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Grands problèmes contemporains

Les métamorphoses du travail au 3ème âge du capitalisme



Le monde du travail a connu des bouleversements sans précédents au cours de ces cinquante dernières années : l ’emploi s’est féminisé, tertiarisé et urbanisé ; il est aussi devenu plus qualifié. Les contraintes associées au travail ont progressivement changé de nature avec la montée des flexibilités : moins de fatigue physique mais davantage de stress au travail. Surtout l’emploi apparaît plus « éclaté » : le règne de la grande entreprise industrielle, marquée par une organisation du travail de type fordiste ou taylorien, avec essentiellement des contrats de travail à durée indéterminée et à temps plein est aujourd’hui dépassé. On assiste à un émiettement des situations qu’il s’agisse des statuts et des situations d’activité entre l’emploi et le chômage, des durées et des rythmes de travail, des modes de rémunération ou même des unités productives.

Rq.Le « retour de la question sociale » depuis les années 1990 semble fermer la boucle ouverte avec l'invention du travail salarié et la « question sociale » du XIXe (voir leçon 2).



La question se pose aujourd'hui en raison des métamorphoses voire de la crise du travail, métamorphoses qui semblent affecter la capacité du travail à faire le lien social.
  • Donner un revenu : de plus en plus de personnes en sont privées et cette privation serait le premier pas vers l'exclusion ou la désaffiliation, et la source principale de la fracture sociale ;
  • Il en va de même pour donner une place, une utilité sociale dans la société ;
  • Fournir à l’individu une identité sociale est-il encore possible quand l'éclatement du collectif de travail rend plus difficiles les mécanismes d'identification collective, quand la hantise de la perte de travail détruit la solidarité, quand les organisations syndicales sont elles aussi en plein marasme (voir leçon 9) ?


Section 1 : La transformation des modes de production



Luc Boltanski et Eve Chiapello, dans Le nouvel esprit du capitalisme (Gallimard, 1999), analysent « les changements idéologiques qui ont accompagné les transformations récentes du capitalisme » (p. 35), l’idéologie étant entendu de façon générale comme « un ensemble de croyances partagées, inscrites dans des institutions, engagées dans des actions et par là ancrées dans le réel » (1999 : 35). Ils distinguent trois périodes différentes du capitalisme, chacune marqué par un « esprit du capitalisme », c’est-à-dire « l’idéologie qui justifie l’engagement dans le capitalisme » (p. 42).

  • le capitalisme marchand du XIXe siècle, du bourgeois (capitalisme patrimonial et familial) mais aussi du « chevalier d’industrie », ayant le goût du risque ;
  • le capitalisme industriel des années trente aux années 1970 de la grande entreprise et du compromis fordiste : organisation, centralisation, bureaucratie, planification, directeur (salarié et non pas détenteur du capital), cadres, ingénieurs, hiérarchie, production de masse, consommation de masse, standardisation ;
  • depuis le choc pétrolier de 1973, le 3ème âge, le capitalisme financier mondialisé porteur de la cité par projets, justifiant un monde connexionniste (projet, lien et réseau) par opposition au modèle hiérarchique précéden.

En comparant deux corpus de textes de management, le premier des années 1960 et le second des années 1990, les auteurs montrent également comment le capitalisme se ressource et se régénère à sa critique, ici celle de 1968 dont les aspirations (créativité, autonomie, polyvalence etc...) sont reprises par le nouveau management et porteuses des transformations du travail que nous allons voir après avoir brièvement résumé les principales évolutions de l’emploi en France.

Evolution des trois secteurs d'emploi


Ce premier tableau est particulièrement éclairant de l’évolution contrastée des trois secteurs d’emploi, avec la progression vertigineuse du secteur tertiaire (des services) au détriment du secteur primaire (l’agriculture) et du secteur secondaire (l’industrie). En 2011, ils occupent respectivement 79,5 % de la population active, 1,8 % et 18,7 %.

Rq.En 1970, le secteur industriel totalisait environ 5 350 000 emplois. En 2008, il n'en totalise plus qu'environ 3 640 000. Il a donc perdu environ 1/3 de ses effectifs au profit du secteur tertiaire. Celui-ci comptait en 1970 un peu plus de 11 300 000 emplois, et plus de 20 000 000 en 2008, soit une multiplication d’environ 1,8 entre 1970 et 2008.

L’extension du salariat se poursuit et en 2012, près de 9 actifs occupés sur 10 sont salariés. Le salariat est plus fréquent chez les femmes (92,3 %) que chez les hommes (85,1 %). Parmi les salariés, 22,1 % travaillent dans la fonction publique en 2012. Les formes particulières d’emploi (contrat à durée déterminée, intérim, apprentissage) représentent 12 % de l’emploi total, soit le niveau d’avant-crise (Données reprises à Portait social de la France, 2013, p. 192).


C’est du Japon, et plus précisément dans les usines Toyota, que sont expérimentées de nouvelles formes d’organisation du travail, à l’initiative de l’ingénieur Ohno, avant qu’elles ne soient importées aux États-Unis au début des années 1980 via les « transplants » nippons. Robert Boyer et Jean-Pierre Durand (L'après-fordisme, Syros, 1993) définissent le « toyotisme » comme des techniques organisationnelles destinées à améliorer l'efficacité de la production au centre desquelles se trouve la lean production ou production frugale, « au plus juste », ce qui induit zéro stock et la pratique des flux tendus. Il opère un renversement total de la logique de production.
La pratique du flux tendu suppose d’abord une main d’œuvre polyvalente (à l’inverse de la spécialisation du salarié typique du taylorisme) et sa flexibilité qu’encourage l’individualisation des salaires, alors que dans le modèle fordiste, les politiques salariales des entreprises étaient fondées sur un principe simple : la rigidité des salaires (chaque poste était associé à un coefficient inscrit sur une échelle de salaire négociée au niveau sectoriel par les syndicats et les employeurs ; le salaire ne variait pas selon les fluctuations économique).

L’impératif de flexibilité pour accroître la capacité d'adaptation de l'entreprise se décline de différentes manières. On en distingue 4 formes.
  • la flexibilité externe : ajustement par le recours au marché du travail (licenciements, externalisation, travail temporaire, contrats atypiques qui représentent désormais 80% des embauches dans les entreprises de plus de 50 salariés) ;
  • la flexibilité interne : par réajustement au sein de l'entreprise (formation, rémunération avec individualisation des salaires avec indexation sur les résultats de l'entreprise et l’organisation du travail) ;
  • la flexibilité quantitative qui consiste à diminuer la part des coûts fixes au profit des coûts variables ;
  • la flexibilité qualitative (interne par définition) pour adapter les qualifications et l'organisation de la production à la demande : polyvalence, atelier flexible, management participatif censé encourager l'initiative.
L’externalisation concerne principalement les fonctions d’exécution comme le nettoyage, la restauration, le gardiennage. Mais aussi des « services de concepts » comme les conseils et études, l’informatique. Elle explique le développement des PME voire des entreprises sans salarié tandis que dans le même temps, on assiste aussi à l’augmentation considérable des groupes et fusions. Qualifié de nonemployer puzzle aux États-Unis, le phénomène des entreprises sans salarié y a explosé en passant sur les vingt dernières années de 15 à plus de 22 millions d’entreprises. En France, leur nombre a doublé entre 2003 et 2014 (de 1,4 à 2,4 millions selon l’INSEE).

Nombre d’entreprises avec et sans salariés en France et aux États-Unis (en %)
Nombre d’entreprises (%)
États-Unis
France
Sans salariés
80
67
Avec salariés
20
33
Total
100
100
Tableau établi à partir, pour la France, de l’INSEE 2012 ; pour les USA, Statistics about Business Size (Employers and Nonemployers) from the U.S. Census Bureau.

Le système japonais a été qualifié de post-fordien, fordien, hyperfordien ou encore pré-fordien, mais l’on parle le plus souvent de post-fordisme. Il se diffuse ensuite aux États-Unis où, d’après Philippe Askenazy (Les désordres du travail, Seuil, 2005, p. 17), les 2/3 de l’industrie ont connu ce processus de réorganisation au début des années 1990, avant d’arriver en Europe quelques années plus tard. Mais ces processus de réorganisation ne concernent pas toutes les entreprises et pas toutes au même degré de sorte qu’au sein d’un même espace national, ou d’un même secteur, coexistent plusieurs modèles et même plusieurs combinaisons possibles de modèles pour une même entreprise. Robert Boyer et Michel Freyssenet dénombraient ainsi 6 modèles pour la seule industrie automobile (Les modèles productifs, La Découverte, 2000).

Ces métamorphoses sont liées au passage du fordisme au post-fordisme que l'on observe depuis la crise de 1973-74. Le fordisme se caractérisait par la production en série de produits standardisés et la fragmentation des tâches (voir leçon 2). Il impliquait:
  1. de fortes concentrations ouvrières à l'échelle nationale ;
  2. un fort interventionnisme étatique chargé de tempérer les influences économiques extérieures et de protéger la main d’œuvre nationale des effets de la concurrence internationale ;
  3. une gestion de type néo-corporatiste entre État-patronat-organisations syndicales.<LISTE_ELEMENT/>
Rq.Mais l’Organisation scientifique du travail comportait deux limites : d’une part, elle était rentable pour la production en grande série souvent de biens de consommation de masse (d’où le lien entre production et consommation de masse). Les coûts de la réorganisation du travail étaient amortis par un grand volume de production qui n’était possible que pour certains secteurs industriels seulement aujourd’hui en crise. Elle impliquait d’autre part des coûts humains, sociaux et ensuite matériels qui provoquaient absentéisme, roulement du personnel, conflits et désintérêt pour le travail.

Le post-fordisme s'inscrit dans une logique de globalisation économique et de concurrence internationale accrue qui n'est plus freinée par les barrières étatiques. Il s'organise sur le modèle centre/périphérie, entraînant la précarisation et la segmentation du marché du travail à l'échelle mondiale. Depuis la disparition des pays de l'Est, il est entièrement dominé par une conception ultra-libérale de l’État et de la société. Internationalisation de la production et diffusion idéologique vont donc de pair. Il s’inscrit aussi dans ce que le CNPF (ancêtre du Medef) qualifiait à partir de 1978 de « gestion concurrentielle du progrès social ». Il s’agissait de faire concurrence aux syndicats en leur reprenant la « gestion du social » ; d’où le rôle médiateur de l’encadrement et le développement des cercles de qualité par exemple.


La transformation technique du travail (faisant toujours moins appel aux grandes organisations de type taylorien) ainsi que le contexte de concurrence exacerbée produit par la mondialisation économique ont pour effets la précarisation de la force de travail et l’individualisation croissante de la relation de travail qui vont à l’encontre d’une évolution séculaire. Dans les deux cas, comme le dit Charles Goldfinger (Travail et hors travail, Odile Jacob, 1998), il y a « risque de disparition d’un référentiel commun qui sous-tend les liens d’appartenance culturelle et sociale à un ou plusieurs groupes ». L’éclatement des collectifs de travail remet en cause l'intervention publique qui structure la relation salariale et la vie de travail dans l'entreprise. De même, l’individualisation croissante des contrats (salaires, horaires, etc...) rompt avec la dynamique de collectivisation de la relation du travail au principe du droit social et semble renouer avec le « contrat de louage » du début du XIXe siècle. Pour les syndicats, cela constitue un véritable obstacle à l’unification des revendications permettant de dégager un « nous ». Il est vrai aussi que « la déréglementation et l’effondrement syndical de la fin des années 1970 et du début des années 1980 ont accéléré ces processus » de réorganisation du travail aux USA, dit Philippe Askenazy (Les désordres du travail, Seuil, 2005, p. 18), mais le constat vaut aussi pour l’Europe (voir leçon 9).

Les chantres de ce modèle voient dorénavant dans l’entreprise un lieu d’émancipation. L’entreprise serait devenue « post-bureaucratique », décentralisée voire réticulaire, régie par des managers et non plus des chefs. Elle requiert des salariés polyvalents, responsables, réactifs et adaptables auxquels elle redonnerait une autonomie dans le travail. Le « management participatif » a en effet repris aux politistes étudiant les budgets participatifs le thème de l’empowerment (« montée en autonomie »), c’est-à-dire principalement l’« utilisation de la prise de parole pour promouvoir la participation active et l’implication des membres de l’organisation » (Linda Putnam, Nelson Philips et Pamela Chapman in Stewart Clegg, Cynthia Hardy et Walter R. Nord, Handbook of organisation studies, Sage, 1996.)

Le management par projet, forme de despotisme doux pour S. Clegg et D. Courpasson (in Journal of Management Studies, volume 41, n° 4, june 2004, cité par Sciences humaines, n° 158 mars 2005), montre la capacité du capitalisme à s’adapter à sa critique venue de 1968 (dénonciation de l’autoritarisme, valorisation de l’autonomie individuelle, comme l’ont montré Luc Boltanski et Eve Chiapello). Il suppose un autocontrôle accru du salarié (par le reporting, compte rendu de ses activités par le salarié, les techniques de « développement personnel ») et un contrôle décentralisé, par les pairs (par le « feed-back » des cadres).

Toutefois, l’ensemble des enquêtes auprès des salariés révèlent une augmentation des pénibilités et des nuisances liées au travail, et surtout de la « charge mentale » constitutive de l’explosion des troubles musculo-squelettiques et du stress professionnel, variable selon les CSP comme le montre le tableau suivant.

Conditions de travail selon la catégorie socioprofessionnelle en 2007


Par ailleurs, les plus touchés par le phénomène d’externalisation qui est aussi une précarisation du salariat sont les plus fragiles : les plus de 50 ans, les immigrés, les femmes, les personnes à santé fragile souvent en raison d’une maladie professionnelle ou d’un accident du travail. En revanche, ceux qui « s’en sortent » le mieux sont ceux disposant de capital social, de compétences linguistiques et évidemment et de plus en plus les surdiplômés.


Section 2 : La nouvelle question sociale 



Df.Pour le BIT, un chômeur est une personne en âge de travailler (15 ans ou plus) qui répond simultanément à trois conditions :
  • être sans emploi, c’est-à-dire ne pas avoir travaillé, ne serait-ce qu’une heure, durant une semaine donnée ;
  • être disponible pour prendre un emploi dans les 15 jours ;
  • chercher activement un emploi ou en avoir trouvé un qui commence ultérieurement.


Malgré la hausse globale de l’emploi depuis 1954, le premier choc pétrolier et la réorganisation du travail ont provoqué sa réduction sur plusieurs années (de 1974 à 1975, de 1980 à 1986, de 1991 à 1993, en 2003 et en 2008 pour le cas français). Le recul de la population salariée occupée dans l'industrie est considérable avec la perte d'un million d’emplois entre 1973 et 1983 (moins 14 %), et encore moins 9 % entre 1984 et 1993. La hausse du chômage est continue. On compte ainsi en France 593 000 chômeurs en 1973, 1 750 000 en 1981, 3,5 recensés officiellement en 1997, 2,8 millions de chômeurs soit 9,8 % de la population active en 2012. Et ces chiffres sont souvent contestés comme le montre l’exemple suivant.

Rq.D’après la DARES et l’ANPE, fin janvier 2007, il y avait 2 353 000 chômeurs soit 8,6% de la population active. Pour le Directeur général de l’Unedic Jean-Pierre Revoil, le chiffre varie la même année de 1 à 4 millions. 1,1 millions sont indemnisés à temps complet et 1,8 millions si on y ajoute ceux qui travaillent en partie. L’ensemble des chômeurs inscrits sont 3 685 000, auxquels pourraient s’ajouter 412 000 allocataires dispensés de recherche d’emploi car ils ont au moins 57 ans et 700 000 chômeurs RMIstes non inscrits à l’ANPE.

Le chômage ne touche pas toutes les catégories sociales de la même façon. Celui des ouvriers non qualifiés (un ouvrier non-qualifié sur cinq est sans emploi) est, en 2012, 5,5 fois plus élevé que le taux de chômage des cadres, contre 4,9 fois un an plus tôt. D’après l’Observatoire des inégalités, les cadres et professions intermédiaires étaient quasiment au plein emploi avec un taux de chômage respectif de 3,7 et 5,4 %. Le chômage de longue durée est en hausse : 40,8 % des chômeurs sont au chômage depuis plus d’un an et 20,2 % le sont depuis deux ans ou plus. (données INSEE 2013)

Evolution du taux de chômage selon la CSP



Selon Eurostat, l’Office statistique des Communautés européennes, le taux de chômage de l’Union européenne atteignait en septembre 2012 plus de 10 % de la population active, 10,7 % en 2013 (mais 12,1 % dans la zone Euro). En 2013, les taux les plus bas ont été enregistrés aux Autriche (4,9 %), Allemagne (5,1 %), Luxembourg (6,2 %), au Danemark (6,9 %) et en G-B (7,1 %). Les taux de chômage les plus élevés sont présents en Grèce (27,5 %), en Espagne (25,8 %), Croatie (18,6 %), Chypre (17,5 %). Les États-Unis en revanche connaissent leur taux le plus faible depuis 2008 (6,3 %). Pour mémoire, rappelons que le chômage ne dépassait pas les 2 % durant les Trente Glorieuses en Europe (4 à 5 % en Amérique du Nord). Et en France, seuls 300 000 demandeurs d’emploi étaient inscrits à l’ANPE en 1970.
En savoir plus : Derniers chiffres en Europe
Pour les derniers chiffres en Europe, avec données et carte : Eurostat
Au chômage s’ajoute les situations de sous-emploi. En premier lieu, le temps partiel qui a doublé entre 1980 (8 %) et 1997 (16 %). Surtout subi, il répond pour beaucoup à une stratégie de flexibilité de la part de l'entreprise. Il touche surtout les emplois de nettoyage, gardiennage, d’entretien ménager et d’abord les femmes, les jeunes peu diplômés (les 2/3 des sous-emplois ont un diplôme inférieur au baccalauréat) et les étrangers : 7,6 % de sous-emploi contre 4,7% pour les Français (données INSEE octobre 2005). En 2012, 18 % des personnes en emploi sont à temps partiel. 27 % des personnes en temps partiel souhaiteraient travailler plus, essentiellement des femmes. Le taux atteint 13,7 % chez les femmes cadres supérieurs contre 35,1 % chez les ouvrières.

Le travail en intérim est lui aussi en croissance : au mitan des années 1990, environ 2 millions d’intérimaires occupent 550 000 à 650 000 emplois équivalents temps plein (ETP) contre 100 000 ETP en 1975. En 2012, 525 000 équivalent-emplois à temps plein (ETP) pour 1,9 millions d’intérimaires et 16 millions de contrats de mission d’une durée moyenne de 1,7 semaine ; en moyenne les intérimaires travaillent 2,6 mois par an. Ils représentent 3 % des salariés de l’ensemble des secteurs concurrentiels. En 2012, l’industrie a employé 229 500 intérimaires en ETP, soit 44% du volume total de travail temporaire ; le secteur tertiaire 181 400 intérimaires en ETP, soit 35% du volume total de travail temporaire.

En moyenne sur l’année 2012, le sous-emploi au sens du BIT concerne 5,3 % des actifs occupés. Ainsi, 1,4 million de personnes en France métropolitaine travaillent moins qu’elles ne le souhaiteraient (Portait social de la France 2013, p. 192).


Df.Pauvreté monétaire : une personne est considérée comme pauvre lorsque son niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté. La pauvreté monétaire est mesurée de manière relative : le seuil est déterminé par rapport à la distribution des niveaux de vie de l’ensemble de la population. L’INSEE, comme Eurostat, privilégie le seuil à 60 % de la médiane.

Taux de pauvreté : pourcentage de la population dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté (on privilégie généralement le seuil à 60 % de la médiane des niveaux de vie).


En 2011, 8,7 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté monétaire, fixé à 60 % du niveau de vie médian. Ce seuil s’établit en 2011 à 977 euros par mois. Le taux de pauvreté s’élève ainsi à 14,3 % de la population. Les bénéficiaires des minimas sociaux sont en 2012 3,8 millions soit une progression de 2,4 % entre 2010 et 2011 et de 4,4 % entre 2011 et 2012 ; 52 % sont des femmes.

Df.Minimas sociaux : Revenu de solidarité active (RSA, 1,7 million d’allocataires), Allocation aux adultes handicapés (presque un million), Allocation supplémentaire vieillesse (ASV) et allocation de solidarité aux personnes âgées, Allocation de solidarité spécifique sont les plus importantes, mais aussi : Revenu minimum d'insertion, Allocation de parent isolé, Allocation supplémentaire d'invalidité, Allocation d'insertion (AI) ou Allocation temporaire d'attente, Allocation veuvage, Revenu de solidarité, Allocation équivalent retraite - remplacement (AER) ou Allocation transitoire de solidarité - remplacement 


Selon l’INSEE, les personnes vivant au sein d’une famille monoparentale sont particulièrement touchées par la pauvreté. Près d’un tiers de ces personnes sont pauvres, soit une proportion 2,2 fois plus élevée que dans l’ensemble de la population. Entre 2005 et 2011, le taux de pauvreté des familles monoparentales a augmenté, passant de 29,7 % à 32,1 %. Les familles nombreuses sont également plus exposées : parmi les personnes vivant au sein d’un couple avec au moins trois enfants, 22,2 % sont confrontées à la pauvreté en 2011 (Portait social de la France 2013, p. 210).

Personnes et ménages pauvres en Europe (en %)

État membre (1987-89)
% ménages pauvres
% personnes pauvres
France
14.9
14.7
Espagne
17.5
16.9
Portugal
26.5
24.5
Italie
22
21.1
Grèce
20.8
18.7
Irlande
16.4
15.7
Belgique
6.6
7.4
Luxembourg
9.2
11.1
Danemark
4.2
3.9
Pays-Bas
6.2
4.8
GB
6.2
4.8
Allemagne (1988)
12
10.9

Source : Serge Paugam, dir., L’exclusion, l’état des savoirs, La Découverte, 1996, p. 390 et suiv.
Base de comparaison : 50% des dépenses équivalentes à la moyenne nationale

Rq.Le tableau fait ressortir de fortes disparités entre pays avec une coupure Europe du sud – Europe du nord et parfois même au sein d’un même pays comme par exemple en Italie (les familles pauvres sont 4 fois plus nombreuses au sud qu’au nord) ou en Espagne (11 provinces sur 43 ont un nombre de familles pauvres double de celui de la moyenne nationale). Mais les disparités sont fortes également quant aux conséquences sociales et humaines de la pauvreté : classiquement, on considère que la pauvreté est dans les pays du sud moins excluante. Les pauvres y sont moins stigmatisés et restent plus intégrés au système social qu’en Europe du nord grâce essentiellement au réseau familial. Par exemple en Italie et en Espagne, on n’observe aucune corrélation entre la faiblesse du niveau de vie et la faiblesse de la sociabilité familiale. En revanche, au nord, on trouve plus d’expérience de revenu minimal garanti : Danemark (1933), Grande-Bretagne (1948), RFA (1961), Pays-Bas (1963), Belgique (1974), Irlande (1977).


Les auteurs distinguent trois formes de pauvreté selon la combinaison du modèle de développement économique et du marché du travail, le type de liens sociaux, le type de système de protection sociale :

  • la pauvreté intégrée des pays du sud avec solidarités familiales et économie informelle qui rendent les pauvres peu visibles ;
  • la pauvreté marginale des pays scandinaves où les pauvres sont peu nombreux mais considérés comme des cas sociaux ;
  • la pauvreté disqualifiante caractéristique de la France et de la Grande-Bretagne avec un sentiment d’insécurité sociale et une croissance du phénomène. Crainte de la moitié des Français de devenir exclus.
Le taux de pauvreté est de 17 % dans l’ensemble de l’Union européenne en 2010. Le seuil de pauvreté est fixé à 60 % du niveau de vie médian dans chaque pays. Schématiquement, en parité de pouvoir d’achat et par an, il est compris entre 10 000 et 12 000 euros dans les pays d’Europe de l’Ouest et du Nord, entre 6 000 et 10 000 euros dans les pays d’Europe du Sud et il est inférieur à 6 000 euros dans les pays d’Europe orientale et les pays baltes. Ces écarts sont toutefois délicats à interpréter : les politiques de prélèvements obligatoires, de prestations sociales ainsi que le coût de la vie, qui participent aux différences observées, ne sont en effet pas pris en compte. Mais selon Eurostat, les « personnes en risque de pauvreté ou d’exclusion sociale » sont bien plus nombreuses ; elles seraient au total 120 millions. Elles sont évaluées à 24,5 % de la population totale en 2013 dans l’UE à 27, 23 % en zone Euro. Là encore, les disparités sont frappantes, des 14 % de Norvégiens à 35,7 % des Grecs.
En savoir plus : Derniers chiffres en Europe
Pour les derniers chiffres en Europe, avec données et carte : Eurostat

La figure la plus extrême de la pauvreté est le « SDF ». Au début des années 1990, 400 000 personnes vivraient dans la rue. Le CERC (Centre d'étude des revenus et des coûts) estimait en 1993 à 1 % de la population en âge de travailler la proportion de ceux complètement dé-liés (SDF), 5 % à la fois exclus du marché de l’emploi et d’une grande pauvreté matérielle et relationnelle (CERC n° 109, 3e trimestre 1993). L’INSEE comptabilise 141 500 SDF, dont 30 000 enfants, en 2012 soit 11 500 de plus que l’année précédente, et +50 % depuis 2001 sous le double effet de la crise économique et de l’explosion des prix de l’immobilier. 2 sur 5 sont des femmes ; un quart d’entre eux sont des travailleurs pauvres. 53 % de ceux recensés dans les agglomérations de plus de 20 000 habitants sont d’origine étrangère. En 2014, 3,6 millions de personnes sont soit privées de domicile personnel, soit vivent dans des conditions très difficiles (privation de confort ou surpeuplement) ou précaires (hôtel, caravanes...). S’ajoute un halo de plus de 5 millions de personnes fragilisées par la crise du logement.

Df.Comment nommer ce qui apparaît être la négation d’un siècle de « progrès » et d’interventions étatiques ? Il y a différentes façons de parler du problème de la pauvreté : l’exclusion, souvent utilisée en France, renvoie à une opposition dedans/dehors, underclass aux USA à une distinction haut/bas, marginalidad en Amérique latine à celle centre/périphérie, comme le souligne Didier Fassin (in Serge Paugam, dir., L’exclusion, l’état des savoirs, La Découverte, 1996, p. 263). Denise Jodelet ajoute dans le même livre (in Paugam 1996, p. 66 et suiv.) que le type d’exclusion renvoie toujours à un type de relations interpersonnelles et sociales :
  • ségrégation : mise à distance topologique
  • marginalisation : mise à part d’un groupe
  • discrimination : fermeture de l’accès à certains biens, ressources, rôles ou statuts, ou traitement différentiel et négatif.


René Lenoir porte la paternité du terme « exclusion » avec la publication de son ouvrage Les exclus, un Français sur dix (Seuil) en 1974 qui envisage sous cette catégorie des personnes inadaptées aussi diverses que les mineurs en danger, les enfants placés, les délinquants, les jeunes toxicomanes, les alcooliques, les malades mentaux, les marginaux ou encore les Français musulmans. Il compte 2 à 3 millions d’handicapés, plus de un million d’invalides âgés et 3 à 4 millions d’« inadaptés sociaux ».

La prise de conscience ou la vogue de la question de la précarisation du travail relance les débats au début des années 1980 qui débouchent sur la notion de « nouvelle pauvreté », avec un glissement de perspective : ce sont des catégories jusque-là bien insérées dans le tissu économique et social mais victimes de la crise économique qui sont désignées. Le terme est à son tour délaissé au profit d’« exclusion » à la charnière des années 1980-90. Ce changement témoigne d’une meilleure connaissance des populations concernées et surtout d’un changement dans les représentations du phénomène qui s’élargit à la question du lien social et non plus seulement de l’emploi.

Df.Pour le Ministère de l’emploi et de la solidarité, l’exclusion se définit comme étant un ensemble de mécanismes de rupture tant sur le plan symbolique (stigmates ou attributs négatifs) que sur le plan des relations sociales (ruptures de différents liens sociaux qui agrègent les hommes entre eux). L'exclusion est à la fois un processus, produit par un défaut de cohésion sociale, et un état, résultat d'un défaut d'insertion. Le concept d'exclusion se caractérise par 3 dimensions :
  • la sphère économique : précarité vis-à-vis de l'emploi, insuffisance chronique ou répétée des ressources ;
  • la non-reconnaissance : non usage des droits sociaux, droits civils, droits politiques ;
  • les relations sociales : déstructuration sociale et psychologique que la crise économique et les situations de non droits engendrent chez les individus, familles ou groupes sociaux.



Lorsque Robert Castel propose le concept de désaffiliation, son objectif est de dépasser le constat pour comprendre les mécanismes qui y conduisent. Il le propose la première fois dans un article du Débat de 1990 (n° 61, septembre-octobre) intitulé « Le roman de la désaffiliation. A propos de Tristan et Iseut. » Dans sa contribution au livre dirigé par Jacques Donzelot, Face à l’exclusion, le modèle français (Paris, Éditions Esprit, 1991, p. 137-168), « De l’indigence à l’exclusion, la désaffiliation », « il propose de distinguer deux axes permettant de penser les situations de dénuement : un axe d’intégration – non-intégration par le travail et un axe d’insertion – non-insertion dans une sociabilité socio-familiale. En somme, pour définir la désaffiliation, il est tentant de recourir à deux figures : déficit de filiation et déficit d’affiliation.» (Martin Claude, « Désaffiliation », in Paugam Serge (dir.), Les 100 mots de la sociologie, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que Sais-Je ? », p. 61-62.)

Ainsi peut-on comprendre ce qui unit la mère de famille monoparentale, le chômeur, le jeune en quête d’emploi, le RMIste. Ils ont en commun une fragilité professionnelle qui commence par l’emploi précaire et sa mise en défaut du rôle social car « une condition salariale forte jouait un rôle intégrateur fondamental dans la société et assurait la protection des individus contre les risques sociaux majeurs. » (Castel in Donzelot, dir., 1991, p. 157). Mais ils partagent aussi une fragilité d’insertion relationnelle en raison de la fragilisation des relations familiales et de la disparition des sociabilités de classe.

Ex.D’après une étude du CERC (n°109, 3e trimestre 1993), la corrélation est forte entre le taux de rupture conjugale et la précarité du rapport à l’emploi : la proportion des ruptures est de 24 % pour les individus ayant un emploi stable, 31,4 % pour ceux en travail précaire, 38,7 % pour celles inscrites au chômage depuis plus de deux ans. Les désunions constituent un « risque social », avec les familles monoparentales.


Sy.Les transformations du travail du 3ème âge du capitalisme ont profondément déstabilisé nos sociétés fondées sur le travail. Elles ont provoqué à la fois la précarisation de ceux qui sont exclus du travail et une fragilisation générale du salariat qui n’est pas prête de s’éteindre quand on sait qu’en 2013, 86 % des contrats signés sont des CDD. En dix ans, le nombre de CDD de moins d'un mois a plus que doublé. Or, plus de 25 % des nouveaux inscrits à Pôle emploi sortent d'un CDD, contre moins de 3 % d'un CDI. Outre les syndicats, cette crise du travail affecte nécessairement l’État social, forgé autour de lui : à la fois son système de redistribution et son ciment.
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