il est permis à ce stade de se demander pour quelle raison on ne parle pas d’ordre juridictionnel répressif, comme on parle d’ordre juridictionnel administratif et d’ordre juridictionnel judiciaire.
C’est que les liens entre les tribunaux civils et répressifs sont très étroits, ce qui empêche qu’on puisse les considérer comme véritablement autonomes l’un de l’autre.
Il existe ainsi un principe d’unité des juridictions civiles et répressives.
Ce principe trouve des illustrations à plusieurs niveaux :
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Unité de personnel
Le principe d’unité des juridictions civiles et pénales apparaît en premier lieu lorsque l’on examine de près la composition des juridictions civiles et répressives des 1er et 2nd degrés : ainsi les magistrats sont-ils communs aux deux types de juridictions, et cela est vrai aussi bien pour ceux qui jugent (magistrats du siège) que pour ceux qui font valoir des observations au nom de la société et de l’intérêt général (Ministère public, ou magistrats du parquet : procureurs, substituts et avocats généraux).
Ce sont donc en principe les mêmes personnes qui jugent et conseillent, quelle que soit la matière civile ou répressive.
Rq.La seule différence notable est que le Ministère public intervient toujours dans un procès pénal (car il s’agit avant tout de sanctionner une atteinte aux intérêts de la société). Il n’intervient pas systématiquement en matière civile (où il est davantage question d’arbitrer entre des intérêts privés).
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Unité de lieu
En regardant encore de plus près l'organisation judiciaire, on se rend compte que les juridictions répressives ne constituent qu’une chambre particulière des juridictions civiles.
Ainsi, le Tribunal de police, qui juge les contraventions, n’est rien d’autre que le tribunal judiciaire (ex-TGI) statuant au pénal.
De même, le Tribunal correctionnel, qui sanctionne les délits, est également une chambre du tribunal judiciaire (ex-TGI).
De plus, il existe dans toutes les Cours d’appel une chambre correctionnelle qui connaît des appels formés en matière pénale.
Enfin, les juridictions civiles et répressives sont toutes deux soumises à l’autorité de la Cour de cassation, qui, bien qu’elle soit composée de différentes chambres spécialisées, n’en reste pas moins unique.
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Unité de règles ?
La question est posée sur le mode interrogatif, et l'on connait déjà les premiers éléments de réponse :
- Ainsi on sait que les juridictions répressives sont principalement chargées d’appliquer le droit pénal, qui sanctionne les atteintes à l’ordre public, et qu'en principe les juridictions civiles appliquent le droit civil (au sens large), qui gouvernent les litiges entre particuliers. Les règles de droit appliquées par les deux juridictions sont donc a priori fondamentalement différentes.
- Les sanctions sont également différentes : alors que les tribunaux répressifs sont habilités à condamner l’accusé à une amende et/ou à une peine de prison, les tribunaux civils peuvent uniquement condamner une des parties à payer à l’autre des dommages et intérêts.
Rq.L’amende fixée par le tribunal répressif a uniquement une fonction de sanction, et ne viendra pas indemniser la victime, contrairement aux dommages et intérêts, qui doivent réparer le dommage subi. Tandis que l’amende est versée à l’Etat, les dommages et intérêts sont attribués à la victime. - Les règles de procédure sont également différentes :
Df.La procédure est l'ensemble des règles à respecter pour la conduite d’un procès. Elles comprennent les règles relatives à l'organisation judiciaire, à la compétence, à l'instruction des procès, et à l'exécution des décisions. Ce sont en quelque sorte les règles du jeu du procès.
- La procédure civile est plutôt de type accusatoire, c’est-à-dire que le juge a globalement une attitude passive, et que c’est aux parties de conduire le procès, de solliciter les mesures d’instruction, de rechercher et d’apporter les preuves nécessaires au succès de leurs prétentions respectives. Le juge arbitre entre deux parties privées (généralement représentées par leurs avocats).
- Au contraire, la procédure pénale est principalement de type inquisitoire, au moins dans la phase d'instruction : le prévenu ou l'accusé est par principe présumé innocent, et le jugement est précédé d’une phase d’instruction au cours de laquelle le juge d’instruction doit rechercher les preuves de la culpabilité ou de l'innocence du suspect. La phase de jugement est quant à elle plutôt de type accusatoire : Le juge pénal arbitre entre l’intérêt général - défendu par le ministère public - et le prévenu ou l'accusé - représenté par l’avocat de la défense.
- Les tribunaux civils ne peuvent jamais faire application du droit pénal. Si, à l’occasion d’une affaire, un problème de droit pénal est soulevé, il se pose alors ce que l’on appelle une question préjudicielle, et le tribunal civil doit surseoir à statuer (i.e. suspendre sa décision) en attendant que le tribunal répressif se prononce sur ce point.
MAIS l’inverse n’est pas vrai : il a toujours été admis en droit français que les juridictions répressives sont en principe compétentes pour statuer sur les intérêts civils à l’occasion d’une infraction qui leur est soumise.
Ex.Une altercation entre voisins. L’un frappe l’autre et le blesse. Il pourra être condamné par le juge répressif à une sanction pénale pour coups et blessures. Si la victime se constitue partie civile, le tribunal correctionnel pourra également lui octroyer des dommages et intérêts. Les juridictions répressives peuvent donc statuer à la fois sur l’action pénale et sur l’action civile.
§3. Les juridictions du second degré : les cours d’appel
A. Définitions
Les Cours d'appel existent en application du principe du double degré de juridiction. Ce principe fondamental implique que tout plaideur a le droit de faire rejuger son affaire par une juridiction d'un degré supérieur habilitée à réformer la décision de première instance.
Ce principe n'existe cependant qu'à partir d'un certain taux de ressort
Il découle de cette exigence du double degré de juridiction :
- que la Cour d'appel est susceptible de rejuger l'affaire en son entier (c'est ce qu'on appelle l'effet dévolutif de l'appel). Elle n'est cependant saisie que des points du jugement qui sont critiqués par l'appelant.
- que les parties ne peuvent pas former de demande nouvelle devant la Cour d'appel.
B. Composition et fonctionnement des cours d'appel
Il existe 36 Cours d’appel (30 en métropole, 6 dans les départements et collectivités d'outre-mer) et un Tribunal supérieur d'appel (à St Pierre et Miquelon). La compétence territoriale de chaque Cour d'appel s'étend sur plusieurs départements (de 2 à 4). La réforme de la carte judiciaire, qui ne souhaitait conserver qu'une Cour d'appel par région administrative (26), a suscité de fortes oppositions et a finalement été abandonnée.
Les Cours d'appel sont composées de différentes chambres (civile, sociale, commerciale, pénale) spécialisées, qui peuvent donc statuer sur les appels formés contre les décisions de toutes les juridictions civiles et pénales de première instance de leur ressort.
Exception : les appels des décisions de cours d'assises sont examinés par une autre cour d'assises, autrement composée.
En général, les arrêts d’appel sont rendus par 3 magistrats professionnels (un Président de chambre assisté de deux conseillers). Le Ministère public est représenté par un procureur général ou l'un de ses avocats généraux ou substituts généraux. Les affaires dites "en audience solennelle" sont rendues par cinq magistrats.
C. Effet suspensif de l'appel
En principe, pendant l'écoulement du délai d'appel, l'exécution de la décision de première instance est suspendue.
Il en est de même si l'une des parties exerce son droit de faire appel dans les délais : la décision sera suspendue jusqu'à ce que la Cour d'appel ait rendu son arrêt.
C'est ce que l'on appelle l'effet suspensif de l'appel. La partie qui a été condamnée en première instance n'a donc pas à s'exécuter tant que le délai d'appel n'est pas écoulé, ou, si l'appel est interjeté, tant que la Cour d'appel n'a pas rendu sa décision.
Il existe de nombreuses exceptions à ce principe.
Dans certaines matières, pour des raisons pratiques, l'effet suspensif est modifié : en droit de la famille ou en droit des procédures collectives.
§4. La cassation
L’existence d'un second degré de juridiction (appel) permet de multiplier les chances que la justice soit bien rendue. Mais encore faut-il que la justice soit rendue de la même façon quelle que soit la juridiction. La promulgation d’un Code civil unique aurait manqué son objectif si chaque tribunal en faisait une interprétation personnelle. Pour éviter qu’un même litige soit traité différemment par la Cour d'appel de Paris et celle de Marseille (ou Lille, ou Toulouse...), la Cour de cassation a été instituée pour assurer une unité dans l’application des règles de droit.
A. Composition de la cour de cassation
L'article L. 411-1 du Code de l’organisation judiciaire (COJ) énonce :
La Cour de cassation, qui siège dans l'enceinte du Palais de justice à Paris (quai de l'Horloge, dans l'Ile de la Cité), connaît donc de toutes les décisions rendues en dernier ressort par toutes les juridictions civiles ou répressives du territoire national.
Elle est composée de 6 chambres :
- 3 chambres civiles, qui sont chacune spécialisées (en droit de la famille, en responsabilité civile et sécurité sociale, et droit immobilier) et qui ensemble connaissent de toutes les décisions rendues initialement par les Tribunaux judiciaires.
- Une chambre sociale, qui statue sur les décisions rendues en matière de droit du travail (Conseil des Prud'hommes)
- Une chambre commerciale compétente pour le droit commercial (Tribunal de commerce) ;
- Une chambre criminelle, qui connaît des décisions rendues par les juridictions répressives.
Chaque chambre comprend un président et plusieurs conseillers. Le parquet est représenté par un Procureur général, assisté d'avocats généraux.
- Si en principe les arrêts ne peuvent être rendus que lorsque 5 membres au moins sont présents, il peut arriver que les chambres statuent en formation restreinte, composée seulement de 3 magistrats (« lorsque la solution s'impose » nous dit l'article L. 431-1 du COJ). Ces formations restreintes ont été instituées pour remédier à l'encombrement de la Cour.
- Lorsqu’une affaire pose une question relevant des attributions de différentes chambres, ou si la même question a reçu des réponses différentes dans les différentes chambres, la Cour de cassation se réunit en Chambre mixte, qui comprend les présidents et deux conseillers de chaque chambre concernée.
- Lorsque la Cour de cassation se réunit en Assemblée plénière, elle comprend tous les présidents, et un conseiller de chaque chambre.
- Lorsque l'affaire soulève une importante question juridique (i.e. une question de principe).
- Lorsque, après cassation d'un premier arrêt, la décision de renvoi est attaquée par les mêmes moyens (v. infra, le mécanisme du renvoi).
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B. Rôle de la Cour de cassation
La Cour de cassation assure essentiellement le contrôle de l'application des loi par les juges du fond. Elle peut également être consultée a priori pour donner son avis aux juridictions du fond sur une question de droit particulière.
1. Le contrôle de l’application des lois
La principale mission de la Cour de cassation est de contrôler la bonne application des lois par les juridictions des 1er et 2nd degrés. De ce fait, elle assure non seulement le respect des lois, mais aussi l’unité d’interprétation de la loi dans tout le territoire français.
La Cour de cassation contrôle ainsi le choix de la loi applicable, l'interprétation de cette loi par les juridictions du fond, et la motivation des décisions.
- Le contrôle du choix de la loi applicable.
Il peut arriver que le juge du fond se trompe sur la loi applicable au litige.
- Le contrôle de l’interprétation de la loi.
Les lois ne peuvent pas prévoir toutes les situations humaines, et elles utilisent parfois un vocabulaire qui demande à être précisé, et interprété pour pouvoir être appliqué au cas d'espèce :
- La question s’est rapidement posée devant les tribunaux de savoir ce qu’on entendait par "conducteur". Par exemple, est-ce que celui qui a coupé le contact et est heurté par un autre véhicule alors qu'il est en train de descendre de son véhicule, doit toujours être regardé comme un conducteur ?
- La Cour de cassation indique ici comment il faut interpréter la loi, et cassera les arrêts ne respectant pas cette interprétation.
- Le contrôle de la motivation des décisions.
Il est nécessaire que les juges du fond (= 1ère instance et Cour d'appel) donnent les motifs de leur décision, d'abord pour que les justiciables puissent la comprendre, ensuite pour que la Cour de cassation puisse effectuer son contrôle.
- Les juges sont ainsi tenus de répondre aux conclusions des parties.Df.Les conclusions sont l'ensemble des prétentions et arguments présentées à l'oral ou à l'écrit par les parties à un procès. Devant la Cour de cassation, la procédure est entièrement écrite (pas de plaidoiries). Les conclusions sont rédigées par des avocats spécialisés, que l'on appelle avocats aux Conseils.Les juges doivent répondre à tous ces arguments, dès lors qu'ils sont suffisamment construits. A défaut, la décision sera cassée pour « défaut de réponse à conclusions ».
- Les juges du fond doivent en outre vérifier que toutes les conditions d’application requises par la loi sont remplies en l’espèce.Ex.L'article 1382 anc. du Code civil, qui est l'un des articles les plus célèbres du Code (aujourd'hui remplacé par l'article 1240), dispose que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». Pour qu’un individu A soit condamné à payer des dommages et intérêts à un individu B, il faut la réunion de trois conditions : une faute, un dommage, et un lien de causalité entre les deux.
La Cour d’appel qui se borne à constater que B a subi un dommage et que A a commis une faute, sera exposée à la censure de la Cour de cassation (même si au final sa décision est juste) car elle n’aura pas vérifié que c’est la faute de A qui est à l’origine du dommage subi par B (lien de causalité). La cassation sera ici encourue au motif d’un "défaut de base légale" (i.e. la Cour n’a pas donné de base légale à sa décision puisqu'elle n'a pas vérifié que toutes les conditions requises par la loi ont été remplies en l’espèce).
Ce rôle principal s’exerce a posteriori, c’est-à-dire après que les juridictions des 1er et 2nd degrés ont rendu leur décision.
Mais il arrive que la Cour de cassation intervienne avant même que la Cour d’appel ne se prononce, en lui donnant a priori un avis sur la façon dont la Cour d’appel doit juger. C'est la procédure de la saisine pour avis.
2. La saisine pour avis de la Cour de cassation
Un des problèmes majeurs du système juridictionnel français est celui de l’encombrement des tribunaux : un nombre toujours croissant d’affaires est porté devant les tribunaux, alors que le nombre de magistrats et les moyens de la justice en général sont insuffisants et n'augmentent pas en proportion. La Cour de cassation n’échappe pas à ce problème, et il fallait en moyenne 20 mois pour qu’un pourvoi en cassation aboutisse à un arrêt de rejet ou de cassation (chiffres 2001). On a vu des affaires qui, de pourvoi en renvoi, duraient plus de 10 ans.
Pour limiter le nombre de pourvois on a institué (outre le système de la formation restreinte) un mécanisme de consultation préalable de la Cour de cassation par les juridictions du fond (1er et second degré). La loi du 15 mai 1991 a ainsi permis à ces juridictions de saisir la Cour de cassation dès qu’elles sont confrontées à une question de droit nouvelle ou présentant des difficultés sérieuses. Pour éviter que sa décision ne soit frappée d’un pourvoi, la juridiction pose la question d’interprétation à la Cour de cassation, et sursoit à statuer (i.e. il suspend sa décision) jusqu’à réception de l’avis, ou expiration d’un délai de trois mois.
L’avis rendu par la Cour de cassation ne lie pas le juge du fond. Mais si il respecte cet avis, il est clair que les plaideurs seront moins tentés de faire un pourvoi en cassation contre une décision qui est par hypothèse conforme à la politique de la Cour de cassation. En effet le pourvoi est a priori voué à l’échec.
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C. Le mécanisme du renvoi
Mme X veut divorcer. M. X ne le veut pas. La Cour d’appel estime que c’est Mme X qui a trompé son mari, qu’elle est donc fautive, et prononce le divorce aux torts exclusifs de l’épouse.
M. X forme un pourvoi en cassation, et la Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel au motif que celle-ci a violé l’article 245 du Code civil. La Cour de cassation, qui n’est pas un 3ème degré de juridiction, renvoie l’affaire devant une autre Cour d’appel, appelée Cour de renvoi, pour que l’affaire soit à nouveau jugée en fait et en droit.
A ce stade, la Cour d’appel de renvoi n'est en principe pas liée par la décision de la Cour de cassation (sauf si celle-ci a statué en Assemblée plénière sur une question majeure). La Cour d'appel va donc réexaminer l’affaire en fait et en droit, et rendre sa décision, en toute indépendance.
- Si la Cour d’appel de renvoi (appelons-la la Cour d’appel B) suit la solution préconisée par la Cour de cassation, et prononce le divorce aux torts partagés, l’affaire est terminée.
- Si au contraire la Cour d’appel B reprend la même solution que la Cour d’appel A, alors un nouveau pourvoi en cassation est possible.
La Cour de cassation se réunit alors en Assemblée plénière, qui comprend les présidents et deux conseillers de toutes les chambres.
- Si la Cour de cassation casse une nouvelle fois l’arrêt B, elle renvoie devant une troisième Cour d’appel, qui elle sera tenue de suivre la solution préconisée par la Cour de cassation. L’affaire est terminée.
- Si au contraire la Cour de cassation rejette le pourvoi, il n’y a pas de renvoi. L’affaire est terminée, mais il s’est passé quelque chose de notable : entre le premier pourvoi et le second, la Cour de cassation s’est contredite. Elle a en effet d’abord réfuté la solution préconisée par A, et ensuite approuvé cette même solution.
En savoir plus
Toutes les décisions judiciaires ne sont pas construites de la même façon. Leur structure commande la façon dont devra être élaborée la fiche d’arrêt (ou fiche de jurisprudence) :
I- Toutes les décisions des juges du fond (= 1ère instance et Cour d’appel) sont construites selon un schéma unique, retraçant à la fois les faits et le droit :
- les faits,
- la procédure (= ce qu’a décidé la juridiction précédente),
- l’exposé des demandes des parties (demandeur et défendeur),
- les moyens (= arguments) proposés au soutien des demandes,
- les motifs de la décision de la juridiction,
- le dispositif (= la solution).
II- La décision de la Cour de cassation se présente de façon différente : la Cour tient pour acquis les faits retenus par les juges du fond, et veille seulement à l’application de la loi.
A - L’arrêt de cassation doit justifier la censure de l’arrêt d’appel qui lui est soumis. Il se présente généralement ainsi :
- Visa (= texte qui sert de référence à la décision).
- Chapeau (= règle de droit applicable à l’espèce).
- Enoncé des faits retenus par la Cour d’appel.
- Examen de l’argumentation et de la solution retenue par la Cour d’appel.
- Motifs de la cassation.
- Dispositif (« Par ces motifs, casse et annule, et renvoie devant la Cour d’appel de … »).
L'arrêt de cassation se présente donc comme un "dialogue" entre la Cour d'appel et la Cour de cassation, celle-ci justifiant la censure du premier arrêt. Le moyen de cassation n'apparait pas de façon explicite.
« LA COUR : Sur le moyen unique (1) Vu l’art. 1382 du C. civ. (2) Attendu que ce texte ordonnant que l’auteur de tout fait ayant causé un dommage à autrui sera tenu de le réparer, n’exige pas, en cas de décès, l’existence d’un lien de droit entre le défunt et le demandeur en indemnisation (3) Attendu que l’arrêt attaqué, statuant sur la demande de la dame Gaudras en réparation du préjudice résultant pour elle de la mort de son concubin Paillette, tué dans un accident de la circulation, dont Dangereux a été jugé responsable, (4) a infirmé le jugement de 1ère instance qui avait fait droit à cette demande en retenant que ce concubinage offrait des garanties de stabilité et ne présentait pas de caractère délictueux, et a débouté ladite dame Gaudras de son action, au seul motif que le concubinage ne crée pas de droit entre les concubins, ni à leur profit ni vis-a-vis des tiers (5) Qu’en subordonnant ainsi l’application de l’article 1382 à une condition qu’il ne contient pas, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ;
(6) Par ces motifs, casse l’arrêt de la Cour d’appel de …. et renvoie devant la Cour d’appel de Reims. »
B- L’arrêt de rejet doit justifier le rejet du pourvoi. Il doit donc examiner chacun des moyens :
- Pas de visa.
- Rappel des faits retenus par la Cour d’appel, et solution de l’arrêt critiqué.
- Moyens invoqués par le pourvoi, et contenant une critique de l’arrêt d’appel (commence par ces termes : « alors que, d’une part… alors que d’autre part… » etc.).
- Réfutation du ou des moyens par la Cour de cassation (commence par ces termes : « mais attendu que »).
- Motifs du rejet.
- Dispositif (« Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l’arrêt… »).
« Sur le moyen unique : (2) Attendu, selon l’arrêt infirmatif attaqué, que dame Cargolès fut mordue par le chien de Mougnibas, dans la propriété de dame Dejean, à laquelle celui-ci avait été confié ; qu’elle a demandé réparation de son préjudice à Mougnibas et à son assureur, la Compagnie l’Equité ;
Attendu que dame Cargolès fait grief à la Cour d’appel de l’avoir déboutée (3) alors que les constatations de l’arrêt ne permettaient pas d’établir la faute irrésistible et imprévisible de la victime, de nature à exonérer le propriétaire de l’animal – la Cour d’appel n’ayant pas relevé que l’accès de la villa eût été interdite, ni que la victime n’eût pas pu se croire autorisée à pénétrer dans ladite villa ;
(4) Mais attendu que l’arrêt relève que dame Cargolès, qui faisait du colportage, et à qui dame Dejean n’avait pas ouvert le portail, profita de ce que celle-ci avait le dos tourné, pour s’introduire dans le jardin clôturé de la villa, bien qu’un écriteau « Chien méchant » s’y trouvât apposé et que le chien-loup de Mougnibas fût en liberté et aboyât ; (5) Que de ces constations et énonciations, la Cour d’appel a pu déclarer que dame Cargolès avait commis une imprudence que le gardien du chien ne pouvait ni prévoir ni empêcher, exonérant entièrement Mougnibas de la responsabilité par lui encourue par application de l’article 1385 du Code civil ;
(6) PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi formé contre l’arrêt rendu le 28 mai 1976 par la Cour d’appel de Toulouse. »