Le cas de l'œuvre plurale
Si la création du contenu protégé est l'œuvre de plusieurs personnes, l'article L113-2 du CPI prévoit 3 cas de figure :
1. L'œuvre de collaboration
Définition :
Selon l'article L113-2, alinéa 1 du CPI, « est dite de collaboration l'œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques »
.
Important :
Il s'agit donc d'un processus de création horizontal où, en vertu de l'article L113-3 du CPI, « « les coauteurs doivent exercer leurs droits d'un commun accord »
» suivant les principes de l'indivision et de l'unanimité. De ce fait, « « l'œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs »
» et en cas de litige, le recours au juge civil s'impose.
En d'autres termes, l'exercice des prérogatives tant patrimoniales que morales sur l'œuvre de collaboration exige un accord unanime et permanent entre les co-auteurs, pouvant le cas échéant conduire l'un des co-auteurs à céder contractuellement ses prérogatives patrimoniales à l'autre co-auteur et finalement mettre fin au processus collectif de création.
Exemple :
Cette situation peut se présenter si, par exemple, un professionnel du droit et un infographiste créent, en commun, une ressource numérique multimédia.
Remarque :
Bien que cela ne concerne qu'à la marge le thème de notre module de formation, il faut savoir que la loi admet « lorsque la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, (que) chacun peut, sauf convention contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à l'exploitation de l'œuvre commune »
.
2. L'œuvre collective
Définition :
Selon l'article L113-2, alinéa 3 du CPI, « est dite collective l'œuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé. »
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Important :
Il s'agit donc d'un processus de création vertical où, en vertu de l'article L113-5 du CPI « L'œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée »
.
Concrètement, un contenu numérique sera donc qualifié d'œuvre collective seulement si son processus de création réunit ces trois conditions suivantes :
- la création du contenu est à l'initiative d'une personne physique ou morale qui coordonne l'élaboration collective de l'œuvre ;
- les contributions individuelles des participants se fondent dans l'ensemble en vue duquel elles sont réalisées ;
- enfin, le contenu est diffusé ou divulgué sous le nom de l'initiateur.
: Jurisprudence
Ainsi, à l'exemple de l'élaboration d'un site internet (CA Versailles, 25 mars 2004[1]), la qualification d'œuvre collective sera retenue, du fait que la société est la personne morale à l'initiative du processus collectif du site et qu'aucune concertation n'existait entre les contributeurs. Et comme le confirme la Cour de cassation, les personnes morales, en l'occurrence concernant ce module, l'ensemble des professionnels du droit constitués en sociétés civiles ou commerciales, reconnues « à l'initiative d'une œuvre collective »
sont « investie des droits de l'auteur sur cette œuvre et, notamment, des prérogatives du droit moral »
. (Civ. 1ère, 22 mars 2012, pourvoi n° 11-10132[2]).
3. L'œuvre composite
Définition :
Selon l'article L113-2, alinéa 2 du CPI, « est dite composite l'œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière »
.
Important :
Il s'agit donc d'un processus de création discontinu dans le temps où, en vertu de l'article L113-4 du CPI, « l'œuvre composite est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée, sous réserve des droits de l'auteur de l'œuvre préexistante »
.
Stricto sensu, la qualification d'œuvre composite ne devrait donc être retenue que dans les situations où l'auteur de l'œuvre seconde intègre sans modification ou arrangement et dans sa totalité l'œuvre préexistante ou première. Il en est ainsi, lorsque le professionnel du droit, auteur d'un contenu protégé intègre, dans son œuvre seconde, une photographie, une carte, voire même l'article de doctrine d'un confrère reproduit in extenso.
: Jurisprudence
Ceci dit, la jurisprudence adopte quelquefois des positions moins strictes en admettant la qualification d'œuvre composite pour le cas de l'œuvre remaniée pour une nouvelle édition sans la collaboration de l'auteur de l'édition initiale (Civ. 1ère, 24 octobre 1995, pourvoi n°93-16850[3]).
Attention :
En effet, souvent la notion d'œuvre composite est confondue avec la notion d'œuvre dérivée issue de l'article 2 de la Convention de Berne, alors que l'œuvre composite n'est qu'un sous-ensemble particulier de la catégorie « œuvre dérivée ».
Plus précisément, l'œuvre dérivée ou de seconde main se caractérise par son processus de création incorporant une œuvre première totalement ou partiellement. Si l'intégration est totale et fidèle à l'œuvre initiale, l'œuvre dérivée peut être qualifiée d'œuvre composite. Mais, la notion d'œuvres dérivées comprend également d'autres cas d'intégration partielle ou « transformatrice ». Sont aussi qualifiés d'œuvres dérivés, les contenus créés suite à un travail intellectuel de traduction, de synthèse (abrégés et résumés), d'adaptation, d'arrangement ou de compilation (anthologies, recueils ou bases de données), à partir d'une ou plusieurs œuvres préexistantes. Ce type d'œuvres dérivées est visé par l'article L112-3 du CPI qui reconnaît à leurs auteurs la jouissance « de la protection instituée par le présent code (CPI) sans préjudice des droits de l'auteur de l'œuvre originale »
.
Remarque :
En pratique, par l'utilisation aisée des fonctionnalités logicielles du copier/coller, le professionnel du droit, auteur de contenus protégés, est donc plus souvent créateur de contenus qui peuvent être qualifiés d'œuvres dérivées plus que d'œuvres composites.
Pour conclure, sur cette confusion de qualification, ses conséquences pratiques sont pourtant mineures, car dans les deux cas, le droit exige l'autorisation préalable du titulaire des droits de l'œuvre préexistante pour son incorporation ou sa transformation. Et concernant l'œuvre première tombée dans le domaine public, l'autorisation préalable est toujours requise, dans la mesure où il y a atteinte du droit à l'intégrité de l'œuvre.