Les institutions de la III
e République furent balayées au début de la Seconde Guerre mondiale, en 1940. La IV
e République naît quant à elle avec l’entrée en vigueur de la
. Six années séparent donc le moment où les lois constitutionnelles de 1875 cessent de s’appliquer du moment où le peuple français adopte la Constitution de la IV
e République.
Que s’est-il passé pendant cette période dramatique et transitoire ? Un bref rappel historique s’impose, avant l’étude des institutions mises en place en 1946.
Au mois de mai 1940, la France est engagée dans le deuxième conflit mondial ; elle vit alors sous l’empire des lois constitutionnelles de 1875.
Albert Lebrun (1871-1950) est président de la République.
Albert Lebrun, président de la République du 10 mai 1932 au 10 juillet 1940. Source : https://www.elysee.fr
Paul Reynaud est président du Conseil, c’est-à-dire chef du Gouvernement. Sur le front, l’armée française subit des défaites importantes. Le 18 mai, Reynaud fait entrer le Maréchal Pétain au Gouvernement, en qualité de vice-président du Conseil. Artisan et grand vainqueur de la bataille de Verdun qui fut, en 1916, une victoire défensive de l’armée française, le Maréchal jouit alors d’un grand prestige dans l’opinion publique française.
Philippe Pétain (1856-1951). Source : https://www.larousse.fr
L'armée allemande envahit le territoire national ; au mois de juin, Paul Reynaud fait entrer le général de Gaulle au Gouvernement, comme sous-secrétaire d'État à la guerre et là défense nationale. À la mi-juin, les Allemands envahissent Paris.
Façade du Palais-Bourbon abritant alors la Chambre des députés (et aujourd’hui l’Assemblée nationale). Source : Archives de Paris.
Le 18 juin, l'armée allemande défile triomphalement sur les Champs-Élysées.
En savoir plus : Vidéo du défilé de l'armée allemande à Paris le 18 juin 1940
Le Gouvernement, qui a fui hors de la capitale, se réunit à Bordeaux, et il est alors divisé : faut-il signer un armistice avec Hitler, ou bien poursuivre la lutte armée ? Paul Reynaud était favorable à la poursuite des hostilités, Pétain à l'armistice ; il fut suivi par la majorité des ministres du Gouvernement. Mis en minorité, Paul Reynaud décide de présenter sa démission au président de la République, qui charge (le 16 juin 1940) Pétain de lui succéder et de constituer un nouveau Gouvernement, qui sera le dernier de la III
e République. L'armistice est signé le 22 juin 1940.
Le régime de la III
e République, qui n'avait pas pu empêcher la défaite face à l'Allemagne et qui avait connu les difficultés que l'on sait (cf. le chapitre précédent), est alors discrédité. Afin de rétablir l'autorité de l'État, le Maréchal Pétain décide de fonder un régime nouveau : l'État français, également connu sous l'appellation de « régime de Vichy » (les pouvoirs publics s'étaient alors installés à Vichy, du fait de l'occupation de Paris), dont il devait prendre la tête.
Pendant la période trouble qui sépare l'effondrement de la Constitution de 1875 de l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946, un autre régime devait contester à l'État français sa légitimité à exercer le pouvoir : par un appel radiodiffusé émis depuis Londres le 18 juin 1940, le général de Gaulle (qui, souvenons-nous, venait d'entrer dans le Gouvernement Reynaud comme sous-secrétaire d'État à la guerre et à la défense nationale et qui était alors en mission en Angleterre) appelait les Français à refuser la capitulation synonyme d'asservissement de la Patrie et à poursuivre la lutte contre l'Allemagne. Pour mener ce combat, De Gaulle devait fonder le régime de la « France libre ».
Pendant quatre ans (le gouvernement de Vichy s'effondre en 1944), se sont ainsi deux gouvernements qui vont s'opposer pour l'exercice effectif du pouvoir politique. D'un côté, un gouvernement de droit (ou légal), c'est-à-dire disposant d'une assise constitutionnelle (« l'État français », dirigé par le Maréchal Pétain) ; de l'autre, un gouvernement de fait, c'est-à-dire sans assise juridique, le gouvernement de la « France libre », dirigé par Charles De Gaulle.
Comment ces Gouvernements étaient-ils organisés ? L'intérêt, de ce point de vue, est principalement historique. Car sur le plan constitutionnel, les deux Gouvernements de l'État français et de la France libre se caractérisent par la très forte centralisation du pouvoir, que révèle leur « pauvreté » institutionnelle.
Après la signature de l'armistice (le 22 juin), le Gouvernement dirigé par Pétain s'est attelé à instaurer de nouvelles institutions pour la France en raison du discrédit frappant les institutions de la IIIe République, auxquelles est imputée la défaite face à l'Allemagne. Ce régime nouveau était fondé sur la doctrine de la Révolution nationale.
En savoir plus : La doctrine de la Révolution nationale
Affiche de propagande du régime de Vichy. Source : https://histoire-image.org.
Une vidéo explicative est disponible
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Juridiquement, le régime de Vichy naît de la loi du 10 juillet 1940, votée en application de la procédure de révision prévue par l’article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, relatif à la révision de la Constitution. Le Maréchal Pétain souhaitait en effet donner une assise juridique solide au nouveau régime qu’il allait fonder, en l’inscrivant dans une sorte de continuité juridique.
La procédure de révision réglementée par cet article 8 était articulée en deux phases : lors d’une première étape, les deux chambres du Parlement (la Chambre des députés et le Sénat) devaient adopter, par deux délibérations séparées, une résolution tendant à la révision de la Constitution ; lors d’une seconde étape, les deux chambres réunies en Assemblée nationale devaient adopter la révision (à la majorité absolue de ses membres).
Les deux chambres furent réunies à Vichy le 9 juillet 1940 pour voter le projet de loi constitutionnelle rédigé par le Gouvernement Pétain. Le projet fut adopté par 569 voix contre 80 (et 18 abstentions).
Tx.Loi constitutionnelle du 10 juillet 1940 :
« L'Assemblée nationale a adopté,Le Président de la République promulgue la loi constitutionnelle dont la teneur suit :
Article unique.
L'Assemblée nationale donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l'autorité et la signature du maréchal Pétain, à l'effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l'État français. Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie.Elle sera ratifiée par la Nation et appliquée par les Assemblées qu'elle aura créées.
La présente loi constitutionnelle, délibérée et adoptée par l'Assemblée nationale, sera exécutée comme loi de l'État.
Fait à Vichy, le 10 juillet 1940
Albert Lebrun
Par le président de la République,Le maréchal de France, président du conseil,
Philippe Pétain »
Ce texte procédait – c’est en tout cas comme cela que les juristes qui soutenaient Pétain ont présenté les choses – à une modification de la procédure de révision précédemment décrite et réglementée par l’article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875. Dit autrement, il instaurait un nouveau mode de révision, en attribuant au Gouvernement (dirigé par le Maréchal Pétain) le pouvoir de révision.
En réalité, pour des raisons similaires à celles qui affectent la conformité au droit de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 (voir la leçon consacrée à la naissance de la Constitution de 1958), quelle que soit la façon d’appréhender ce texte, sa « légalité » (au sens le plus large du terme, c’est-à-dire de conformité au droit) peut être questionnée. D’abord, parce que l’établissement d’une nouvelle constitution ne peut être analysée comme une « révision » : la thèse de la révision « totale » de la constitution n’est juridiquement pas valide, dans la mesure où une constitution intégralement modifiée (ou fondamentalement bouleversée dans ses éléments structurants) n’est plus la même, elle est une autre. Elle ne peut donc pas être l’œuvre d’un organe de révision ; elle doit être l’œuvre du pouvoir constituant. On sait que les questions de compétence sont fondamentales en droit public. Ensuite, et à supposer que le pouvoir délégué par l’Assemblée nationale ait été le pouvoir constituant, une telle délégation n’était juridiquement pas possible. En effet, il n’était pas possible pour l’Assemblée nationale de « déléguer » une compétence (celle de rédiger une nouvelle constitution, c’est-à-dire le pouvoir constituant) alors qu’elle n’en disposait pas (le pouvoir constituant appartenant au peuple souverain).
On constate à la lecture du texte de la loi du 10 juillet 1940 qu’il entoure le processus constituant de diverses précautions, tant substantielles que formelles. Sur le fond, la loi prévoit la garantie de certains droits (certes en accord avec l’idéologie du nouveau régime : travail, famille, patrie) et l’établissement « d’assemblées », laissant entrevoir une distribution des fonctions étatiques entre différents organes. Sur le plan procédural, elle prévoit l’approbation du futur projet de Constitution par la Nation.
En définitive, ces précautions furent vaines. Rien ne s’est passé comme prévu, tant en raison du contexte trouble (la guerre, l’occupation du territoire) que de la personnalité du Maréchal Pétain, qui a profité des circonstances pour mettre en place une dictature. Le Gouvernement n’a jamais rédigé de constitution ; il n’y a donc pas eu de garantie des droits, de ratification populaire, ni même d’assemblées pour l’appliquer.
Pour organiser l’État français, le Maréchal rédigea une série « d’actes constitutionnels » (une vingtaine au total), qui mirent en place un régime d’extrême concentration des pouvoirs, entre les mains d’abord de Pétain (le chef de l’État) puis, dans un second temps (à compter du printemps 1942) de Pierre Laval (comme chef de gouvernement). Le régime de Vichy n’était pas fondé sur la séparation des pouvoirs, les autorités investies du pouvoir exécutif exerçant également la fonction législative « jusqu’à la formation de nouvelles assemblées » (acte constitutionnel n° 2 du 11 juillet 1940), assemblées dont on vient de préciser qu’elles ne virent jamais le jour. Le chef de l’État intervenait même dans l’exercice de la fonction juridictionnelle puisqu’il disposait du droit de faire grâce et d’amnistier ; il était également habilité à juger civilement et pénalement les hauts fonctionnaires et les ministres. Ces derniers, dont le collège ne formait pas à proprement parler à un « gouvernement », étaient nommés et librement révoqués par lui, devant lequel ils étaient politiquement responsables. Notons enfin que Pétain s’entoura de divers conseils (le Conseil national, le Comité budgétaire) qui, dépourvus de tout pouvoir de décision, étaient habilités à exercer des prérogatives purement consultatives.
Tx.Acte constitutionnel n° 1 du 11 juillet 1940 :
« Nous, Philippe Pétain, maréchal de France,
Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,
Déclarons assumer les fonctions de chef de l'État français.
En conséquence, nous décrétons :
L'art. 2 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 est abrogé. »
Acte constitutionnel n° 2 du 11 juillet 1940, fixant les pouvoirs du chef de l'État français :
« Nous, maréchal de France, chef de l'État français; Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,
Décrétons:
Article premier.
§ premier. Le chef de l'État français a la plénitude du pouvoir gouvernemental, il nomme et révoque les ministres et secrétaires d'État, qui ne sont responsables que devant lui.
§ 2. Il exerce le pouvoir législatif, en conseil des ministres : 1° Jusqu'à la formation de nouvelles Assemblées ;2° Après cette formation, en cas de tension extérieure ou de crise intérieure grave, sur sa seule décision et dans la même forme. Dans les mêmes circonstances, il peut édicter toutes dispositions d'ordre budgétaire et fiscal.
§ 3. Il promulgue les lois et assure leur exécution.
§ 4. Il nomme à tous les emplois civils et militaires pour lesquels la loi n'a pas prévu d'autre mode de désignation.
§ 5. Il dispose de la force armée.
§ 6. Il a le droit de grâce et d'amnistie.
§ 7. Les envoyés et ambassadeurs des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui. Il négocie et ratifie les traités.
§ 8: Il peut déclarer l'état de siège dans une ou plusieurs portions du territoire.
§ 9. Il ne peut déclarer la guerre sans l'assentiment préalable des Assemblées législatives.
Article 2.
Sont abrogées toutes dispositions des lois constitutionnelles des 24 février 1875, 25 février 1875 et l6 juillet 1875, incompatibles avec le présent acte. »
Acte constitutionnel n° 3 du 11 juillet 1940, prorogeant et ajournant les chambres :
« Nous, maréchal de France, chef de l'État français; Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,
Décrétons :
Article premier. Le Sénat et la Chambre des députés subsisteront jusqu'à ce que soient formées les Assemblées prévues par la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940.
Article 2. Le Sénat et la Chambre des députés sont ajournés jusqu'à nouvel ordre. Ils ne pourront désormais se réunir que sur convocation du chef de l'État
Article 3. L'art. 1er de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 est abrogé. »
Acte constitutionnel n° 7 du 27 janvier 1941 :
« Nous, maréchal de France, chef de l'État français, Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940. Décrétons :
Article premier. Les secrétaires d'État, hauts dignitaires et hauts fonctionnaires de l'État prêtent serment devant le chef de l'État. Ils jurent fidélité à sa personne et s'engagent à exercer leur charge pour le bien de l'État, selon les lois de l'honneur et de la probité.
Article 2. Les secrétaires d'État, hauts dignitaires et hauts fonctionnaires de l'État sont personnellement responsables devant le chef de l'État. Cette responsabilité engage leur personne et leurs biens.
Article 3. Dans le cas où l'un d'eux viendrait à trahir les devoirs de sa charge, le chef de l'État, après enquête dont il arrêtera la procédure, peut prononcer toute réparation civile, toutes amendes et appliquer les peines suivantes à titre temporaire ou définitif : - privation des droits politiques ; - mise en résidence surveillée en France ou aux colonies ; - internement administratif ; - détention dans une enceinte fortifiée. [...] »
Cette organisation institutionnelle devait évoluer à partir du mois d’avril 1942. Pierre Laval (qui exerça entre juillet et décembre 1940 les fonctions de vice-président du Conseil avant d’être congédié par Pétain), revint au pouvoir en 1942, à la demande des Allemands, avec lesquels il avait toujours souhaité une collaboration renforcée. Du point de vue institutionnel, le retour au pouvoir de Laval s’est principalement manifesté par la création d’une fonction de chef du gouvernement (acte constitutionnel n° 11 du 18 avril 1942), chargé désormais de la direction de la politique nationale. Ses pouvoirs furent étendus en novembre 1942.
Le Gouvernement de Vichy prit fin avec la libération progressive du territoire consécutive au débarquement allié sur les plages normandes du 6 juin 1944.
Pendant la même période (juin 1940-juin 1944), sous la direction de Charles De Gaulle, les institutions de la « France libre » ont tenté d’assurer la continuité républicaine en exerçant le pouvoir depuis l’étranger.
Il faut rappeler qu’au moment de la démission du Gouvernement Paul Reynaud (mis en minorité sur la question de la poursuite du conflit armé en juin 1940), Charles De Gaulle, qui en était membre, se trouvait en mission à Londres. Lorsqu’il décide, le 18 juin, de lancer son fameux appel « du 18 juin », il n’exerce donc plus aucune fonction gouvernementale.
L’appel du 18 juin est radiodiffusé sur les ondes de la BBC. Source : https://www.defense.gouv.fr.
Une vidéo explicative est disponible
ici .
Dans ce message, Charles De Gaulle appelait les Français à résister et à poursuivre la lutte contre l'Allemagne nazie. Il invitait l'armée à se rallier à lui pour poursuivre les combats. Le « mouvement » à la tête duquel il se trouve, et dont l'appel du 18 juin marque la naissance, est celui de la « France libre ». A l'origine, ce mouvement a un objet principalement militaire ; mais il va progressivement acquérir une dimension politique, dès lors que De Gaulle procèdera à une critique en règle du Gouvernement de Vichy, dont il considérait qu'il avait réduit la Patrie à l'esclavage et qu'il ne pouvait, dans cette mesure, prétendre légitimement à représenter le peuple français.
La « France libre » et l'État français vont se livrer une bataille politique et juridique au sujet de leur légitimité (ou illégitimité) respective. A la fin de la guerre, ce différend sera tranché par les vainqueurs (c'est-à-dire par le camp de De Gaulle, comme nous le verrons plus loin).
Entre juin 1940 et juin 1944, le général va s'atteler à organiser la continuité républicaine à l'extérieur du sol métropolitain. Sa rhétorique constituera à affirmer, face au Gouvernement de Vichy aux mains de l'ennemi (et donc non indépendant), la légitimité de la République libérale et démocratique qui s'incarnait en lui et dans les institutions provisoires qu'il avait créées. C'est exactement la thèse qui sera soutenue à l'été 1944 : la République n'avait pas cessé d'exister malgré sa mise à mort par le régime de Vichy, et c'est lui, assisté des institutions de la France libre, qui l'avait incarnée.
Toutes les institutions créées à l'époque par le général, qui n'avaient aucune assise constitutionnelle, appartenaient évidemment à la catégorie des « gouvernements » de fait, dont les décisions étaient dépourvues d'effectivité sur le territoire français : cela signifie qu'elles ne produisaient pas d'effets de droit.
Df.Un gouvernement de fait est un gouvernement qui n'est pas fondé en droit, c'est-à-dire « illégal mais nécessaire pour assurer la vacance du pouvoir dans les meilleures conditions en attendant le retour aux temps paisibles de la normalité et du droit » (Louis Terracol).
Quelles étaient ces institutions ? Au départ, De Gaulle, autoproclamé « chef des Français libres », décidait seul. Très vite, il s'entoura d'organes divers pour l'aider dans cette tâche, qu'il affirmait, dès le départ, provisoire et transitoire.
Le premier de ces organes fut le Conseil de défense de l'Empire (rappelons que la France était à l'époque un Empire colonial), organisme consultatif créé le 27 octobre 1940 par une ordonnance signée à Brazzaville (Congo) qui était depuis la fin août 1940 la capitale de la France libre. Comme le révèle clairement le manifeste de Brazzaville, cet organe n'a pas seulement une vocation militaire. Face à l'absence de gouvernement français légitime, « considérant que la Constitution et les lois de la République française ont été et demeurent violées sur tout le territoire métropolitain et dans l'Empire, tant par l'action de l'ennemi que par l'usurpation des autorités qui collaborent avec lui » (ordonnance du 24 septembre 1941 créant le Comité national français, cf. ci-après) il faut, affirme De Gaulle, qu'un « pouvoir nouveau assume la charge de diriger l'effort français dans la guerre ».
En savoir plus : Manifeste de Brazzaville du 27 octobre 1940 par Charles De Gaulle
« La France traverse la plus terrible crise de son Histoire. Ses frontières, son Empire, son indépendance et jusqu'à son âme sont menacés de destruction.
Cédant à une panique inexcusable, des dirigeants de rencontre ont accepté et subissent la loi de l'ennemi. Cependant, d'innombrables preuves montrent que le peuple et l'Empire n'acceptent pas l'horrible servitude. Des milliers de Français ou de sujets français ont décidé de continuer la guerre jusqu'à la libération. Des millions et des millions d'autres n'attendent, pour le faire, que de trouver des chefs dignes de ce nom.
Or, il n'existe plus de Gouvernement proprement français. En effet, l'organisme sis à Vichy et qui prétend porter ce nom est inconstitutionnel et soumis à l'envahisseur. Dans son état de servitude, cet organisme ne peut être et n'est, en effet, qu'un instrument utilisé par les ennemis de la France contre l'honneur et l'intérêt du pays.
Il faut donc qu'un pouvoir nouveau assume la charge de diriger l'effort français dans la guerre. Les événements m'imposent ce devoir sacré, je n'y faillirai pas.
J'exercerai mes pouvoirs au nom de la France et uniquement pour la défendre, et je prends l'engagement solennel de rendre compte de mes actes aux représentants du peuple français dès qu'il lui aura été possible d'en désigner librement.
Pour m'assister dans ma tâche, je constitue, à la date d'aujourd'hui, un Conseil de Défense de l'Empire. Ce Conseil, composé d'hommes qui exercent déjà leur autorité sur des terres françaises ou qui synthétisent les plus hautes valeurs intellectuelles et morales de la Nation, représente auprès de moi le pays et l'Empire qui se battent pour leur existence.
J'appelle à la guerre, c'est-à-dire au combat ou au sacrifice, tous les hommes et toutes les femmes des terres françaises qui sont ralliées à moi. En union étroite avec nos Alliés, qui proclament leur volonté de contribuer à restaurer l'indépendance et la grandeur de la France, il s'agit de défendre contre l'ennemi ou contre ses auxiliaires la partie du patrimoine national que nous détenons, d'attaquer l'ennemi partout où cela sera possible, et de mettre en œuvre toutes nos ressources militaires, économiques, morales, de maintenir l'ordre public et de faire régner la justice.
Cette grande tâche, nous l'accomplirons pour la France, dans la conscience de la bien servir et dans la certitude de vaincre. »
Charles de Gaulle
Cette organisation institutionnelle primaire va ensuite évoluer, avec l'ordonnance du 24 septembre 1941 portant organisation nouvelle des pouvoirs publics de la France libre et créant le Comité national français. Ce Comité, présidé par De Gaulle, était habilité à exercer la fonction « législative » par voie d'ordonnances, qui donnaient naissance à des dispositions de nature législative. Ces ordonnances étaient promulguées par le chef des Français libres. Le Comité était composé de commissaires nommés par son président et librement révocables par lui, qui « exercent toutes les attributions, individuelles ou collégiales, normalement dévolues aux ministres français ». Chacun d'entre eux devait assurer la direction d'un « département ministériel » (économie, finances, guerre, etc.).
Quant au général, outre ses prérogatives attachées à sa présidence du Comité national français, il assurait l'exercice de la fonction exécutive, et notamment d'exécution des ordonnances.
Sur le plan strictement formel, l'observation de ce « régime » ne permet pas de le distinguer fondamentalement du régime de Vichy. Les chefs des deux Gouvernements exercent des prérogatives similaires, et surtout très étendues. L'organisation institutionnelle est pauvre, et ne comprend notamment pas d'assemblées parlementaires. Les deux régimes fonctionnent en réalité comme des dictatures même si l'horizon (affiché) de la France libre est de rendre, dès que possible, le pouvoir au peuple français. En effet, l'article premier de l'ordonnance du 24 septembre 1941 affirme le caractère temporaire des institutions de la France libre, qui n'existent qu'en raison du contexte de guerre, de « l'action de l'ennemi » et de « l'usurpation des autorités qui collaborent avec lui » : « En raison des circonstances de la guerre et jusqu'à ce qu'ait pu être constituée une représentation du peuple français en mesure d'exprimer la volonté nationale d'une manière indépendante de l'ennemi, l'exercice provisoire des pouvoirs publics sera assuré dans les conditions fixées par la présente ordonnance. [...] ».
Le 3 juin 1943, une ordonnance instaure le Comité français de Libération Nationale (CFLN), qui remplace le Comité national français dans l'exercice du pouvoir. Organe collégial présidé alternativement par les généraux De Gaulle et Giraud, le CFLN est chargé d'exercer « la souveraineté française sur tous les territoires en dehors du pouvoir de l'ennemi ». Une ordonnance du 17 septembre 1943 créait, auprès du CFLN, une Assemblée consultative provisoire. Ses membres étaient désignés par divers groupements représentant la résistance.
En savoir plus : La querelle de légalité et de légitimité opposant le gouvernement de Vichy à la France libre
Pendant cette courte période de quatre ans qui court de l'été 1940 à l'été 1944 (de la nomination de Pétain à la tête du Gouvernement au débarquement allié en Normandie), ce sont donc (au moins) deux gouvernements qui prétendent incarner la voix de la France (ce qui n'est évidemment juridiquement pas possible). Sans chercher à apporter une réponse définitive à des problèmes juridiques complexes (et qui ne peuvent probablement pas être résolus exclusivement juridiquement), pointons quelques-unes des difficultés auxquelles ont été confrontés les juristes et les acteurs politiques de l'époque.
Nous avons vu que la stratégie du général De Gaulle a consisté, pendant toute la période, à nier l'assise juridique du Gouvernement de Vichy, comme sa légitimité (celle-ci dépendant pour une large part, quoi que non exclusivement, de sa « légalité »). S'il ne fait guère de doute que l'arrivée au pouvoir du Maréchal Pétain est parfaitement conforme au droit, en revanche, les conditions dans lesquelles son Gouvernement a été investi, sous sa signature et son autorité, du pouvoir constituant, posent problème (comme nous l'avons évoqué plus haut). Surtout, la loi du 10 juillet 1940, à supposer même qu'elle fût régulière, ne fut pas respectée par le Gouvernement de Vichy puisque, comme nous l'avons déjà noté, il n'y a eu ni rédaction d'un projet de Constitution, ni soumission de ce projet à la ratification populaire, ni création d'assemblées (comme la loi de juillet 1940 le prescrivait). Au contraire, sous prétexte du contexte de la guerre, le Maréchal Pétain s'est installé dans le provisoire, sans jamais donner l'impression de vouloir en sortir. Par là-même, il a violé le mandat qui avait été confié à son Gouvernement par l'Assemblée nationale le 10 juillet 1940.
La prise de pouvoir par le général de général De Gaulle ne trouve, en revanche, aucun fondement juridique. Mais, l'histoire étant écrite par les vainqueurs, ce sont eux qui se sont politiquement habilités à trancher la question de la légalité et de la légitimité respective des deux Gouvernements concurrents. Ce fut chose faite par l'ordonnance du 9 août 1944 portant rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental.
Après le débarquement des forces alliées en Normandie en juin 1944 et la libération progressive du territoire national, les institutions de la France libre (devenue en juillet 1942 la « France combattante ») souhaitaient restaurer la République.
A cet effet, l'ordonnance du 9 août 1944 proclame l'inexistence juridique du Gouvernement de Vichy (« La forme du gouvernement de la France est et demeure la République. En droit, celle-ci n'a pas cessé d'exister » (art. 1er)). Le texte va même plus loin puisque, dans les faits, il nie également l'existence juridique du Gouvernement Pétain, nommé régulièrement le 16 juin 1940, et qui fut le dernier Gouvernement de la IIIe République (« Sont, en conséquence, nuls et de nul effet tous les actes constitutionnels, législatifs ou réglementaires [...] promulgués sur le territoire continental postérieurement au 16 juin 1940 et jusqu'au rétablissement du gouvernement provisoire de la République française... » (art. 2)).
Après le débarquement allié en Normandie qui marque le début de la libération du territoire national, alors occupé par les Allemands, et l'effondrement consécutif du régime de Vichy, le général De Gaulle va installer de nouvelles institutions, en France métropolitaine, qui seront chargées d'exercer le pouvoir de façon provisoire.
Il ne peut y avoir d'intermittence dans l'exercice du pouvoir politique : pendant la période qui sépare la libération du territoire de l'adoption de la Constitution d'octobre 1946, il était indispensable que le pouvoir soit exercé.
En simplifiant un peu les choses, il est possible de considérer que cette période transitoire fut structurée en deux phases consécutives.
La première est celle du « Gouvernement provisoire de la République française » (GPRF), chargé d'exercer le pouvoir temporairement, tant que la France est en guerre (pour rappel la capitulation de l'Allemagne ne se produit que le 8 mai 1945). Ce GPRF est composé de deux organes. Un « Gouvernement », présidé par le général De Gaulle et composé de ministres, nommés par le président et responsables devant lui, et chargé d'exercer tant la fonction législative que la fonction exécutive. Le Gouvernement est assisté d'une Assemblée consultative provisoire, que nous avons déjà croisée en évoquant les institutions de la « France libre », devenue « combattante », dans l'après septembre 1943. Cette Assemblée consultative, élargie, est composée d'environ 300 membres, parmi lesquels 60 anciens membres des assemblées parlementaires de la IIIe République. Les autres membres sont des représentants de « l'opinion publique », principalement choisis parmi les mouvements de la résistance. En raison de la faiblesse de sa légitimité démocratique, l'Assemblée n'exerce que des fonctions consultatives, et ne détient pas de pouvoir décisionnel.
Selon l'expression d'un professeur de droit de l'époque, Georges Burdeau, ces institutions provisoires étaient de structure autoritaire mais d'esprit démocratique. De structure autoritaire parce qu'en l'absence d'instances élues (des élections étaient impossibles à organiser dans un pays encore en guerre et complètement désorganisé), l'intégralité du pouvoir (c'est-à-dire la fonction exécutive et la fonction législative) est, dans les faits, exercé par le GPRF, présidé par le général De Gaulle. Mais il est d'esprit démocratique parce que le but essentiel du GPRF est le rétablissement des institutions républicaines qui doit être réalisé dès que possible, par la remise du pouvoir aux représentants élus de la Nation. Le nom officiel du régime en témoigne : il s'agit d'un Gouvernement « provisoire » et transitoire.
La seconde phase du provisoire s'ouvre avec les premières élections nationales suivant la Libération, qui se déroulent en octobre 1945, quelques mois après la capitulation de l'Allemagne.
Une question de toute première importance s'est alors posée aux titulaires provisoires du pouvoir. Les Français (et les Françaises, pour la première fois dans l'histoire nationale, le droit de vote et d'éligibilité ayant été accordé aux femmes en avril 1944) allaient être appelés à élire des représentants. Mais ces représentants, dans quel type d'assemblée allaient-ils siéger ? Fallait-il, en considérant que les lois constitutionnelles de 1875 étaient toujours en vigueur (après tout, le droit positif – l'ordonnance du 9 août 1944 précitée – ne proclamait-il pas l'inexistence de Vichy et la nullité de tous les actes constitutionnels postérieurs au 16 juin 1940 et antérieurs au rétablissement de la légalité républicaine ?), restaurer les institutions de la IIIe République, c'est-à-dire la Chambre des députés, puis le Sénat ? Fallait-il, au contraire, compte tenu de la rupture institutionnelle ayant affecté le gouvernement de la France entre 1940 et 1945, fonder un régime nouveau, et donc une IVe République ?
En savoir plus : Le droit de vote des femmes en France
Il est prévu par l'article 17 de l'ordonnance du Comité français de la libération nationale du 21 avril 1944, portant organisation des pouvoirs publics en France après la libération.
« Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».
Si la première option était choisie, les Français auraient été convoqués pour élire des députés, qui auraient dû siéger à la Chambre des députés ; les élus locaux auraient été quant à eux convoqués pour élire des sénateurs.
Si au contraire on optait pour la seconde option, les Français auraient été convoqués pour élire des représentants siégeant dans une assemblée constituante.
Pour choisir entre ces deux options, les institutions du GPRF ont préféré donner directement la parole aux Français. Le peuple a donc été appelé, le 21 octobre 1945, à participer à deux votations. D'une part, un référendum, dans le cadre duquel il lui était demandé de choisir entre le retour à la IIIe République ou l'instauration d'un nouveau régime ; d'autre part, l'élection de représentants, dont les électeurs ne savaient pas, au moment de déposer leur bulletin dans l'urne, s'ils allaient siéger à la Chambre des députés de la IIIe République restaurée, ou dans une Assemblée constituante chargée d'élaborer une nouvelle Constitution (cela dépendant des résultats du référendum organisé le même jour).
Le référendum organisé le 21 octobre 1945 comportait deux questions :
- « Voulez-vous que l’Assemblée élue ce jour soit constituante ? » Si l’électeur répondait oui, cela signifiait qu’il était partisan du changement de régime, et souhaitait attribuer à la nouvelle assemblée le pouvoir constituant afin qu’elle élabore une nouvelle Constitution ; si au contraire il répondait non, cela signifiait qu’il souhaitait la restauration des institutions de la IIIe République et dans ce cas, l’assemblée élue aurait constitué la Chambre des députés prévue par les lois constitutionnelles de 1875.
- En cas de réponse affirmative à la première question, « approuvez-vous que les pouvoirs publics soient jusqu’à la mise en vigueur de la nouvelle Constitution, organisés conformément au projet de loi ci-joint ? ». Ce projet de loi avait pour objet de régler le fonctionnement des pouvoirs publics le temps que l’assemblée (si elle était constituante) élabore la nouvelle Constitution. Il prévoyait notamment un délai pour la rédaction de ce projet de Constitution (7 mois), une procédure d’adoption du projet (ratification par référendum populaire), et une organisation provisoire des pouvoirs publics pendant cette période transitoire. Une réponse affirmative à la première question impliquait un encadrement du pouvoir de l’assemblée (constituante) élue ; une réponse négative signifiait au contraire que l’assemblée élue serait entièrement maîtresse de l’organisation de ses travaux, et du fonctionnement des pouvoirs publics pendant la période de transition.
96 % des 20 millions de votants répondirent oui à la première question ; 65 % d’entre eux répondirent oui à la seconde question. Discréditées en raison de leur incapacité à faire face à la guerre, à prévenir la défaite et la dictature de Pétain, les institutions de la IIIe République sombrèrent alors pour laisser place aux institutions de la IVe République.
L’Assemblée élue le 21 octobre 1945 fut donc constituante. Le projet de loi relatif à l’organisation provisoire des pouvoirs publics, joint au bulletin, devint la . Le temps de l’adoption et de l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, cette loi devenait la Constitution provisoire de la France. Celle-ci prévoyait qu’outre le pouvoir constituant, l’Assemblée exerçait le pouvoir législatif. Elle élisait le président du Gouvernement provisoire de la République, et contrôlait ce Gouvernement, politiquement responsable devant elle.
L’Assemblée constituante nouvellement élue s’est immédiatement attelée à la rédaction de la nouvelle Constitution. Six mois plus tard, le 19 avril 1946, elle adoptait son projet par 309 voix contre 249. Avant de devenir la nouvelle Constitution de la France, ce texte devait encore être soumis à la ratification populaire, en application de la loi constitutionnelle du 2 novembre 1945, précitée (article 3). Les points de désaccord entre la gauche (majoritaire) et le reste de l’Assemblée étaient nombreux et, surtout, ils traduisaient des conceptions très différentes de la République et du régime parlementaire. A gauche, le Parti communiste et les socialistes de la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière) étaient favorables à un régime dominé par le Parlement, qui devait être monocaméral et disposer de pouvoirs très importants, sans véritables contre-poids. Le reste de l’Assemblée souhaitait au contraire un régime moins « déséquilibré » en faveur du Parlement. Le projet de Constitution adopté révèle ces divisions et témoigne, comme l’écrivait le doyen Vedel, d’une « tentative manquée de transaction ».
Pour le présenter succinctement, on pourrait d’abord dire qu’il comporte, contrairement aux lois constitutionnelles de 1875, une déclaration des droits. Sur le plan institutionnel, le projet prévoyait que le pouvoir législatif serait exercé par une assemblée unique, l’Assemblée nationale, élue pour cinq ans au suffrage universel direct. Cette Assemblée, d’après la Constitution, exerçait seule la souveraineté nationale. Le pouvoir exécutif comprenait quant à lui deux organes : le Conseil des ministres et le président de la République. L’Assemblée nationale élisait à la fois le chef de l’État et le chef du Gouvernement (Président du Conseil des ministres). Le projet de Constitution organisait en réalité la prépondérance de l’Assemblée nationale parmi les institutions. L’exécutif était placé dans une situation de stricte dépendance organique (il procédait de l’Assemblée qui en plus pouvait renverser le Gouvernement, politiquement responsable devant elle), sans pouvoir quant à lui agir sur l’Assemblée (le recours au droit de dissolution était pratiquement impossible en raison des conditions entourant son utilisation). Les opposants au texte (parmi lesquels il faut compter le général De Gaulle) lui reprochaient de mettre en place une sorte de dictature de l’Assemblée, dans la pure tradition révolutionnaire, alors que ses partisans insistaient sur son caractère démocratique dans la mesure où il assurait la souveraineté de la majorité parlementaire issue des urnes.
Soumis au référendum le 5 mai 1946, le projet de Constitution fut rejeté par 53 % des électeurs.
Le projet de Constitution du 19 avril ayant été rejeté par le peuple, il fallait se reporter à la loi constitutionnelle du 2 novembre 1945 pour envisager la suite des événements. Conformément à ses dispositions, une nouvelle assemblée constituante devait être élue ; cette assemblée disposerait d’un nouveau délai de 7 mois pour rédiger un nouveau projet de Constitution, qui devait être à nouveau soumis au référendum.
Cette seconde Assemblée conduisit ses travaux plus rapidement, chacun étant lassé du provisoire et cherchant à en sortir. Le second projet fut définitivement adopté par l’Assemblée le 28 septembre 1946, par 440 voix contre 106. Le référendum pour l’approbation du texte fut organisé le 13 octobre 1946. Le « oui » l’emporta par 53 % des voix (mais l’abstention fut tellement forte que le nombre de « oui » comptabilisés en septembre fut moindre que celui des « oui » comptabilisés en mai…)
Quoi qu’il en soit, ayant été approuvé par la majorité des votants, le projet de septembre 1946 devenait la Constitution de la IVe République. Promulguée par le président du Gouvernement provisoire de la République française (le général De Gaulle), elle est entrée en vigueur le 27 octobre 1946.
La
se distingue, dans sa forme, des lois constitutionnelles de la III
e République, d’abord parce qu’elle constitue un texte unique (et non un ensemble disparate de « lois » constitutionnelles).
Ce texte est divisé en deux parties :
D’une part, il comprend un
préambule qui est consacré à la proclamation de droits individuels et sociaux. Ce préambule est important, non pas simplement d’un point de vue historique, ou du point de vue de l’histoire des droits et libertés en France. Il est important car encore aujourd’hui il a valeur de droit positif, en tant qu’ensemble de normes de valeur constitutionnelle. En effet, depuis une
, communément désignée comme la décision « Liberté d’association », ce préambule, c’est-à-dire tous les principes, droits et libertés qu’il proclame, ont valeur constitutionnelle. Cela signifie que le préambule est opposable aux normes élaborées par les pouvoirs publics (législateur et administration), qui se doivent dans cette mesure d’en respecter le contenu, sous peine de voir leurs lois, ou leurs actes administratifs, sanctionnés par le juge. Que contient précisément ce préambule ?
D’abord, il contient une confirmation de principe des droits de l’homme et du citoyen, tels que les a consacrés la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789. Le préambule s’ouvre en effet avec cette proclamation : «
Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d'asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés. Il réaffirme solennellement les droits et libertés de l'homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des droits de 1789 et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (nous soulignons). Ces droits, proclamés en 1789, sont parfois qualifiés de droits de la première génération (ou droits-libertés).
Ensuite, ce préambule contient et proclame des droits-créances, que l’on qualifie parfois de droits de la deuxième génération, qui prennent place dans l’État providence. On compte par exemple, parmi ces principes et droits nouveaux, le droit d’obtenir un emploi (alinéa 3 du préambule) ; le droit syndical (al. 4) ; le droit de grève (al. 5) ; ou encore l’égal accès des enfants et des adultes à l’instruction (al. 11).
Qu’impliquait (en 1946), sur le plan juridique, la proclamation de ces droits et principes par le préambule de la Constitution ? C’est une question importante : le préambule avait-il valeur de norme constitutionnelle, contraignant les pouvoirs publics (et notamment le législateur et le pouvoir réglementaire), ou avait-il le statut d’une simple déclaration de principes, de valeur politique et sans portée normative ? Cette question est celle de la nature (juridique ou non) du préambule
. Nous avons rappelé plus haut qu’aujourd’hui, en droit positif français, ce préambule a valeur constitutionnelle (sans pour autant que l’effectivité de tous les principes et droits proclamés soit strictement identique. Par exemple, le « droit d’obtenir un emploi », proclamé à l’alinéa 5, ne peut fonder une obligation étatique en la matière). Sous la IV
e République, la réponse à cette question était controversée. Comme nous le verrons plus loin, au sujet du contrôle de la constitutionnalité des lois opéré par le Comité constitutionnel, le constituant n’avait pas prévu de donner une pleine effectivité juridique au préambule. Dans une
, le Conseil d’État reconnaissait toutefois dans la liberté d’association un « principe fondamental reconnu par les lois de la République » (PFRLR), catégorie juridique mentionnée par le préambule de la Constitution de 1946. Le PFRLR de la liberté d’association avait, d’après le juge administratif, une valeur constitutionnelle, et est à ce titre était opposable à l’administration. Cela signifie que le Conseil d’État, par sa décision de 1956, reconnaissait une valeur juridique au préambule de la Constitution de 1946.
D’autre part, le texte est composé d’une seconde partie, intitulée
Des institutions de la République, qui comprend 106 articles répartis en 12 titres. Du point de vue de l’organisation institutionnelle, cette Constitution apparaît comme un compromis entre deux conceptions de la République et du régime parlementaire. La gauche de l’Assemblée constituante, favorable à la « souveraineté » de l’Assemblée nationale, a obtenu que celle-ci ne soit pas remise fondamentalement en cause, même si, par rapport au projet d’avril 1946 (rejeté par le peuple par référendum), certains organes, «
sans avoir compétence juridique pour s’opposer de façon définitive à l’Assemblée, peuvent néanmoins la contraindre à la réflexion et exercer sur elle une influence de fait » (Georges Vedel,
Manuel élémentaire de droit constitutionnel, Paris, Dalloz, réédition 2002, p. 313).
Ces institutions de la République, comment étaient-elles organisées ?
La Constitution de 1946 met en place une République (article 1
er : «
La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale »). Quant au régime instauré, il s’agit d’un régime parlementaire.
Comme, plus tard, celle de la V
e République, la Constitution de 1946 instaure un parlementarisme rationalisé. Cette expression fut conceptualisée par le professeur Boris Mirkine-Guetzévitch dans les années 1930. Elle désigne la «
codification juridique des rapports politiques sur lesquels s’était établi le régime parlementaire au XIXe siècle » (Pierre Avril et Jean Gicquel,
Lexique de droit constitutionnel, Paris, PUF, coll. QSJ ?).
La Constitution de 1946 instaure un régime parlementaire, c'est-à-dire un régime de gouvernement politiquement responsable devant une assemblée parlementaire. Mais pour éviter les dérives qu’avait connues la III
e République (instabilité gouvernementale, prépondérance écrasante du Parlement et singulièrement de la chambre basse), le constituant a cherché à rationaliser le parlementarisme.
Là où il s’est durablement implanté (ça a été le cas en Angleterre et en France, par exemple), le régime parlementaire est né dans et de la pratique politique et institutionnelle. En Angleterre, notamment, l’élément caractéristique de ce type de régime (la responsabilité politique du gouvernement devant une assemblée parlementaire) est apparu spontanément dans la pratique politique, alors qu’il n’était pas prévu par le droit écrit.
Le régime parlementaire rationalisé est le régime « dont les principaux mécanismes de fonctionnement font l’objet d’une réglementation par le droit écrit ». La rationalisation « s’entend comme un ensemble de techniques juridiques ayant pour objet, par une réglementation minutieuse et contraignante des rapports entre le gouvernement et le Parlement, de « rendre rationnel » le fonctionnement du gouvernement parlementaire » (Armel Le Divellec et Michel de Villiers, Dictionnaire du droit constitutionnel, Paris, Lefebvre Dalloz).
Cette rationalisation avait pour objet, dans un premier temps, de codifier les règles de fonctionnement de ce régime qui étaient apparues dans la pratique, c’est-à-dire de les « saisir » par le droit écrit. Il s’agissait, très concrètement, de préciser les implications juridiques de la responsabilité politique, et de réglementer concrètement les rapports entre le Parlement et le Gouvernement.
La « première » rationalisation du parlementarisme en Europe (qui date de l’après première guerre mondiale), désigne cette tentative d’inscrire dans le texte des constitutions les règles du régime parlementaire qui étaient apparues dans la pratique, afin de les formaliser juridiquement.
Une seconde vague de rationalisation s’ouvre après la seconde guerre mondiale. C’est celle qui nous occupe ici. Dans ce second mouvement, l’objectif évolue : il ne s’agit plus simplement de réglementer les rapports politiques entre organes, nés de la pratique institutionnelle, mais plutôt de rechercher le « rééquilibrage » entre ces mêmes organes, principalement en procédant à une revalorisation des autorités exerçant le pouvoir exécutif.
Df.Aujourd’hui, le régime parlementaire rationalisé désigne un régime parlementaire réglementé de façon à pallier les inconvénients résultant de l’absence de majorité cohérente de soutien du Gouvernement au Parlement, notamment par l’octroi au Gouvernement de prérogatives dans l’exercice de la fonction législative (initiative, direction des débats parlementaires…) et la réglementation de la mise en jeu de la responsabilité politique du cabinet (limitation du nombre de motions de censure ou de défiance pouvant être déposées par session, exigence de seuils de majorités renforcées pour renverser le Gouvernement, etc…).
Il faut enfin savoir qu’historiquement, tous les régimes parlementaires européens ont évolué vers le parlementarisme rationalisé, tant il est apparu nécessaire, pour le bon fonctionnement des États, qu’ils se dotent d’un exécutif fort (et donc aussi stable).
En France, comme nous le verrons, la tentative de rationalisation du parlementarisme sous la IVe République ne fut pas complètement aboutie.
Seront ici exposées les principales institutions instaurées par le Constitution de 1946, ainsi que leurs prérogatives.
Plusieurs points seront ici abordés : le principe du bicamérisme, d’abord ; le mode de désignation des membres des deux chambres, ensuite ; leurs attributions, enfin.
La Constitution de 1946 instaure un parlement bicaméral.
Tx.Article 5 de la Constitution de 1946 :
« Le Parlement se compose de l'Assemblée nationale et du Conseil de la République. »
On se souvient que le projet de Constitution d’avril 1946 prévoyait un Parlement monocaméral. C’était là, semble-t-il, l’une des causes principales de son rejet. Le second projet admettait donc le principe du bicamérisme, mais ses adversaires étant encore très nombreux, le bicamérisme sera très timide. Autrement dit, ce bicamérisme était très inégalitaire, et donnait clairement l’avantage à la chambre basse, issue du suffrage universel direct.
En savoir plus : A quoi sert le bicamérisme ?
Un Parlement bicaméral peut être instauré par une Constitution dans deux hypothèses.
La première répond à une exigence technique, qui est celle de la représentation des entités politiques composant une Fédération. Dans un État fédéral, le Parlement comprend toujours deux chambres. La première a vocation à représenter la volonté du peuple de l'État fédéral ; la seconde, celle des entités fédérées. Le Parlement bicaméral est ainsi une conséquence du principe de participation qui structure les Fédérations (il s'agit de la participation des entités fédérées à l'expression de la volonté générale – v. sur ce point la leçon 3 de cette première partie du cours).
Mais l'instauration d'un Parlement bicaméral (dans un État unitaire, comme la France), peut également répondre à des préoccupations d'ordre politique. Dans ce cas (et dans nos sociétés égalitaires contemporaines), il permet de contrebalancer le pouvoir et la puissance d'une chambre unique. Il apparaît alors comme un moyen de modération du pouvoir (en général de la chambre élue au suffrage universel direct). Dans cette seconde hypothèse, et si l'on souhaite que la composition des deux chambres diffère (dans le cas contraire, il est difficile de concevoir qu'elles puissent souhaiter modérer le pouvoir l'une de l'autre), il est indispensable que les modalités de désignation de leurs membres ne soit pas identique. Souvent, alors que les membres de la première chambre sont élus au suffrage universel direct, les membres de la seconde le sont au suffrage universel indirect. Le lien avec le peuple souverain étant plus ténu (du fait de ce mode d'élection), la légitimité démocratique de la seconde chambre est plus faible. Ses pouvoirs sont, dans ces circonstances, moins importants que ceux de la première chambre.
Ce bicamérisme inégalitaire résulte d’une transaction entre partisans et adversaires de la seconde chambre. Si les premiers ont réussi à arracher l’instauration d’un Parlement bicaméral, c’est au prix de la mise en place d’une seconde chambre faible, singulièrement diminuée par rapport à son prédécesseur (le Sénat des lois constitutionnelles de 1875, qui disposait notamment et par contraste de la possibilité de renverser le Gouvernement, de voter les lois, et de donner son avis en cas de dissolution de la Chambre des députés). On remarquera au passage que le constituant de 1946 a refusé l’appellation plus prestigieuse de « Sénat » à la seconde chambre, ce qui n’a pas empêché ses membres à adopter, par une résolution du 16 décembre 1948, le titre de « sénateurs ».
La primauté accordée par le constituant à l’Assemblée nationale apparaît dès le premier titre de la Constitution, qui est consacré à la souveraineté.
Tx.Article 3 de la Constitution de 1946 :
« La souveraineté nationale appartient au peuple français.
Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice.
Le peuple l'exerce, en matière constitutionnelle, par le vote de ses représentants et par le référendum.
En toutes autres matières, il l'exerce par ses députés à l'Assemblée nationale, élus au suffrage universel, égal, direct et secret. »
L’article 3 proclame certes le principe de la souveraineté nationale, qui « appartient au peuple français ». Mais, concernant l’exercice de cette souveraineté, celui-ci lui échappe très largement, dans la mesure où il n’est habilité à l’exercer qu’en « matière constitutionnelle ».
L’article 3 de la Constitution opère en effet une distinction entre, d’une part, les matières constitutionnelles, et d’autre part, les « autres matières ». En matière constitutionnelle, le peuple est habilité à exercer la souveraineté soit indirectement (par le vote de ses représentants), soit directement, dans le cadre de référendums (sous-entendu : de référendums de ratification d’une révision de la Constitution). Dans les autres matières, c’est-à-dire en dehors de l’hypothèse d’une révision constitutionnelle, aucune intervention du peuple n’est prévue dans l’exercice de la souveraineté. C’est ce qui a valu à la IVe République la qualification de régime « ultra-représentatif ».
Surtout, ce même article 3 habilite l’Assemblée nationale à exercer la souveraineté nationale dans les matières non constitutionnelles, de manière exclusive. Ce monopole est l’affirmation, sans détours, de la suprématie de la chambre élue au suffrage universel direct par rapport à l’ensemble des autres organes constitués.
Les membres de l’Assemblée nationale sont élus au suffrage universel direct. Aux termes de l’article 4 de la Constitution, « Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux et ressortissants français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. » Les femmes sont désormais électrices (et éligibles).
Les membres du Conseil de la République sont élus au suffrage universel indirect.
En savoir plus : La composition du Conseil de la République de 1946 à 1958
«
L’article premier de la loi n° 46-2383 du 27 octobre 1946 prévoit que « le Conseil de la République est composé de 315 membres répartis comme suit : 200 membres élus par les collectivités territoriales métropolitaines ; 50 membres élus par l’Assemblée nationale ; 14 membres élus par les collectivités territoriales algériennes ; et 51 membres élus par les conseils généraux et assemblées territoriales des départements et territoires d’outre-mer. »
Deux ans plus tard, en vertu de l'article premier de la loi n° 48-1471 du 23 septembre 1948, le nombre de sièges est porté à 320 : « l
e Conseil de la République comprend 320 membres : 253 conseillers élus par les départements métropolitaines et par les départements de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion ; 14 conseillers élus par les départements algériens ; 44 conseillers élus par les territoires d'outre-mer et les territoires sous tutelle ; 1 conseiller représentant les citoyens français résidant en Indochine ; 5 conseillers représentant les citoyens français résidant en Tunisie et au Maroc, 2 pour la Tunisie et 3 pour le Maroc ; 3 conseillers représentant les citoyens français résidant à l'étranger. »Source :
site Internet du Sénat.
La durée du mandat des membres des deux assemblées n’est pas fixée par la Constitution, mais par la loi (article 6). Celle-ci était de cinq ans pour les membres de l’Assemblée nationale, et de six ans pour le Conseil de la République. La seconde chambre était renouvelable par moitié tous les trois ans.
Il résulte de ce qui a été dit précédemment que les attributions de l’Assemblée nationale, seul organe habilité par la Constitution à exercer la souveraineté nationale dans les matières autres que constitutionnelles, sont très importantes.
Concernant l’exercice de la fonction législative, les membres des deux chambres disposent, concurremment avec le chef du Gouvernement, de l’initiative (art. 14 ; toutefois, les propositions formulées par les membres du Conseil de la République ne pouvaient avoir pour conséquence « une diminution de recettes ou une création de dépenses »). L’Assemblée discute, amende éventuellement les projets et propositions de loi (art. 15). Elle est seule habilitée à voter la loi, l’article 13 de la Constitution disposant expressément qu’elle « ne peut déléguer ce droit » (il s’agissait, par-là, d’éviter la pratique des décrets-lois, spontanément apparue sous la IIIe République).
Le Conseil de la République, quant à lui, « examine, pour avis, les projets et propositions de loi votés en première lecture par l’Assemblée nationale » (art. 20). Autrement dit, le Conseil de la République ne vote pas la loi. Ses avis sont obligatoires (l’Assemblée nationale est contrainte de les solliciter, pour l’ensemble des projets ou propositions de lois en discussion), mais ils ne sont pas contraignants, dans le sens où, même s’ils ne sont pas « conformes », l’Assemblée nationale peut passer outre. Malgré tout, ils produisent des effets de droit, dans la mesure où un avis non « conforme » (selon la terminologie constitutionnelle) oblige l’Assemblée nationale à un second examen du projet ou de la proposition de loi concernée.
Rq.Un avis du Conseil de la République est dit conforme lorsque ce dernier est entièrement d’accord avec le texte adopté par l’Assemblée nationale. Il est dit non conforme lorsque ce n’est pas le cas.
En effet, aux termes de l’article 20 de la Constitution :
Tx.« Si l'avis du Conseil de la République est conforme ou s'il n'a pas été donné dans les délais prévus à l'alinéa précédent, la loi est promulguée dans le texte voté par l'Assemblée nationale.
Si l'avis n'est pas conforme, l'Assemblée nationale examine le projet ou la proposition de loi en seconde lecture. Elle statue définitivement et souverainement sur les seuls amendements proposés par le Conseil de la République, en les acceptant ou en les rejetant en tout ou en partie. En cas de rejet total ou partiel de ces amendements, le vote en seconde lecture de la loi a lieu au scrutin public, à la majorité absolue des membres composant l'Assemblée nationale, lorsque le vote sur l'ensemble a été émis par le Conseil de la République dans les mêmes conditions. »
Le Conseil de la République a donc été conçu comme une chambre de réflexion, chargée d’assister l’Assemblée nationale dans sa mission d’élaboration des lois. Le constituant a souhaité que son rôle dans ce domaine soit très fortement limité.
Concernant les relations avec l’exécutif, les deux chambres réunies en Parlement élisent le président de la République (art. 30). Mais les députés étant presque deux fois plus nombreux que les membres du Conseil de la République, ce sont eux qui, en pratique, décident de l’élection. Seule l’Assemblée nationale dispose en revanche de la « fonction élective » du Gouvernement, c’est-à-dire qu’elle est seule habilitée à participer à sa formation (grâce à la procédure de l’investiture), dans les conditions qui seront précisées plus loin. Elle dispose seule du droit de renverser le Gouvernement, qui est politiquement responsable exclusivement devant elle.
Tx.Article 48 de la Constitution de 1946 :
« Les ministres sont collectivement responsables devant l'Assemblée nationale de la politique générale du Cabinet et individuellement de leurs actes personnels.
Ils ne sont pas responsables devant le Conseil de la République. »
Sur le plan diplomatique, l’Assemblée autorise la ratification des traités les plus importants (art. 27).
Tx.Article 27 de la Constitution de 1946 :
« Les traités relatifs à l'organisation internationale, les traités de paix, de commerce, les traités qui engagent les finances de l'Etat, ceux qui sont relatifs à l'état des personnes et au droit de propriété des Français à l'étranger, ceux qui modifient les lois internes françaises, ainsi que ceux qui comportent cession, échange, adjonction de territoire, ne sont définitifs qu'après avoir été ratifiés en vertu d'une loi. »
On observera pour terminer que la Constitution prévoit pour l’Assemblée nationale (jusqu’à la révision de 1954, cf. infra) une session annuelle unique, qui s’ouvre le deuxième mardi de janvier et que l’Assemblée peut décider d’interrompre librement. Le Conseil de la République, quant à lui, « siège en même temps que l’Assemblée nationale » (art. 9). Surtout, l’exécutif perd dans le texte de la Constitution (et jusqu’à la réforme de 1954, cf. infra) la possibilité de clôturer les sessions. En pratique, le Parlement siégera toute l’année.
Conformément à la logique institutionnelle du régime parlementaire, l’exécutif sous la IVe République comprend deux organes : un chef de l’État (le président de la République) et un Gouvernement (le Conseil des ministres).
Le président de la République est élu par l’Assemblée nationale et le Conseil de la République réunis en Parlement, pour sept ans. Il n’est rééligible qu’une seule fois (art. 29). Il est (comme sous la IIIe République et au début de la Ve) politiquement irresponsable, sauf le cas de haute trahison (art. 42). Il est, dans ce dernier cas, mis en accusation par l’Assemblée nationale et jugé par la Haute Cour de Justice, dans les conditions prévues à l’article 57 de la Constitution. Conséquence de cette irresponsabilité politique, tous ses actes sont contresignés par le Président du conseil et par le ministre responsable (art. 38).
Comparativement au président de la IIIe et, de façon plus générale, à un chef de l’État « classique » en régime parlementaire, le président de la IVe République ne dispose pas de deux prérogatives fondamentales : le droit de dissolution de l’Assemblée nationale, que le constituant a attribué au Conseil des ministres, c’est-à-dire au Gouvernement (art. 51) ; la nomination du chef du Gouvernement, pour laquelle il ne garde qu’un pouvoir strictement formel, la décision étant prise, en réalité, par l’Assemblée nationale qui procède à l’investiture du Président du Conseil, et des membres du Gouvernement.
Par ailleurs, le président de la IVe République perd également, par rapport aux prérogatives que le texte des lois constitutionnelles de 1875 attribuait à son prédécesseur, l’essentiel de celles-ci : il ne dispose plus de l’initiative des lois, du pouvoir d’exécution de ces dernières, de la direction des forces armées qui ont été transférés au Président du Conseil. Outre la ratification des traités (art. 30) et la nomination des représentants de la haute fonction publique (conseillers d’État, recteurs des Universités, membres du corps diplomatique, préfets, etc. (art. 30)), il assure la présidence de divers conseils et autorités (Conseil des ministres – à ne pas confondre avec le Gouvernement qui porte le même nom – ,Conseil supérieur de la magistrature, Comité de la défense nationale), ainsi que la promulgation des lois (à l’image de son prédécesseur et de son successeur des IIIe et Ve Républiques, il peut à cette occasion demander une nouvelle délibération, qui ne peut lui être refusée (art. 36)).
« Conseil des ministres » est l’appellation officielle du Gouvernement dans la Constitution de 1946. Il est dirigé par un Président du Conseil (le chef du Gouvernement). Les modalités de sa désignation résultent d’une transaction, à l’Assemblée constituante, entre ceux de ses membres qui souhaitaient qu’il procède du chef de l’État et ceux qui préconisaient son élection par l’Assemblée nationale. Le texte donne malgré tout très nettement l’avantage à cette dernière.
L’article 45 de la Constitution prévoit une procédure de désignation en trois temps (qui fut d’ailleurs immédiatement détournée dans la pratique institutionnelle). Ces trois phases font intervenir deux autorités, qui se partagent la compétence de désignation des membres du Gouvernement : le président de la République d’une part, et l’Assemblée nationale d’autre part.
Tx.Article 45 de la Constitution de 1946 :
« Au début de chaque législature, le président de la République, après les consultations d'usage, désigne le président du Conseil.
Celui-ci soumet à l'Assemblée nationale le programme et la politique du Cabinet qu'il se propose de constituer.
Le président du Conseil et les ministres ne peuvent être nommés qu'après que le président du Conseil ait été investi de la confiance de l'Assemblée au scrutin public et à la majorité absolue des députés, sauf cas de force majeure empêchant la réunion de l'Assemblée nationale.
Il en est de même au cours de la législature, en cas de vacance par décès, démission ou toute autre cause, sauf en ce qui est dit à l'article 52 ci-dessous.
Aucune crise ministérielle intervenant dans le délai de quinze jours de la nomination des ministres ne compte pour l'application de l'article 51. »
Lors de la première phase, le président de la République choisit un candidat (en veillant, évidemment – c’est-à-dire s’il souhaite que cette candidature puisse prospérer – à désigner un homme auquel la majorité des parlementaires pourrait accorder sa confiance).
Lors de la deuxième phase, en effet, le candidat désigné par le président de la République se présente devant l’Assemblée nationale, afin de présenter « le programme et la politique du Cabinet qu’il se propose de constituer » (art. 45). Il doit obtenir la confiance de l’Assemblée à la majorité absolue des membres la composant. Ce système d’investiture permettait au chef du Gouvernement d’être investi de la confiance de la majorité parlementaire avant l’exécution de son programme, l’idée étant que, grâce à cet engagement mutuel originaire, il pourrait bénéficier d’un soutien parlementaire pendant l’exercice de ses fonctions, afin d’éviter le retour à l’instabilité qu’avait connue le régime précédent. Le mécanisme de l’investiture est ainsi l’un des exemples de la rationalisation du parlementarisme dans la Constitution de 1946.
Si le Président du Conseil obtenait l’investiture, il était, lors de la troisième phase, nommé par le président de la République, qui procédait également à la nomination des ministres, en accord avec le chef du Gouvernement.
Tx.Article 46 de la Constitution de 1946 :
« Le président du Conseil et les ministres choisis par lui sont nommés par décret du président de la République. »
Dès 1947, le système imaginé par le constituant fut complété par une pratique non prévue par le texte de l’article 45. Une fois nommés par le chef de l’État (c’est-à-dire à l’issue de la troisième phase prévue par l’article 45 de la Constitution), les Présidents du Conseil successifs prirent l’habitude de retourner devant l’Assemblée nationale, avec leur Gouvernement, pour obtenir un nouveau vote de confiance, cette fois-ci pour l’ensemble du Gouvernement : c’est la pratique de la double investiture. Cette pratique devait rallonger la durée de la formation du Gouvernement, et rendre les compromis plus difficiles – et donc aussi moins durables. Il n’est déjà pas toujours facile, surtout dans une Assemblée sans majorité claire (comme furent celles de la IVe République), de s’entendre sur le nom d’un chef du Gouvernement (nous en avons fait l’expérience après la dissolution prononcée par M. Macron à l’été 2024 et la situation politique nouvelle de l’Assemblée nationale, qui ne comporte pas de majorité claire) ; on imagine aisément que la difficulté est démultipliée dès lors qu’il faut se mettre d’accord sur plusieurs noms.
Rq.On observera que les organes exerçant la fonction exécutive procèdent tous les deux du Parlement.
En savoir plus : L’interprétation de l’article 45 de la Constitution par un grand juriste (qui était alors député) : René Capitant
René Capitant, « Naissance de la double investiture - Assemblée Nationale, 28 janvier 1947 », in Michel Mopin (dir.), Les grands débats parlementaires de 1875 à nos jours, La documentation française, 1988 (extraits) :
« M. Capitant. Mesdames, messieurs, je remercie M. le Président du Conseil d'avoir bien voulu accepter la discussion immédiate de mon interpellation et je voudrais, au début de mes explications, souligner en quelques mots le sens que j'attache à celle-ci.
Si j'ai déposé une demande d'interpellation sur la composition du Gouvernement, c'est essentiellement pour donner à ce dernier l'occasion — et je le remercie de l'avoir saisie — de se présenter à l'Assemblée au lendemain même de sa constitution et pour permettre à la majorité ainsi qu'à l'opposition de se définir et de se compter.
Cette Constitution entre, sur ce point précis, en application pour la première fois et il n'est pas étonnant que certains doutes ou hésitations apparaissent quant à l'interprétation à lui donner et à la pratique qu'il convient d'établir, d'autant que les textes et les procédures prévues sont, chacun le reconnaît, singulièrement complexes et souvent obscurs.
Dans ces dernières journées, l'idée semblait s'accréditer, dans la presse et dans d'autres milieux, à la suite de la publication de certaines opinions qu'à tort ou raison on prêtait au Gouvernement, que ce dernier, à la différence de ce qui se passait dans les régimes antérieurs, n'avait pas l'obligation constitutionnelle de se présenter devant l'Assemblée, de provoquer un large débat et de se soumettre à un vote.
J'estime qu'une telle opinion est erronée, et la décision qui vient d'être prise paraît me donner raison. Dans notre Constitution comme dans la précédente, l'obligation existe pour le Gouvernement de se présenter devant l'Assemblée et de se soumettre à son jugement.
On a fait valoir qu'une telle obligation n'est pas formellement prévue. Mais elle ne l'était pas davantage dans la Constitution de 1875, ni dans la Constitution provisoire qui nous a régis en 1945 et 1946. Et pourtant, le Gouvernement n'a jamais manqué de se conformer à cette pratique, ou plutôt à cette obligation, et toujours un débat a marqué sa présentation devant la ou devant les assemblées.
C'est que cette obligation découle de la responsabilité même du Gouvernement. On ne saurait concevoir qu'un gouvernement responsable pût s'y soustraire. Un gouvernement responsable est celui qui recherche une majorité, qui admet une opposition, qui reconnait que majorité et opposition se forment et se définissent librement et, par voie de conséquence, à la suite d'un débat public et libre. Un tel gouvernement ne peut donc se former sans que, immédiatement, majorité et minorité soient appelées à se définir et à s'affirmer.
Ainsi, mesdames, messieurs, le débat qui va s'ouvrir aujourd'hui ne fait pas double emploi avec celui qui s'est déroulé le 21 janvier et qui avait pour objet de désigner le Président du Conseil. (...)
D'après ce système, le Président du Conseil est nommé par une double investiture, celle du Président de la République et celle de l'Assemblée. Mais quelles que soient les règles finalement adoptées pour la nomination du Chef du Gouvernement, quelles que soient les procédures qui aient prévalu, cette désignation ne se confond pas avec la constitution du ministère. Le Président du Conseil ne cumule pas en lui-même toute l'autorité et toute la responsabilité du Cabinet. La Constitution, au contraire, prévoit formellement la responsabilité collective des ministres. Elle n'a pas abandonné le système du gouvernement collégial.
Les votes que les uns et les autres avons émis mardi dernier valaient donc pour le choix du Président du Conseil, mais non pour la composition du Cabinet qui, à ce moment, n'était pas encore formé.
Telle est la seule interprétation logique que l'on puisse donner des textes constitutionnels. Je remarque, d'ailleurs, qu'elle est celle de M. Coste-Floret. Parlant au nom d'un des groupes de l'Assemblée, il disait : « Nous voterons pour vous, monsieur le Président du Conseil, mais nous réservons notre attitude à l'égard du Gouvernement jusqu'au moment où vous aurez constitué votre équipe. Lorsque nous la connaitrons — et ce jour- là seulement — nous lui donnerons ou lui refuserons notre confiance ».
L'opinion et le vote de M. Paul Coste-Floret ne sont pas douteux aujourd'hui (Sourires). Mais il ne parlait pas, ce jour-là, seulement en son nom personnel, il parlait au nom de son groupe. L'opinion qu'il formulait était ainsi celle de beaucoup de membres de cette Assemblée appartenant ou non au mouvement républicain populaire.
Depuis, le Gouvernement s'est constitué. Il est aujourd'hui, suivant une tradition qu'il renoue, assis sur les bancs du Gouvernement. Il est non seulement opportun, mais encore nécessaire qu'un débat s'institue, et je n'ai d'autre ambition, en déposant mon interpellation, que de permettre à cette règle de s'appliquer. »
Le Président du Conseil se voit attribuer une partie conséquente des pouvoirs qui, sous la IIIe République, appartenaient au président de la République. Il en est ainsi de l’initiative des lois (art. 14), du pouvoir d’exécution des lois (art. 47), de la direction des forces armées (art. 47), et du choix effectif des ministres (art. 46).
En 1946, la rationalisation du parlementarisme passe aussi par l’instauration d’un contrôle (certes timide) de la constitutionnalité des lois. De façon plus générale, à la sortie du second conflit mondial qui a conduit à la violation massive et systématique des droits de millions d’individus, le contexte est propice à l’instauration d’un tel type de contrôle dans plusieurs démocraties libérales européennes. La République fédérale d’Allemagne, par sa Loi Fondamentale de 1949, comme l’Italie, par sa Constitution de 1947, se dotèrent ainsi d’un contrôle juridictionnel de la conformité des lois à la Constitution. Le constituant français de 1946 devait également confier à une instance spécialement instituée à cet effet le soin de procéder à un contrôle de la conformité des lois par rapport à la Constitution. Sa mission et sa composition sont définies à l’article 91 de la Constitution, qui est le deuxième article du titre XI, intitulé « De la révision de la Constitution ».
Tx.Article 91 de la Constitution de 1946 :
« Le Comité constitutionnel est présidé par le président de la République.
Il comprend le président de l'Assemblée nationale, le président du Conseil de la République, sept membres élus par l'Assemblée nationale au début de chaque session annuelle à la représentation proportionnelle des groupes, et choisis en dehors de ses membres, trois membres élus dans les mêmes conditions par le Conseil de la République.
Le Comité constitutionnel examine si les lois votées par l'Assemblée nationale supposent une révision de la Constitution. »
Le Comité constitutionnel est présidé par le président de la République. Il comprend également les présidents des deux assemblées parlementaires (Assemblée nationale et Conseil de la République). Il comprend en outre dix autres membres, parmi lesquels sept sont élus, au début de chaque session annuelle, par l’Assemblée nationale (mais en dehors de ses membres), et trois sont élus, selon les mêmes modalités, par le Conseil de la République. La composition, très politique, de ce Comité, dépendait donc entièrement du Parlement, d’autant que la Constitution ne prévoyait aucune condition (qualification, compétence…) à l’exercice de ces fonctions. Combinée à une durée de mandat courte (un an), cette situation n’était pas de nature à favoriser l’indépendance de l’institution à l’égard des parlementaires, dont les membres du Comité était pourtant chargés de contrôler la production législative. En pratique, pourtant, les parlementaires ont surtout envoyé siéger au Comité des personnes statutairement indépendantes et souvent de grande qualité (conseillers d’État, professeurs de droit...). On aimerait pouvoir en dire autant des autorités de nomination des membres de notre actuel Conseil constitutionnel…
La Constitution chargeait le Comité d’examiner si « les lois votées par l’Assemblée nationale supposent une révision de la Constitution ».
Les conditions de sa saisine et les conséquences de ses « avis » étaient définies aux articles 92 et 93.
Tx.Article 92 de la Constitution de 1946 :
« Dans le délai de promulgation de la loi, le Comité est saisi par une demande émanant conjointement du président de la République et du président du Conseil de la République, le Conseil ayant statué à la majorité absolue des membres le composant.
Le Comité examine la loi, s'efforce de provoquer un accord entre l'Assemblée nationale et le Conseil de la République et, s'il n'y parvient pas, statue dans les cinq jours de la saisie. Ce délai est ramené à deux jours en cas d'urgence.
Il n'est compétent que pour statuer sur la possibilité de révision des dispositions des titres Ier à X de la présente Constitution. »
Article 93 de la Constitution de 1946 :
« La loi qui, de l'avis du Comité, implique une révision de la Constitution est renvoyée à l'Assemblée nationale pour nouvelle délibération.
Si le Parlement maintient son premier vote, la loi ne peut être promulguée avant que la présente Constitution n'ait été révisée dans les formes prévues à l'article 90.
Si la loi est jugée conforme aux dispositions des titres Ier à X de la présente Constitution, elle est promulguée dans le délai prévu à l'article 36, celui-ci étant prolongé de la durée des délais prévus à l'article 92 ci-dessus. »
Les conditions de saisine du Comité étaient strictes : il était saisi par une demande conjointe du président de la République et du président du Conseil de la République (ce dernier devait être habilité par la majorité absolue des membres de la chambre dont il assurait la présidence).
Si la loi examinée était jugée inconstitutionnelle (c'est-à-dire si le Comité était d’avis que l’entrée en vigueur de cette loi supposait une révision de la Constitution), l’Assemblée nationale devait procéder à une nouvelle délibération – c’est-à-dire, en quelque sorte, revoir sa copie afin de corriger cette contrariété. Un refus de modification du texte entraînait l’impossibilité de la promulgation, et donc de l’entrée en vigueur de la loi, tant que la Constitution n’était pas révisée.
Il convient de noter que l’article 92 contenait une précision importante quant aux normes servant au contrôle : la Constitution prévoyait expressément que la loi ne pouvait pas être confrontée au préambule, pourtant riche de dispositions de fond, en ce qu’il énonçait de nombreux droits et libertés. Dit autrement, le contrôle de constitutionnalité instauré avait principalement pour objet de s’assurer que les règles procédurales encadrant l’élaboration et le vote de la loi étaient bien respectées.
L’ensemble de ces dispositions révèle l’instauration d’un contrôle de la constitutionnalité des lois extrêmement timide. Cette frilosité s’expliquait naturellement et avant tout par la tradition légicentriste française qui, voyant dans la loi l’expression de la volonté générale, et dans le Parlement l’organe chargé de l’exprimer, jugeait inconcevable que la loi pût mal faire, et que le Parlement pût se tromper.
En pratique, le Comité constitutionnel ne fut saisi qu’une seule fois, en juin 1948. La loi examinée ayant été jugée non conforme à la Constitution, elle fut modifiée par le Parlement conformément aux dispositions précitées.
La rationalisation du parlementarisme recherchée par le constituant de 1946 avait pour ultime objet de contenir la puissance du Parlement, de renforcer la stabilité du Gouvernement et, ainsi, de rétablir l’autorité de l’État. Or, la pratique institutionnelle révèle que le texte a été d’une efficacité limitée pour contraindre des mœurs qui n’étaient pas encore favorables au « corsetage » du Parlement.
Dépourvue de majorité stable, l’Assemblée nationale n’a pas su donner au Gouvernement le soutien dont il avait besoin pour se maintenir durablement au pouvoir. Les instruments du parlementarisme rationalisé n’ont pas pu pallier efficacement cette absence de majorité. Confrontées à la crise algérienne, et manquant d’autorité, les institutions de IV
e République devaient être balayées par le retour au pouvoir du général De Gaulle en 1958.
Pour illustrer la situation d’instabilité gouvernementale qui devait résulter de cet échec, on prendra pour exemple les tentatives de rationalisation de la responsabilité gouvernementale et du droit de dissolution, qui n’aboutirent pas aux résultats escomptés.
Le régime parlementaire (catégorie à laquelle appartient la IVe République) étant fondé sur la collaboration (et donc la relation de confiance) entre un Gouvernement et une majorité parlementaire, il était nécessaire pour la Constitution de prévoir des moyens permettant à une assemblée parlementaire qui n’accorde plus sa confiance au Gouvernement de s’en séparer. Cette séparation résulte de la mise en jeu de la responsabilité politique du cabinet, qui conduit à sa démission.
Dans les lois constitutionnelles de 1875, aucun mécanisme, aucune procédure de mise en jeu de la responsabilité ministérielle n’étaient prévus, le texte se contentant de proclamer que « Les ministres sont solidairement responsables devant les chambres de la politique générale du Gouvernement ». L’absence de réglementation de la mise en jeu de la responsabilité politique a été conçue comme l’une des raisons de l’instabilité ministérielle, les Gouvernements se considérant par exemple contraints de démissionner même si la confiance leur était refusée par une minorité de députés, représentant, au regard des absents, la majorité de la Chambre le jour du vote.
C’est pour surmonter ces difficultés que le constituant de 1946 a procédé à une rationalisation de la procédure de mise en jeu de la responsabilité politique du Gouvernement. La Constitution de 1946 prévoyait deux moyens d’engager celle-ci : la question de confiance (art. 49) et la motion de censure (art. 50). La réglementation avait évidemment pour objet de rendre plus difficile le renversement du Gouvernement, afin de renforcer la stabilité gouvernementale.
Cette réglementation est donc le fait des articles 49 et 50 de la Constitution de 1946, qui prévoyaient tous deux que si la confiance était refusée au Gouvernement ou s’il était censuré (par une motion de censure), il devait démissionner.
Tx.Article 49 de la Constitution de 1946 :
« La question de confiance ne peut être posée qu'après délibération du Conseil des ministres ; elle ne peut l'être que par le président du Conseil.
Le vote sur la question de confiance ne peut intervenir qu'un jour franc après qu'elle a été posée devant l'Assemblée. Il a lieu au scrutin public.
La confiance ne peut être refusée au Cabinet qu'à la majorité absolue des députés à l'Assemblée.
Ce refus entraîne la démission collective du Cabinet. »
La question de confiance était à l’initiative du Gouvernement. Elle devait être décidée par une délibération du Conseil des ministres, et elle ne pouvait être posée que par le chef du Gouvernement. Ces deux dispositions avaient pour objet d’empêcher toute initiative individuelle, de la part de tel membre du Gouvernement (comme cela pouvait arriver sous la IIIe République, avec les conséquences que l’on sait en termes d’instabilité gouvernementale). La question de confiance devait résulter d’une décision collective, et devait être assumée par le chef de l’organe collégial qu’est le Gouvernement.
L’article 49 prévoyait en outre un délai entre la question et son vote. Le constituant souhaitait ainsi que ce vote ne se produise pas dans la précipitation, que les membres de l’Assemblée nationale puissent réfléchir sereinement avant de prendre une décision qui pouvait ouvrir une crise institutionnelle grave.
Enfin, l’article 49 prévoyait des conditions de majorité qualifiée pour l’adoption de la défiance, c’est-à-dire du refus de confiance. La confiance ne pouvait être refusée qu’à la majorité absolue des députés de l’Assemblée, et non pas à la majorité simple des présents, le jour du vote.
Tx.Article 50 de la Constitution de 1946 :
« Le vote par l'Assemblée nationale d'une motion de censure entraîne la démission collective du Cabinet.
Ce vote ne peut intervenir qu'un jour franc après le dépôt de la motion. Il a lieu au scrutin public.
La motion de censure ne peut être adoptée qu'à la majorité absolue des députés à l'Assemblée. »
La motion de censure était quant à elle un instrument à la disposition et à l’initiative des députés.
L’article 50 prévoyait des conditions de délai pour le vote de la motion, qui ne pouvait se produire qu’un jour franc après le dépôt de la motion afin, là encore, de laisser le temps aux députés de mesurer les conséquences de leur vote, et d’éviter une adoption dans la précipitation.
Il prévoyait également des conditions de majorité qualifiée : les mêmes que celles prévues à l’article 49.
La rationalisation de la question de confiance et de la motion de censure révèlent la volonté de « verrouiller » ces mécanismes constitutionnels pour faire en sorte d’une part que la responsabilité politique du Gouvernement ne puisse être engagée trop facilement et, d’autre part, qu’en cas d’engagement, elle ne puisse conduire trop aisément à la démission contrainte, avec pour ultime objectif la volonté d’assurer la stabilité du Cabinet.
Ces précautions n’ont pas abouti aux résultats escomptés. D’une part, parce que à côté des procédures formalisées de mise en jeu de la responsabilité politique, résultant des articles 49 et 50, sont apparues, dans la pratique, d’autres procédures, non écrites, telle la question de confiance « implicite », qui présentait l’avantage, justement, d’être non formalisée, et donc plus souple, en termes de procédure à suivre et de délais.
D’autre part, pour des raisons tenant aux mœurs (habitudes) politiques, à la psychologie des différents acteurs (députés et ministres), à la culture constitutionnelle de la France (valorisation du Parlement, dévalorisation des organes exerçant la fonction exécutive), des Gouvernements mis en minorité alors même que les conditions strictes prévues aux articles 49 et 50 n’étaient pas remplies, se sentaient malgré tout contraints de démissionner. Lorsqu’un refus de confiance (la motion de censure n’a pratiquement pas été utilisée) était adopté à la majorité simple des présents (et non à la majorité absolue des membres de l’Assemblée), le Gouvernement démissionnait, quand bien même l’une des conditions prévues à l’article 49 n’était pas remplie.
Ex.Entre 1946 et 1958, le nombre de députés à l’Assemblée nationale a varié, mais il tournait autour de 600. Pour une Assemblée de 600 membres, la majorité absolue se situe à 300 (la moitié du nombre de sièges) + 1 voix. Donc, en application des articles 49 et 50 de la Constitution, il fallait, pour que le refus de la confiance ou la motion de censure soit adoptées et que le Gouvernement soit contraint de démissionner, qu’elles recueillent au moins 301 voix favorables, quel que fût le nombre de députés présents au moment du vote. En pratique, cette condition ne fut pas respectée, puisque la majorité était calculée en fonction du nombre de députés présents le jour du vote. Par exemple, si 500 députés étaient présents le jour du vote de la confiance, celle-ci était considérée comme refusée dès lors qu’elle recueillait au moins 251 voix favorables, alors qu’elle n’aurait dû être considérée comme telle, en application de l’article 49, que si elle recueillait au moins 301 voix.
Affaiblis par la défiance exprimée par l’Assemblée, même si celle-ci ne l’était pas dans les formes prévues par la Constitution, les Gouvernements se sentaient politiquement (si ce n’est juridiquement) contraints de quitter le pouvoir.
Rq.C’est là, soit dit en passant, une nouvelle illustration de la dimension politique du droit constitutionnel.
Et c’est en définitive ainsi que, contrairement à ce qu’avait espéré le constituant, les crises ministérielles se sont multipliées, alors que presque jamais, dans l’histoire de la IVe République, un Gouvernement n’a été contraint à la démission dans les formes requises par la Constitution, c'est-à-dire à la majorité absolue des députés. Le régime a connu, en douze ans, 21 Gouvernements. Ces derniers avaient donc une durée de vie moyenne de sept mois (c’est-à-dire similaire à la durée de vie moyenne des Gouvernements de la IIIe République…).
En réalité, le problème de l’instabilité gouvernementale ne s’expliquait pas par des procédures inadaptées. Outre les éléments mentionnés précédemment (mœurs politiques, culture constitutionnelle française…), la difficulté majeure résidait dans le fait que les Gouvernements successifs ne disposaient pas d’une majorité de soutien ferme à l’Assemblée. Faites de coalitions, ces majorités étaient fragiles et se disloquaient facilement.
On pourrait, à la limite, imaginer de rendre un Gouvernement totalement inamovible en verrouillant complètement les procédures de mise en jeu de la responsabilité, voire en interdisant même – c’est une hypothèse d’école – au Parlement de le renverser. Tant que ce Gouvernement ne serait pas soutenu par les parlementaires pour mener son programme à bien, c’est-à-dire, tant qu’il ne pourrait pas voir adoptés ses projets de loi, son projet de budget, il n’aurait aucun moyen de gouverner, et serait donc politiquement (et non juridiquement) contraint de démissionner du fait de son impuissance. On pourrait reprendre ici une belle formule du Professeur Denis Baranger, qui compare le lien de confiance qui unit le Gouvernement à la majorité parlementaire dans un régime parlementaire, à un mariage. Le Gouvernement et la majorité sont unis, dans une sorte de mariage, qui peut se terminer par un divorce, dès que la confiance est rompue. Interdire le divorce ne garantit pas aux personnes mariées d’être heureuses ; de la même façon, verrouiller complètement la procédure de mise en jeu de la responsabilité politique du Gouvernement et empêcher la majorité parlementaire de se séparer d’un Gouvernement dans lequel elle ne fait plus confiance, ne permettra pas leur collaboration fructueuse, sur laquelle repose la logique du régime parlementaire…
Quoi qu’il en soit, la pratique de l’engagement de la responsabilité politique du Gouvernement a également eu des conséquences sur l’usage du droit de dissolution.
La Constitution de 1946 prévoit la possibilité, pour le président de la République sur décision du Conseil des ministres, de dissoudre l’Assemblée nationale. Cette prérogative, classique dans les régimes parlementaires, constitue en quelque sorte la contrepartie de la possibilité reconnue au Parlement de renverser le Gouvernement. Elle est aussi un instrument de la rationalisation du parlementarisme.
Toutefois, la dissolution n’a pas les faveurs de la majorité des républicains qui la redoutent toujours, depuis l’usage qu’en avait fait le Maréchal de Mac Mahon en 1877 (v. sur ce point la leçon consacrée aux institutions de la IIIe République). Elle était considérée alors comme une arme anti-républicaine, et c’est pourquoi, bien qu’elle fût introduite dans le texte de la Constitution, les conditions de son usage furent strictement définies.
Tx.Article 51 de la Constitution de 1946 :
« Si, au cours d'une même période de dix-huit mois, deux crises ministérielles surviennent dans les conditions prévues aux articles 49 et 50, la dissolution de l'Assemblée nationale pourra être décidée en Conseil des ministres, après avis du président de l'Assemblée. La dissolution sera prononcée, conformément à cette décision, par décret du président de la République.
Les dispositions de l'alinéa précédent ne sont applicables qu'à l'expiration des dix-huit premiers mois de la législature. »
Le pouvoir de décider de la dissolution appartient désormais au Conseil des ministres (et non plus, comme sous la IIIe ou plus tard sous la Ve Républiques, au chef de l’État). Le président de la République ne dispose plus que d’une compétence liée, qui consiste à entériner (c’est-à-dire à formaliser), par décret, une décision qui ne lui appartient plus.
Plusieurs conditions entourent le prononcé de la dissolution :
- Elle ne peut être prononcée durant les dix-huit premiers mois de la législature, c'est-à-dire pendant les dix-huit mois qui suivent l’élection des membres de l’Assemblée nationale.
- Elle ne peut être prononcée que dans l’hypothèse de deux démissions contraintes du Gouvernement dans une même période de dix-huit mois. Cette rédaction laisse entendre que le recours à la dissolution ne devait être autorisé que pour la résolution des crises institutionnelles graves et répétées.
- Ces démissions contraintes doivent résulter de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement dans les conditions prévues aux articles 49 et 50, c’est-à-dire à la suite de l’adoption soit de deux motions de censure, soit de deux refus de confiance, soit d’une motion de censure et d’un refus de confiance adoptées à la majorité absolue des membres composant l’Assemblée nationale. En insérant cette condition à l’article 51, le constituant a fait dépendre la possibilité de recourir à la dissolution de l’attitude des députés. Une fois qu’ils avaient intégré que les Gouvernements démissionneraient même si les conditions de majorité prévues aux articles 49 et 50 n’étaient pas atteintes, ils s’arrangeaient pour faire en sorte que cette majorité ne soit justement jamais atteinte, en pratiquant le « calibrage des votes ». Il résultait de ces pratiques que les conditions du recours à la dissolution n’étaient pas réunies, puisque les crises ministérielles (i. e. les démissions contraintes du Gouvernement) ne survenaient jamais « dans les conditions prévues aux articles 49 et 50 ».
Rq.Il y a, dans l’histoire de la IVe République, une seule exception : en 1955, la dissolution de l’Assemblée nationale a pu être prononcée par suite de deux crises ministérielles successives, dans les conditions prévues par la Constitution.
On s’aperçoit ainsi que malgré les précautions prises par le constituant, le régime de la IVe République a fonctionné de façon assez comparable à celui de la IIIe. Tous deux ont été marqués par une forte instabilité ministérielle.
En 1954, pourtant, une révision constitutionnelle (objet de la loi constitutionnelle du 7 décembre 1954) avait tenté une réforme des institutions. Cette réforme avait plusieurs objectifs : renforcer le Conseil de la République, en lui permettant de peser dans la procédure législative (il acquiert alors le pouvoir de voter les lois) ; revenir à un mécanisme d’investiture unique, qui devait intervenir une fois le Gouvernement formé ; alléger, pour cette même investiture, les conditions de majorité exigée (la majorité devenait simple, alors que celle exigée auparavant était absolue) ; permettre au Président du Conseil, après sept mois de session, de prononcer la clôture de cette dernière afin de dégager le Gouvernement de la tutelle permanente que faisait peser sur lui l’Assemblée nationale. A travers ces réformes, on espérait sans doute contenir la puissance de l’Assemblée et renforcer la stabilité du Gouvernement.
Mais cette réforme n’aura pas suffi à guérir le régime parlementaire « à la française » de sa pathologie chronique (l’instabilité ministérielle). Il faudra, pour cela, l’instauration d’un nouveau régime : celui de la Ve République.
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