1367
Histoire constitutionnelle française : Révolution et régime napoléonien




Ces développements visent à retracer les grandes lignes d'une évolution et les lignes de force, de montrer les constantes et les ruptures. Chaque régime politique réagit par rapport à son ou ses prédécesseurs et le système constitutionnel actuel est le résultat de cette évolution et de cette somme de « réactions », à la fois positives par l'acceptation du passé, ou l'héritage, et négatives par le rejet, la modification ou l'amélioration de ce qui précède.

S'il faut montrer les évolutions, il est nécessaire aussi de respecter la chronologie depuis la fin de l'Ancien régime jusqu'au 4 octobre 1958.

S'il y avait bien, en effet, une société politique sous l'Ancien Régime, et s'il existait peut-être une Constitution coutumière, avec les lois fondamentales du royaume, il n'y avait pas de droit constitutionnel conçu comme l'ensemble des règles de droit régissant les rapports entre les gouvernés et le pouvoir. Les règles coutumières concernaient l'Etat et les titulaires du pouvoir, mais en rien les sujets. Le pouvoir est limité par le droit mais cette limitation ne concerne que les règles relatives à l'exercice à la transmission du pouvoir. En outre, c'est sous la Révolution que sont nés les principes constitutionnels actuellement applicables, telles que la séparation des pouvoirs, une déclaration des droits, la primauté de la Constitution. De cette époque, datent aussi les réflexions sur la souveraineté et le suffrage et beaucoup de règles techniques, notamment celles intéressant le droit parlementaire.

L'instabilité constitutionnelle française peut apparaître surprenante, notamment par rapport aux Etats-Unis, d'autant que presque tous les changements de texte constitutionnel se sont faits de manière non pacifique et sans respecter les formes prévues par les textes antérieurs ou en modifiant pour la circonstance le procédé de révision pour permettre une modification totale, comme en 1958, par exemple. Mais cette instabilité est peut-être plus apparente que réelle : d'abord les hommes ont pu rester en place si les institutions ont changé.

Des personnages, comme Sieyès, ou Thiers, ont pu ainsi marquer de longues périodes. En outre, des institutions politiques ou administratives ont pu survivre aux tempêtes, comme le Conseil d'Etat, les grandes administrations et les administrations locales, à l'image des préfets. Il est fréquent de souligner la grande continuité administrative derrière l'apparente discontinuité constitutionnelle.

Sieyès
Thiers



La France a cherché à instaurer un régime de séparation des pouvoirs qui a connu toutes les formes, depuis le régime d'assemblée jusqu'au présidentialisme le plus dictatorial. On constate aussi un mouvement vers la démocratie et le suffrage universel, comme dans d'autres pays et parce qu'il correspond à l'évolution des sociétés. Il y a aussi l'enracinement - fragile - de l'Etat de droit et la constitution d'une hiérarchie des normes qui connaît aussi des bouleversements, sous l'influence du droit comparé et de la construction européenne.

Section 1. Les révolutions constitutionnelles : 1789-1799


Le régime politique de l'Ancien Régime est organisé autour du pouvoir royal qui a connu une stabilité de dix siècles. Le roi est héréditaire et absolu, mais ces caractères sont en réalité apparus bien tard :
  • L'hérédité est acquise au début du XIIIème siècle, après l'élection.
  • La féodalité a retardé l'évolution vers l'absolutisme : tout le mérite de la monarchie capétienne sera de se servir des institutions féodales pour asseoir l'autorité royale, en se comportant comme le suzerain des suzerains.
  • C'est au XIVème siècle que les légistes du roi ont développé l'idée de souveraineté, pouvoir inconditionnel et absolu. Le peuple va se rapprocher du roi pour échapper à l'emprise des seigneurs plus proches et donc plus craints.
En cela, la monarchie anglaise se distingue de la monarchie française.

Le pouvoir absolu est aussi caractérisé par la confusion des pouvoirs qui veut que le roi dispose de tous les pouvoirs et dans l'exercice de chaque pouvoir, le roi ne connaît pas de limites et il exerce le pouvoir législatif par voie d'ordonnances et d'édits. Le pouvoir exécutif et administratif est en grande partie concentré entre ses mains et celles de ses représentants, les intendants, même si quelques provinces conservent des libertés locales, surtout dans les pays d'Etats. La justice est rendue au nom du roi, notamment au sein des Parlements, qui sont des juridictions supérieures, mais qui cherchent à acquérir une indépendance à l'égard du roi et à jouer un rôle politique en tentant de contrôler l'enregistrement des édits et des ordonnances du roi. Mais le roi pouvait évoquer à tout moment un procès et faire appeler toute cause devant son conseil.

Louis XV en costume de sacre, huile sur toile de Louis-Michel van Loo (1762). Domaine public.


C'est ce qu'exprime Louis XV lors de la « séance de la flagellation » en 1766 devant le Parlement de Paris, à l'occasion d'un lit de justice, en réponse aux remontrances faites par le Parlement, c'est-à-dire des observations sur les ordonnances et édits royaux : « c'est en ma personne que réside l'autorité souveraine, dont le caractère propre est l'esprit de conseil, de justice et de raison. C'est à moi seul qu'appartient le pouvoir législatif sans dépendance et sans partage. L'ordre public tout entier émane de moi ».

A l'absolutisme s'ajoute le caractère divin de la monarchie française qui fait du roi le représentant de Dieu sur terre et à qui les sujets doivent la même obéissance qu'à Dieu. Le roi ne doit des comptes qu'à Dieu, comme le montre le sacre de Reims qui symbolise le caractère divin du pouvoir royal.

Il n'existe pas de Constitution écrite. Il y a des lois fondamentales du royaume, surtout relatives à la dévolution du pouvoir, à l'inaliénabilité du domaine de la couronne consacrée par l'édit de Moulins de 1566, et à la nécessité pour le roi d'être de religion catholique.

La loi salique, venue des Francs saliens, prévoit également que la couronne de France se transmet de mâle en mâle par ordre de primogéniture.

D'une certaine façon, ces lois s'imposaient au roi : Henri IV dut abjurer la religion protestante (selon une formule restée célèbre, selon laquelle « Paris vaut bien une messe ») et le testament de Louis XIV, qui modifiait l'ordre de succession au profit de ses enfants adultérins, fut cassé par le Parlement de Paris en 1715. Mais ces lois n'étaient pas l'équivalent d'une Constitution de la nation, tout au plus une Constitution de la couronne de France.

L'existence de deux ordres privilégiés, la noblesse et le clergé, domestiqués mais puissants, ne serait-ce que financièrement, et illustrée par la réaction nobiliaire à la fin de l'Ancien Régime, est un contrepoids à l'absolutisme royal.

Le pouvoir judiciaire est en fait relativement indépendant du roi, comme en témoignent les révoltes des Parlements au XVIIème (La Fronde) et au XVIIIème siècles. Supprimés par le chancelier Maupeou, ils ont été rétablis par Louis XVI en 1774.

Les franchises de nombreuses provinces et villes empêchent toute centralisation absolue du pouvoir administratif et interdisent toute réforme visant à introduire une rationalité dans l'organisation administrative. Elles constituent des freins à cette évolution à la fin de l'Ancien Régime.

Le Tiers-Etat lui-même n'était pas homogène et ne formait pas une classe sociale. Il y avait, au sein du Tiers, des riches et des pauvres, des privilégiés fortunés et une multitude qui ne possédait rien.

Le roi devait s'entourer de conseils : les plus solennels sont les Etats généraux, dont la première réunion remonte à 1302 sous Philippe Le Bel, pour lesquels les députés reçoivent un mandat impératif sous forme de cahiers de doléances. Les Etats généraux réunissent les trois ordres de la société mais ils siègent séparément. Ils n'ont que des pouvoirs consultatifs, donnant des avis au roi, que celui-ci est libre ou non de suivre. Théoriquement, les impôts nouveaux ne pouvaient être établis qu'avec le consentement des Etats généraux mais les rois sont arrivés à s'affranchir d'une telle obligation, à la différence de la monarchie anglaise. La situation financière catastrophique de la monarchie française va contraindre Louis XVI en 1789 à convoquer les Etats généraux qui ne l'avaient pas été depuis 1614. La pratique même du fonctionnement des Etats généraux était tombée dans l'oubli avant 1789.
Tableau représentant l'ouverture des états généraux à Versailles le 5 mai 1789. Domaine public.


C'est la réunion des Etats généraux en 1789 qui a servi d'occasion ou de prétexte à la Révolution française car cette Révolution, si elle est politique, sociale et économique, est aussi et peut être surtout juridique, donc constitutionnelle.


La réunion des Etats Généraux à Versailles, le 5 mai 1789, est destinée à permettre la « régénération de l'Etat » : la monarchie semble toute puissante. Le chiffre des représentants du Tiers Etat avait été doublé par lettre royale du 24 janvier 1789, ainsi les membres du Tiers-Etats étaient aussi nombreux que ceux des deux ordres privilégiés réunis. Mais le vote était toujours par ordre et non par tête, ce qui continuait de poser le problème de la délibération séparée.

Des cahiers de doléances, il ressortait un certain nombre de vœux, tels que le maintien de la monarchie, mais aussi l'égalité juridique entre les citoyens, la rédaction d'une vraie constitution écrite pour restaurer la monarchie, une réforme administrative sur de nouvelles bases, et la codification de lois simples et claires, etc....

Ces Etats généraux, par une sorte de coup d'Etat juridique, vont se transformer en Assemblée nationale constituante.

Celle-ci va rédiger la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.





C'est le 17 juin 1789 que le Tiers-Etat, composé majoritairement de juristes, de façon unilatérale et contre le roi, se déclare Assemblée nationale, c'est-à-dire représentante de la nation. C'est à l'instigation de Sieyès que cette Assemblée devient nationale, le Tiers-Etat ayant invité les deux ordres privilégiés à venir la rejoindre : quelques membres du clergé s'étaient déjà joints à lui. Le roi, poussé par la noblesse, cherche à annuler les décisions du 17 juin et interdit la réunion de l'Assemblée qui, réfugiée à la Salle du Jeu de Paume, prononce le 20 juin le serment de ne pas se séparer jusqu'à ce que la « constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides ».

Mirabeau

Le roi cède en partie le 23 juin, mais pas totalement car il ordonne la réunion en ordres séparés, ce à quoi Mirabeau répond que « nous ne quitterons nos places que par la puissance des baïonnettes ». Le 27 juin, le roi se résout à la fusion des ordres, entérinant le coup d'Etat du 17. Parallèlement, la Révolution juridique se double d'une Révolution sociale et politique, avec des émeutes à Paris et dans d'autres villes, à partir du 14 juillet marqué par la prise de la Bastille.

L'Assemblée nationale se déclare constituante et élabore un plan de constitution au sein d'un comité de constitution composé d'une majorité de monarchiens qui sont des modérés partisans d'une constitution à l'anglaise, et d'une minorité de patriotes opposés notamment au bicaméralisme, comme Sieyès, Le Chapelier et Talleyrand . Elle décide que la future Constitution contiendra une déclaration des droits qui est adoptée le 26 août 1789.


La Déclaration est conçue, a l'origine, comme une sorte de Préambule de la future constitution que l'assemblée a juré d'établir avec donc la même valeur que le texte constitutionnel lui-même. Elle n'était pas considérée comme un simple exposé de principes fondamentaux et philosophiques sur lesquels la future constitution serait fondée.

Il s'agit aussi d'un texte de circonstance, élaboré dans des conditions difficiles, mais dont la rédaction fait qu'elle a acquis une vocation universaliste.

Les sources et les influences de ce texte sont nombreuses : on y trouve l'école du droit naturel, la théorie du contrat social empruntée à Locke et à Rousseau, la théorie de la loi selon laquelle celle-ci est l'expression de la volonté générale, empruntée à Rousseau, la théorie de la séparation des pouvoirs lue dans l’œuvre de Montesquieu, la doctrine individualiste dégagée du christianisme, l'influence de la Déclaration d'indépendance américaine de 1776. Mais la Déclaration française est plus un "état d'esprit" que la consécration d'une doctrine particulière.

Les conditions de son élaboration expliquent que le préambule et les articles de la Déclaration ne sont pas disposés avec une logique parfaite ce qui n'empêche pas le texte d'être fondamental. Le contenu est multiple, les constituants de 1789 voulant faire une déclaration, qui contienne des droits naturels de l'homme et du citoyen.

Ainsi que l'indique le préambule de la Déclaration, il s'agit d'exposer, de déclarer, de rappeler. La Déclaration ne crée rien, elle reconnaît des droits qui existent déjà, car ils sont inhérents à la nature de l'homme. Les droits consacrés sont des droits naturels. Ce n'est pas la société qui confère des droits, mais la nature. Ils sont inhérents à la nature de l'homme et la société ne peut pas ainsi les retirer. Naturels, ces droits sont donc inaliénables. Les tiers ne peuvent pas empiéter sur les droits des individus et les titulaires de ces droits ne peuvent y renoncer. Ces droits sont aussi universels puisque tous les hommes ont la même nature. Cette déclaration vaut pour tous les hommes, quelles que soient leur origine, leur coutume, leur religion. L'homme de la Déclaration désigne aussi bien les hommes que les femmes. Ce caractère universaliste va consacrer le succès de ce texte.

Les droits de l'homme ont été oubliés ou simplement ignorés au cours des siècles précédents. Il suffit donc de les réaffirmer, mais aussi de les expliquer et de les justifier. Le caractère doctrinal du texte se distingue de l'empirisme des textes des pays anglo-saxons.

Mais la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'organise pas ces libertés, elle en laisse le soin à la future Constitution. L'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen renvoie d'ailleurs à l'idée de garantie des droits dans la Constitution. Le Titre Ier de la Constitution de 1791 est ainsi consacré à la garantie de ces droits, mais il n'est guère concret en ce qui concerne les garanties.

Cette Déclaration peut-elle être séparée de la Constitution de 1791 qui a été abrogée à peine un an après sa promulgation ? Il est certain que ce texte a toujours bénéficié d'une autorité intellectuelle, politique autant que juridique, et que le problème de sa reconnaissance en tant qu'ensemble de règles de droit s'est posé jusqu'à nos jours. La Déclaration, à l'origine, devait être considérée au même titre que la Constitution avec laquelle elle devait faire corps. Le terme de « déclaration » ne doit pas oublier qu'elle devait être placée en face des différents pouvoirs, législatif et exécutif.

La Déclaration est celle des droits de l'homme et des droits du citoyen et il faut s'interroger sur les éventuelles différences entre les deux.

  • On peut admettre que les droits de l'Homme ont un caractère « présocial » et qu'ils préexistent à la société dans la conception du droit naturel, tels qu'ils sont énumérés à l'article 2 et développés dans d'autres articles.
  • Au contraire, les droits du citoyen sont liés à l'existence d'une société et ils peuvent être considérés comme pouvant servir à garantir les droits de l'Homme, comme le droit de concourir au vote de la loi, ou le droit de consentir à l'impôt.

En tête, figure la liberté, thème fondamental de la Déclaration et premier des droits de l'homme. La liberté est naturelle, car l'article 1 affirme que « Les hommes naissent libres ». La liberté est antérieure à tout pouvoir et tous les hommes sont également libres. La liberté est définie à l'article 4 comme étant ce qui permet de « faire ce qui ne nuit pas à autrui » et aussi à l'article 5 qui en donne une définition très large, puisque tout ce qui n'est pas défendu par la loi ne peut être empêché.

C'est la reconnaissance du principe fondamental des sociétés libérales et du libéralisme politique, économique et social.

Mais la liberté ne peut être absolue et les droits des tiers sont protégés par la loi (art. 4).

La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen précise quelles sont les applications possibles de la liberté dans certains domaines.

Les libertés qui sont consacrées et dont la liste peut paraître courte sont la liberté individuelle, qui se confond partiellement avec la sûreté (art.7-8-9), la liberté d'opinion, de culte et de religion (art. 10) et la liberté de communication des pensées, et des opinions, incluant la liberté de la presse (art. 11).

Mais l'essentiel est le principe général de liberté des comportements dans tous les domaines, inscrit dans l'article 5 qui définit la portée du principe de liberté, même si la définition peut paraître bien vague.

La propriété vient ensuite aux articles 2 et 17. Il s'agit d'un droit inviolable et sacré et il consacre, à l'origine, la propriété privée et a pu être perçu comme un droit d'une classe sociale.

L'égalité n'est pas un droit naturel et imprescriptible au sens de l'article 2. Mais l'article 1er affirme que les hommes sont « égaux en droits » et l'égalité est la conséquence de la nature humaine et de la reconnaissance des autres droits attribués à tous dans le texte de la Déclaration.

Les inégalités juridiques liées à la naissance sont supprimées : il n'y a plus de hiérarchie sociale (art. 1), l'accès aux emplois publics est ouvert à tous (art. 6), la contribution aux charges publiques pèse sur tous (art. 13). La notion de privilège, qui signifie « loi privée », ou loi différente pour certains est condamnée (art. 6 : « La loi est la même pour tous »). De la même manière, la force publique prévue à l'article 12 est instituée pour l'avantage de tous.

C'est la condamnation de l'Ancien Régime fondé sur l'hérédité et les inégalités du statut liées à la naissance.

L'idée d'égalité est également sous-jacente à l'ensemble du texte : la liberté de chacun trouve sa limite dans les droits égaux de tous les autres (art. 4), et tous concourent à la formation de la loi (art. 6).

Mais il s'agit d'une égalité en droits et non d'une égalité étendue aux situations concrètes, car il n'y a pas de contradiction chez les rédacteurs de la Déclaration entre l'égalité des droits et l'inégalité "naturelle" qui fait que chacun n'a pas les mêmes talents ou capacités. Dans l'esprit des constituants, chacun devait pouvoir accéder à ces droits et libertés.

La Déclaration fonde une société libérale, individualiste, concurrentielle, où chacun joue sa chance, sans s'arrêter à l'égalité matérielle.

La Déclaration consacre aussi les droits du citoyen. Ils relèvent de la liberté politique, qui est plus une liberté-participation à la vie de la société qu'un véritable droit individuel. Mais cette liberté ne se fait pas au profit de la société, car celle-ci est subordonnée à l'homme ainsi que le rappelle l'article 2. Ainsi la différence entre les droits de l'Homme et ceux du citoyen est partielle, car il n'y a pas obligatoirement une différence de nature entre les deux.

La société est un instrument au service de l'homme : la Déclaration fait référence au "bonheur de tous" dans le Préambule. Quelques grands principes dominent l'organisation de la société.

  • La souveraineté nationale (art 3) est la garantie de la liberté : la souveraineté est confiée non pas à d'autres hommes, mais à une entité abstraite. La nation, devant laquelle tous les hommes sont égaux, autorise en même temps toute sorte de représentations diverses, puisqu'elle est une abstraction.

  • La séparation des pouvoirs (art 16) vise aussi à protéger la liberté comme l'avait écrit Montesquieu. C'est un élément essentiel de la protection des libertés contre l'arbitraire d'une autorité trop puissante. La Déclaration des droits n'est donc pas suffisante en soi, il faut aussi séparer les pouvoirs, seule condition pour protéger ces droits. Le lien entre les deux, dans le même article 16, est significatif.

  • Relèvent de la même idée, la libre contribution de tous les citoyens (art. 13 et 14) qui est un écho des revendications des débuts des Etats Généraux en 1789, et le principe de responsabilité des agents publics (art. 15).


Le pouvoir est aménagé, non pas pour être efficace ou dans un but supérieur à l'homme, comme pourrait être la fin de la lutte des classes par exemple, mais pour protéger les libertés et éviter les menaces sur elles.

La loi est un thème omniprésent, qui figure à tous les articles. A la suite des écrits de Rousseau, elle est conçue comme la charnière entre la liberté et la société, et elle seule autorise la contrainte et fixe les bornes des droits naturels. La loi est ce qui assure l'exercice effectif des libertés.
Réplique du portrait de Jean-Jacques Rousseau exposé au Salon de 1753. Maurice Quentin de La Tour exécuta plusieurs répliques du portrait de 1753, certaines même à la demande du Jean-Jacques Rousseau. Domaine public



A l'article 6, c'est la loi qui fonde l'égalité et c'est elle qui définit les exigences de l'ordre public aux articles 10 et 11. Les atteintes au droit de propriété ne peuvent être autorisées que par la loi, au moins formellement, car la constatation de la nécessité publique doit être légale (art. 17).

Il n'y a cependant pas de dictature de la loi, car la loi ne peut être que bonne puisqu'elle est l'expression de la volonté générale, selon la théorie de Rousseau, ce que reprend l'article 6 de la Déclaration. Naît ainsi le mythe de la loi, fondement de notre droit public.

Mais il existe des différences par rapport à la théorie de Rousseau : dans la Déclaration, obéir à la loi, c'est obéir aussi à la nation, comme l'indique le lien entre les articles 3 et 6. Mais la nation n'est pas obligatoirement la réunion de tous les hommes, puisque c'est une entité abstraite. De la même manière, l'article 6 prévoit la possibilité de représentants, ce que Rousseau condamnait fortement.

Une certaine méfiance à l'égard de la loi apparaît enfin dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen qui lui fixe des limites. Celle-là ne peut établir que des peines nécessaires (art. 8), elle ne peut défendre que les actions nuisibles à la société (art. 5).

Le pouvoir législatif ne peut faire aucune loi qui porte atteinte aux droits naturels et civils (Titre Ier de la Constitution 1791). Cette idée était déjà présente dans le Préambule de la Déclaration qui évoquait les « actes du pouvoir législatif... comparés avec le but de toute institution politique ».

La richesse de la Déclaration a contribué à sa postérité. Du fait de la situation politique sous la Révolution, d'autres déclarations ont vu le jour peu de temps après celle de 1789, aucune n'a bénéficié du même retentissement. La Déclaration de 1789 a précédé de deux ans la promulgation de la Constitution qu'elle devait annoncer.

En 1791, deux ans se sont écoulés depuis le serment du Jeu de Paume. Certaines illusions sont tombées, avec la fuite du roi à Varennes en juin 1791 et les possédants craignent le peuple. Mais l'essentiel des dispositions était acquis dès octobre 1789, quand sont posées les bases de la future Constitution. Le reste est rédigé au milieu des nombreux travaux de la Constituante, qui a adopté un programme législatif considérable. Le projet est enfin présenté par Thouret le 5 août 1791 et laest votée le 3 septembre, et acceptée par le roi qui lui jure fidélité le 14 septembre.

Elle reconstruit un ordre politique neuf : le texte se présente en 7 titres et 209 articles numérotés de façon discontinue. Cette Constitution présente plusieurs caractéristiques et organise des principes qui sont celles et ceux du droit public moderne. En cela, la Constitution de 1791 est bien la première Constitution française, qui marque le point de départ de toute l'évolution constitutionnelle : les autres se feront en partie en réaction par rapport à elle.

Acceptation de la Constitution de 1791. Source : Augustin Challamel, Histoire-musée de la république Française, depuis l'assemblée des notables, Paris, Delloye, 1842. Domaine pubic



  • La souveraineté appartient à la nation affirme l'article ler du Titre III : « La souveraineté appartient à la nation : aucune section du peuple, ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice ».
  • L'article 2 dispose quant à lui que « (...) La constitution française est représentative. Les représentants de la nation sont le Corps législatif et le roi ».

La nation est une personne juridique distincte des individus qui la composent. Il y a ainsi deux représentants au sens juridique : le Corps législatif et le roi.

Mais l'ordre de présentation démontre la suprématie du Corps législatif ou Assemblée. En témoigne l'article 3 de la Section 1 du Chapitre II du Titre III : « Il n'y a point en France d'autorité supérieure à celle de la loi. Le roi ne règne que par elle, et ce n'est qu'au nom de la loi qu'il peut exiger l'obéissance ». Mais la loi est l’œuvre « conjointe » de l'Assemblée et du roi, par le biais de la sanction ou veto.

La qualité de représentant n'est pas liée à l'élection : si le Corps législatif est élu, le roi, qui n'est plus roi de France mais le roi des Français, ne l'est pas. Cependant, la représentation est surtout le fait d'exprimer la volonté générale, par l'exercice du pouvoir législatif. Si le roi est représentant, c'est par sa participation au pouvoir législatif en tant que co-législateur, et non parce qu'il exerce le pouvoir exécutif, qui n'est qu'un pouvoir subordonné, "commis", ou second (cf. art. 3 ci-dessus).

  • L'article 2 de la Section II du chapitre IV du Titre III, consacré à l'administration intérieure ou locale apporte une preuve a contrario de l'absence de lien entre l'élection et la représentation : « Les administrateurs n'ont aucun caractère de représentation » alors qu'ils sont élus. Cette théorie de la représentation et de la souveraineté n'implique pas le suffrage universel, ni le suffrage direct : l'individu n'a aucun titre personnel à participer à l'opération électorale. La théorie de l'électorat-droit a été écartée au profit de la théorie de l'électorat-fonction et le suffrage se fait à deux degrés.

Les conséquences pratiques sont nombreuses, puisque cette théorie permet d'écarter le suffrage universel, qui est la conséquence nécessaire de l'électorat-droit, au profit d'un suffrage restreint bâti sur le cens. Le suffrage censitaire éloigne la masse populaire des affaires publiques. Mais l'Assemblée constituante était déjà composée de représentants de la bourgeoisie moyenne.

Deux catégories de citoyens sont ainsi distinguées : les citoyens actifs et les citoyens passifs. Ceux-ci jouissent cependant de tous les droits et libertés de la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens.

Un cens électoral de la valeur de trois journées de travail est exigé pour la participation aux assemblées primaires, réunies dans chaque canton, qui désignent elles-mêmes les électeurs.

Le cens de trois journées permettait d'éliminer beaucoup de citoyens : sur 24 millions d'habitants, il n'y avait que 4 300 000 électeurs masculins, car les femmes étaient en toute hypothèse exclues. En réalité, il n'y avait « que » deux millions de citoyens passifs écartés du droit de vote au premier degré. Ce suffrage des contribuables permettait, croyait-on, de garantir la qualité et l'indépendance de l'électorat, qui ne serait pas dépendant économiquement, ni politiquement.

Le cens pour être électeur était beaucoup plus élevé, car il fallait payer un cens équivalent à deux cents journées de travail. Ces grands électeurs se réunissaient au chef-lieu du département pour élire les représentants, c'est-à-dire les membres de l'Assemblée, au scrutin de liste. Ces grands électeurs étaient peu nombreux : quarante trois mille environ.

Curieusement, mais en fait logiquement compte tenu de la théorie de l'électorat-fonction, il n'y a pas de cens pour l'éligibilité : un citoyen pouvait être élu à l'Assemblée, alors qu'il n'aurait pas pu être électeur.

Il existe deux "pouvoirs" confiés à des organes distincts et bien séparés.

La Constitution prévoit d'abord une Assemblée de 745 membres, l'Assemblée nationale législative, élue pour deux ans. C'est une Assemblée unique, par refus du bicaméralisme, car la souveraineté nationale n'est pas divisible. Mais la crainte de créer une seconde chambre de privilégiés explique le refus du bicaméralisme et celui du modèle britannique défendu par Mirabeau.

Cette Assemblée siège en permanence et elle ne peut être dissoute par le roi. Ses membres ne sont rééligibles qu'une seule fois.

En ce qui concerne le pouvoir exécutif, les ministres sont choisis et nommés par le roi et ne sont responsables que devant lui : ils ne peuvent être membres du Parlement et la proposition contraire de Mirabeau a été écartée dès novembre 1789, car on craignait qu'il prenne une trop grande importance politique. Mais ces ministres ont droit d'entrée et de parole au sein de l'Assemblée. Ces éléments éloignent du modèle britannique et rapprochent très imparfaitement la Constitution française de celle des Etats-Unis.

Il n'y a pas de trace d'une responsabilité politique des ministres mais il existe simplement une responsabilité pénale. Si le régime établi en 1791 s'était prolongé, il aurait peut-être pu évoluer vers le régime parlementaire britannique, par une transformation de la responsabilité pénale en responsabilité politique.

Le roi dispose, à l'égard de la loi, d'un droit de veto suspensif, qui ne peut que retarder de six ans leur entrée en vigueur : un décret de l'Assemblée ne devient loi que lorsqu'il a été voté par trois législations successives. C'est à l'occasion du vote de l'Assemblée constituante à propos du veto, fin août 1789, que sont apparues les notions politiques de droite et de gauche, les partisans et les adversaires du veto absolu du roi se rangeant de cette manière par rapport au président de séance. Cette séparation rendait le calcul des voix plus simple que le vote par assis et levé qui était en vigueur jusqu'alors.

L'Assemblée nationale constituante, après avoir adopté - difficilement - la Constitution, se sépara le 30 septembre 1791 : l'Assemblée législative qui lui succéda ne vécut pas longtemps sous le régime de la Constitution de 1791.

Les conflits avec la royauté se sont aggravés. Le 10 août 1792, le roi a opposé son veto à deux décrets de l'Assemblée sur les émigrés et sur les prêtres réfractaires, veto qui était conforme à la lettre de la Constitution de 1791 mais qui ne fut pas politiquement accepté car on prêtait au Roi des faits d'intelligence avec l'ennemi. En réaction, le Corps législatif, après l'invasion des Tuileries par la population le 10 août, prononça la suspension de Louis XVI, remplacé provisoirement par un exécutif de six ministres et décida de faire élire au suffrage universel, qui excluait cependant l'état de domesticité, une Convention nationale, dont le nom est emprunté au vocabulaire américain, afin d'établir une nouvelle Constitution, au nom du « droit imprescriptible de changer sa Constitution ». Cette décision est radicalement contraire à la procédure longue et complexe de révision prévue par la Constitution de 1791 selon laquelle la révision n'aurait pas pu, théoriquement, intervenir avant 1801.

Le premier conflit majeur entre le roi et l'Assemblée se résout par la force et par une sorte de coup d'Etat et la première révision constitutionnelle, en France, se fait sous la pression de la rue, inaugurant une longue « tradition » qui sera lourde de conséquences.

Cette impossibilité de résoudre politiquement la crise s'explique aussi par l'absence de moyens techniques ou juridiques destinés à assouplir les rapports entre l'Exécutif et le Législatif. Il n'existe pas de dissolution, ni de renvoi des ministres, qui n'étaient conçus que comme des collaborateurs du roi et qui ne formaient pas un gouvernement responsable. La Constitution de 1791 ne connaissait pas de moyens d'action réciproque d'un pouvoir sur un autre.

Mais le conflit est aussi politique et n'aurait peut-être pas été résolu par l'emploi de simples techniques juridiques prévues pour une période normale : s'affrontaient un roi en partie discrédité et qui n'avait pas véritablement accepté la diminution des attributions royales depuis 1789 et une Assemblée qui était la puissance politique à la légitimité la mieux assurée.

La période née en août 1792 allait être une période de grande incertitude et d'instabilité où la politique prit le pas sur le droit et où la victoire de la Révolution mais aussi la défense du territoire national furent invoquées pour justifier l'utilisation de nombreux moyens, y compris la terreur.



La Convention a été élue par un suffrage universel théorique, car un dixième seulement des citoyens ont voté le 26 août 1792 : il faut dire que le vote était public et non pas secret.

La Convention réunie dès le 20 septembre 1792 prononce la déchéance du roi en proclamant dès le 21 septembre que la royauté est abolie en France. Le 22, elle décide qu'à partir du 21 septembre 1792 commençait l'an I de la République. Enfin, le 25 septembre 1792, elle déclare que la République française est « une et indivisible ». Mais il fallait organiser la République en rédigeant une nouvelle Constitution, ce qui était le but de la Convention.

Cette Constitution vit le jour, péniblement, le 24 juin 1793. Mais, à peine adoptée par le peuple français, son application fut ajournée « jusqu'à la paix ». Le gouvernement constitutionnel fut remplacé par un gouvernement révolutionnaire. La Convention élue en 1792 pour faire une Constitution, et qui ne devait être qu'une assemblée aux pouvoirs limités dans le temps et qui dura en fait trois ans, établit un type de régime, le "régime conventionnel", et réussit à rédiger non pas une, mais deux Constitutions, celle de l'an I et la Constitution de l'an III.


L'élaboration de cette Constitution subit le contrecoup des oppositions politiques au sein de la Convention, entre les Girondins et les Montagnards qui étaient opposés sur le rôle politique de Paris mais aussi sur des questions économiques et militaires.

Condorcet

Le Comité de Constitution, désigné dès le 11 octobre 1792, est dominé par les Girondins, dont Condorcet, et par Sieyès. Le 15 février 1793, un volumineux projet, dit girondin, de 433 articles est proposé. Cette Constitution est très dogmatique et se veut une déduction parfaite et logique de quelques principes de philosophie politique. Cette œuvre ne survécut pas à ses principaux inspirateurs, qui furent accusés par leurs adversaires montagnards de « fédéralisme » entre le 31 mai et le 2 juin 1793 ; certains furent arrêtés, guillotinés, d'autres ont pris la fuite.

Un nouveau comité de Constitution reprit les travaux et rédigea très rapidement une nouvelle Constitution, dite « montagnarde », qui n'est pas toujours différente du projet girondin, mais qui est beaucoup plus courte. Il est présenté par Hérault de Séchelles, ami de Robespierre.

Elle est adoptée le 24 juin 1793 et soumise à la ratification populaire en juillet-août, ce qui était compris dans les attributions de la Convention fixées en 1792, et elle est massivement adoptée, mais au scrutin public et par seulement deux millions sur sept millions d'électeurs potentiels.

Cette Constitution est précédée d'une Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, comme si une Constitution révolutionnaire ne pouvait qu'être précédée d'une déclaration. Et elle organise logiquement les pouvoirs publics. C'est aussi le signe que la Déclaration de 1789, dans l'esprit des conventionnels, avait cessé d'exister avec la Constitution de 1791.

C'est la Constitution française la plus proche des idées de Jean-Jacques Rousseau, c'est sans doute celle qui se veut la plus démocratique.

Elle proclame la souveraineté du peuple, et non plus la souveraineté nationale, à l'article 7 : « Le peuple souverain est l'universalité des citoyens français ». Même les étrangers domiciliés en France depuis un an ont le droit de vote sous certaines conditions, comme nourrir un vieillard, adopter un enfant ou épouser une Française. Elle prévoit le suffrage universel direct à l'article 8 : « [Le peuple] nomme immédiatement ses députés ». Ces citoyens sont également appelés à gérer directement les affaires publiques en participant à des référendums législatifs. Il y a donc l'organisation d'un gouvernement semi-direct.

Même si elle n'a pas véritablement été appliquée, la Constitution de l'an I a joui d'un grand prestige dans l'histoire constitutionnelle et politique française et l'on a pu parler de la mystique révolutionnaire du gouvernement d'assemblée.

Sous le Directoire, la gauche en réclama l'application et elle est présente en 1848 et même en 1945-1946 au sein des discours et des projets de la gauche communiste.

La Constitution de 1793 n'est pas organisée selon la théorie de la séparation des pouvoirs mais plutôt celle de la spécialisation des pouvoirs qui s'apparente à une organisation pyramidale des pouvoirs.

Le pouvoir législatif est exercé par une assemblée unique, élue pour un an, qui siège en permanence. Mais le Corps législatif ne fait, en théorie, que proposer les lois et rendre les décrets.

Les lois, qui portent sur des objets plus importants que les décrets, doivent être acceptées par le peuple. Le projet voté par l'assemblée est envoyé aux assemblées primaires. Si dans les quarante jours suivants, dans la moitié des départements plus un, un dixième des assemblées primaires de chacun d'eux n'a pas protesté, le projet devient loi. Dans le cas contraire, toutes les assemblées sont convoquées et les citoyens devaient décider d'adopter ou non le texte législatif. Cette procédure, particulièrement démocratique, est aussi passablement lourde à mettre en place.

En ce qui concerne les décrets, qui portent sur des objets moins importants, ils sont définitifs dès leur vote par le Corps législatif.

Le pouvoir exécutif est étroitement dépendant du pouvoir législatif, dans un souci de démocratie, puisque le pouvoir exécutif est considéré comme le pouvoir dangereux, héritier en outre des fonctions du Roi. C'est un Conseil exécutif collégial de 24 membres choisis par l'Assemblée, sur une liste proposée par les départements. Il n'a aucun pouvoir sur l'Assemblée, ni aucun moyen d'action. Il n'a ni initiative des lois, ni droit de veto, ni possibilité de dissoudre le Corps législatif.

Cette Constitution, après son adoption, devait être déposée solennellement sur le bureau de la Convention, dans une arche de bois de cèdre, selon l'article 124 : « La déclaration des droits et l'acte constitutionnel sont gravés sur des tables au sein du Corps législatif et dans les places publiques ». Ce culte de la Constitution était peut être d'autant plus solennel que cette Constitution était destinée à ne pas être appliquée...

La Constitution ne doit peut-être pas faire illusion, car elle était sans doute inapplicable dans le contexte de la France de 1793. C'est une œuvre de propagande révolutionnaire et une manœuvre destinée à ramener le calme dans les départements après la chute des Girondins. En tout état de cause, elle ne fut pas appliquée.

Dès le 10 octobre 1793 (ou 19 vendémiaire an II), la Convention décréta, sur un rapport de Saint-Just que « le Gouvernement (serait) révolutionnaire jusqu'à la paix » et suspendit de fait la Constitution de 1793. En fait, ce gouvernement révolutionnaire dura jusqu'à la mise en place de la Constitution de l'an III. La Convention, centre du pouvoir, élabora la théorie du gouvernement révolutionnaire dans le décret du 14 frimaire an II (4 décembre 1793).

Le gouvernement est proclamé révolutionnaire parce qu'il n'est pas organisé selon des dispositions constitutionnelles car les contraintes constitutionnelles empêcheraient le pouvoir révolutionnaire de triompher des obstacles. Ceux-ci sont de différente nature, comme l'insurrection de Vendée et des grandes villes comme Lyon, le péril extérieur avec l'invasion du territoire.

La Convention décide d'être « Le centre unique de l'action et du gouvernement », selon les termes du décret du 14 frimaire, ce qui revient en partie à instaurer une dictature de l'assemblée qui s'est en réalité installée par phases.

La Convention, à la suite de la Législative, à partir de 1792, exerce d'abord seule le pouvoir législatif en même temps que le pouvoir constituant. Le Conseil exécutif provisoire, nommé après le 10 août 1792, subsiste mais il est étroitement soumis à l'Assemblée. Elle exerce aussi le pouvoir judiciaire, comme l'illustre le procès de Louis XVI en janvier 1793.

Au printemps 1793, sont ensuite votées des lois violant les libertés essentielles : le 12 mars 1793 est institué un « Tribunal extraordinaire » chargé de juger toute personne susceptible d'entraver la marche de la révolution et qui ne peut prononcer que l'acquittement ou la condamnation à mort après une procédure expéditive. Le 20 mars est votée la « loi des suspects » et le 1er avril 1793 est supprimée l'inviolabilité des parlementaires. Ces événements constituent le point de départ de la Terreur.

Les débuts de la Terreur : Elisabeth de Cazotte sauve la vie de son père à la prison de l’Abbaye de Claude-Noël Thévenin (23 septembre 1792). Source : Photo RMN-Grand Palais - G. Blot


Parallèlement, la Convention forme des comités en son sein (vingt et un au total) au nom de l'efficacité, parce que la Convention est une assemblée pléthorique composée de plus de sept cents membres, et qu'elle concentre tous les pouvoirs (constitutionnel, législatif, exécutif, juridictionnel).

Deux de ces comités allaient prendre l'ascendant sur les autres, et sur la Convention elle-même : le Comité de sûreté générale et le Comité de Salut Public créé le 6 avril 1793, à qui sont confiées les affaires extérieures, la sûreté intérieure de l'Etat et la conduite des affaires les plus importantes.

Le Comité de salut public, an II. Aquarelle anonyme, Paris, BnF, département des estampes et de la photographie, vers 1793-1794. Domaine public



Au sein du Comité de Salut Public, en théorie organe dépendant de la Convention et renouvelé en principe tous les mois, dominent, après la chute des Girondins, Robespierre, Saint-Just et Couthon. De la dictature de la Convention, est issue une dictature du Comité de Salut Public, puis celle de quelques hommes. On peut penser qu'il s'agit du mouvement inéluctable de concentration des pouvoirs dans une période d'extrême tension politique et militaire.

Robespierre s'appuie sur le parti Jacobin (ou Club des Jacobins), sur les sections et sur la Commune de Paris. Il exerce une dictature politique et aussi morale ou philosophique avec l'institution de la Fête de l'Etre suprême, le 7 mai 1794.

École française du XVIIIe siècle, Portrait de Maximilien Robespierre, musée Carnavalet. Domaine public



Cette « Terreur », parce que les adversaires étaient éliminés, a cependant permis de ramener l'ordre à l'intérieur et de collectionner les victoires militaires, grâce à la levée en masse, sorte de conscription révolutionnaire.

Cette période de la Terreur s'est achevée le 9 thermidor an II (ou 27 juillet 1794) lorsque la Convention s'est "révoltée" contre la dictature, ce qui constitue la victoire des modérés ou du Marais.

Rq.Il faut cependant préciser que le péril extérieur est repoussé à cette date et que le Terreur était devenue peut-être moins utile. Robespierre et ses amis sont exécutés, et le Comité de Salut Public voit ses attributions distribuées à plusieurs autres comités.

Il s'ensuit alors une période d'incertitude constitutionnelle et la Convention va de nouveau concentrer les pouvoirs. La question de la remise en vigueur de la Constitution de l'an I se pose et la Convention hésite à compléter la Constitution de 1793 par des lois organiques. Après quelques mois, la majorité de la Convention, plutôt modérée, décida d'ensevelir cet « odieux ouvrage dans la même tourbe qui a dévoré nos tyrans » selon Boissy d'Anglas. Il faut attendre le premier prairial an III (20 mai 1795), après des émeutes populaires, pour que la décision de ne pas appliquer la Constitution de l'an I, même amendée, soit prise définitivement. Une nouvelle Constitution est adoptée le 5 fructidor an III (22 août 1795).

La Constitution de l'an III est parfois désignée sous le nom de « Constitution de la peur ».

Il s'agit d'un texte totalement nouveau par rapport aux précédents, de 377 articles, le plus long de l'histoire constitutionnelle française. Elle essaie de tirer les leçons de l'échec des deux textes précédents et invente des formules constitutionnelles nouvelles, dont certaines sont encore présentes, comme le bicaméralisme. L'enthousiasme révolutionnaire est retombé : la Déclaration des droits et des devoirs est un peu en retrait par rapport aux précédentes Déclarations. Sont ainsi écartées l'égalité politique et la résistance à l'oppression et seule l'égalité devant la loi est proclamée. L'énumération des devoirs (neuf articles pour les devoirs contre vingt-deux pour les droits) est un peu une liste de principes plats : « nul n'est bon citoyen s'il n'est bon fils, bon père, bon ami, bon époux » selon l'article 4 de la Déclaration des devoirs. Il faut voir dans ces dispositions l'expression d'une certaine morale, comme en témoigne l'article 2 : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît ».

Mais la Déclaration des devoirs met aussi l'accent sur la propriété, comme à l'article 8 : « C'est sur le maintien des propriétés que reposent la culture des terres, toutes les productions, tout moyen de travail, et tout l'ordre social ».

Ce texte donne le sentiment que la Convention se délivre des peurs que ses membres ont connues pendant la Terreur.

Charles Montesquieu en 1728 (peinture anonyme). Domaine public


Cette impression se confirme à la lecture des pouvoirs énumérés dans la Constitution, car la Convention se protège à la fois contre un retour de la monarchie et contre la dictature d'un homme issu de l'Assemblée : elle ne veut en quelque sorte ni Louis XVI, ni Robespierre ! La Constitution cherche à prévenir, à l'excès, tous les dangers des régimes précédents. Et elle a de ce fait un caractère essentiellement négatif, car elle empêche tout pouvoir d'être trop important. Est poussée à l'extrême la faculté d'empêcher dont parle Montesquieu dans « L'Esprit des lois » : cela est vrai dans la définition des pouvoirs comme dans les relations entre ces pouvoirs.



Il y a désormais deux assemblées, le Conseil des Anciens, composé de deux-cents cinquante membres et le Conseil des Cinq-Cents, qui comprend cinq cents membres. Il s'agit d'éviter la dictature d'une assemblée, en souvenir de la Convention. Les conditions d'éligibilité sont différentes : l'âge de trente ans suffit pour les Cinq Cents, alors qu'il faut avoir quarante ans pour les Anciens et être marié ou veuf, selon l'article 83, ce qui est un gage de modération ! Comme le disait Boissy d'Anglas, « Les Cinq Cents sont l'imagination de la République, et les Anciens sont la raison de la République ». A la différence de la Grande Bretagne, il n'était pas possible d'instituer, en France en 1795, une seconde assemblée aristocratique et la Constitution a préféré diviser l'organe législatif.

Ces membres sont élus pour trois ans, renouvelables par tiers tous les ans, ce qui marque le début du renouvellement partiel en France, afin d'assurer une certaine continuité en évitant de trop brusques changements de majorité.

Seuls les contribuables sont des électeurs : le suffrage universel est supprimé: « Tout homme né et résidant en France... qui paie une contribution directe, foncière ou personnelle, est citoyen français » (art. 8). Le suffrage indirect à deux degrés est rétabli. Le référendum populaire n'est maintenu qu'en matière constitutionnelle.

Les pouvoirs de ces deux assemblées ne sont pas les mêmes : les projets de lois sont votés par les Cinq Cents, tandis que le Conseil des Anciens peut seulement approuver ou rejeter les lois votées par la chambre basse sans les amender. En matière constitutionnelle, la procédure est inverse, car il faut se méfier de l'innovation : l'initiative appartient au Conseil des Anciens, le Conseil des Cinq Cents adopte ou refuse ce que lui propose la première assemblée.

Pour la première fois sous la Révolution, c'est l'organe exécutif qui a donné son nom au régime, ce qui atteste l'importance nouvelle de ce pouvoir en 1795.

Le Directoire est composé de cinq Directeurs, nommés pour cinq ans et choisis par le Conseil des Anciens sur une liste de dix noms présentés par le Conseil des Cinq Cents. Ils sont âgés au moins de quarante ans, sans doute pour éviter la fougue de la jeunesse. Ils sont placés sur un pied d'une égalité rigoureuse afin d'éviter la dictature d'un homme. Le Directoire est renouvelé partiellement par l'élection d'un nouveau membre chaque année, et il est présidé par chacun des Directeurs, tous les trois mois, à tour de rôle. Tout est donc fait pour diviser afin d'affaiblir.

Les Directeurs, qui sont distincts des ministres, qui ne sont que de simples agents d'exécution sans réels pouvoirs politiques, exercent le pouvoir exécutif et disposent d'attributions importantes.

Les Directeurs ne sont pas révocables par les Assemblées : il n'y a pas trace de régime parlementaire et il n'existe ni interpellation, ni questions. Ils n'encourent qu'une responsabilité pénale devant la Haute Cour de justice, en cas de crimes ou de délits commis dans l'exercice de leurs fonctions.

La doctrine dominante voit dans le régime de l'an III une séparation rigide des pouvoirs et celui-ci serait celui qui a été le plus loin dans ce sens en France. Tout serait fait pour que les deux pouvoirs ne se rencontrent pas. Les Directeurs ne participent pas à l'œuvre législative, ils n'ont ni initiative, ni veto. La loi est l'œuvre du Corps législatif, qui en a le monopole.

De même, le Corps législatif n'a aucun moyen d'action sur le Directoire. En cas de conflit entre les deux pouvoirs, aucun mécanisme constitutionnel n'est prévu, sinon le recours aux coups d'Etat.

Mais certains auteurs estiment que cette présentation est erronée, car il n'y a pas séparation entre deux pouvoirs égaux : le Directoire reste subordonné et il n'y a pas d'équilibre entre l'Exécutif et le Législatif.

Quoi qu'il en soit, le régime a connu beaucoup de coups d'Etat en quatre ans, et la corruption a régné. La Convention, juste avant l'entrée en vigueur de la Constitution, fit voter le « décret des deux tiers » du 30 août 1795 (ou 13 fructidor an III) qui obligeait les électeurs à faire entrer dans les nouveaux Conseils deux tiers au moins d'anciens conventionnels. Elle assurait ainsi sa propre survie au sein du régime nouveau.

Il y eut ainsi des coups d'Etat du Directoire contre les Conseils, en obligeant à annuler les élections, ou des coups d'Etat des Conseils contre le Directoire, en contraignant les Directeurs à démissionner : on dénombre au moins quatre coups d'Etats, marqués politiquement tantôt à droite, tantôt à gauche.

La Constitution de l'an III était discréditée. La République ne pouvait se sauver qu'en se réformant, mais toute révision constitutionnelle rapide était exclue par la Constitution elle-même. Il fallait un coup d'Etat supplémentaire, pour modifier cette fois encore la Constitution, illustrant l'impossibilité de réviser selon les formes prévues en France.

Ce coup d'Etat fut l'œuvre de Sieyès, nommé Directeur en 1799. Il lui fallait une épée, ce fut Bonaparte, rentré d'Egypte, qui avait déjà participé à d'autres coups d'Etat. Ce fut le 18 brumaire an VIII (ou 9 novembre 1799) et la fin d'une certaine époque révolutionnaire. Comme le dit la proclamation des Conseils du 24 frimaire an VIII (ou 15 décembre 1799) : « Citoyens, la Révolution est fixée aux principes qui l'ont commencée : elle est finie ».

Les espoirs des conjurés seront dépassés par la volonté de Napoléon Bonaparte d'accaparer le pouvoir et de l'exercer seul. Un nouveau type de régime allait naître.

Section 2. L'ordre napoléonien (1799-1815)


Le coup d'Etat du 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799) est fatal au régime du Directoire. Le pouvoir exécutif, confié à une Commission composée de trois Consuls, est chargé de réorganiser les administrations, de rétablir l'ordre et de conclure la paix. Le pouvoir législatif est suspendu.est préparée par un petit groupe d'hommes dans lequel émergent Sieyès et le général Bonaparte qui entend jouer un rôle politique et ne pas se contenter d'être « l'épée » qui a réussi le coup d'État. Daunou réalise le compromis entre les thèses constitutionnelles des deux premiers.


Ce texte se distingue des Constitutions révolutionnaires, en ce qu'il ne comprend pas de déclaration des droits, ce qui rompt la tradition inaugurée par la Constitution de 1791, et en ce qu'il consacre la primauté du pouvoir exécutif au détriment des assemblées, ce qui constitue aussi une évolution remarquable par rapport aux Constitutions antérieures.


Il est confié à un organe apparemment collégial, les Consuls, dont l'appellation évoque la République romaine : en réalité, Bonaparte, Lebrun et Cambacérès ne se situent pas sur le même plan et le premier Consul exerce la réalité du pouvoir. De manière en apparence collective, ils possèdent l'initiative des lois et du budget. Ils concentrent en leurs mains le pouvoir de faire la guerre et la paix.

La Constitution crée un Conseil d'Etat chargé de rédiger les projets de lois et les règlements d'administration publique et « de résoudre les difficultés qui s'élèvent en matière administrative » (art 52). La dualité des fonctions, consultatives et contentieuses, est inscrite dès les origines de cet organe, promis à un bel essor.


Le régime napoléonien invente le multicaméralisme. La fonction législative est partagée entre le Tribunat, composé de 100 membres et chargé de discuter les projets de lois. Le Corps législatif, composé lui de 300 membres, statue par bulletin secret sur les textes qui lui sont soumis mais « sans aucune discussion de la part de ses membres ». Il sera ainsi baptisé le « corps des muets ».

A côté de ces deux assemblées, la Constitution de l'an VIII crée un Sénat conservateur de 80 membres, inamovibles et à vie et choisis par le Premier Consul. Juge de la constitutionnalité des lois, il peut aussi modifier la Constitution, par des « sénatus-consultes ».


Celle-ci s'est réalisée par étapes, facilitées par les victoires militaires et les conquêtes. La défaite entraînera, par un mouvement inverse, la chute du régime.

Afin de remercier Napoléon d'avoir conclu la paix d'Amiens, le Sénat le réélut pour dix ans mais soumit au vote populaire la question suivante : « Le Premier consul sera-t-il nommé à vie ». La victoire écrasante du oui donna naissance au Consulat à vie par le sénatus-consulte du 16 thermidor an X (4 août 1802). C'est aussi l'occasion de modifier la Constitution dans le sens du renforcement des pouvoirs de l'Exécutif, du Sénat, et d'une diminution des attributions des autres assemblées : les séances du Tribunat cessent d'être publiques et on divise par deux le nombre de ses membres.

Napoléon Ier, empereur (François Gérard, 1805). Domain public


Il ne restait plus qu'à transformer le régime en empire héréditaire. Ce fut réalisé avec le sénatus-consulte du 28 floréal an XII (18 mai 1804) dont l'article 1er proclame : « Le gouvernement de la République est confié à un Empereur ». La succession est organisée dans la descendance directe, naturelle et légitime de Napoléon Bonaparte, sur le modèle de la monarchie d'Ancien Régime et la création de dignités impériales permet la constitution d'une véritable cour. Napoléon Bonaparte est sacré par le pape Pie VII le 2 décembre 1804.

Dans ce contexte, les autres pouvoirs ont surtout un rôle de figuration. Le Tribunat est réintégré au sein du Corps législatif, qui retrouve la parole ; le Sénat, dans lequel siègent les princes et les dignitaires impériaux, perd toute indépendance. Ce ne sont pas les deux Commissions créées au sein du Sénat, l'une compétente pour la liberté de la presse, l'autre pour la liberté individuelle, et dont l'activité fut à peu près nulle, qui redorent le blason des libertés publiques sous l'Empire.
Fermer