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Pix+Droit Domaine 2

2.1 Maîtriser la preuve numérique des faits et des écrits juridiques



1. Preuve des faits juridiques



En matière pénale, une enquête de police peut être diligentée à la suite d’une plainte déposée par le titulaire ou de la propre initiative des officiers de police judiciaire.
 
Des services d’enquêtes spécialisés ont été créés pour permettre de rechercher et de constater les infractions sur internet et notamment :
  • la Sous-direction de lutte contre la cybercriminalité (SDLC) qui a en charge les piratages, fraudes aux moyens de paiement, téléphonie et escroqueries sur Internet ;
  • la Brigade d’enquête sur les fraudes aux technologies de l’information (BEFTI) compétente en région parisienne ;
  • le Centre de lutte contre les criminalités numériques (C3N) compétent pour les atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données (STAD) et les infractions visant les personnes et les biens.
Dans le cadre de leur enquête, les autorités de police peuvent procéder à des perquisitions au lieu de la connexion ayant servi à réaliser l’atteinte alléguée et réquisitionner les données de connexion auprès de tout organisme susceptible de détenir des documents ou informations intéressant l’enquête. Elles peuvent aussi être captées à distance (intrusion dans un système informatique ; géolocalisation) sous le contrôle d’un juge (articles 706-102-1 à 706-102-5 du CPP).
 
Dans ce cadre, les intermédiaires techniques (fournisseurs d’accès à internet, hébergeurs) se voient notamment imposer une obligation de conservation des données de connexion (art. 6 II de LCEN du 21 juin 2004) et une obligation de coopération avec l’autorité judiciaire.

La preuve des faits juridiques peut être rapportée par tous moyens. Le juge appréciera la valeur probante à l’aune des modalités de sa constitution.

Par une copie d’écran d’une page d’un site internet, par la conservation d’un enregistrement audio ou vidéo, mais il sera compliqué de déterminer avec certitude la date de cette copie et la fiabilité de la copie.

Il a déjà été admis la preuve d’un contenu d’un site internet à partir du site archive.org qui archive ce qui a été mis en ligne (CA Paris, 5 juill. 2019, legalis.net).

Les conditions de recueil de la preuve doivent respecter la législation sur les données à caractère personnel. Ainsi, un employeur ne peut fonder un licenciement pour faute grave sur les données d’un dispositif de géolocalisation du salarié non conforme au RGPD.



Possibilité de solliciter la rédaction d’un constat de commissaire de justice.

Intérêt pour le respect du formalisme, de l’impartialité, et de l’objectivité.

Le commissaire de justice doit s’assurer, à peine de nullité du procès-verbal, de vérifications techniques qui ont été énoncées par le juge (TGI Paris, 4 mars 2003, legalis.net) puis reprises dans la norme AFNOR NF Z 67-147, sept. 2010.
En savoir plus : Pour approfondir sur la preuve des faits juridiques

2. Preuve des actes juridiques



Le législateur a été jusqu’en 2000 attaché au support papier pour qu’un écrit puisse avoir une valeur probante. Des réserves étaient émises à l’encontre du support électronique notamment quant à son intégrité, quant à l’identité des auteurs de l’acte et quant à sa conservation. Ces réserves ont été levées par :
Tx.
  • la loi n° du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relative à la signature électronique qui a permis l’écrit électronique à titre de preuve ;
  • la directive du 8 juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique transposée par la loi n° du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique qui a permis l’écrit électronique à titre de validité ;
  • l’ordonnance n° du 16 juin 2005 relative à l'accomplissement de certaines formalités contractuelles par voie électronique qui précise le dispositif pour les contrats électronique et consacre la lettre recommandée électronique ;
  • l’ordonnance n° du 10 février 2016 portant réforme du droit des obligations qui a renuméroté et modifie à la marge les textes en matière de preuve et de contrat électronique.

Les dispositions de droit commun se trouvent dans le Code civil en trois blocs distincts :

Preuve électronique

Formalités électroniques (validité)

Conclusion du contrat

Art. 1365 à 1367 du C. civ.

  • Définition de l'écrit juridique
  • Principe d'équivalence fonctionnelle
  • Signature électronique
Art. 1174 à 1177 du C. civ.

  • Etablissement et conservation sous la forme électronique
  • Contrats exclus (famille et successions)
  • Adaptation des formalités (mention ; formulaire ; exemplaires)
Art. 1125 à 1127-4 du C. civ.

  • Communication électronique des stipulations contractuelles
  • Modalités de la communication électronique
  • Modalités de l'offre et de son acceptation
  • Modalités de remise d'un écrit électronique


Rq.Rappel : un écrit est exigé à titre de preuve pour les actes portant sur une somme supérieure à 1 500 euros. En cas de non-respect des conditions légales de l’écrit, l’acte aura la valeur d’un simple commencement de preuve par écrit (art. 1359 du C. civ.)

Ainsi, lorsque l’écrit est exigé ad probationem, la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 a instauré le principe d’équivalence fonctionnelle ou de neutralité technologique entre le support papier et le support électronique.

Df.Définition de l'écrit : art. 1365 du C. civ. :

« L'écrit consiste en une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d'une signification intelligible, quel que soit leur support. »

Force probante :
Tx.art. 1366 du C. civ. :

«  L'écrit électronique a la même force probante que l'écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu'il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l'intégrité. »

Il a cependant fallu adapter les formalités exigées à titre de preuve.

Mention manuscrite

Double original

Règle : art. 1376 du C. civ.

Tx.« L'acte sous signature privée par lequel une seule partie s'engage envers une autre à lui payer une somme d'argent ou à lui livrer un bien fongible ne fait preuve que s'il comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres (...) »
Règle : art. 1375 al. 1 du C. civ.

Tx.« L'acte sous signature privée qui constate un contrat synallagmatique ne fait preuve que s'il a été fait en autant d'originaux qu'il y a de parties ayant un intérêt distinct (...) »
Cass. 1ère civ., 13 mars 2008, n° 06-17.534 : Publié au Bulletin

« Si la mention de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres, écrite par la partie même qui s'engage, n'est plus nécessairement manuscrite, elle doit alors résulter, selon la nature du support, d'un des procédés d'identification conforme aux règles qui gouvernent la signature électronique ou de tout autre procédé permettant de s'assurer que le signataire est le scripteur de ladite mention. »
art. 1375 al. 4 du C. civ.

Tx.« L'exigence d'une pluralité d'originaux est réputée satisfaite pour les contrats sous forme électronique lorsque l'acte est établi et conservé conformément aux articles 1366 et 1367, et que le procédé permet à chaque partie de disposer d'un exemplaire sur support durable ou d'y avoir accès. »


Lorsque l’écrit est exigé ad validitatem, les formalités ont également été adaptées.

Forme électronique valable

Mention manuscrite 

Art. 1174 al. 1er du C. civ.

Tx.« Lorsqu'un écrit est exigé pour la validité d'un contrat, il peut être établi et conservé sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1366 et 1367 et, lorsqu'un acte authentique est requis, au deuxième alinéa de l'article 1369. »
Art. 1175 du C. civ.

Ne peuvent pas être conclus sous forme électronique les actes sous signature privée relatifs au droit de la famille et des successions.

Application aux actes authentique

La règle a été précisée pour les notaires et les huissiers par les décrets n° et n° du 10 août 2005.
Art. 1174 al. 2 du C. civ.

Tx.« Lorsqu'est exigée une mention écrite de la main même de celui qui s'oblige, ce dernier peut l'apposer sous forme électronique si les conditions de cette apposition sont de nature à garantir qu'elle ne peut être effectuée que par lui-même. »

Application au cautionnement

La réforme du droit des sûretés (ord. n° du 15 sept. 2021) avait notamment pour objectif de moderniser les règles du Code civil relatives à la conclusion par voie électronique des actes sous signature privée relatifs à des sûretés réelles ou personnelles afin d'en faciliter l'utilisation. Dorénavant, elles peuvent être conclues sous la forme électronique avec l'apposition d'une mention qui n'a plus à être manuscrite (art. 2297 du C. civ.).

 


Le Code civil prévoit enfin des dispositions pour les contrats conclus par voie électronique dans le cadre du commerce électronique, desquelles il ressort notamment :
Communication électronique

Offre

Art. 1125 à 1127 du C. civ.

  • Mise à disposition des stipulations contractuelles ou des informations sur des biens ou services.
  • Au destinataire non professionnel dès lors qu'il a accepté l'usage de ce moyen.
  • Au professionnel dès qu'il a communiqué son adresse électronique.
Art. 1127-1 à 1127-3 du C. civ.

  • L'auteur de l'offre reste engagé par elle tant qu'elle est accessible par voie électronique de son fait.
  • L'offre comprend des informations précisément identifiées (étapes de conclusion ; moyens techniques pour parer aux erreurs ; langues ; modalités d'archivage ; informations sur les règles professionnelles et commerciales).
  • Le destinataire de l'offre doit avoir eu la possibilité de vérifier le détail de sa commande et son prix total et de corriger d'éventuelles erreurs.

La signature électronique a d’abord été encadrée par le droit national.

Tx.« Lorsque [la signature] est électronique, elle consiste en l'usage d'un procédé fiable d'identification garantissant son lien avec l'acte auquel elle s'attache. La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu'à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l'identité du signataire assurée et l'intégrité de l'acte garantie, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. » (art. 1367 al. 2 c. civ.)

Le décret n° du 28 septembre 2017 relatif à la signature électronique dispose dans son unique article que « la fiabilité d'un procédé de signature électronique est présumée, jusqu'à preuve du contraire, lorsque ce procédé met en Ĺ“uvre une signature électronique qualifiée » conformément à la législation européenne.

La signature électronique est dorénavant encadrée par le droit de l’Union européenne (règlement n° du 23 juill. 2014 sur l'identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur, dit règlement « eIDAS ») pour « susciter une confiance accrue dans les transactions électroniques au sein du marché intérieur en fournissant un socle commun pour des interactions électroniques sécurisées entre les citoyens, les entreprises et les autorités publiques et en accroissant ainsi l’efficacité des services en ligne publics et prive?s, ainsi que de l’activité économique et du commerce électronique dans l’Union » (cons. 2).

La numérisation d’une signature manuscrite ou l’application par un stylet de sa signature sur un document électronique ne constitue pas une signature électronique car ces procédés, pourtant très souvent utilisés, ne permettent pas d’assurer l’identité du signataire ni garantir l’intégrité du document.

Le règlement eIDAS définit plusieurs niveaux de signature électronique (S.E.) selon les actes à signer : source : ANSSI, Guide de sélection des niveaux de signature et de cachet électroniques.

 
S.E. simple

S.E. avancée

S.E. qualifiée

Définition
Df.Des données sous forme électronique qui sont jointes ou associées logiquement à d'autres données sous forme électronique et que le signataire utilise pour signer.
Df.
  • Est liée au signataire de manière univoque ;
  • Permet d'identifier le signataire ;
  • Est créée à l'aide de données que le signataire peut, avec un niveau de confiance élevée utiliser sous son contrôle exclusif ;
  • Permet de détecter toute modification ultérieure du document signé électroniquement.
Df.S.E. avancée (v. ci-contre).

+ Dispositif de création de signature électronique qualifié garantissant notamment la confidentialité, l'unicité des données et la sécurisation des données.
Force probantePreuve de la fiabilité à rapporterPreuve de la fiabilité à rapporterPrésomption de fiabilité (équivalent à la signature manuscrite)
Procédés
  • Signature sur tablette électronique.
  • Signature avec confirmation par code reçu à une adresse ou un numéro de téléphone déclaré par le signataire.
  • Signature avec confirmation par code reçu sur un numéro de téléphone lié de façon procédurale à l’identité du signataire.
  • Signature avec vérification de l’identité du signataire.
  • Utilisation d’un logiciel de signature électronique exigeant la présentation d’un certificat qualifié préalablement délivré au signataire.
  • Signature au moyen d’une application mobile garantissant une identification et une authentification forte du signataire.
Actes
  • Contrat de bail
  • Contrat de travail
  • CGU/CGV...
  • Crédits à la consommation
  • Crédits immobiliers
  • Assurance vie
  • Acte authentique
  • Actes d'avocats
  • Marchés publics

La lettre recommandée est un outil important dans l'exécution des contrats puisqu'elle constitue une formalité requise pour déclencher certaines clauses contractuelles (révocation ; résiliation...). Elle est utilisée de manière générale pour s'assurer de la preuve de la communication d'une information. Le législateur français avait intégré les dispositions dans le Code civil en distinguant la lettre électronique simple et la lettre électronique recommandée (ordonnance n° du 16 juin 2005).

A la suite du règlement eIDAS qui a également pour objet la lettre recommandée électronique, le législateur a supprimé les dispositions du Code civil pour les intégrer dans le Code des postes et des communications électroniques (CPCE). Il supprime toute distinction entre lettres électroniques et énonce un principe d'équivalence fonctionnelle entre la lettre recommandée papier et la lettre recommandée électronique à la condition du respect des exigences eIDAS (art. L. 100 du CPCE).

Le destinataire qui n'est pas un professionnel doit avoir exprimé à l'expéditeur son consentement à recevoir des envois recommandés électroniques.

Le prestataire peut proposer que le contenu de l'envoi soit imprimé sur papier puis acheminé au destinataire dans les conditions fixées au livre Ier du présent code.

L'article 44 du règlement eIDAS définit les exigences de la lettre recommandée électronique :
Tx.« 1. Les services d'envoi recommandé électronique qualifiés satisfont aux exigences suivantes :

a)  ils sont fournis par un ou plusieurs prestataires de services de confiance qualifiés ;

b)  ils garantissent l'identification de l'expéditeur avec un degré de confiance élevé ;

c)  ils garantissent l'identification du destinataire avant la fourniture des données ;

d)  l'envoi et la réception de données sont sécurisés par une signature électronique avancée ou par un cachet électronique avancé d'un prestataire de services de confiance qualifié, de manière à exclure toute possibilité de modification indétectable des données ;

e)  toute modification des données nécessaire pour l'envoi ou la réception de celles-ci est clairement signalée à l'expéditeur et au destinataire des données ;

f)  la date et l'heure d'envoi, de réception et toute modification des données sont indiquées par un horodatage élec­tronique qualifié.

(...).
»

Ces exigences sont précisées aux articles R. 53 à R. 53-4 du CPCE.
En savoir plus : Pour approfondir sur la preuve des actes juridiques

3. Relations avec l'administration



Depuis le 1er janvier 2020, toutes les entreprises sont tenues d'envoyer en format électronique leurs factures à destination du secteur public (Etat, collectivités territoriales et les établissements publics).

L'obligation avait été créée en 2014 (ord. n° du 26 juin 2014) avec une application progressive selon la taille des entreprises.

La plateforme Chorus Pro centralise le dépôt des factures électroniques. Il est conseillé de recourir à un dispositif de signature électronique sans que cela soit obligatoire.

L'obligation de facturation électronique s'étend dans les relations entre entreprises assujetties à la TVA, établies en France (ord. n° du 15 septembre 2021). Elle implique le dépôt des factures sur une plateforme de dématérialisation partenaire de l'administration ou sur Chorus Pro. Le déploiement de l'obligation est progressif de 2024 à 2026 :
  • à compter du 1er juillet 2024, en réception, à l'ensemble des assujettis,
  • à compter du 1er juillet 2024, en transmission, aux grandes entreprises,
  • à compter du 1er janvier 2025 aux entreprises de taille intermédiaire,
  • à compter du 1er janvier 2026 aux petites et moyennes entreprises et microentreprises.


Le législateur de l'Union européenne a imposé la dématérialisation des marchés publics (directive  du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relative à la facturation électronique dans le cadre des marchés publics transposée par l'ordonnance n° du 23 juillet 2015) à la fois s'agissant des procédures de passation des marchés mais aussi en imposant la publication des données essentiels de certains contrats.


Dématérialisation des procédures

Accès aux données essentielles

Art. R. 2132-2 du CCP

Depuis le 1er avril 2018, le DUME, document unique de marché européen, doit pouvoir être transmis par voie électronique pour tous les marchés.

Depuis le 1er octobre 2018, tous les marchés publics dont le montant estimé est égal ou supérieur à 25 000 € HT doivent être publiés sur une plateforme en ligne, appelée « profil d'acheteurs ». Elle était déjà obligatoire au-delà de 90 000 € HT.
Art. R. 2196-1 du CCP

L'acheteur offre, sur son profil d'acheteur, un accès libre, direct et complet aux données essentielles des marchés répondant à un besoin dont la valeur est égale ou supérieure à 40 000 euros hors taxes.

Les données essentielles portent sur la procédure de passation du marché, le contenu du contrat, l'exécution du marché, notamment, lorsqu'il y a lieu, sur sa modification.

L'obligation vaut aussi pour les contrats de concession.

En savoir plus : Pour approfondir sur les relations avec l'administration
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