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Les conflits de normes de droit écrit


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Deux types de conflits peuvent se présenter : d’abord, les conflits entre règles de différentes natures. Ce problème se résout grâce au principe de hiérarchie des normes (Section 1).
Il peut également arriver qu’un conflit naisse à l’occasion de la succession dans le temps de plusieurs règles de même nature. Ce type de conflits peut être résolu grâce aux règles d'application de la loi dans le temps (Section 2).

Section 1 : Les conflits entre normes de différentes natures : la hiérarchie des normes


§1. Description de la hiérarchie


Pour assurer la cohérence du système juridique, et permettre de régler les conflits entre textes émanant de différentes sources, celles-ci sont hiérarchisées : chaque norme inférieure doit être conforme aux normes supérieures. L’ensemble des règles de droit écrit forme donc une sorte de pyramide. Au sommet : la Constitution, texte fondamental, et les normes assimilées (formant le bloc de constitutionnalité). A la base : une multitude d'actes administratifs individuels. Entre les deux se trouvent les traités internationaux (formant le bloc de conventionnalité) et tous les actes règlementaires ou législatifs, organisés de la façon suivante :

BLOC DE CONSTITUTIONNALITÉ
  • Préambule de la Constitution (DDHC 1789 ; Préambule 1946 ; Charte de l'environnement 2004)
  • Articles 1 à 89 de la Constitution
  • Jurisprudence du Conseil constitutionnel (Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, Principes et objectifs à valeur constitutionnelle).
BLOC DE CONVENTIONNALITE
  • Accords et traités internationaux
  • Droit de l'Union européenne (primaire et dérivé)
  • Droit européen (Conv. EDH et jurisprudence de la Cour EDH)
BLOC DE LEGALITE
  • Lois organiques
  • Lois référendaires
  • Lois ordinaires
  • Ordonnances ratifiées
  • Règlements autonomes
REGLEMENTS
  • Règlements pris pour l'exécution des lois
  • Ordonnances non ratifiées
  • Décrets (présidentiels, ministériels)
  • Arrêtés (ministériels, préfectoraux, municipaux)
AUTRES ACTES ADMINISTRATIFS
  • Circulaires
  • Directives
  • Actes administratifs individuels




Cette pyramide des normes est parfois appelée pyramide de Kelsen : Hans Kelsen était un juriste austro-américain du début du XXème siècle (Prague 1881- Californie 1973) qui a systématisé un principe de classement des normes. Selon lui, "l’ordre juridique n’est pas un système de normes juridiques placées toutes au même rang, mais un édifice à plusieurs étages superposés, une pyramide ou hiérarchie formée (pour ainsi dire) d’un certain nombre d’étages ou couches de normes juridiques."




Chaque norme est créée conformément aux règles posées par la norme qui lui est directement supérieure, elle-même étant conforme à la norme supérieure, et ainsi de suite jusqu'à la Constitution (qui fait office de norme suprême) cette hiérarchie permet - en théorie du moins - d'assurer la cohérence du système juridique. Elle autorise en tout cas, que des contrôles soient effectués pour vérifier la conformité des normes inférieures aux normes supérieures. La possibilité d'un tel contrôle permet de fonder la légitimité de la norme, qui acquiert sa force obligatoire du seul fait de sa conformité supposée à la norme supérieure.

§2. Le respect de la hiérarchie des normes


Le contrôle de la hiérarchie des normes peut être accompli à tous les étages, par des organes et selon des règles qui varient en fonction des règles à vérifier, et des normes de référence.



Remarque

1- Il n’existe pas de contrôle systématique : il faut toujours qu’une juridiction soit saisie pour que le contrôle s’effectue. Actuellement, plusieurs normes sont en vigueur qui contredisent des règles supérieures, car elles n'ont pas fait l'objet d'un contrôle spécifique.
2- Deux types de contrôles sont envisageables : un contrôle a priori, qui intervient avant l'entrée en vigueur de la norme ; un contrôle a posteriori, qui permet d'écarter une norme déjà entrée en vigueur.
3- La sanction n’est pas unique : tantôt le texte non conforme sera annulé, tantôt son application sera simplement écartée dans le cas d’espèce.


A. Le contrôle de constitutionnalité


Le contrôle de constitutionnalité consiste à vérifier la conformité d'un texte par rapport à la Constitution et aux normes assimilées (bloc de constitutionnalité).



Il est susceptible de concerner aussi bien les traités internationaux que les lois.

1. La conformité des traités internationaux à la Constitution

La supériorité de la Constitution sur les traités internationaux a été longuement discutée, avant d'être affirmée en 1998 par le Conseil d'Etat (arrêt Sarran et Levacher, CE 30 octobre 1998, D. 2000 p. 152, note Aubin) et en 2000 par la Cour de cassation (arrêt Fraisse, Ass. plén. 2 juillet 2000, D. 2000, p. 865, note B. Mathieu et M. Verpeaux).

L'organe compétent pour exercer ce contrôle est le Conseil constitutionnel. On a vu que, en vertu de l'article 54 de la Constitution, si le Conseil constitutionnel estime qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier le traité ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution.

Exemple

Ainsi, la loi constitutionnelle du 4 février 2008 a modifié le titre XV de la Constitution, pour permettre la ratification du Traité de Lisbonne sur le fonctionnement de l'Union Européenne.


2. La conformité des lois à la Constitution

Deux types de contrôles peuvent être opérés : le premier, mis en place avec la Vème République, intervient a priori ; le second, issu d'une loi constitutionnelle de 2008, intervient a posteriori

  • Le contrôle de constitutionnalité a priori est une innovation de la Constitution de 1958 : l'art. 61 de la Constitution prévoit en effet qu'avant sa promulgation, une loi peut être déférée au Conseil constitutionnel, qui vérifiera sa conformité à la Constitution. Si le Conseil constitutionnel décèle une contrariété entre la loi et la Constitution, la loi ne pourra pas être promulguée. La décision du Conseil constitutionnel n'est pas susceptible de recours.

    L'ampleur de ce contrôle est triplement limitée :
    • le contrôle ne peut intervenir qu'avant la promulgation de la loi ; il en découle que certaines lois non déférées au Conseil constitutionnel sont appliquées quotidiennement alors qu'elles sont contraires au bloc de constitutionnalité ;
    • certains textes y échappent : ainsi les lois référendaires, qui constituent "l'expression directe de la souveraineté populaire", et les décisions du Président de la République prises en vertu de l'article 16 de la Constitution, ne peuvent faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité ;
    • la saisine du Conseil constitutionnel est réservée à certaines personnalités : le Président de la République, le Premier ministre, le Président de l'Assemblée nationale ou du Sénat ainsi que, depuis une réforme de 1974, par un groupe constitué par 60 députés ou 60 sénateurs.


Ces limites ont fait l'objet de nombreuses critiques, qui ont conduit à l'adoption de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité.



  • Le contrôle a posteriori : la question prioritaire de constitutionnalité (Q.P.C.)
    La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a introduit une importante réforme dans le contrôle de constitutionnalité des lois. Le nouvel article 61-1 de la Constitution prévoit désormais : "Lorsqu'à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé".

Ainsi, il est désormais possible pour tout justiciable de contester la constitutionnalité d'une loi, même plusieurs années après sa promulgation.



Si le Conseil constitutionnel estime que la loi n'est pas conforme, alors celle-ci sera abrogée.
La Question prioritaire de constitutionnalité ouvre aux citoyens la possibilité historique de participer au contrôle de conformité des lois à la Constitution. Elle permet d'obtenir l'abrogation de textes qui n'ont pas fait l'objet d'un contrôle de constitutionnalité a priori. Elle augmente encore le rôle du Conseil constitutionnel, qui se voit institué comme le gardien permanent de la hiérarchie des normes.




B. Le contrôle de conventionnalité


Le contrôle de conventionnalité consiste à vérifier la conformité des lois aux conventions et traités internationaux.



Si l'on a rarement dénié le principe d'une supériorité des traités sur les lois internes, la question s'est posée de savoir quel organe ou juridiction était en pratique compétent pour effectuer le contrôle de conventionnalité d'une loi, et éventuellement écarter la loi contraire à un traité international.

La question est particulièrement cruciale dans le cas où la loi est postérieure à la norme internationale en question : en effet, dans la situation inverse, on admet assez facilement que la norme supérieure a automatiquement abrogé la loi antérieure qui lui était contraire : lex posterior priori derogat. Le conflit se règle alors sans difficulté.

En 1975, le Conseil constitutionnel a décliné sa compétence sur ce point (à l'occasion de l'examen de la loi sur l'.I.V.G. du 15 janvier 1975). Restait à connaitre la position des ordres judiciaire et administratif à ce sujet.



Cette question a donné lieu à une fameuse divergence entre le Conseil d'Etat et la Cour de cassation :
  • Par une décision déjà citée Société des Cafés Jacques Vabre (Ch. mixte, 24 mai 1975), la Cour de cassation a accepté de faire prévaloir le traité international sur une loi postérieure contraire.

  • Le Conseil d'Etat a longtemps refusé d'effectuer un tel contrôle, en estimant notamment que le juge administratif ne pouvait se permettre d'écarter une loi sans violer le principe de séparation des pouvoirs législatif et judiciaire, ni empiéter sur les prérogatives du Conseil constitutionnel.
    Il a fallu attendre l'arrêt Nicolo du 20 octobre 1989 pour que le Conseil d'Etat vienne à modifier sa jurisprudence : désormais, le juge administratif, comme le juge judiciaire, doit écarter des débats la loi contraire aux traités internationaux, même si la loi lui est postérieure.

Remarque

Le juge ordinaire ne peut pas abroger la loi contraire aux engagements internationaux de la France. Il ne peut qu'écarter cette loi du litige qui lui est soumis.


Les décisions Jacques Vabre et Nicolo ont marqué la fin de la suprématie inconditionnelle du droit interne, et ouvert en faveur du droit international une brèche considérable dans le droit positif. Elles ont ainsi permis l'introduction pleine et entière du droit communautaire et de la Convention européenne des droits de l'homme en droit français.
Des principes fondamentaux comme le droit à un procès équitable porté par l'art. 6 Conv. EDH, ont ainsi pu modifier profondément la procédure devant les tribunaux nationaux des deux ordres.

C. Le contrôle de légalité


Le contrôle de légalité consiste à apprécier la conformité des règlements par rapport aux lois.



Ce contrôle est en principe dévolu aux juridictions administratives, saisies d'un recours en annulation pour excès de pouvoir (qui conduit à l'annulation de l'acte illégal), ou d'une exception d'illégalité (qui tend à faire écarter, à l'occasion d'un litige particulier, l'application d'un acte illégal).

Une exception est un moyen de défense soulevé à l'occasion d'un procès. L'exception d'illégalité est un moyen de défense par lequel un justiciable invoque la non-conformité à la loi d'un règlement qui lui est opposé.



EXCEPTIONS :
  • Les règlements autonomes n'étant pas subordonnés aux lois, le Conseil d'Etat se contente de vérifier leur conformité aux règles constitutionnelles et internationales, ainsi qu'aux principes généraux du droit.
  • Par exception, les juridictions judiciaires peuvent être saisies d'une exception d'illégalité qui les conduira à écarter un règlement déclaré illégal. Leur pouvoir est toutefois modulé en fonction de la nature de la juridiction :
    • Ainsi une juridiction répressive peut toujours refuser de prononcer une peine qui serait fondée sur un règlement illégal (art. 111-5 Code pénal).
    • Les juridictions civiles ne sont pour leur part admises à apprécier la légalité d'un règlement que si celui-ci porte atteinte à une liberté individuelle, à l'inviolabilité du domicile, ou au droit de propriété. Dans les autres hypothèses, le juge civil peut uniquement interroger la juridiction administrative, par voie de question préjudicielle.



CONSTITUTIONTRAITÉS INTERNATIONAUXLOIS
TRAITÉS INTERNATIONAUXType de contrôle : contrôle de constitutionnalité

Organe compétent : conseil constitutionnel (art. 54 Const.)
Pas de contrôlePas de contrôle
LOISType de contrôle : contrôle de constitutionnalité

Organe compétent : conseil constitutionnel, soit par un recours a priori
(art. 61 Const. soit par une QPC a posteriori (art. 61-1 Const.)
Type de contrôle : contrôle de conventionnalité

Organes compétents : juridictions judiciaires (arrêt Jacques Vabre Ch. Mixte 24 mai 1975)
et administratives (arrêt Nicolo CE 20 oct 1989).
Pas de contrôle
RÈGLEMENTSType de contrôle : pas de contrôle si le règlement est conforme à la loi (Théorie de la loi-écran).
Exception : règlements autonomes.

Organe compétent : juge administratif
Type de contrôle : contrôle de conventionnalité

Organe compétent : juge administratif
Type de contrôle : contrôle de légalité

Organe compétent : juge administratif




Ainsi, les normes de droit écrit sont-elles organisées selon un ordre hiérarchique qui leur impose d'être conformes aux normes qui leurs sont supérieures. Le respect de cet ordre fonde leur légitimité, et est susceptible d'être contrôlé par différents organes, selon des règles variables. C'est à ce prix que sont assurées, autant que faire se peut, l'articulation entre les normes de nature différentes, et la cohérence du droit objectif français.
D'autres règles permettent de régler les conflits survenants entre normes de même nature.