La relation entre les gouvernants et les gouvernés est dominée par la question de la démocratie, c'est-à-dire étymologiquement, le gouvernement du peuple ou par le peuple. Telle est la définition de Lincoln dans son discours de Gettysburg (1864) reprise par l'article 2, alinéa 5 de la Constitution de 1958. Kelsen la définissait aussi par l'identification des gouvernés aux gouvernants. La démocratie signifie la participation des citoyens aux affaires publiques. La liberté dans l'Antiquité et les cités grecques, qui ne connaissaient pas la liberté individuelle, consistait surtout en la participation au pouvoir politique.
La liberté consiste alors à se soumettre à des règles que l'on a soi-même élaborées, ce qui permet en quelque sorte de se soumettre à soi-même, par opposition à l'autocratie. La Constitution de 1958, comme la plupart de ses devancières, fixe un certain nombre de règles concernant le droit de suffrage, complétées par la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Selon l'article 3 de la Constitution, « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Le titulaire de la souveraineté est ainsi clairement désigné : il s'agit du peuple, et non plus la nation, mais qui s'inscrit dans un cadre géographique et politique qui est celui de la nation.
La démocratie est représentative, comme l'énonce l'article 27 : « Tout mandat impératif est nul », mais le peuple participe directement à l'exercice de la souveraineté dans le cadre d'une démocratie semi-directe, par le référendum, en matière constitutionnelle et législative (cf. les articles 11 et 89 de la Constitution de 1958).
L'élection permet de donner une légitimité aux gouvernants ou aux pouvoirs constitués. L'article 3 apporte d'autres précisions quant au principe démocratique : le suffrage est toujours universel (article 3, alinéa 3) conformément au principe posé par la loi du 3 juin 1958 qui prévoyait que le suffrage est la source du pouvoir. L'alinéa 4 de l'article 3 fixe les conditions pour être électeur en France, en ce qui concerne du moins les élections qui se rattachent à la souveraineté nationale, à la différence des élections professionnelles ou administratives (cf. la rédaction de l'article 3). Ce même article 4, lui aussi rattaché à la souveraineté nationale, dans le cadre du Titre ler, encadre en quelque sorte le suffrage par l'existence des partis politiques. Le législateur moderne est venu renforcer ce rôle des partis en les officialisant et en organisant leur financement.
Si la source du pouvoir est dans le peuple, la démocratie s'efforce de faire prévaloir la volonté des plus nombreux. Elle repose donc sur le suffrage universel. La démocratie doit, par nature, être pluraliste. Le pluralisme, c'est aussi la constitution des partis politiques à qui revient le rôle de préparer des programmes, des idées et de les soumettre aux élections, comme l'indique l'article 4.
Certaines libertés fondamentales sont également nécessaires à ce pluralisme. La liberté de la presse, la liberté de communication audiovisuelle sont des éléments essentiels de la démocratie, car elles conditionnent l'expression libre des idées et des opinions.
C'est ce qu'a affirmé le Conseil Constitutionnel pour lequel « le pluralisme des courants d'expression socioculturels est lui-même un objectif de valeur constitutionnelle ; que le respect de ce pluralisme est une des conditions de la démocratie » (). Cette affirmation se retrouve dans la jurisprudence de la plupart des cours constitutionnelles des pays européens et dans celle de la Cour européenne des droits de l'homme.
Le caractère universel du suffrage n'exclut pas l'existence de conditions pour participer aux élections. Pour satisfaire aux exigences de la démocratie, ce suffrage doit respecter les principes d'égalité et de liberté. Ce suffrage peut être organisé de différentes manières qui répondent à des préoccupations, parfois contradictoires, de justice électorale et d'efficacité de la gestion politique.
Section 1. Démocratie directe et démocratie représentative
Ces deux formes de démocratie sont souvent opposées. Il peut y exister des solutions intermédiaires.
§ 1. La démocratie directe
Elle est l'expression de la participation directe du peuple à l'exercice du pouvoir. Il n'y a pas de représentation ni de délégation du pouvoir. Le suffrage ne peut être qu'universel, car tout citoyen est membre de droit de la communauté politique. La démocratie peut prendre des formes multiples.
Il peut y avoir ainsi des débats au sein des assemblées populaires, comme il en existe encore des survivances dans deux cantons de Suisse (Glaris et Appenzell-Rhodes intérieures, habités par quelques dizaines de milliers de citoyens) sous le nom de Landsgemeinde (littéralement assemblées du pays ou de l'Etat). Elles se réunissent une fois par an sur une prairie ou une place, votent les lois, adoptent le budget et les révisions constitutionnelles. Les femmes n'y ont été admises que très récemment.
Le référendum est le procédé le plus usité de démocratie directe. Il doit être distingué du plébiscite. Celui-ci est parfois défini comme étant une consultation sur le maintien ou non au pouvoir d'un gouvernant, plus que comme un procédé visant à l'adoption ou le refus d'un texte. Mais le plébiscite n'offre pas, surtout, de réel choix au peuple, qui est appelé à fournir la réponse attendue par les gouvernants, à la différence d'un véritable référendum pour lequel les électeurs peuvent dire « non » (cf. les référendums de 1946, de 1969 et de 2005 en France). Les régimes napoléoniens français ont beaucoup eu recours au plébiscite qui permettait de légitimer les pouvoirs en place. Le référendum est pratiqué dans beaucoup de pays, sauf, en Europe, en Allemagne pour des raisons historiques de méfiance à l'égard du populisme, ou au Royaume-Uni par tradition de confiance dans les vertus d'un Parlement tout puissant, sauf en 1975 à propos de l'Europe ou en 2011 à propos du changement de mode de scrutin). Il est certain enfin que le référendum peut assez facilement se transformer en plébiscite, à la demande même du titulaire du pouvoir (cf. le référendum de 1969 en France qui a entraîné la démission du général de Gaulle).
Des référendums peuvent être organisés sur certaines parties du territoire d'un Etat, de manière constitutonnelle, comme en Ecosse en septembre 2014, ou de manière inconstitutionnelle comme en Catalogne en novembre 2014. Dans ce dernier cas, il ne peut s'agir que d'une simple consultation des électeurs, sans valeur décisionnelle.
La démocratie directe peut utiliser aussi la révocation populaire qui permet aux citoyens de mettre fin aux mandats d'un ou de plusieurs délégués avant l'échéance prévue du mandat. Cette technique est pratiquée dans certains Etats américains où elle prend le nom de « recall ».
Le droit de pétition ou les mécanismes d'initiative populaire (référendum abrogatif d'une loi en vigueur comme en Italie, sur demande d'un nombre significatif de citoyens). A l'occasion du mouvement dit des "Gilets jaunes" à l'automne et au cours de l'hiver 2018/2019 en France, des revendications se sont fait jour en faveur de la révocation des élus et d'un référendum d'intitaitive citoyenne. Dans un cas comme dans l'autre, des conditions seraiernt nécesaaires pour organiser de tels mécanismes, comme le nombre de nombre de sigantures requises pour mettre en oeuvre ces procédures de démocratie directe.
§ 2. Le régime représentatif
Dans ce régime, le pouvoir est confié à des représentants, il peut exister aussi bien dans des monarchies que des Républiques, et il se conçoit avec des assemblées qui sont élues. Il est né du constat de l'impossibilité de concevoir la démocratie directe dans des Etats ou des structures trop importantes par la taille ou la démographie. La démocratie représentative a été aussi instituée, pendant la Révolution française, afin de faire représenter la « nation », entité abstraite titulaire de la souveraineté qui ne peut s'exprimer sans «représentants ». Elle doit beaucoup à l'abbé Siéyès (cf. leçon 6). De ce fait, il est admissible que seuls quelques membres du corps social puissent être jugés dignes de « parler » au nom de la nation, et le suffrage universel n'est pas nécessaire, il n'est du moins pas une obligation. Le suffrage est qualifié alors de « censitaire » en ce qu'il exige de payer un impôt d'un certain montant le cens) pour avoir la qualité d'électeur. Il fut pratiqué à plusieurs reprises au cours de la Révolution française (en 1789-1791, en 1795) puis sous les Chartes (1814-1848).
L'évolution des sociétés politiques a conduit à imposer le suffrage universel, d'abord masculin puis également féminin, dans le cadre des régimes représentatifs.
La démocratie représentative exige que les mandants (c'est-à-dire les électeurs) désignent des mandataires. Cette notion de « mandat », qui est connue du droit civil, s'en distingue cependant en ce que les mandataires ne sont pas tenus, dans la théorie politique, de suivre les « ordres » ou les « consignes » des mandants, et ils gardent une relative liberté de décision, notamment au moment de leurs votes au sein des assemblées.
§ 3. La démocratie semi-directe
De nombreux Etats pratiquent cette forme d'association des deux types précédents de démocratie.
Ex.L'article 3 de la Constitution de 1958 en France en constitue un bon exemple : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum » Les deux formes de démocratie semblent mises sur le même plan.
Elle implique la coexistence d'organes élus et représentatifs et de procédures d'intervention directe de la part des électeurs (cf. la technique du référendum abrogatif qui vise à faire abroger une loi adoptée par le Parlement). Les techniques présentées ci-dessus peuvent être associées, dans ces Etats, aux attributions d'organes élus, assemblées parlementaires mais aussi autorités exécutives. Dans certains cas, le choix est même possible entre ces deux formes de démocratie, comme le montre l'article 89 de la Constitution de 1958 pour l'adoption des lois constitutionnelles (cf. leçon 2).