Le cours se déroulera de la manière suivante : nous nous intéresserons tout d'abord à l'action c'est-à-dire à l'étude des conditions dans lesquelles le sujet de droit peut agir, de quelle manière, et avec quelles perspectives de résultat. Nous verrons ensuite comment, une fois le procès né, celui-ci s'organise et se déroule.
Les termes « agir » ou « action », souvent usités dans le langage courant, possèdent en droit judiciaire une signification particulière qu'il convient de préciser. Pour permettre la sanction des droits subjectifs, le droit judiciaire privé offre aux sujets de droit un pouvoir particulier, qualifié d'action en justice. Cette prérogative constitue elle aussi un droit subjectif, même s'il a une nature spécifique du fait de son caractère processuel.
Après une réflexion sur l'existence du droit d'action, nous nous intéresserons à ses conditions de mise en oeuvre pour terminer par une présentation de la classification des actions en justice.
La réflexion originelle sur le droit d'action fut le fait des auteurs de droit public. Si la notion a donné lieu à de nombreuses analyses doctrinales, la jurisprudence a joué un rôle non négligeable dans la précision des conditions d'ouverture de l'action.
Section 1. La notion d'action
§ 1. La nature du droit d'action
Nous présenterons tour à tour les différentes analyses puis les critiques formulées à leur encontre.
A. Rejet des analyses reposant sur une confusion avec le droit substantiel
1. Présentation
Cette thèse a été traduite par diverses formules:
- « l'action est le droit mis en mouvement, à l'état de guerre » (Demolombe, t. 1, vol. 9 n° 338);
- « pas de droit pas d'action » (Glasson, Tissier, Morel, t. 1 n° 173).
Des illustrations de l'assimilation entre droit et action transparaissent à travers la qualification de certains droits (substantiels) : c'est ainsi que l'on fait référence à l'action «de in rem verso » ou à l'action paulienne pour évoquer les droits qui leur sont sous-jacents. Nous verrons aussi ultérieurement que la classification traditionnelle des actions en justice, qui n'a plus guère d'incidence qu'en matière de compétence, se fonde sur la classification civiliste des droits substantiels invoqués, basée sur la nature et l'objet de ces droits.
2. Critique
Plusieurs arguments sont donnés :
- il y a parfois plusieurs actions pour un même droit,
- comme il existe des droits sans action.
- certaines actions ne reposent pas sur un droit.
- ensuite, le procès n'éteint pas le droit, l'extinction de l'instance n'empêchant pas en principe d'en introduire une nouvelle (art 385 alinéa 2 CPC).
- enfin, l'existence du droit d'agir est indépendante de son bien-fondé et l'existence du droit n'est pas une condition de l'action (Cass. Civ III, 5/2/97, Rev. Proc. n° 81; Civ. II, 18 oct. 07 Proc 08 n° 2), d'où la distinction des différents moyens de défense : fins de non-recevoir, exceptions de procédure et défenses au fond (voir leçon 8).
3. Nuance
Par ailleurs, la distinction a priori (chrono)logique entre recevabilité et bien-fondé n'apparaît pas toujours bien vérifiée en pratique, du fait notamment de la possibilité de soulever les fins de non-recevoir en tout état de cause, alors que des défenses au fond ont déjà pu être examinées.
Enfin, l'exigence d'un intérêt "légitime" à l'action, posée par l'article 31 CPC, entretient la confusion en semblant établir par anticipation un lien entre recevabilité et bien-fondé (voir leçon 8).
B. Analyse en tant que droit d'accès aux tribunaux
1. Présentation
Il en déduisait la similitude des conditions de recevabilité de toutes les actions. Cette position avait ensuite été en partie reprise par Jean Vincent et Serge Guinchard.
Selon Serge Guinchard, l'action constitue un pouvoir légal, impersonnel, objectif et permanent, permettant de s'adresser à la justice pour obtenir le respect de la loi. Cette faculté de saisir les tribunaux apparaît inconditionnée, puisque le juge doit toujours statuer sur la recevabilité à peine de déni de justice.
2. Appréciation
C. Analyse en tant que droit subjectif autonome
1. Exposé
Cette définition a été reprise par Cornu et Foyer pour qui l'action est le pouvoir d'être entendu du juge sur une prétention et d'obtenir de lui une décision sur le fond de celle-ci.
La théorie de Motulsky a influencé la rédaction de l'article 30 CPC, qui définit l'action comme un véritable droit d'agir ou d'être entendu, l'envisageant en outre à la fois du côté du demandeur et du défendeur.
Motulsky considérait par suite l'action comme un droit subjectif processuel, distinct du droit subjectif substantiel dont il vise à assurer le respect ou la reconnaissance. De fait, l'article 30 CPC établit bien une distinction entre le droit et l'action, le droit d'agir apparaissant indépendant du succès de la prétention.
Motulsky distinguait aussi l'action des actes processuels que constituent les demandes et les défenses en justice (la demande est l'acte juridique par lequel s'exerce le droit d'agir, qui saisit le juge et l'oblige à statuer, créant entre les plaideurs le lien d'instance). L'article 30 CPC envisage en effet l'action de manière indépendante de son exercice et de la position procédurale de son titulaire (demandeur, défendeur, tiers...).
L'action a un caractère facultatif, le droit d'agir existant indépendamment de son exercice, de sa concrétisation et préexistant à la demande. L'antériorité de l'action s'exprimerait notamment dans le mandat de représentation, dont l'objet ne pouvait selon Motulsky être la demande, puisqu'elle n'existait pas encore. Il en déduisait que le mandat ne pouvait porter que sur un pouvoir distinct de la demande: le droit d'agir. On a par ailleurs souligné la diversité des formes que la demande en justice, en tant qu'acte de procédure, est susceptible de revêtir (cf art 54 CPC). Enfin, l'inexistence du pouvoir d'agir conduit à l'irrecevabilité de la prétention, même exprimée dans une demande apparaissant valable et régulière en tant qu'acte juridique.
2. Critiques
J. Héron et G.Wiederkehr ont établi pour leur part un lien entre action et actes de procédure en s'appuyant sur certaines "incohérences" de l'art 30 CPC (G. Wiederkehr, la notion d'action selon l'art. 30 CPC, Mélanges Hébraud 1981 p 949 - Héron, 3ème éd. par T. Le Bars, Droit judiciaire privé, Précis Domat, Montchrestien, 2006).
La première contradiction découle du fait que le texte présente l'action comme un pouvoir abstrait et virtuel tout en faisant référence à l'auteur d'une prétention, ce qui postule l'existence d'une demande, nécessairement émise, et devenant par conséquent élément de l'action.
Ensuite l'art. 30 CPC contient deux définitions de l'action, envisagée du côté du demandeur puis du défendeur. Cette double approche surprend, s'agissant d'une même notion. En outre, la définition envisagée sous l'angle du défendeur se révèle incompatible avec la distinction entre l'action et son exercice car elle suppose un procès déjà engagé. La symétrie n'est pas non plus totale dans la mesure où l'irrecevabilité sanctionnant le défaut du droit d'agir affecte seulement le demandeur, la fin de non-recevoir à l'origine de cette sanction étant quant à elle toujours soulevée par le défendeur.
Pour le défendeur, il s'agit de discuter du bien-fondé de la demande, ce qui est incompatible avec la qualification de droit virtuel donnée à l'action. Par ailleurs, selon H. Croze et C. Morel, le respect des droits de la défense pourrait suffire à fonder le droit de discuter le bien-fondé de la prétention adverse. Enfin, la définition apparaît incomplète car la défense ne se limite pas au droit d'être entendu sur le fond : outre les défenses au fond, existent des fins de non-recevoir et des exceptions de procédure (voir leçon 8).
Force est de constater qu'existe bien une confusion entre demande et action car on parle souvent de l'irrecevabilité des demandes.
Cette confusion est sans doute liée au fait qu'en pratique la demande précède l'appréciation du juge quant à la recevabilité de l'action. En outre, l'absence de droit d'agir, liée au défaut d'intérêt, au défaut de qualité ou à la chose jugée peut ne pas être invoquée dans la mesure où soulever ces fins de non-recevoir est facultatif pour le juge selon l'art. 125 CPC.
D. Liaison entre action et actes de procédure
Sa démonstration reposait sur une approche structurale de l'article 30 CPC, faisant apparaître que la définition de l'action implique l'émission d'une prétention :
si... (présupposé), alors... (effet juridique qui serait l'action, droit d'être entendu sur le fond).
Il estimait qu'aucun effet juridique ne résulterait en soi de la seule réunion d'un intérêt et d'une qualité, lesquels ne seraient dès lors que des conditions de la demande, acte de procédure : il n'y aurait donc pas indépendance entre action et demandes mais énoncé des conditions de recevabilité des actes. Pour Jacques Héron, les demandes sans action, donc irrecevables, ne caractérisaient pas l'inexistence d'une action, droit autonome et distinct, mais l'absence d'une condition du droit de demander. Pour répondre aux arguments de Motulsky quant à l'impossibilité de conventions portant sur le droit d'agir (mandat), il estimait qu'une convention peut concerner un acte à venir, en l'occurrence la demande future. Il en tirait des conséquences du point de vue des « supposées » conditions du droit d'action, qui selon lui constituaient seulement des attributs, soit du droit substantiel, soit des actes processuels.
Une analyse proche a été développée par R. Martin qui est allé jusqu'à considérer le droit d'action comme un concept faux et inutile, pour affirmer qu'il convient seulement de se poser la question des obstacles pratiques, d'ordre objectif et subjectif, que doit franchir le demandeur pour court-circuiter la défense, quel que soit le régime procédural propre à chacun des moyens de défense en cause (R. Martin, Un virus dans le système des défenses du CPC : le droit d'action, Rev. Gén. Proc. 98 419).
§ 2. Les caractères du droit d'action
A. Caractère facultatif de l'action
Une thèse opposée avait été développée par Ihering, pour qui l'action était un devoir.
Le demandeur peut ainsi renoncer à son action, même engagée.
Cette renonciation produira effet, sauf si l'instance est liée, du fait d'une intervention active du défendeur. La liberté d'agir ou non trouve une limite en cas de représentation : n'étant pas titulaire de l'action, le représentant n'a pas le choix et encourrait une responsabilité s'il n'agissait pas.
B. Caractère libre de l'action
Certaines limites tempèrent un peu ce principe : c'est ainsi que le perdant est en général condamné aux dépens (art 696 CPC), voire même au paiement de frais irrépétibles (art 700 CPC). Ensuite, si agir à tort n'entraîne pas ipso facto engagement de responsabilité, il peut en aller autrement si l'action est jugée abusive.
Libre, l'action n'a cependant pas un caractère discrétionnaire: l'article 32-1 CPC permet de sanctionner par une amende civile d'au maximum 3000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés, celui qui agit en justice de manière dilatoire et abusive.
Cass. 2e civ., 3 sept. 2015, Proc. 2015 Fasc. 11 n° 316 obs. H. Croze : l'amende civile à laquelle peut être condamné celui qui agit en justice de manière abusive peut être prononcée d'office par le juge, usant du pouvoir laissé à sa discrétion par l'art. 32-1 CPC.
Des textes comparables existent en matière de voies de recours. Il s'agit d'une transposition de la théorie générale de l'abus de droit, avec une application atténuée. La preuve de l'intention de nuire est requise ou tout au moins la conscience d'absence de droit : celui qui agit ne doit pas être certain de courir à l'échec !
La Cour de cassation est en principe exigeante sur ce terrain : elle impose de caractériser la faute, pas seulement de mentionner le préjudice, et elle en contrôle la qualification. Le critère intentionnel a même été précisé : « l'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute... que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi, ou tout au moins une erreur grossière équipollente au dol ».
Sur la question de savoir s'il peut y avoir abus lorsque le demandeur a obtenu gain de cause en première instance et qu'intervient une réformation partielle en appel, voir Civ I, 10/3/98, RT 99 199, Rev. Gén. Proc. 99 655, revenant -heureusement- sur Civ I, 7 nov. 95, Justices n°3 p 364.Civ. II, 10/5/07, Proc 07 n° 156 : une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières qu'il appartient aux juges du fond de justifier, constituer un abus de droit dès lors que sa légitimité a été reconnue, au moins partiellement, par la juridiction du premier degré; Civ. I, 13 mars 2008, JCP 08 I 184 n° 17.
L'appréciation est parfois délicate au regard de l'incertitude affectant beaucoup de procès : il est souvent difficile de savoir lors de l'introduction d'une instance si l'on obtiendra gain de cause ou non. Cela peut notamment être le cas quand sont en cause des notions de droit non contrôlées par la Cour de cassation.