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Les conflits de normes de droit écrit


Section 2. Les conflits entre normes de même nature : l'application de la loi dans le temps


Comme toute règle de droit, la loi n’est pas perpétuelle. Elle est l’expression des besoins du groupe social et, le groupe évoluant, la loi change. Ainsi les lois se succèdent-elles, et la succession des lois dans le temps pose le problème délicat de savoir quelle est la loi applicable à une situation juridique donnée : faut-il appliquer la loi en vigueur au moment de la création de la situation juridique, ou celle en vigueur au moment où la difficulté surgit ?

Exemple

Un contrat de bail est conclu en 2005, pour une durée de 5 ans. Une loi intervient en 2006, qui interdit les baux d’une durée supérieure à 3 ans. Faut-il appliquer la loi de 2006, et réduire la durée du bail, ou laisser le contrat sous l’empire de la loi antérieure, qui autorise les baux de plus longue durée ?


De même qu’il y a des conflits de lois dans l’espace, ce qui est réglé par le droit international privé, il existe des conflits de lois dans le temps.



Avant d’examiner cette question, il faut connaître les règles qui déterminent la durée de vie des lois.

§1. La durée de validité des lois


Les lois ont en principe force obligatoire depuis leur entrée en vigueur jusqu'à leur abrogation.

A. L'entrée en vigueur des lois


Il ne suffit pas qu’une loi soit adoptée pour qu’elle acquiert force obligatoire, c’est-à-dire qu’elle soit applicable par tous dans l’ensemble du territoire. Il faut encore que certaines formalités soient respectées : à la promulgation fait suite la publication.
Seules ces formalités permettent l'entrée en vigueur des lois.




1. La promulgation

Remarque

La promulgation n'est applicable qu'aux lois entendues au sens formel, c'est-à-dire aux normes adoptées par le Parlement en application de l'article 34 de la Constitution.


La promulgation est l’acte par lequel le Président de la République donne l'ordre aux autorités publiques d'observer et de faire observer cette loi.



C’est le premier acte d’exécution de la loi. On dit que la promulgation donne à la loi sa force exécutoire.
C'est le décret de promulgation qui fixe la date de la loi.

Exemple

La loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 "favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet", dite Loi Hadopi, a été promulguée le 12 juin 2009.
Le numéro de la loi nous indique que ce fut la 669ème loi à être promulguée en 2009.


2. La publication

Nemo legem ignorare censetur : nul n'est censé ignorer la loi, et l'on ne peut prétendre échapper à l'application d'une règle en prétendant qu'on ignorait son existence.
Mais pour que l’on puisse exiger des gens qu’ils respectent la loi, encore faut-il les mettre en mesure de connaître l’existence du texte. C’est le rôle de la publication.

Cette publication se fait généralement dans le Journal Officiel de la République française (J.O.).
Seuls certains arrêtés de portée limitée peuvent être publiés par simple voie d’affichage.

Exemple

Un arrêté municipal pourra être affiché à la Mairie.


Remarque

Depuis 2004, une version électronique du Journal officiel existe, parallèlement à la version papier. Elle est accessible immédiatement et gratuitement à tous.


Effet de la publication : la publication donne à la loi sa force obligatoire. Mais il faut toutefois un certain délai avant que la loi ne soit effectivement obligatoire. Il faut attendre son entrée en vigueur.

Avant la réforme de 2004, on s'assurait que toute la population était bien en mesure de s'informer des nouvelles lois, en décidant que celles-ci entraient en vigueur un jour franc après sa publication à Paris, et un jour franc après l’arrivée du J.O. au chef-lieu d’arrondissement dans les autres départements.

Un jour franc = un jour entier de zéro heure à minuit (sans compter le jour de départ).



Exemple

A Paris, une loi publiée au J.O. du 25 septembre entre en vigueur le 26 septembre à minuit.


Mais la réforme de 2004 a pris acte des nouvelles facilités de communication, et notamment de l'accès possible au J.O. via internet.
Désormais, l'entrée en vigueur intervient le lendemain de la publication.



Art. 1er du Code civil : "Les lois (...) entrent en vigueur à la date qu'ils fixent où, à défaut, le lendemain de leur publication".

EXCEPTIONS :

1- Il en va autrement lorsque l'exécution de la loi est subordonnée à l'adoption de normes règlementaires ultérieures (ex : décret d'application, qui vient préciser les modalités d'application de la loi). L'entrée en vigueur de la loi est alors reportée à l'entrée en vigueur dudit décret.

2- La plupart des lois complexes prévoient leur propre date d'entrée en vigueur, pour permettre une période d'adaptation.

Exemple

La loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 portant réforme du divorce est entrée en vigueur le 1er janvier 2005.


3- A titre exceptionnel, les lois urgentes peuvent entrer en vigueur dès leur publication.

B. La disparition de la force obligatoire des lois


La loi est en principe perpétuelle, mais elle peut cesser d'être applicable en raison d'une abrogation.

En droit français, on estime que l’autorité qui est chargée de créer le droit peut anéantir ce qu’elle a fait, pour éventuellement le remplacer par une règle nouvelle. Les actes du Parlement seront donc abrogés par le Parlement, et les actes du gouvernement, par le gouvernement (ou par toute autorité supérieure, conformément aux principes de hiérarchie des normes).

A la différence de la promulgation, l’abrogation n’est pas un acte formel et solennel :

1°) Il peut il y avoir une abrogation expresse, c’est-à-dire une loi nouvelle est adoptée, qui prévoit dans l'un de ses articles l'abrogation de la loi ancienne.

Exemple

Par exemple, l'art. 39 de la loi du 23 juin 2006 sur la réforme des successions a expressément abrogé la loi du 20 novembre 1940 confiant à l'administration la gestion des successions non réclamées.

2°) Il peut également y avoir abrogation tacite : lorsqu’une loi nouvelle vient contredire la loi ancienne, on considère que la loi ancienne est automatiquement abrogée, sans qu’il soit besoin d’un texte exprès. L'incompatibilité doit nécessairement se régler en faveur de la loi nouvelle, puisqu'elle exprime la volonté la plus récente du législateur. Dans ce cas c'est le juge qui constatera l'abrogation => La loi nouvelle chasse l’ancienne (au moins à l'égard des dispositions contradictoires).

EXCEPTIONS : le mécanisme de l'abrogation tacite ne fonctionnera pas en cas de conflit entre une règle générale et une règle spéciale. Il faut savoir en effet que les lois n’ont pas toujours la même portée : il existe des règles spéciales, qui ne s’appliquent qu’à une partie des situations visées par la règle générale.
  • Si la loi nouvelle est spéciale, on considère qu’elle crée une exception à la loi générale ancienne, qui ne sera pas abrogée tacitement.

    Exemple

    La loi ancienne dispose que les animaux n’ont pas le droit de divaguer dans la rue.
    Si une loi nouvelle prévoit que les tigres peuvent divaguer dans la rue, cette loi est spéciale par rapport à la précédente, et elle crée une exception à la loi ancienne, sans pour autant l’abroger.


    Ce principe s’exprime dans la règle specialia generalibus derogant : les dispositions spéciales dérogent aux dispositions générales.

  • Si la loi nouvelle est générale, la règle est plus douteuse, et le conflit se règlera au cas par cas, en se référant à l'intention du législateur, qui a peut-être voulu abroger la loi spéciale ancienne.



3°) Outre l’abrogation expresse et l’abrogation tacite, la loi peut également subir une abrogation par désuétude, lorsque la loi est devenue tellement éloignée de la réalité qu’elle cesse d’être appliquée. C’est le cas notamment des lois dont l’objet a disparu.

Exemple

Hypothèse d’une loi règlementant la circulation des voitures à cheval, ou l’allumage des becs de gaz.


4°) Il peut encore arriver qu’une coutume vienne contredire une loi et la remplacer peu à peu.

Exemple

C'est un usage qui a restitué au Code le nom de Code civil, le décret de 1852 qui lui avait conféré le nom de Code Napoléon n'ayant jamais été abrogé (v. infra, leçon n° 5)


§2. Les conflits de lois dans le temps


Les règles gouvernant la hiérarchie des normes permettent de résoudre les conflits intervenant entre normes de différentes valeurs. La question est ici de régler les conflits de normes de valeurs identiques.

A. Principes de résolution


L’hypothèse est la suivante : une loi en vigueur est abrogée par une loi nouvelle. Certaines situations juridiques nées sous l’empire de la loi ancienne vont se poursuivre après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Quels faits, quels actes seront alors régis respectivement par la loi ancienne et par la loi nouvelle ?

Exemple

Quelle fut l’influence de la loi du 18 mai 1816, supprimant le droit au divorce, sur le sort des gens qui s’étaient mariés avant cette date, donc à une époque où le divorce était autorisé ? Conservaient-ils le droit de divorcer même après la nouvelle loi, ou perdaient-ils un droit qui leur était pourtant acquis au jour de leur mariage ?


  • Certaines lois règlent elles-mêmes leur domaine d’application dans le temps. La loi nouvelle contient alors ce qu’on appelle des dispositions transitoires.

Exemple

la loi du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation, prévoyait dans son article 47 que la loi s’appliquera même aux accidents survenus dans les trois années précédant la publication de la loi, dès lors que le litige n’avait pas été définitivement tranché par les juridictions.


  • En dehors de ces cas particuliers, la solution des conflits de loi dans le temps est donnée par l’article 2 du Code civil, qui énonce : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».


On voit immédiatement se dégager de cet article deux idées fondamentales :

1- « La loi n’a pas d’effet rétroactif » : elle ne s’applique pas aux situations qui se sont entièrement réalisées avant sa date d’entrée en vigueur.

Exemple

Ainsi, les époux qui ont divorcé avant la loi du 18 mai 1816 qui supprimait le divorce n’ont pas vu leur situation remise en cause. La situation juridique était consommée, la loi ne pouvait revenir dessus. « Le passé n’est plus en son pouvoir » disait Portalis.


2- « La loi ne dispose que pour l’avenir » : elle s’appliquera aux situations nées postérieurement à sa date d’entrée en vigueur.

Exemple

Les époux mariés après l’entrée en vigueur de la loi du 18 mai 1816, n’ont plus pu divorcer.


Ces règles sont assez faciles à appliquer pour les situations entièrement révolues avant la loi nouvelle, ou qui au contraire naissent après la loi nouvelle.

La question est plus délicate à régler lorsque la situation juridique examinée se développe dans le temps, en naissant sous la loi ancienne et se poursuivant sous la loi nouvelle.

Exemple

Les époux mariés en 1880, sous l’empire de la loi de 1816 qui interdisait le divorce, ont-ils pu par la suite bénéficier de la loi du 27 juillet 1884 qui rétablissait la possibilité de divorcer ?
De même, est-ce qu’un contrat de bail conclu en 1970 pour une durée de 10 ans est soumis aux dispositions d’une loi qui interviendrait en 1974 et qui impose une nouvelle taxe sur les loyers ?


La réponse à ces questions demande de distinguer certaines situations.

B. Application aux situations juridiques en cours de réalisation


Il va d'abord falloir distinguer le passé de l'avenir.
Concrètement, il s'agira de savoir quels sont les éléments de la situation juridique en cours qui sont susceptibles d'être modifiés par la loi nouvelle : s'agit-il des conditions de constitution de la situation, ou des effets de cette situation ? Concernant les effets, s'agit-il des effets passés (survenus avant l'entrée en vigueur de la loi), ou des effets futurs ?

Exemple

Si la loi dispose que l'âge minimum pour se marier va passer de 18 ans à 21 ans, ce sont les conditions du mariage qui sont concernées.
Si l'objet de la loi est de rendre obligatoire pour tous les salariés en CDI le passage d'un examen ophtalmologique annuel, ce sont les effets du contrat de travail qui sont visés.




1. Les conditions et les effets passés d'une situation juridique en cours de réalisation : le principe de non-rétroactivité

a) Les conditions de création des situations juridiques en cours

  • La règle de non-rétroactivité portée par l'article 2 du Code civil implique que les conditions de création d’une situation juridique ne peuvent pas être remises en cause par la loi nouvelle, si cette création est antérieure à la loi nouvelle.

Exemple

Un contrat conclu verbalement en 1975 ne peut pas être annulé par une loi de 1976 qui exige que le contrat soit conclu par écrit. Le contrat était valable au jour de sa conclusion, il reste valable en vertu du principe de non-rétroactivité.

  • Inversement, une loi nouvelle ne peut pas valider rétroactivement des actes qui étaient nuls sous l’empire de la loi ancienne.

Exemple

La loi de 1965 qui autorise la femme à conclure des contrats sans le consentement de son mari n’a pas pu rendre valables les actes que des femmes avaient passés seule avant l'entrée en vigueur de la loi. Ces actes restent nuls, même après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi.


b) Les effets passés des situations juridiques en cours

Dans la même logique, toujours sous l'effet du principe de rétroactivité, les effets passés des situations en cours échappent à la loi nouvelle.

Exemple

Les loyers déjà perçus avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle instaurant une taxe sur les loyers ne sont pas soumis à la taxe.


c) Justification et portée du principe de non-rétroactivité

  • Justification : la justification du principe de non-rétroactivité réside dans l’exigence de sécurité juridique : on ne peut pas imposer aux individus des règles de droit dont ils ne pouvaient pas prévoir l'existence au moment où ils se sont engagés ; inversement on ne peut remettre en cause les actes qu'ils ont conclus en conformité à la loi qui était alors en vigueur.

  • Portée : la règle de non-rétroactivité doit être respectée par tous :
    • Elle s’impose au juge, qui ne peut donner une portée rétroactive à une loi qui ne le prévoit pas expressément.
    • Elle s’impose aux autorités administratives : les règlements et les décrets ne peuvent jamais être rétroactifs. En effet l'article 2 du Code civil est une loi et le règlement ne peut y déroger.
    • Elle s’impose au législateur en matière pénale : la non-rétroactivité des lois pénales est un principe constitutionnel visé dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, intégré dans le Préambule de la Constitution de 1958, et dans la Conv. EDH (art. 7). Soumis aussi bien à la Constitution qu'au droit européen, le législateur pénal est donc à un double titre tenu de respecter ce principe de non-rétroactivité. D.D.H.C. art. 8 : "La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit, et légalement appliquée."

      Remarque

      Ce principe de non-rétroactivité de la loi pénale s'applique aussi bien aux infractions (on ne peut pas reprocher à un individu un comportement qui n'était pas considéré comme une infraction au jour de sa commission) qu'aux sanctions (on ne peut pas infliger une peine plus lourde que celle qui était prévue au jour de la commission de l'infraction.)

    • Elle ne s’impose pas au législateur en matière civile : la loi peut contredire la loi. Certaines lois sont donc expressément rétroactives.


d) Exceptions au principe de non-rétroactivité :

On compte trois exceptions au principe de rétroactivité :

1- Les lois civiles expressément rétroactives, i.e. les lois qui comprennent une disposition spéciale prévoyant que la loi s’appliquera aux situations juridiques nées avant son entrée en vigueur.

Exemple

Le décret du 17 nivôse an II, par lequel la Convention annulait toutes les donations faites depuis le 14 juillet 1789, a profondément perturbé la société, et c'est le souvenir de cette perturbation qui a conduit à l'adoption de l'article 2 du Code civil.

Plus récemment, la loi du 3 janvier 1972, réformant le droit de la filiation, a validé rétroactivement les actes de reconnaissance d'enfants adultérins souscrits avant son entrée en vigueur.


2- Les lois pénales plus douces, qui suppriment une incrimination ou adoucissent une peine, s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur, si elles n’ont pas été définitivement jugées. On considère en effet que si la loi nouvelle adoucit la peine, c'est que le législateur a estimé que la sanction ancienne était excessive. L'idéal de justice et d'humanité impose qu'on en fasse bénéficier les délinquants.
On parle de la rétroactivité in mitius de la loi pénale : la loi nouvelle rétroagit automatiquement, dans la mesure où elle est plus douce que l’ancienne.

Exemple

La loi du 9 octobre 1981 abolissant la peine de mort a été appliquée aux crimes commis antérieurement à la loi : les peines de mort prononcées ont été commuées en peine de réclusion criminelle à perpétuité.


Remarque

Par mesure d'humanité la rétroactivité in mitius de la loi abolissant la peine de mort a été appliquée à tous, même lorsque la condamnation à mort avait déjà été prononcée par une décision devenue définitive.


3- Les lois interprétatives : les lois interprétatives sont ainsi désignées parce qu'elles viennent préciser le sens obscur ou ambigu d’un texte antérieur. On considère que la loi interprétative vient s’intégrer à la loi ancienne qu’elle interprète. Le juge appliquera la loi ancienne, éclairée par la loi interprétative, à des faits accomplis sous l'empire de la loi ancienne. La loi interprétative rétroagit donc au jour de l’entrée en vigueur de la loi ancienne.

Exemple

Une loi de 1987 sur les loyers est peu claire sur son champ d'application. Une loi de 1989 vient préciser que la loi de 1987 concerne aussi bien les baux d'habitation que les baux commerciaux. Tous les contrats en cours seront concernés par cette interprétation, même ceux qui ont été conclus en 1988, avant l'entrée en vigueur de la loi interprétative.


Le principe est donc que, à trois exceptions près, la loi ne remet pas en cause les conditions ni les effets passés des situations juridiques en cours à la date de son entrée en vigueur. C'est ce que l'on exprime lorsqu'on énonce que la loi n'est pas rétroactive.



2. Les effets futurs des situations juridiques en cours de réalisation : le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle.

Le deuxième principe fondamental contenu dans l’article 2 du Code civil est le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle.

a) Le principe d'application immédiate de la loi nouvelle

Ce principe implique que les effets futurs des situations en cours seront soumis à la loi nouvelle dès l’entrée en vigueur de celle-ci.

Exemple

Les actes passés après 1965 par une femme sans le consentement de son mari sont valables, même si le mariage date d’avant 1965.


Justification : le principe d’application immédiate est justifié par la nécessité d’assurer l’unité des situations juridiques : on préfère éviter que cohabitent dans le même temps des situations identiques, mais dont le régime juridique dépend de leurs dates de création respectives. En outre, la loi nouvelle est censée apporter un progrès, dont on souhaite qu’il profite à tous.

Toutefois, les impératifs de sécurité juridique justifient une exception importante au principe d’application immédiate.

b) L’exception : la survie de la loi ancienne pour les contrats en cours

Le principe de liberté contractuelle, et la volonté de sauvegarder la sécurité juridique des parties, justifient que les contrats en cours restent soumis à la loi sous l’empire de laquelle ils ont été conclus. On leur appliquera la règle de "survie de la loi ancienne".



Justification : le contrat réalise un équilibre entre les intérêts divergents des parties, et cet équilibre dépend bien souvent du contexte dans lequel le contrat a été conclu : quand les parties se sont engagées, c’était en fonction d’une législation particulière. Soumettre brutalement ces contrats déjà conclus à la loi nouvelle, ce serait modifier les bases sur lesquelles les parties se sont engagées, et risquer de rompre l’équilibre du contrat. Ce serait tromper la confiance légitime des co-contractants.

Exemple

Une loi est publiée, taxant lourdement les loyers des baux d'habitation. Le loueur, engagé contractuellement pour 3 ans, aurait peut-être demandé un loyer plus élevé s'il avait su que la loi nouvelle allait intervenir et qu'il allait devoir reverser une partie de ses revenus locatifs. Ou peut-être qu'il aurait renoncé à louer son bien, et qu'il aurait préféré le prêter à son neveu étudiant...


Pour la Cour de cassation "Les contrats passés sous l'empire d'une loi ne peuvent recevoir aucune atteinte d'une loi postérieure" (Cass. civ. 27 mai 1861, S. 1861,1,507).

EXCEPTIONS : la règle de la survie de la loi ancienne en matière contractuelle n’est toutefois pas absolue, et il arrive que le législateur, ou même le juge, déclarent une loi nouvelle immédiatement applicable aux contrats en cours :

1- Le législateur peut le décider dans des dispositions transitoires, prévoyant une dérogation au principe de survie de la loi ancienne en matière contractuelle.
Exemple

La loi prévoit que les contrats de location en cours seront, à compter de l'entrée en vigueur de la loi et jusqu'à leur expiration, soumis à une taxe égale à la moitié de celle prévue par la loi nouvelle.


2- Le juge peut écarter le principe lorsque la disposition est impérative, c'est-à-dire qu’elle exprime un intérêt social suffisamment important pour qu’elle l'emporte sur la sécurité juridique des parties contractantes. Elle sera donc applicable immédiatement et sans distinction à toutes les situations, qu'elles soient légales ou contractuelles.
Il est difficile de dire a priori quelles sont les lois qui sont ici concernées, car le juge tranche au cas par cas, mais on peut dire que les grandes réformes sociales sont applicables immédiatement aux contrats en cours :
Exemple

loi imposant 5 semaines de congés payés / loi portant à 35 heures la semaine de travail / lois fixant le montant du S.M.I.C.... Toutes ces lois sont applicables à tous les contrats de travail, même à ceux conclus antérieurement à leur entrée en vigueur.
Idem pour les législations sur la fixation des loyers, qui sont généralement applicables aux contrats de location en cours.



En conclusion, la résolution d’un problème de conflit de lois dans le temps suppose de se poser plusieurs questions distinctes :

1- S’il s’agit d’une situation juridique révolue au jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, celle-ci n’a aucune vocation à s’appliquer (principe de non-rétroactivité).

2- S’il s’agit au contraire d’une situation juridique qui nait après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, alors celle-ci s’applique pleinement (sauf dispositions transitoires).

3- S’il s’agit d’une situation juridique en cours, il faut distinguer :
  • les conditions de validité et les effets passés ne sont en principe pas concernés par la loi nouvelle (principe de non rétroactivité), sauf exceptions (loi expressément rétroactives, rétroactivité in mitius, lois interprétatives).
  • les effets futurs sont au contraire soumis à la loi nouvelle (principe d’application immédiate) sauf s’il est question d’une situation contractuelle, auquel cas le contrat bénéficie de la survie de la loi ancienne... sauf si la loi nouvelle est impérative...