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Droits des étrangers et de l'asile

Introduction aux droits des étrangers et de l’asile

Cette leçon constitue une introduction au cours de droits des étrangers et de l’asile. Il s’interroge sur la pertinence de l’intitulé du cours et s’arrête sur les principales caractéristiques de ce droit trans ou pluri-disciplinaire.



Cette leçon constitue une introduction au cours de droit des étrangers (Section 1), qui s’arrêtera sur les principales caractéristiques de ce droit trans ou pluridisciplinaire (Section 2).

Section 1. Prolégomènes


Df.Le droit des étrangers peut être défini comme l’ensemble des règles applicables spécifiquement aux ressortissants non-nationaux visant à régir leurs relations avec la France et les Français, ou avec des étrangers installés en France, quelle qu’en soit l’objet, leur durée ou le motif (entrée, séjour, éloignement, transit, relations familiales, voyage d’affaires ou touristique, études, accès au travail à la protection et à l’aide sociale, etc. etc.).


L’expression de « droit des étrangers » est trompeuse à plus d’un titre :
  • D’une part, ce droit ne concerne pas que les étrangers, ie ceux qui ne sont pas de nationalité française, mais aussi d’autres catégories de non-nationaux (ainsi en vertu de l'article L. 110-3 du CESEDA (nouveau), « Sont considérées comme étrangers au sens du présent code les personnes qui n'ont pas la nationalité française, soit qu'elles aient une nationalité étrangère, soit qu'elles n'aient pas de nationalité. ») :
    • les apatrides (ie ceux qui ne peuvent se revendiquer d’aucune nationalité),
    • les demandeurs d’asile,
    • les réfugiés et autres bénéficiaires d’une protection internationale (ie ceux qui, bien que formellement étrangers, ne peuvent plus se revendiquer de la protection de leur pays d’origine en raison de craintes de persécution),
    • mais aussi, il ne faut pas l’oublier, les Français eux-mêmes dont les relations avec les étrangers sont largement déterminées par ce droit (lorsqu’un ressortissant français veut se marier avec un étranger ou une étrangère ; lorsqu’il s’agit d’établir une attestation d’accueil pour faire venir des proches ou des amis étrangers ; lorsqu’un employeur veut recruter un salarié étranger ; lorsqu’une entreprise de transport contrôle les passagers en vue d’un embarquement ou encore lorsqu’on souhaite, par humanité ou fraternité, aider de manière désintéressée un sans-papier malgré l’irrégularité de son séjour).
  • D’autre part, non seulement le droit des étrangers ne concerne pas que les étrangers mais en outre il ne s’applique pas de manière uniforme à tous les étrangers : il existe en réalité une multitude de statuts d’étrangers en France (citoyens de l’Union européenne, bénéficiaires d’accords d’association ou d’accords bilatéraux comme les turcs ou les algériens, ressortissants de pays tiers mais aussi résidents de longue durée, scientifique, étudiants, carte bleue européenne, titulaire du passeport talent, travailleurs détachés, réfugiés, protégé subsidiaire, demandeur d’asile, débouté du droit d’asile ou encore étrangers en situation irrégulière, etc., etc.) mais aussi une myriade de situations et de catégories régies par ce droit.
D’un autre point de vue on peut aussi se demander si l’on peut valablement parler d’un droit des étrangers. Certes, il existe un ensemble des règles qui régissent la situation des étrangers en France. Dans ce sens, on peut parler de droit des étrangers à propos de ce corpus de règles plus ou moins homogène et en grande partie codifié depuis 2005 (dans le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile – CESEDA), et recodifié en 2021.
Tx.Depuis le 1er mai 2021 est entré en vigueur une nouvelle version recodifiée du CESEDA (Ordonnance n° du 16 décembre 2020).
  • Mais d’une part, ce sont en réalité une multitude de droits qui s’appliquent aux étrangers et qui régissent leur condition en France. Ce droit n’est pas constitué d’un seul corpus uniforme de règles – qui seraient intégralement réunies au sein dans le CESEDA – mais une multitude de règles légales, réglementaires et jurisprudentielles, mais également des pratiques et interprétations relevant de l’infra-droit – qui viennent se compléter, se concurrencer ou se chevaucher dans des champs disciplinaires variés (droit public, en particulier droit administratif et droit constitutionnel, droit international et européen, droit international privée, droit civil, droit social, droit pénal, droit commercial, etc., etc.). On devrait donc parler de droits des étrangers tant il est vain de recherche l’unité ou la cohérence (Emmanuelle Saulnier-Cassia, Vincent Tchen (dir.), Unité du droit des étrangers et égalité de traitement, Dalloz, coll. « Thèmes et commentaires », 2009, 314 p.).
  • Et d’autre part, bien souvent, trop souvent, parler de droit lorsqu’on traite du droit des étrangers c’est un euphémisme voire un oxymore tant les étrangers ne sont pas, dans le système français, principalement titulaires de droits mais surtout soumis à des obligations, en particulier à des obligations de police administrative et à des pratiques d’infra-droit. Ainsi, si à propos du droit administratif on évoque, pour reprendre la formule de Prosper Weil, de « miracle » (car en France ce serait un miracle que l’administration ait accepté de se soumettre au droit), s’agissant étrangers il s’agit d’un combat de tous les jours que de faire respecter le droit par l’administration (en particulier par l’administration préfectorale) et de faire admettre que les étrangers ont aussi – malgré leur extranéité – des droits (et même des droits et libertés).
    • En ce sens, dans un ouvrage qui paraît toujours aussi incontournable 35 ans après sa publication, Danièle Lochak introduisait son Etrangers : de quel droit ? en s’interrogeant : « Etranger, de quel droit es-tu là ? […] Mais aussi : de quel droit te déclare-t-on étranger ? de quel droit te refuse-t-on l’accès de notre territoire, t’exclut-on de nos bureaux de vote ? ».
    • V. aussi : Karine Parrot, Carte blanche : l’État contre les étrangers, La Fabrique, 2019, 304 p.

Le droit des étrangers est donc très largement un droit d’exclusion (de certains droits ou prérogatives), de soumission / inféodation (à certaines règles, en particulier à des règles de police administrative).

Il n’a jamais été totalement abandonnée l’idée selon laquelle la présence d’un étranger est tolérée mais qu’elle reste précaire et révocable au nom du principe de souveraineté nationale. Toutefois, malgré cette toile de fond, parallèlement, grâce notamment au développement du droit international et européen des droits de l’Homme, d’un droit international des migrations (DIM) (cf. les travaux de Vincent Chetail et le mémoire de M2 de Baptiste Jouzier sur la Rev. DH « Une analyse critique du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières » et ses travaux de thèse en cours) et d’un embryon de statut constitutionnel des étrangers (« Droit des étrangers », Titre VII. Les cahiers du Conseil constitutionnel, n° 6 - avril 2021), mais aussi le développement de politiques d’intégration, a émergé la reconnaissance de droits des étrangers (cf. GISTI, Etrangers : quels droits ?, Dalloz-GISTI, 2ème éd., 2020), mais aussi la garantie de droits et libertés fondamentaux (Serge Slama, « Les droits et libertés fondamentaux des étrangers », in Thierry Renoux, Protection des libertés et droits fondamentauxme, La Doc. Française, coll. « les notices », 2011, notice 22).

Au regard de toutes ces insuffisances de l’expression Droit des étrangers pourquoi ne pas changer l’intitulé de ce cours ?

Les autres expressions qui ont été utilisées ne sont pas nécessairement plus satisfaisantes ou parlantes.

Dans les années 1980, les premiers ouvrages de publicistes dans cette matière étaient plutôt intitulés Droit de l’immigration :
  • Christian Nguyen Van Yen, PUF, coll. « Thémis » 1986, 352 p. ;
  • Laurent Richer, PUF, coll. « Que Sais-je ? », 1986, 125 p.
A cette époque on parlait plutôt de « travailleurs immigrés » (nom d’associations comme le GISTI ou la FASTI mais aussi de secrétariats d’Etat de 1974 à 1983). Toutefois, cette expression a, durant les années 1980, et au fur et à mesure de l’accumulation des lois régissant « l’entrée et le séjour des étrangers en France » ou visant à la « maîtrise de l’immigration » été supplantée par des ouvrages sur « l’entrée et le séjour des étrangers en France » :
  • GISTI, Le guide de l’entrée et du séjour des étrangers en France, La Découverte, 1ère éd., 1993 [11ème éd., 2019], 174 p. ;
  • Rudolph D’Haëm, L’entrée et le séjour des étrangers en France, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1999, 126 p.
Mais dans les années 1990, c’est l’expression Droit des étrangers qui s’impose :
  • Vincent Tchen, Le droit des étrangers, Flammarion, coll. « Domino », 1998 ; Le droit des étrangers, Ellipses, coll. « mise au point », 1ère éd., 2006 [2ème éd. 2011] puis le monumental Droit des étrangers, Lexis-Nexis, 1590 p. ;
  • François Julien-Laferrière, Droit des étrangers, PUF, coll. « Droit fondamental », 2000, 550 p. ;
  • Xavier Vandendriessche, Le droit des étrangers, Dalloz, 1ère éd., 1997 [6ème éd., 2021], coll. « Connaissance du droit », 230 p. ;
  • Emmanuel Aubin, Droit des étrangers, Gualino, coll. « Master pro », 2009 [3ème éd., 2014], 359 p.)
y compris outre-quiévrain :
  • Jean-Yves Carlier, Sylvie Saroléa, Droit des étrangers, Larcier, 2016, 832 p.
Parallèlement a été créé dans les années 1990 par les Editions législatives un Dictionnaire permanent - droit des étrangers (DPDE) – qui constitue toujours le périodique de référence le plus complet (le Lamy « immigration » ou « mobilité internationale » n’ayant jamais trouvé son public). Et avant même l’adoption en 2005, par voie d’ordonnance, d’un Code de l’étranger et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), les deux principaux éditeurs juridiques ont publié leur propre code annoté et commenté (par Vincent Tchen pour Lexis-Nexis - le bleu - et par Xavier Vandendriessche pour Dalloz – le rouge) qui comprennent les règles d’accès à l’asile mais pas le droit de la nationalité.

Et s’il existe encore des ouvrages qui, dans le prolongement de celui de François Julien-Laferrière, traite à la fois du droit des étrangers et du droit de la nationalité :
  • Fabienne Jault-Seseke, Sabine Corneloup, Ségolène Barbou des Places, Droit de la nationalité et des étrangers, PUF, coll. « Thémis », 2015, 702 p.
L’intégration des règles du droit de la nationalité dans le droit des étrangers est néanmoins de moins en moins fréquente tant ce droit pléthorique obéit à des logiques et règles qui lui sont spécifiques et distinctes de celles du droit des étrangers :
  • Paul Lagarde, La nationalité française, Dalloz, 4ème éd. 2011, 528 p.
  • Hugues Fulchiron, La nationalité française, PUF coll. « Que sais-je ? », 127 p.
ou de manière plus ancienne :
  • Raymond Boulbés, Droit français de la nationalité, Sirey, 1956, 598 p. ; La nationalité française, 1960, Sirey, 160 p.
Et plus largement tous les ouvrages de Droit international privé.

Même si elles expriment la souveraineté d’un Etat (Jules Lepoutre, Nationalité et souveraineté, Dalloz, coll. « Nouvelle bibliothèque des thèses », 2020, 810 p.), ces règles relèvent davantage de l’état des personnes (ie du Droit international privé et du Droit civil) que des lois de police administrative.

Dans le même ordre d’idées, alors que le droit d’asile a été appréhendé comme une branche du droit des étrangers, et l’est encore dans certains ouvrages (comme le celui de Vincent Tchen), il a de plus en plus tendance à s’autonomiser et à devenir un droit à part entière – le droit de l’asile.
  • Claire Brice Delajoux (dir.), Droit des étrangers, droit de l’asile : entre attraction et répulsion, éd. A. Pédone, coll. « Actes du colloque de l’Université d’Evry », 2021, 152 p.
Cela justifie désormais un traitement et des ouvrages à part :
  • Denis Alland, Catherine Teitgen-Colly, Traité du droit de l’asile, PUF, coll. « Droit fondamental », 2002, 694 p. ;
  • Jean-Michel Belorgey, Le droit d'asile, LGDJ, coll. « Systèmes », 1ère éd., 2013 [2ème éd., 2016], 240 p. ;
  • Anicet Lepors, Le droit d’asile, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2010, 128 p. poursuivi par Catherine Teitgen-Colly en 2019.
  • Thibaut Fleury-Graff, Alexis Marie, Droit de l’asile, PUF, coll. « Droit fondamental », 2019 [2ème éd., 2021], 404 p.
Cela prolonge une autonomisation qu’on constate part ailleurs dans les pays anglo-saxon :
  • James C. Hathaway, Michelle Foster, The Law of Refugee Status, Cambridge University Press, 1991 ;
  • Guy S. Goodwin-Gill, The Refugee in International Law, Toronto, Clarendon Press, 1985 [3ème éd. avec Jane McAdam, Oxford University Press 2007], 318 p.
On peut également se demander si le droit de l’extradition ne s’autonomise pas de plus en plus du droit des étrangers (Vincent Chetail, Caroline Laly-Chevalier (dir.), Asile et extradition. Théorie et pratique de l’exclusion du statut de réfugié, Bruxelles, Bruylant, 2014, 308 p.).

Certes, on pourrait imaginer d’autres intitulés : Condition des non-nationaux en France, Statut des étrangers en France, Droit de la migration en France, Droit des migrants (l’expression est à la mode depuis quelques années et se développe dans les normes internationales mais pas dans les textes de droit interne), Droit et libertés des étrangers, etc.

Par souci de simplicité et d’accessibilité, ce cours prend néanmoins le parti de s’appeler Droit des étrangers, malgré toutes les insuffisances de cette expression. Il ne traitera pas du droit de la nationalité ni, à proprement parler, du droit de l’asile mais seulement des procédures d’accès à l’asile.

Comme le résume Danièle Lochak, « Le droit des étrangers est une « matière », ce n’est pas - ou pas encore – une « discipline ». On a affaire à un corpus de règles spécifiques – plus exactement : qui ont un objet spécifique, « donc à une matière […] [bien que] sa place [reste] marginale dans les programmes d’enseignement » (Danièle Lochak, « Les migrations transdisciplinaires du droit des étrangers. Quelles causes, quels enjeux ? », in Ségolène Barbou des Places et Frédéric Audren (dir.), Qu’est-ce qu’une discipline juridique ? Fondation et recomposition des disciplines dans les facultés de droit, LGDJ, 2018 pp. 279-294).

S’il a longtemps été marginal à l’Université, l’enseignement du droit des étrangers et du droit de l’asile a tendance à se développer au sein des facultés de droit – même s’il n’existe pas encore de master juridique spécialisé dans ce domaine (à l’Université de Toulon, le Master Justice, procès, procédures bénéficie d’un parcours Pratique du droit des étrangers), alors qu’en sociologie les « Migration studies » se multiplient (Paris VII, Poitiers, Nice Côte d’Azur, Paris 1 & EHESS avec l’Institut Convergences Migrations, ENS Lyon) et que dans de nombreux pays il s’agit d’une réelle spécialité (il existe dans plusieurs pays des Masters ou LLM Migration law ou Human rights & migration et des Professors of immigration law).

Suivant l’exemple de quelques masters 2 « Droits de l’Homme » qui ont, de longue date, intégré le droit des étrangers dans leurs maquettes (depuis 1993 -1994 à Nanterre), ces cours tendent à se multiplier soit comme une partie du droit de droit des libertés, ou de droit international privé ou, de plus en plus souvent, comme un enseignement à part entière de niveau Master, y compris de plus en plus souvent en Master 1. Les Diplômes universitaires de Droit des étrangers se multiplient également en France (Lyon 2, Le Mans, Paris 2). Le fait que l’arrêté du 2 octobre 2018, modifiant l'arrêté du 17 octobre 2016, l’ait formellement intégré dans le programme de l’épreuve de droit administratif de l'examen d'accès au centre régional de formation professionnelle d'avocats (CRFPA) justifie d’autant l’essor de ces enseignement spécifiques (même s’il manque parmi les universitaires des spécialistes de la matière).

Car jusqu’aux années 1990 le droit des étrangers n’était pas – ou très peu – enseigné à l’Université et relevait plutôt d’enseignements ou d’enseignants spécialistes du droit international privé. Dans le prolongement des commentaires du Code civil de la période napoléonienne sur la condition civile des étrangers et de la thèse précurseur de Charles Demangeat (Histoire de la condition civile des étrangers en France, Joubert, 1844, 424 p. ; 4ème édition du traité de Jean Jacques Gaspard Foelix, en 1866), les traités de droit international privé de la seconde partie du XIXème et du XXème siècle consacraient de longs développements – voir des tomes entiers – au droit des étrangers (André Weiss, Antoine Pillet, Jean-Paulin Niboyet, Albert Geouffre de la Pradelle, Henri Battifol, Paul Lagarde, Géraud Geouffre de La Pradelle, Nicole Guimezanes, etc.).

Les rares ouvrages sur le statut des étrangers d’après-guerre étaient le fait de hauts-fonctionnaires ou de praticiens (René Desage, La réglementation des étrangers en France, Berger-Levrault, 1950, 260 p. ; Frantz Spachner, La condition légale des étrangers en France, autoédition, 1952, 99 p. ; Alphonse Romeu-Poblet, Le régime juridique des étrangers en France, Coquemard, 1961, 351 p.), comme c’est encore parfois le cas de nos jours (Maxime Tandonnet, Droit des étrangers et de l'accès à la nationalité, Ellipses, 2016 [2ème éd., 2019], 256 p.).

Mais désormais c’est le plus souvent dans les ouvrages de « Libertés fondamentales » qu’on trouve des développements en droit des étrangers (Danièle Lochak, « Comment on enseigne le droit des étrangers. Petite plongée dans les manuels de "Libertés" », in Mélanges François Julien-Laferrière, Bruylant, 2011, p. 377-391), même si la matière irrigue aussi le droit pénal, le droit civil, le droit commercial, le droit de l’Union européenne ou encore le droit européen des droits de l’Homme.

Section 2. Les caractéristiques du droit des étrangers


Il existe certaines caractéristiques du droit des étrangers en particulièrement son instabilité normative (§1), le fait qu’il repose sur un hiatus entre théorie et pratique eu égard notamment à l’importance du droit du guichet (infra-droit des étrangers) (§2). Il s’agit d’un droit qui procède à des catégorisations des personnes et des situations à outrance (§3) et qui repose plus sur des obligations pesant sur les personnes étrangères que sur des droits (§4).


La profusion, l’instabilité et l’illisibilité n’est pas spécifique au droit des étrangers mais il s’agit assurément de l’une des matières juridiques qui met le plus en évidence ces divers phénomènes connus également en d’autres domaines.

Alors que le droit des étrangers entre 1945 (adoption de l’ordonnance n° du 2 novembre 1945 portant statut des étrangers par le Gouvernement provisoire de la République française) et 1974 relevait davantage des circulaires ministérielles et des pratiques des bureaux des étrangers (cf. Alexis Spire, Etrangers à la carte. L’administration de l’immigration en France (1945 – 1975), Grasset, 2005, 403 p.).

D’application très souple en période de croissance (système permanent de régularisation comme entre 1954 et 1974), le droit des étrangers connaît une mise en œuvre beaucoup plus rigoureuse en période de récession ou de crise (Gérard Noiriel, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXème – XXème siècle) : Discours publics, humiliations privées, Fayard, 2007, 717 p.).

Le contexte de la fin des années 1970 va « politiser » la question (Sylvain Laurens, Une politisation feutrée. Les hauts fonctionnaires et l’immigration en France, Belin, 2009, 348 p.).

Ce phénomène a été accentué par la montée du Front national à partir du milieu des années 1980 (Patrick Weil, La France et ses étrangers. L’aventure d’une politique de l’immigration, Calmann-Lévy, 1991, 403 p.).

L’imbrication entre le droit, le politique et l’économique est portée à son paroxysme en droit des étrangers. Ce dernier a été contraint par les soubresauts économiques, comme en témoignent les évolutions de cette matière depuis la Seconde guerre mondiale, particulièrement depuis 1974 avec la décision de suspendre l’immigration du travail et des familles ou les répercussions sur le droit d’asile à partir des années 1980 (Karen Akoka, L’asile et l’exil. Une histoire de la distinction réfugiés / migrants, La Découverte, 2020, 352 p.).

Depuis 1945, on dénombre pas moins de 100 réformes du droit des étrangers , législatives ou réglementaires (« Les 100 réformes qui ont durci la condition des immigrés en France », Le Monde, 6 nov. 2019), dont près d’une vingtaine de réformes majeures depuis 1980 des conditions d’entrée, de séjour, d’éloignement, d’intégration, d’asile ou d’accès à la nationalité, soit une tous les deux ou trois ans rendant ce droit pléthorique, instable et illisible.



Même le Conseil d'Etat relève, de manière inhabituelle en prolégomènes de son avis sur le projet de loi « Collomb » (C.E., avis du 15 février 2018 sur un projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d'asile effectif) que :
« 7. Quelques évolutions majeures, dont le Conseil d'État apprécie la pertinence, sont proposées par le projet de loi. Elles se résument pour l'essentiel au choix de privilégier la promptitude de la décision statuant sur la demande d'asile en premier lieu, à celui d'une répartition volontariste des demandeurs d'asile sur l'ensemble du territoire, pour améliorer l'efficacité de leur prise en charge, en deuxième lieu, et à plusieurs mesures visant à lutter contre l'immigration irrégulière, en rendant plus rapide et plus effective la mesure d'éloignement, en troisième lieu. L'essentiel des autres mesures est de nature technique, avec une portée relativement limitée. Si chacune d'entre elles est justifiée avec précision dans l'étude d'impact, celle-ci - et c'est la deuxième critique que l'on peut adresser à ce document - devrait poser plus clairement un diagnostic d'ensemble. Diagnostic d'autant plus nécessaire que, depuis 1980, 16 lois majeures sont venues modifier les conditions d'entrée et de séjour ou d'asile ; depuis la création du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) en 2005, le législateur est intervenu en moyenne tous les deux ans pour modifier les règles. Le projet de loi soumis à l'examen du Conseil d'État ne peut même pas s'appuyer sur une année entière d'exécution de certaines des mesures issues de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 qu'avait précédée la loi n° 2015?925 du 29 juillet 2015, comme le reconnaît l'étude d'impact. S'emparer d'un sujet aussi complexe à d'aussi brefs intervalles rend la tâche des services chargés de leur exécution plus difficile, diminue sensiblement la lisibilité du dispositif et risque d'entraîner à son tour d'autres modifications législatives pour corriger l'impact de mesures qui, faute de temps, n'a pu être sérieusement évalué.

8. A cet égard, le Conseil d'État ne peut que regretter que le projet ne soit pas l'occasion d'une simplification drastique des dispositifs qui, au fil de la sédimentation des dispositions, se multiplient et se déclinent en variantes dont la portée, le régime ou les conditions diffèrent marginalement, sans que cette sophistication n'entraîne un surcroit d'efficacité. Pour s'en tenir au droit de l'éloignement, le CESEDA ne compte aujourd'hui pas moins de neuf catégories différentes de mesures d'éloignement, dont certaines se subdivisent elles-mêmes en sous-catégories, régies par des règles différentes. Le même constat peut être fait pour les régimes d'assignation à résidence applicables aux étrangers, dispersés en six catégories qui, chacune, comportent des nuances et des spécificités. Un troisième exemple de complexité sans doute inutile concerne les titres de séjour : alors que deux récentes directives de l'Union européenne prévoient la délivrance – dans le champ qu'elles concernent – de quatre types de titre de séjour (chercheur, étudiant, jeune au pair, étranger non communautaire en mobilité intragroupe), leur transposition en France conduit à distinguer 17 mentions différentes sur les titres délivrés.
».

De même, en 2023, dans son avis sur le projet de loi « Darmanin », il observe de nouveau :
« […] qu’il est saisi du huitième projet de loi majeur réformant sur des points essentiels les instruments juridiques de gestion du séjour des étrangers en France et de l’asile depuis la création du code du séjour des étrangers et du droit d’asile, il y a seize ans. La complexité croissante des actes, titres, procédures résulte d’une stratification des règles qui pour les agents en charge de la mise en œuvre comme pour les personnes concernées, complique la maitrise du droit et contribue à susciter la défiance ou l’incompréhension de l’opinion publique. Le Conseil d’Etat appelle de ses vœux une réorganisation du droit des étrangers se donnant pour but de réduire significativement le nombre de titres et d’affecter un but et un sens clairs à chaque procédure et se propose de participer, comme il l’avait fait en proposant une simplification des procédures juridictionnelles, à cette réflexion, aujourd’hui indispensable ».

Dans le même sens, codifié une première fois en 2005 (Ordonnance n° du 24 novembre 2004 relative à la partie législative du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile), ce droit est devenu tellement illisible après une quinzaine de réformes qu'il a fallu le codifier de nouveau au 1er mai 2021.
Tx.
  • Ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile
  • Décret n° du 16 décembre 2020 portant partie réglementaire du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

En droit des étrangers, peut-être plus que dans d’autres matières, les différences entre l’analyse des textes et leur application pratique sont très importantes, en raison, d’une part, des pratiques discrétionnaires de l’administration et, d’autre part, de la disparité d’application territoriale.

En effet, malgré la profusion de circulaires et « d’orientations générales » (comme la circulaire « Valls » du 28 novembre 2012. Cf. C.E., sect., 4 févr. 2015, Ministère de l’Intérieur c/ Cortes-Ortiz, n° , Lebon), ou d’autres instruments de « droit souple » (v. en dernier lieu : C.E., Sect, 12 juin 2020, GISTI, n° ; C.E. 14 octobre 2022, n° 462784), les textes ne seront pas appliqués de la même façon, soumettant les étrangers à des pratiques variables et inégalitaires d’une préfecture l’autre voire d’un guichet à l’autre.

Au-delà de ces aspects de science administrative, le droit des étrangers ne relève plus uniquement du droit administratif, mais se situe au carrefour de très nombreux champs : le contentieux administratif évidemment (plus de 40 % du contentieux administratif est du contentieux des étrangers), mais aussi de plus en plus le droit constitutionnel, le droit de l’Union européenne, le droit européen et international des droits de l’Homme, le droit pénal et la procédure pénale, le droit civil et le droit judiciaire privé, le droit du travail, le droit social, le droit commercial, etc. etc.… En cela, c’est un droit marqué par une grande technicité et un nécessaire décloisonnement des connaissances.

Ce triple constat d’une matière résolument soumise aux choix politiques et économiques, marquée par le hiatus entre théorie et pratique et nécessitant une « déspécialisation » des approches purement disciplinaires, marque cette introduction approfondie au droit des étrangers d’un sceau critique. Loin de se contenter d’une approche purement technique – qui est nécessaire –, ce cours se propose de mettre également en lumière les pratiques des acteurs de l’administration. Du reste, il est illusoire de penser pouvoir apprendre le droit des étrangers dans un cours magistral alors qu’il s’agit d’un droit de guichets préfectoraux et de pratiques d’infra droit.
En savoir plus : Sur la notion d’infra droit appliqué au droit des étrangers

Danièle Lochak, « Observations sur un infra-droit », Droit social, mai 1976, p. 43 ; « Défendre en justice la cause des détenus, défendre en justice la cause des étrangers : différences et convergences » in Serge Slama, Nicolas Ferran, Défendre en justice la cause des personnes détenues, La Documentation française, coll. Colloques CNCDH, 2014, p. 91.

Dans un article de référence, Ségolène Barbou des Places montre à quel point « une singularité du droit des étrangers est d’être un droit que ses destinataires — les étrangers — ne contribuent pas à définir ». Non citoyens, les étrangers n’ont pas leur mot à dire « dans l’édification des catégories qui vont déterminer leur statut ».

Or, compte tenu de la politisation à outrance du droit des étrangers, reposant largement sur des poncifs et des idées reçues, voire sur des idées xénophobes, on constate un décalage grandissant « entre la réalité des personnes [étrangères] qui constituent la catégorie et les normes qui régissent cette réalité. […] Les catégories d’étrangers sont donc des catégories "hétéro-définies". Lors de la formation de la catégorie, l’étranger n’est pas invité à se dire ou à exposer son parcours et ses aspirations. L’autorité normative crée donc une catégorie autour d’une réalité migratoire reconstruite.
De même, le découpage réalisé par la catégorisation s’opère indépendamment des besoins et réalités des groupes sociaux. […]. C’est ainsi que la population étrangère peut être saisie par le droit
» (Ségolène Barbou des Places, « Les étrangers “saisis” par le droit : Enjeux de l’édification des catégories juridiques de migrants » (2010) 2010/2:128, Migrations Société 33 ; « La catégorie en droit des étrangers : une technique au service d'une politique de contrôle des étrangers », Revue Asylon(s), n° 4, mai 2008, Institutionnalisation de la xénophobie en France).

Et plus on adopte des réformes en droit des étrangers, sans réellement mesurer l’impact ou l’efficacité des réformes précédentes, plus on s’éloigne de cette réalité.

Une des caractéristiques des réformes adoptées depuis 30 à 40 ans est leur inefficacité : le législateur ne parvient pratiquement jamais à aboutir aux objectifs qu’il se fixe.
Ex.Exemple du Contrat d’accueil et d’intégration, du taux d’exécution des mesures d’éloignement, du nombre d’irréguliers sur le territoire français, de la prise en charge matérielle des demandeurs d’asile, de la situation des migrants de Calais, de l’accès à l’aide médicale d’Etat, des objectifs chiffrés ou des quotas d’immigration, de l’endiguement de l’immigration familiale, du fait de favoriser l’immigration « choisie » sur l’immigration « subie ».

Plus généralement, Pr Barbou des Places insiste sur le fait que « les critères utilisés pour catégoriser les étrangers mettent l’accent sur les circonstances de l’entrée d’un étranger sur le territoire d’un État et tendent à minorer l’objet du séjour, son motif et surtout à ignorer les droits que l’individu espère obtenir. […] Les catégories d’étrangers sont avant tout l’expression de l’intérêt public. L’individu est le destinataire de la catégorie. Il n’est pas à son origine, il en est l’objet » (ibid.).

Plus fondamentalement, catégoriser les étrangers en fonction de reconstruction de la réalité, c’est réduire du réel : « les catégories d’étrangers posées par le droit peuvent se caractériser par un réductionnisme problématique. La première des catégories, la catégorie “étranger”, est elle-même réductrice. […] Le décalage par rapport à la réalité sociale est alors patent. La personne est appréhendée selon une vision monolithique, simplificatrice et sans rapport avec la complexité d’un parcours ou des aspirations du migrant. L’on voit ici les limites de la saisie par le droit du fait social. En outre, la catégorisation mérite examen, car elle consiste à construire une réalité juridique » (ibid.).

Ce sont des catégories construites :
  • Généralement construites par l’Etat.
  • Certains sont issues du droit de l’UE : résident de longue durée-CE, « dublinés », ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, membres de familles de citoyen de l’UE, bénéficiaires d’accords UE-pays tiers, protégés subsidiaire, etc.
  • D’autres du droit international des droits de l'homme : réfugiés, apatrides, victimes de la traitre de l’être humain, mineur non accompagné, travailleurs migrants, etc.
  • Parfois aussi des catégories construites par des acteurs sociaux ou des médias : travailleurs immigrés, migrants, exilés, « clandestins », « irréguliers », « sans-papiers », DREAMERS, Latinos, Beurs, déboutés du droit d’asile, victimes de la double peine, délinquants de la solidarité, passeurs d’hospitalités, mineurs isolés étrangers, étudiants internationaux, etc.
Cette catégorisation « fabrique des différences » :
« Créer des catégories consiste à séparer, délimiter ou encore opposer pour individualiser. […] Lorsqu’elle concerne les étrangers, l’opération de catégorisation consiste donc à déterminer, dans la population étrangère, ce qui va permettre de distinguer les personnes les unes des autres. Ce faisant, l’auteur de la catégorie énonce, légitime et parfois même crée des différences entre les personnes qu’elle range dans des catégories distinctes. La dimension constituante du droit est importante ici car l’on parle de différence. La distinction entre deux personnes va devenir incontestable, puisque le droit l’a posée. Ainsi, l’on est enclin à ne plus discuter le fait qu’il y a une différence entre l’étranger entré régulièrement et celui qui est entré irrégulièrement, entre le demandeur du statut de réfugié et le demandeur d’un statut de protection subsidiaire, car le texte distingue ces catégories de personnes à l’aide d’un critère différentiel objectif » (ibid.).

Dans sa décision du 13 août 1993, « statut constitutionnel des étrangers », le Conseil constitutionnel indique :
« 2. Considérant qu'aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national ; que les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l'autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques ; que le législateur peut ainsi mettre en œuvre les objectifs d'intérêt général qu'il s'assigne ; que dans ce cadre juridique, les étrangers se trouvent placés dans une situation différente de celle des nationaux ; que l'appréciation de la constitutionnalité des dispositions que le législateur estime devoir prendre ne saurait être tirée de la comparaison entre les dispositions de lois successives ou de la conformité de la loi avec les stipulations de conventions internationales mais résulte de la confrontation de celle-ci avec les seules exigences de caractère constitutionnel ».
  • Le régime différencié de police administrative imposé aux étrangers ne constitue par une rupture d’égalité/ discrimination prohibée à l’encontre des étrangers. Elle apparait dans un Etat Nation qui contrôle ses frontières comme légitime.
  • La liberté de circulation bien que proclamée par l’article 13 de la permet de sortir de son territoire d’origine mais pas d’entrée dans le territoire d’un Etat dont on n’a pas la nationalité

De même dans l’arrêt Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni, la Cour reprend comme une antienne un principe selon lequel « d'après un principe de droit international bien établi les États ont le droit,sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de contrôler l'entrée des non-nationaux sur leur sol » (CEDH, 28 mai 1985, n° 9214/80, § 67).

Ainsi, à la différence des nationaux (qui ne peuvent être bannis du territoire français), les étrangers sont soumis à des obligations régissant les conditions de leur entrée, de leur séjour en France ou la possibilité de leur éloignement, y compris discrétionnaire ou fondé sur l’OP (cf. affaire Djokovic début 2022 ou à l'été 2023 l'affaire de l'arrivée de Ocean Viking à Toulon), du territoire. A strictement parler, les étrangers n’ont pas de « droit à » / droit absolu l’entrée ou au séjour sur le territoire d’un Etat qui n’est pas le sien (sous la réserve du droit d’asile – et même pour les bénéficiaires de la protection internationale il existe des possibilités d’exclusion ou de révocation du statut).

Ainsi les étrangers sont soumis d’abord soumis à des obligations spécifiques régissant les conditions de leur entrée et de leur séjour France : la police administrative des étrangers qui est une police spéciale.

Mais, pour autant, cela ne signifie pas que les étrangers ne bénéficient pas des droits et libertés fondamentaux, y compris les étrangers en séjour irréguliers (qui restent des êtres humains).
  • Tiraillement classique depuis 1789 entre les droits de l’Homme et les droits du citoyen, entre universalité et souveraineté.
En effet les étrangers, toujours selon la décision de 1993 du Conseil constitutionnel :
« 3. Considérant toutefois que si le législateur peut prendre à l'égard des étrangers des dispositions spécifiques , il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ; que s'ils doivent être conciliés avec la sauvegarde de l'ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, figurent parmi ces droits et libertés, la liberté individuelle et la sûreté, notamment la liberté d'aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale normale ; qu'en outre les étrangers jouissent des droits à la protection sociale, dès lors qu'ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français ; qu'ils doivent bénéficier de l'exercice de recours assurant la garantie de ces droits et libertés ;
4. Considérant en outre que les étrangers peuvent se prévaloir d'un droit qui est propre à certains d'entre eux, reconnu par le quatrième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 auquel le peuple français a proclamé solennellement son attachement, selon lequel tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République
».

De même, si l’on examine le texte originaire de la , sans ses protocoles additionnels, on ne peut que constater la relative indifférence de la Convention de 1950 à la nationalité du titulaire des droits et libertés qu’elle garantit (v. infra).

Seules deux dispositions prévoient des restrictions spécifiques à l’égard des étrangers (article 5 §1 f de la CESDH sur l’arrestation/ détention pour irrégularité et article 16 sur les activités politiques).

Le silence de la Convention sur cette question visait d’abord et avant tout à assurer une application indifférenciée des droits et libertés garantis. En témoigne l’intervention d’Henri Rolin devant l’Assemblée consultative lors de l’adoption de l’article 1er de la Convention. Le professeur belge insiste sur la « deuxième réforme révolutionnaire » que représentait l’adoption de la Convention : « tandis que la protection des individus était autrefois confiée exclusivement aux gouvernements des Etats […] [désormais] en vertu d’une clause formelle de la convention, pourra s’exercer intégralement et sans division ni distinction en faveur des individus quelle qu’en soit la nationalité qui, sur le territoire de l’un quelconque de nos Etats, auraient eu à se plaindre d’une violation de droit » (Assemblée consultative du Conseil de l’Europe, séance du 25 août 1950).

Avec le développement du contentieux constitutionnel depuis les années 1970, renforcé avec la QPC en 2010, et du contrôle de conventionnalité dans les années 1990, on assiste progressivement, comme dans d’autres matières, à un mouvement de fondamentalisation du droit des étrangers.

Pour autant, même si les étrangers, y compris irréguliers, sont censés bénéficier de l’ensemble des DLF, il pèse toujours sur eux l’épée de Damoclès d’une mesure de police administrative restreignant son entrée, son séjour, lui ordonnant de quitter le territoire ou l’expulsant et, le cas échéant, le privant de liberté à cette fin => cf. affaire Djokovic en janvier 2022.
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