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Grands problèmes contemporains

La question territoriale

Les quartiers populaires ont subi de plein fouet la crise et la désagrégation de la culture ouvrière, beaucoup étant d’anciennes banlieues rouges. Elles sont souvent stigmatisées et accusées d’être des « zones de non droit » et portées au repli communautaire. Pourtant, le séparatisme social est autrement plus marqué en haut de la pyramide avec « les ghettos du Gotha », pour reprendre le titre d’un ouvrage des Pinçon-Charlot, avec des stratégies d’évitement des catégories populaires à l’école et dans les quartiers.


En 1913, dans son étude pionnière Tableau politique de la France de l'Ouest sous la troisième République, André Siegfried propose la première analyse écologique du vote, souvent réduite à la célèbre formule : « le granit vote à droite, le calcaire vote à gauche ». En dépit de l'œuvre inaugurale de Siegfried faisant le pont entre géographie et science politique, ce lien s'est distendu à compter des années 1960 avant de connaitre récemment un retour remarquable tant dans l'analyse électorale qu'en sociologie des mobilisations. Il en va de même en sociologie où la question territoriale s'était éclipsée en dépit de l'intérêt d'Emile Durkheim pour la morphologie. Désormais, les analyses croisent inégalités sociales et inégalités spatiales et plus encore, étudient la manière dont ces inégalités interagissent (Ripoll et Tissot, 2010, p. 11).


Section 1. Vue d'ensemble


Aujourd'hui, 95 % de la population vit dans un territoire sous influence des villes. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le processus d'urbanisation de la France s'accélère. La part de la population urbaine passe de 53 % en 1936 à 70 % en 1968. Les espaces périurbains sous influence des grands pôles sont les grands gagnants avec une augmentation de près de 60 % de leur population entre 1968 et 2009.



Df.Avant, le monde urbain était défini comme un territoire où les bâtiments étaient proches (moins de 200 m d'écart) et rassemblant au moins 2000 habitants. Depuis le changement de définition opéré par l'INSEE en décembre 2021, c'est la densité d'habitants au km2 qui est prise en compte, à la place du bâti. On compte dès lors 12 % de communes urbaines, qui regroupent les deux tiers de la population et 88 % de communes rurales qui en rassemblent un tiers.
Les métropoles ont plus de 500 000 habitants et concentrent plus de 20 000 cadres des fonctions métropolitaines (CFM), c'est-à-dire les cadres et chefs d'entreprise d'au moins dix salariés travaillant dans les fonctions métropolitaines. On en dénombre treize : Paris, Lyon, Marseille, Lille, Toulouse, Bordeaux, Nice, Nantes, Strasbourg, Rennes, Grenoble, Saint-Etienne et Montpellier. Elles concentrent près d'un tiers de la population française.
Depuis 1996, l'INSEE définit les espaces périurbains par un critère de mobilité des actifs : ils abritent 40 % au moins de la population active travaillant hors de la commune de résidence et dans l'aire urbaine. Soit un quart de la population française.



Qu'il s'agisse de l'âge, des catégories socio-professionnelles ou du niveau de diplôme, le visage des Français est très contrasté selon les territoires, ce que traduisent bien du reste les résultats électoraux des dernières années (voir leçon 8). Une étude de 2009 en offre les principaux enseignements (Détang-Dessendre et Piguet 2016).

S'agissant d'abord du vieillissement de la population et de la répartition différente des classes d'âge. Les personnes âgées de plus de 60 ans représentent quasiment 23 % de la population française, ce qui représente une augmentation de presque 10 % entre 1999 et 2009. Celles de 75 ans et plus, plus encore avec une augmentation d'un tiers sur la même période avec maintenant 5,5 millions d'individus. À l'autre extrémité de la pyramide des âges, la part de la population de moins de 20 ans est passée sous la barre de 25 %. Les plus âgés, de 60 ans et plus, sont particulièrement surreprésentés dans les espaces ruraux, avec près d'un tiers de la population dans le rural éloigné des pôles. À l'opposé, c'est dans le pôle parisien que la part de cette population est la plus faible, presque deux fois inférieure à celle observée dans le rural éloigné.
Logiquement la répartition par niveau de diplôme est inversée. Le pôle parisien présente la part de diplômés du supérieur la plus élevée (37 %), avec un pic dans Paris intra-muros où cette part atteint 54 %. Deux groupes se distinguent : les zones d'influence des grands pôles par la part la plus élevée de titulaires d'un CAP ou d'un BEP, et les espaces ruraux où les individus les moins qualifiés représentent 43 % de leur population.

S'agissant des catégories socio-professionnelles, le contraste est également saisissant. La catégorie des ouvriers constitue le premier groupe professionnel dans les communes hors de l'influence des pôles et dans les pôles ruraux et dans les communes sous leur influence : les ouvriers y représentent en 2009 plus de 30 % de la population active.
A l'inverse, bien qu'hétérogène, la distribution spatiale des cadres et professions libérales est très concentrée à Paris et dans les grands pôles. Dans Paris intra-muros, près de 43 % de la population occupe un emploi de cadre. C'est le cas de 19 % sur l'ensemble des grands pôles. Et seul un peu plus de 6 % de la population des communes du rural éloigné est cadre.




À Paris, presque la moitié de la population active (46 %) est composée de cadres supérieurs d'après es dernières données INSEE de 2018 (voir tableaux de l'Observatoire des inégalités). Ces derniers représentent 40 % des actifs qui vivent dans les Hauts-de-Seine et 31 % dans les Yvelines. Inversement, les cadres supérieurs rassemblent moins de 8 % de la population active dans les départements où ils sont les moins présents, comme le Cantal ou la Meuse. Paris et les Hauts-de-Seine sont parmi les dix départements où les ouvriers sont les moins représentés (respectivement 7 % et 8 %). Ils sont en revanche les plus présents avec près d'un tiers en Mayenne, Haute-Marne, Vendée, Aisne et Orne.



Conséquemment, les inégalités territoriales sont grandes, tant sur le plan des revenus que sur celui de l'accès aux commerces de proximité et aux services publics.
Une étude portant sur cette offre de 1980 à 2013 (Barczak et Hilal 2016) en montre l'ampleur. Compte tenu du doublement des supermarchés et hypermarchés en trente ans, d'autant plus fort dans le périurbain et dans le rural hors influence des pôles, les petits commerces alimentaires (boucherie, supérette, boulangerie) et les commerces spécialisés (électroménager, chaussures, meubles, droguerie) y enregistrent un important recul.

Rq.
  • Boucherie : - 38 % en moyenne ; mais - 8 % à Paris et - 54 % dans les communes sous influence des pôles.
  • Supérettes : - 55,8 % mais - 1,9 % à Paris et - 67,2 % dans les communes sous influence des pôles.
  • Boulangerie : - 13,6 % mais + 4,5 % à Paris et - 27,5 % dans les communes sous influence des pôles.
  • Ecole primaire : - 24,2 % mais - 0,2 % à Paris et - 3,44 % dans les communes sous influence des pôles (et même - 40,6 % dans les communes hors influence).
  • Poste : - 4,5 % mais + 10,6 % à Paris et - 10,3 % dans les communes sous influence des pôles.
  • Hôpital, clinique : - 3,6 % mais + 13 % à Paris et - 35,7 % dans les communes sous influence des pôles.

Ces territoires vidés de leurs commerces de proximité le sont aussi des services publics ce qui, s'agissant de la santé, constitue un réel problème public aujourd'hui. Publiée par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) en septembre 2021, une étude sur l'accessibilité aux professionnels de santé de premier recours entre 2016 et 2019 révèle que les inégalités d'accès à ces professionnels subsistent au détriment des ruraux le plus souvent, en particulier s'agissant des infirmiers. La population la moins bien dotée pour cette profession vit majoritairement en Pays de la Loire, Centre-Val de Loire et dans les départements limitrophes. Le sentiment d'abandon, ajouté à une dépendance accrue à l'automobile, ne fut du reste pas sans influence sur le mouvement des Gilets jaunes. Selon les données du 4ème trimestre 2021 de l'Insee, le taux moyen national du chômage, d'environ 7,4 %, cache de profonds écarts entre les territoires. Parmi les moins touchés avec des taux inférieurs à 5 %, figurent le Cantal, la Lozère, la Mayenne ou le Jura tandis que les Pyrénées-Orientales, la Seine-Saint-Denis, l'Aisne, l'Hérault, le Gard, l'Aude ont des niveaux supérieurs à 10 %. Ils sont encore plus élevés en outremer : La Réunion, la Guadeloupe et la Guyane comptent entre 14 % et 19 % de chômeurs parmi la population active. (Observatoire des inégalités)

Il s'ensuit des écarts de revenus importants entre les régions, avec un niveau de vie médian le plus faible dans les Hauts-de-France ainsi qu'en Martinique et à La Réunion, où les taux de chômage sont plus élevés et la part des cadres et des professions intellectuelles supérieures plus faible. Il est à Paris 1,8 fois supérieur à celui à La Réunion. Avec les Hauts-de-Seine, les Yvelines et la Haute-Savoie (en raison de la proportion de travailleurs frontaliers avec la Suisse), la capitale est championne des inégalités. En Île-de-France, les 10 % les plus riches ont un niveau de vie 4,4 fois supérieur aux 10 % les plus pauvres, notamment à Paris (6,3) et dans les Hauts-de-Seine (4,9), mais aussi à La Réunion (4,4) et en Martinique (4,2). Les Pays de la Loire et la Bretagne sont les régions les plus égalitaires avec un rapport inférieur à 2,9.




Avec un taux de 18.2 %, la pauvreté est plus importante dans les communes denses. Ces dernières regroupent 37 % de la population des ménages fiscaux et 46 % de la population pauvre. Elles se situent dans les grandes agglomérations, où se trouvent notamment les quartiers prioritaires de la politique de la ville.

En savoir plus : Pour aller plus loin

Section 2. Ghettos du bas, ghettos du haut


Les quartiers populaires en situation d'anomie sociale qui ont subi de plein fouet la crise et la désagrégation de la culture ouvrière, beaucoup étant d'anciennes banlieues rouges, sont souvent stigmatisées et accusées d'être des « zones de non droit » et portées au repli communautaire. Pourtant, le séparatisme social est autrement plus marqué en haut de la pyramide avec « les ghettos du Gotha », pour reprendre le titre d'un ouvrage des Pinçon-Charlot, avec des stratégies d'évitement des catégories populaires à l'école et dans les quartiers (Michel Pinçon, Monique Pinçon-Charlot, Les ghettos du Gotha. Comment la bourgeoisie défend ses espaces, Paris, Éd. Le Seuil, 2007).



C'est le plus souvent sous le prisme de la délinquance et des « violences urbaines » que les quartiers populaires font la une de l'actualité et du débat politique. Le « problème des banlieues » est ancien, puisque le premier « plan banlieue » a été lancé en 1977 et a été suivi de neuf autres, sans que la politique de la ville ne produise véritablement de résultats. Depuis quelques années, le débat s'est installé autour de leur éventuelle ghettoïsation, sur le modèle américain, et plus largement sur le processus de ségrégation spatiale et ethnique.

En France, la première émeute se déroule dans la banlieue de Lyon, aux Minguettes, en 1981, puis à Vaulx-en-Velin en 1990 ; c'est à cette occasion qu'un grand nombre d'éditorialistes y voit l'expression d'une nouvelle « question sociale ». Ainsi que le note Sylvie Tissot, les habitants des quartiers populaires vont dès lors être définis par des critères sociaux, d'origine géographique et ethnique au détriment des divisions de classe (L'Etat et les quartiers – Genèse d'une catégorie de l'action publique, Seuil, 2007). Les émeutes qui touchent 18 régions sur 22 en métropole entre le 27 octobre et le 17 novembre 2005 étaient tout à fait uniques par leur durée, leur extension, et leurs significations. Celles de l'été 2023, certes plus courtes mais plus violentes, montrent clairement une aggravation du problème. A la fois par l'ampleur des délits, jusqu'à s'attaquer au domicile privé du maire de l'Haÿ-les-Roses dans la nuit du 1er au 2 juillet et par leur extension géographique, touchant des communes sans difficultés, à l'inverse des émeutes de 2005. Selon le ministre de la cohésion des territoires, Christophe Béchu, 553 communes ont été touchées en huit jours d'émeutes sur tout le territoire français, dont 170 n'avaient pas de quartiers « sensibles », « populaires » ou « prioritaires ».

Rq.Pour une cartographie des violences urbaines du 27 juin au 3 juillet 2023, voir « La cartographie d'une semaine d'émeutes en France » (lemonde.fr).



Les zones urbaines sensibles sont définies par la loi du 14 novembre 1996 ; elles sont « caractérisées par la présence de grands ensembles ou de quartiers d'habitat dégradé et par un déséquilibre accentué entre l'habitat et l'emploi ». Deux décrets en ont dressé la liste en 96, au nombre de 750 : 716 en métropole (dont 9 quartiers de Paris) et 34 dans les DOM. Elles ont été remplacées par les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) le 1er janvier 2015. Pour les identifier, un critère unique est retenu : la part de la population ayant un revenu inférieur à 11 250 euros par an. Ce sont ainsi désormais 1 514 quartiers situés dans 859 communes qui bénéficient de la politique de la ville (chiffres du ministère 2022).

Les ZUS puis QPV concentrent les populations à difficultés multiples, des difficultés en développement très sensible depuis 2008 : chômage, pauvreté, une faible qualification et une exposition plus sévère aux discriminations de toute sorte.

Rq.La question des discriminations est devenue un problème public depuis le rapport du Haut Conseil à l'Intégration sur la « lutte contre les discriminations » (1998) et le rapport annuel de la Halde (Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l'Égalité, créée en 2004). Le testing s'est vu reconnaître une valeur de preuve juridique devant les tribunaux par la loi sur légalité des chances de 2006. Bien des recherches dessinent les contours d'une société française fortement ethnicisée et racialisée (comme Robert Castel, La discrimination négative : citoyens ou indigènes ?, Paris, Seuil, 2007). Ces discriminations sont multiples, que ce soit à l'école, dans le logement ou sur le marché du travail, dans l'accès aux services et aux loisirs ou dans les relations avec la police et la justice. Cependant, il faut noter que l'absence de « statistiques ethniques » dans notre pays conduit sans doute à sous-évaluer leur ampleur.

Les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) regroupent 5,4 millions d'habitants (soit 7,5 % de la population) dont 40 % ont moins de 25 ans (2019, données officielles – INJEP mars 2021). La population des QPV est donc une population jeune, plus jeune que dans le reste de la France métropolitaine, où les moins de 25 ans représentent 29 %.
Ces quartiers sont situés en grande majorité dans les grands pôles urbains. En effet, 58 % des habitants des QPV vivent dans les régions Île-de-France, les Hauts-de-France et Provence-Alpes-Côte d'Azur (Renaud A., Sémécurbe F., « Les habitants des quartiers de la politique de la ville », INSEE Première, n° 1593, 2016). Le taux de pauvreté, qui correspond à un niveau de vie inférieur à 60 % du niveau de vie médian, atteint 42 % dans les quartiers de la politique de la ville contre 16 % dans les villes auxquelles ils appartiennent. Ces quartiers ne concentrent cependant pas l'ensemble de la pauvreté, puisque d'après l'Observatoire des inégalités, en 2018, les trois quarts des Français pauvres vivent hors de ces zones (ibid.).
Les jeunes âgés de 15 à 29 ans vivant dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont deux fois plus touchés par le chômage que les jeunes des quartiers environnants, notamment en raison de leur faible niveau de qualification. Selon l'enquête emploi en continu de l'INSEE, en 2018 15,5 % des jeunes âgés de 15 à 29 ans en QPV sont chômeurs contre 8,2 % dans les quartiers environnants (observatoire national de la politique de la ville - ONPV, 2019). Un grand nombre d'entre eux connaissent des difficultés familiales et sociales, entraînant des parcours scolaires chaotiques et un manque de repères. Les familles monoparentales forment 24 % de la population en moyenne dans les quartiers prioritaires de la ville selon l'Observatoire national de la politique de la ville, contre 15 % au niveau national. 22 % de ces jeunes ont un niveau inférieur au CAP ou au BEP, contre 19 % des jeunes des autres quartiers des unités urbaines englobantes. Les personnes ni en emploi, ni en étude, ni en formation, les « NEET », représentent 260 000 jeunes âgés de 15 à 29 ans des QPV, soit un poids deux fois et demi supérieur à celui des jeunes NEET des autres quartiers des unités urbaines englobantes (27,5 %, contre 11,4 %) [ONPV, 2019].
Par ailleurs, 38,9 % des jeunes de 15 à 29 ans vivant en QPV sont nés à l'étranger contre 21,2 % dans les villes englobantes. Ils vivent également plus souvent dans des ménages de grande taille (constitués de cinq personnes et plus, + 6 points) et/ou des familles monoparentales (+ 7 points). Le modèle d'habitat en quartiers prioritaires de la politique de la ville est le logement HLM : 74 % des ménages y vivent contre 16 % dans les autres quartiers. Enfin ces logements sont surpeuplés et plus vétustes que ceux des quartiers environnants (ONPV, 2018).
La dernière étude publiée en 2021 par l'Observatoire des inégalités observe que si la moyenne du taux de pauvreté des QPV est de 43,5 %, les plus en difficulté affichent des taux de pauvreté supérieurs à 70 %, soit près de cinq fois plus élevés que la moyenne nationale. Dans les 20 quartiers les plus pauvres de son classement, la part de la population sans diplôme est en moyenne de 59 %. Le quartier « Résidence Sociale Nicéa » à Nice est le plus pauvre des quartiers prioritaires de la ville, suivi du quartier « Pous du Plan » à Carpentras (84), avec un taux de 72 %, et de « Rois de Majorque », situé à Perpignan (66), avec un taux de 71,4 %, selon les données 2017 de l'INSEE.




Dans un article publié par The Conversation le 31 mars 2021, Arnaud Alessandrin et Anastasia Meidani notent que les QPV ont payé un lourd tribut à la Covid-19, pour des raisons variées : difficulté d'être en télétravail pour des populations employées dans les services à la personne par exemple, promiscuité familiale dans de petits appartements lorsqu'ils ne sont pas vétustes, pauvreté et chômage rendant les accès aux services de soins moins évidents, absence de services publics comme privés de santé dans certains quartiers, problèmes de mobilité, etc. Les habitants de ces quartiers déclarent plus souvent une pathologie comme l'obésité, le diabète, l'asthme ou encore la dépression.

La loi SRU Gayssot (solidarité et renouvellement urbain), du 13 décembre 2000, oblige, selon son article 55, les communes d'une certaine taille à disposer d'un parc de logements sociaux représentant au moins 20% de leurs résidences. Elle a été complétée par la loi de mobilisation du foncier public, dite première loi Duflot, du 18 janvier 2013, qui, pour les communes situées dans les zones les plus tendues, a élevé ce quota à 25 % et reporté l'échéance à 2025. Entre 2000 et 2019, près de 870 000 logements sociaux ont été construits dans les communes dites déficitaires. Mais pour bcp d'entre elles, mieux vaut l'amende que les HLM. En 2008, 44 % des communes d'Ile-de-France (83 sur 181) ne respectaient pas la loi SRU parmi lesquelles Neuilly-sur-Seine (48,8 %, soit 378 construits sur 774 demandés), Le Raincy (Seine-Saint-Denis) (26,7 %) et Lésigny (Seine-et-Marne). 

Peut-on, à l’endroit des ZUS, parler de ghettos ? Voici encore quelques années, l’idée était unanimement rejetée en raison du maintien d’une hétérogénéité ethnique, de l’absence de volonté de relégation d’une population stigmatisée sur un territoire qu’on lui laisse gérer, mais aussi en raison du maintien d’une présence étatique en leur sein. Telle est toujours la position de Loïc Wacquant dans Parias urbains. Ghetto, banlieues, État, paru à La Découverte en 2006. Pour lui, le ghetto ne saurait être un simple synonyme de pauvreté, de ségrégation et de regroupement ethnique que du reste il ne voit pas à l’œuvre en France, « la relégation spatiale à la périphérie des villes se fondant prioritairement sur la classe et non sur l’appartenance ethnique ». Par ailleurs, les banlieues n’ont pas été abandonnées par les pouvoirs publics, à la différence du cas étasunien.

Rq.Dans « Les deux visages du ghetto. Construire un concept sociologique » (Actes de la recherche en sciences sociales, 2005/5, n° 160, p. 4-21), Loïc Wacquant revient sur les origines historiques du terme pour « construire un concept relationnel de ghetto comme instrument de fermeture et de contrôle ». Forgé par dérivation de l’italien giudecca, borghetto ou gietto (ou bien de l’allemand Gitter ou de l’hébreu talmudique get : l’étymologie est contestée), le mot « ghetto » se réfère initialement à l’assignation forcée des Juifs dans des districts spéciaux par les autorités politiques et religieuses de la ville de Venise durant la Renaissance. L’auteur voit dans ce moment inaugural les quatre éléments constitutifs du ghetto : le stigmate, la contrainte, le confinement spatial et l’emboîtement institutionnel. Cette situation ne correspond selon lui qu’au ghetto afro-américain, à la situation des intouchables Burakumin dans les villes japonaises après la fin de l’ère Tokugawa et à celle des Roms d’Europe de l’Est après l’effondrement des sociétés sous hégémonie soviétique.

Cependant, de plus en plus, le terme est utilisé pour parler des banlieues françaises tant leur situation s’est dégradée économiquement, socialement et dans les relations entre les individus. Notamment par Didier Lapeyronnie dans Ghetto urbain. Ségrégation, violence, pauvreté en France aujourd’hui (Robert Laffont, 2008). Il constate un net déclin de la confiance des habitants des quartiers populaires envers les institutions républicaines corrélé au développement du sentiment de mise à l’écart, mais aussi l’ethnicisation des rapports sociaux et la montée des tensions racistes entre « communautés » blanches ou immigrées.

La situation reste toutefois sans commune mesure avec celle que connaissent les États-Unis. En 2000, un Noir habitait dans un quartier peuplé en moyenne à 51 % de Noirs (même si ceux-ci ne représentent que 12,5 % de la population des États-Unis) et 33 % de Blancs, alors qu’un Blanc vivait dans un quartier en moyenne à 80 % de Blancs et seulement 7 % de Noirs (Margery Turner et Hal Wolman, « Processus et politiques de ségrégation raciale aux États-Unis », 2006/3, Hérodote, n° 122, p. 44-65). Les quartiers afro-américains se sont considérablement détériorés sous le double effet du chômage de masse et du développement, en leur sein, de la criminalité et, depuis 2008, en raison de l’importance des expulsions liées aux crédits immobiliers à risque.

De nombreuses recherches mettent en valeur que loin de l’image communément répandue, la ségrégation spatiale est d’abord le fait des catégories supérieures, comme ceux de Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (Les Ghettos du Gotha comment la bourgeoisie défend ses espaces, Seuil, 2007) ou encore Eric Maurin qui, dans Le Ghetto français (Seuil, 2004), décrit « la société de l'entre soi » et la ghettoïsation par le haut que l'on peut observer chez les élites. Le déficit de mixité sociale enferme l'individu « dans un destin écrit à l'avance ».

Edmond Préteceille soutient qu’en région parisienne, la mixité sociale demeure la modalité la plus fréquente, mais observe une « bipolarisation aux extrêmes du fait de l’exclusivité sociale croissante de l’ensemble des beaux quartiers, d’un côté, de la nette croissance du poids des chômeurs et des précaires dans une partie des quartiers populaires, de l’autre » (in Revue française de sociologie, 50-3, 2009, p. 490). 

Toutefois, entre la flambée des prix de l'immobilier, la crise des subprimes suivie de celle du covid, la situation a évolué.
Rq.Entre 1999 et 2018, en Île-de-France, les logements anciens ont vu leurs prix multiplier par 3 alors que le revenu médian des franciliens avant impôts et prestations sociales n'augmentait que du tiers.
En septembre 2019, l'Observatoire des inégalités titre : « l' Île-de-France championne des inégalités ». La région produit 30 % des richesses nationales et abrite 19 % de la population. D'après une étude de l'IAU (Institut d'aménagement et d'urbanisme), les années 2001 à 2015 ont vu l'augmentation des écarts de richesses entre le département le plus pauvre (93) et les 2 les plus riches. L'entre soi y est devenu plus marqué : la moitié des ménages des 10 % les plus élevés réside dans 26 communes (dont 17 arrondissements parisiens) quand la moitié des 10 % les plus pauvres dans 46 communes.
Dans une étude publiée en février 2018 par la Fondation Jean Jaurès (« 1985-2017 : Quand les classes favorisées ont fait sécession »), Jérôme Fourquet parle de séparatisme social concernant toute une partie de la frange supérieure de la société, les occasions de contacts et d'interactions entre les catégories supérieures et le reste de la population étant en effet de moins en moins nombreuses.
Sous l'effet conjugué de la hausse des prix de l'immobilier, de la tertiarisation du tissu économique des principales métropoles françaises et de la gentrification des anciens quartiers ouvriers, la diversité sociologique s'est considérablement réduite dans les grandes villes. Alors que la part des catégories populaires chutait fortement, celles des cadres et des professions intellectuelles grimpaient en flèche. Le cas de Paris est de ce point de vue emblématique. Comme le montre le graphique suivant, les cadres et professions intellectuelles représentaient seulement 24,7 % de la population active parisienne lors du recensement de 1982. Cette proportion est passée à 33 % en 1990 puis à 36,6 % en 1999 pour atteindre 46,4 % en 2013. En l'espace de trente ans, leur poids a donc quasiment doublé quand, dans le même temps, la proportion des employés et des ouvriers était quasiment divisée par deux. Moins spectaculaire, le déclin des ouvriers en centre-ville se vérifie aussi dans d'autres métropoles.




Deux autres occasions de brassage social ont, pour l'une, disparu (le service militaire, dont la fin a été actée en 2001, mais sans doute l'auteur surestime-t-il son rôle de contacts sociaux), pour l'autre en crise depuis une trentaine d'années. En 2016, les colonies de vacances n'ont accueilli que 800 000 enfants, contre plus d'un million en 2007 et deux millions au début des années 1980 et 4 millions dans les années 1960, période de leur apogée.

Le phénomène de séparatisme social est maximal dans les gated communities, ces résidences fermées et sécurisées où s'isolent les classes supérieures (mais pas qu'elles). Un quartier résidentiel fermé, traduction de l'anglais gated community (pluriel : les gated communities) est un quartier homogène socialement, généralement habité par des populations aisées, clos, et accessible par un nombre minimal d'entrées gardées par un personnel privé. D'autres dispositifs de sécurité peuvent s'y ajouter (caméras, barrière, badge d'accès...). On parle aussi d'une enclave résidentielle fermée. Trois critères permettent d'identifier ce type de résidences : un régime de gestion privée ; entourés de barrières ou de clôtures les isolant de leur environnement ; et à accès restreint. En France, ils ont surtout été repérés et analysés en contextes péri-urbains (Ile de France, Côte d'Azur, banlieues de Toulouse et Montpellier). Plus récemment, certains ensembles de logements sociaux ont été à leur tour particulièrement touchés par les opérations de clôture et de sécurisation des espaces collectifs. C'est ainsi qu'à Marseille, 1/3 du territoire serait "privatisé".


Sy.Si le débat public et, longtemps, l'espace académique ont souvent associé « jeunesse » avec les jeunes urbains des quartiers sensibles, il en va autrement depuis quelques années avec la redécouverte des territoires ruraux par le biais d'approches ethnographiques portant sur les espaces de socialisation de la jeunesse rurale. Nicolas Renahy, avec Les Gars du coin (2010), fut le premier à renouveler le regard sociologique porté sur les jeunes ruraux. Il constatait que ceux-ci « lorsqu'ils sont pris en considération (et qu'ils ne sont pas perçus uniquement comme des "ploucs"), apparaissent comme le négatif de leurs homologues urbains : moins formés, moins cultivés... » (p. 19). Son étude fut suivie d'autres comme celle de Benoît Coquard avec Ceux qui restent (2019) ou encore de Yaëlle Amsellem-Mainguy avec Les filles du coin (2021). Dans leur opus consacré aux mondes ruraux, Ivan Bruneau et ses co-auteurs remarquent eux aussi une distance croissante entre les différentes classes sociales à l'échelle locale : La raréfaction des cadres d'origine populaire et locale au profit de responsables recrutés sur titres scolaires qui ne s'installent pas dans le bourg et qui « ne font que passer » (p. 167) conduit au creusement d'une distance sociale et spatiale avec le groupe ouvrier qui, rappelons-le, est très concentré en zone rurale. 
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