» En savoir plus

Droits acquis, simples expectatives ou situation juridique en cours ?




L'article 2 du Code civil paraissant bien laconique, et insuffisant pour régler tous les conflits de loi dans le temps, la doctrine a élaboré diverses constructions, dont la jurisprudence s'est inspirée librement pour construire un système complexe mais cohérent.

  • La théorie classique, inspirée par l'individualisme libéral du XIXème siècle, opposait les droits acquis, que la loi nouvelle ne pouvait remettre en cause, aux situations ouvrant de simples expectatives, qui étaient soumises à la loi dès son entrée en vigueur. Le droit acquis était entendu comme celui définitivement entré dans le patrimoine de l'individu.


Exemple

Le contrat de vente entraine un transfert de propriété, que la loi nouvelle ne peut remettre en cause.


Remarque

Cette distinction était cependant difficile d'application : que décider par exemple pour l'application de la loi de 1912, qui autorisait, sous condition, l'action en recherche de paternité ? Devait-on considérer que les pères naturels avaient, avant cette loi, acquis le droit de ne pas voir leur paternité recherchée ? Pouvaient-ils en conséquence se soustraire à la loi nouvelle ? La réponse à ce genre de question apparaissait davantage comme un choix politique, que comme une véritable question juridique. La "théorie des droits acquis" laissait en outre accroire que le droit objectif pouvait être mis en échec par un droit subjectif, alors que celui-ci procède de celui-là (v. infra, leçon n° 6). Elle avait enfin l'inconvénient de laisser survivre la loi ancienne tant que les situations qu'elle avait vu naitre n'étaient pas épuisées, chacun vivant sous l'empire de la loi de sa génération. Or l'idée d'un système juridique organisé par strates n'est pas conforme aux principes égalitaires républicains, ni à l'idée selon laquelle la loi nouvelle est forcément "meilleure" que la loi ancienne.


  • La théorie moderne, développée par le Doyen Roubier, préférait raisonner à partir du concept de situation juridique en cours, en s'attachant à identifier la situation susceptible d'être effectivement modifiée par la loi nouvelle. Ainsi, la loi sur le divorce atteint-elle l'état d'époux, la loi sur les baux modifie l'état de propriétaire et de locataire, la loi de 1912 remet en cause l'état de père naturel ... L'idée de Roubier est que la loi développe ses effets dans le temps : alors qu'elle ne peut pas remettre en question les conditions dans lesquelles se sont constituées ces situations, ni leurs effets intervenus avant son entrée en vigueur (mettant ainsi en Ĺ“uvre le principe de rétroactivité) elle s'applique en revanche immédiatement aux effets futurs de la situation (principe d'application immédiate).

  • La jurisprudence a combiné ces différentes théories, avec une nette préférence pour la théorie du Doyen Roubier.