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La Constitution




La Constitution a une valeur symbolique autant qu'une valeur juridique de règle suprême, car elle justifie la fondation d'un Etat, comme ce fut le cas aux Etats-Unis d'Amérique et dans les Etats africains après la colonisation. L'idée d'une « Constitution européenne » dans les années 2000 obéissait à cette logique, même si l'Etat européen n'existait pas ... encore.

Rq.Etats transformés par un coup d'Etat ou une révolution, au Portugal en 1976 comme en Espagne en 1978, ou dans les pays de « l'Est » après 1989 et la chute du mur de Berlin, ils se sont aussi dotés d'une nouvelle constitution marquant la naissance d'un nouveau régime. L'exemple de la France en 1789 illustre aussi ce phénomène.

L'établissement et la révision de la Constitution obéissent à des règles particulières et protectrices. La forme et le contenu d'une Constitution peuvent être très différents et si la quasi-totalité des constitutions sont écrites, la place des normes coutumières est très importante.

La Constitution, dans un Etat, est la norme suprême, en ce qu’elle est à la fois la première mais aussi au-dessus des autres normes : elle est ainsi supérieure.


Section 1. L'adoption et la révision de la Constitution

La Constitution est une norme particulière parce qu'elle est la première.

Son établissement pose alors des problèmes spécifiques car il ne peut obéir seulement aux règles habituelles de l'établissement des règles de droit. La nouvelle constitution prépare l'avenir mais aussi rejette le passé, elle se veut une réaction contre le texte précédent.

De même, sa révision doit obéir à des règles spécifiques, illustrant en principe la règle du parallélisme des formes ou des compétences, qui veut que ce qu'une autorité a fait, elle peut le défaire. Le pouvoir constituant originaire est souvent distingué du pouvoir constituant dérivé, mais cette distinction est parfois critiquée. La révision peut être plus ou moins facile, selon que la Constitution est souple ou rigide.


La question est celle du pouvoir constituant originaire. Il est a priori inconditionné, à l'image de la souveraineté. Il se situe dans un contexte de rupture, ou de table rase. Le caractère inconditionné peut naître dans un Etat neuf, constitué après l'indépendance d'un pays ou d'un Etat « renouvelé » après une révolution, un coup d'Etat ou le renversement d'une dictature.
Ex.Ce sont les exemples de la France en 1789, 1814, 1848, 1870 ou de la Russie en 1917.

Le caractère « novateur » d'une Constitution dans ce cadre doit d'ailleurs être nuancé car, à moins d'un Etat sortant du néant et ignorant ce qui se passe à côté de lui, il y a souvent réaction ou mimétisme dans le travail constituant. C'est ainsi que la Constitution du 4 octobre 1958 s'inscrit contre celle de 1946 et que cette dernière avait cru s'inscrire contre celle de 1875.

Mais il y a aussi mimétisme, c'est-à-dire imitation, consciente ou inconsciente, des textes antérieurs.
Ex.La Charte de 1830 copie en partie celle de 1814, tout en récusant certains points, et la Constitution de 1958 reprend, à propos des dispositions qui ne faisaient pas débat, celle de 1946.

Cette nouvelle Constitution est élaborée selon les idées des gouvernants au pouvoir au moment de l'émergence du nouvel Etat ou du nouveau pouvoir, gouvernement provisoire, gouvernement révolutionnaire ou, dans le cas d'un coup d'Etat militaire, junte. Le processus juridique d'élaboration du texte constitutionnel est alors choisi par eux, de façon en définitive libre. Aucune règle juridique ne les oblige à choisir une voie plutôt qu'une autre, sauf à admettre des règles qui seraient soit tirées de la nature, soit tirées de la métaphysique.

Le mode d'établissement peut donc être soit autoritaire, soit plus démocratique.




Les gouvernants en place décident d'élaborer une nouvelle constitution, de la rédiger et de ne pas la soumettre au peuple pour la faire adopter. L'élaboration est alors « fermée » et peut même êtres secrète. Elle ne fait participer aucun autre pouvoir que celui ou ceux qui le détiennent déjà.

Cette constitution est alors octroyée, par un acte unilatéral du titulaire du pouvoir qui est, dans ce cas, politiquement obligé de concéder une constitution.
Ex.Ce fut le cas de lapar Louis XVIII : « Une charte constitutionnelle était sollicitée par l'état actuel du royaume, nous l'avons promise et nous la publions (...). Nous avons volontairement, et par le libre exercice de notre autorité royale, accordé et accordons, fait concession et octroi à nos sujets (...) de la charte constitutionnelle qui suit (...) ».

L'octroi peut faire l'objet d'une négociation et se présenter sous un jour plus contractuel qu'unilatéral par un compromis entre les forces en présence.

Ex.
  • , négociée par les parlementaires et le futur Louis Philippe en est un bon exemple : « Nous avons ordonné que la charte constitutionnelle de 1814, telle qu'elle a été amendée par les deux Chambres le 7 août et acceptée par nous le 9, sera de nouveau publiée dans les termes suivants (...) ».
  • Il en est de même de la première Constitution belge de 1831.

Le terme de charte, parfois utilisé, du moins en France, a l'avantage de ne pas utiliser le mot de Constitution, qui évoque trop, aux yeux de certains, l'accord du peuple ou de la nation


La démocratie est ici la manifestation de l'acceptation des gouvernants par les gouvernés. Ce mode d'élaboration est alors beaucoup plus ouvert. Les fondateurs de l'Etat peuvent remettre au peuple le soin d'adopter une Constitution. Dans une démocratie, la volonté du peuple est la source du pouvoir: le pouvoir constituant, en tant que première manifestation de la souveraineté, appartient au peuple, c'est-à-dire au suffrage universel. Celui-ci doit donc adopter la Constitution selon plusieurs modalités possibles.


Le peuple peut être appelé à se prononcer par voie de référendum, par oui ou par non, sur un projet élaboré par les détenteurs effectifs du pouvoir et auquel le peuple ne participe pas. La démocratie peut n'être ici qu'illusoire car le choix du peuple peut être contraint, faute d'existence d'une autre solution politique.

C'est fut le cas des textes « proposés » par Napoléon Bonaparte () et par Louis-Napoléon Bonaparte en 1852 ().

Sont souvent adoptées ainsi les Constitutions établissant des régimes autoritaires à habillage démocratique selon la formule de B. Chantebout.

Les titulaires du pouvoir peuvent choisir des dispositions permettant de pérenniser leur pouvoir, comme l'illustre le début de la Constitution du 14 janvier 1852 : « Le peuple veut le maintien de l'autorité de Louis Napoléon Bonaparte et lui donner les pouvoirs nécessaires pour faire une Constitution d'après les bases établies dans sa proclamation du 2 décembre ». Mais ici le référendum eut lieu après le coup d'Etat du 2 décembre 1851, les 21 et 22 décembre 1851. Sur la base de cette acceptation préalable, Louis Napoléon Bonaparte fit rédiger une constitution par une commission qui travailla en secret.

Tel fut aussi le cas de l'adoption de la Constitution de 1958.
La loi constitutionnelle du 3 juin 1958 portant dérogation transitoire aux dispositions de l'article 90 de la Constitution avait en effet prévu que le Gouvernement devait établir un projet de loi constitutionnelle qui, arrêté en Conseil des ministres, après avis du Conseil d'État, devait être soumis au référendum.



Le peuple peut être invité à désigner une Assemblée constituante chargée de rédiger une Constitution. Dans ce cas, la rédaction est publique et le texte est amendé, discuté, voté et les travaux préparatoires servent à l'interprétation et à la compréhension du texte constitutionnel. Le risque existe que les membres de l'assemblée constituante dotent la future assemblée de pouvoirs importants afin de pérenniser leur propre pouvoir. Pour éviter ce danger, laavait interdit aux membres de la Constituante de siéger dans la future assemblée. Exceptionnellement, la Constituante peut être bicamérale. Ce ne fut jamais le cas en France, mais la Roumanie et la Pologne connurent un tel système après 1989.

L'assemblée constituante ne doit assumer ses fonctions que pendant le temps d'élaborer une constitution. Mais ce peut être un temps plus ou moins long, un an en 1945-1946, deux ans en 1789-1791, trois ans en 1792-1795, quatre ans en 1871-1875. Ce délai peut être fixé à l'avance et imposé au pouvoir constituant, un délai de sept mois en 1946, sans que des sanctions puissent être réellement efficaces.

L'assemblée constituante peut être convoquée uniquement pour seulement rédiger une constitution et rien d'autre, comme la Convention de Philadelphie aux Etats-Unis en 1787. La création constitutionnelle n'est ici pas perturbée par d'autres compétences. Mais cette solution ne résout pas la question de savoir qui gouverne pendant ce temps.

L'assemblée constituante peut être législative en même temps, c'est-à-dire qu'elle vote les lois "ordinaires", qu'elle adopte le budget ou désigne le gouvernement en même temps qu'elle rédige la constitution. Cette solution fut fréquemment retenue en France, notamment pendant la période de la Convention en France en 1792-1795 ou en 1946.

Les pouvoirs de cette Constituante peuvent être illimités. Dans ce cas, l'assemblée est alors souveraine et ne doit des comptes à personne, pas même au peuple car elle le représente et agit en son nom. En outre, cette assemblée peut travailler sans la contrainte de principes préalables, sauf si ceux-ci ont été imposés, mais on voit mal par quel organe, à l'Assemblée.

Ou bien l'assemblée peut être limitée dans le sens où le peuple peut intervenir après elle.



Les deux précédents procédés peuvent être combinés. C'est une technique alors de démocratie semi-directe. L'assemblée prépare un projet de constitution pour lequel elle a un rôle plus technique, et le peuple peut accepter ou refuser son travail. Encore faut-il que le choix du peuple soit réel et qu'il n'adopte pas par lassitude un texte imposé par l'Assemblée, ce qui semble s'être produit pour le deuxième projet de constitution en octobre 1946. Dans le meilleur des cas, c'est le mode le plus démocratique d'élaboration des constitutions, mais il multiplie les consultations populaires.

Ex.L'exemple le plus caractéristique fut celui de 1946 en France. Lors du référendum du 21 octobre1945, qui s'est déroulé le même jour que l'élection d'une assemblée, une première question fut posée : « Voulez-vous que l'Assemblée élue ce jour soit constituante ? »
Une réponse négative équivalait à un retour aux institutions de la III ème République, et il existait une véritable liberté de choix car il y avait une solution politique de rechange.
La seconde question concernait l'organisation des pouvoirs publics pendant la période de mise en place de la nouvelle constitution, en cas de réponse positive à la première question.

Le premier projet, élaboré par une assemblée constituante élue en octobre 1945, a été repoussé par référendum le 5 mai 1946. Le projet d'une nouvelle assemblée constituante élue le 2 juin 1946 fut adopté le 13 octobre 1946 et promulgué le 27 octobre 1946.



Le peuple constituant rédige et adopte la constitution. Ce procédé est surtout possible dans des petites structures étatiques dans lesquels le peuple pourrait « discuter » la rédaction d'un texte.

La Constitution prévoit souvent elle-même la possibilité d'être révisée. Une révision partielle peut être préférable à une modification complète ou à la révolution ou au coup d'Etat.

Le pouvoir constituant est alors dit "dérivé" par rapport au pouvoir constituant originaire. Il est dérivé parce qu'il découle du texte constitutionnel précédent ou existant et qu'il est enfermé dans des conditions précises de forme et de procédure comme la majorité qualifiée ou le vote séparé ou non des assemblées, lorsque ce pouvoir est confié à des assemblées. En outre, il peut y avoir des conditions de temps (art 89 al 4 de la Constitution de 1958) ou de fond qui s'imposent à lui : l'article 89 al. 5 interdit ainsi que puisse être modifiée la forme républicaine du gouvernement. Est-ce à dire alors que le pouvoir constituant dérivé est moins libre que le pouvoir constituant originaire ? Une réponse positive pose la question de savoir, dans le cas où il ne respecterait pas les conditions prévues, si des sanctions pourraient exister et qui pourrait les infliger. Mais il y a tout d'abord des différences quant à la facilité ou à la difficulté admise pour réviser : il y a des constitutions « souples » et des constitutions « rigides ».


Le pouvoir de révision est en quelque sorte conditionné par les caractéristiques mêmes de la Constitution.

Si la constitution, écrite ou coutumière, est révisable aussi facilement que la loi

Si la procédure de révision est rigide

La supériorité de la constitution - admise théoriquement au nom du constitutionnalisme- est relative. La révision se fait alors selon les formes et les procédures de la loi ordinaire, - et ne débouche sur aucune conséquence juridique pratique. Tel est le cas du Royaume-Uni et d’Israël. Cette souplesse peut être dangereuse pour les droits fondamentaux des citoyens, car elle est liée aux majorités du moment.La supériorité juridique du texte constitutionnel sur la loi ordinaire est réelle. Les Constitutions rigides sont celles qui ne peuvent être modifiées que selon des formes ou des procédures particulières, différentes de celles utilisées pour les lois ordinaires. Soit du fait d'une majorité plus difficile à atteindre, soit par l'intervention d'une Assemblée spéciale, soit du fait du recours direct au peuple. La rigidité constitutionnelle protège de cette manière les minorités contre la loi du nombre, soit au niveau des individus, des groupes ethniques ou, dans les Etats fédéraux, des Etats fédérés qui sont associés à la révision de la Constitution. La Constitution fédérale a donc intérêt à être rigide pour protéger le fédéralisme, comme l'illustre l'article 5 de la Constitution des Etats-Unis.


La réalité constitutionnelle se situe souvent entre la souplesse et la rigidité absolues, avec une échelle de rigidité en fonction des procédures de révision. Une rigidité absolue bloquerait toute évolution. La solution idéale réside sans doute en un délicat compromis ...

Une constitution écrite n'est pas nécessairement rigide, comme le montrent les Chartes de 1814 et 1830 ou les lois constitutionnelles de 1875, et une constitution coutumière n'est pas nécessairement souple (cf. France Ancien Régime).

La doctrine distingue souvent le pouvoir constituant originaire et le pouvoir constituant dérivé. Ils sont a priori différents puisque le pouvoir constituant originaire construit sur du neuf, en l'absence de toute règle et que le second est enfermé dans des conditions prévues par la Constitution elle-même. Mais les deux pouvoirs peuvent être soumis aux mêmes règles de procédure, ce qui nuance la distinction entre eux et la constitution ancienne peut être révisée de telle manière qu'elle est, en réalité, remplacée par une nouvelle constitution.

Ex.C'est de cette manière que fut assuré le passage de laà celle du 4 octobre 1958.

L'organe à l'initiative de la révision est souvent distinct de celui qui adopte cette dernière.

La grande diversité règne dans les autorités compétentes quant à l'initiative de la révision, c'est-à-dire celle compétente pour la proposer. Ce pouvoir peut d'ailleurs appartenir à plusieurs organes et être partagé.

Gouvernement

Parlement

Peuple

Ce peut être le gouvernement, ou plus largement le pouvoir exécutif, mais la tradition républicaine, du moins en France, semble craindre que le pouvoir d'initiative soit exclusivement confié au gouvernement et souhaite un partage entre le pouvoir exécutif et le Parlement. Celui-ci peut donc avoir un pouvoir d'initiative et il n'y a pas les mêmes craintes à son égard, malgré la Convention et 1793.Beaucoup de constitutions confient cette initiative au Parlement ou aux membres de celui-ci. Plusieurs solutions existent néanmoins. Lorsque le Parlement est bicaméral, l'initiative peut provenir, de l'une ou de l'autre assemblée, ou des deux de façon concurrente, les deux en même temps comme aux Etats-Unis, ou de façon séparée, c'est-à-dire l'une ou l'autre, comme en France depuis 1958.Enfin, l'initiative de la révision peut provenir du peuple. Cette solution est extrêmement rare en France, sauf dans la constitution du 24 juin1793. Elle est plus fréquente en Suisse, où la pétition des citoyens ou d'un certain nombre de citoyens oblige les assemblées à examiner le projet de révision ou à le soumettre au référendum



Le Parlement est souvent l'organe compétent, en France notamment.
  • Là encore ce peut être une ou deux chambres, ou les deux réunies ensemble.
  • Ce peut être encore une assemblée "ad hoc", spécialement élue pour réviser la Constitution. C'est le cas de la Convention aux Etats-Unis.
  • Ce peut être enfin peuple : le projet de révision est soumis au peuple par référendum.

Les conditions de vote, notamment dans les assemblées, peuvent être là encore diverses : peut être exigée une majorité qualifiée, plus large que la majorité absolue, soit la moitié plus une voix. Ce peut être les deux tiers ou les trois cinquièmes ou tout autre seuil.

Elles peuvent être de nature différente. Le texte constitutionnel peut prévoir des limites dans le temps. La Constitution peut prévoir un délai fixe, comme dans la Constitution de 1791 ou dans celle de 1848.

La Constitution peut aussi interdire la révision dans certaines conditions temporelles comme dans les articles 89 al. 4, et 7 al. 11 et dernier de la Constitution de 1958 qui interdisent la révision « lorsqu'il est porté atteinte à l'intégrité du territoire », et durant l'intérim de la présidence de la République.

Des limites de fond peuvent être prévues, comme l'interdiction de porter atteinte à la forme républicaine du gouvernement (art. 89 al. 5 et, antérieurement loi constitutionnelle du 14 août 1884). Les constitutions allemande (art. 79-3) et portugaise (art. 288) contiennent aussi des « limites matérielles de la révision ». Ces dispositions semblent exclues de cette révision. Sont-elles alors supra constitutionnelles ?

Si des limites existent pour réviser, les deux pouvoirs constituants, originaire et dérivé sont-ils alors de nature différente ou de même nature ? Il a été soutenu que le pouvoir constituant dérivé n'est pas d'une nature différente de celle du pouvoir initial. La Constitution limite sa procédure, elle ne limite pas l'étendue de la révision selon G. Vedel. De cette manière, le pouvoir constituant dérivé peut ainsi décider de tout changer, y compris de façon tout-à-fait régulière la procédure de révision de la Constitution.

Il suffirait ainsi, pour surmonter l'interdiction de toucher à la forme républicaine du gouvernement, de réviser tout à fait régulièrement l'article 89 al. 4 et de supprimer cette interdiction.

De ce fait, aucune révision de la Constitution ne peut être inconstitutionnelle et il n'y a pas de différence entre les deux pouvoirs de révision et le pouvoir est dérivé jusqu'au point d'être initial.

Tx.Jurisprudence
Dans la décision, Maastricht II le Conseil constitutionnel a ainsi considéré que « Le pouvoir constituant est souverain, il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime appropriée » (cons. 34).

Section 2. La forme de la Constitution


Le mot « constitution » peut revêtir différents sens.
  • On peut définir la Constitution à partir de son objet, de sa matière, ou de son contenu, ou à partir de sa forme, c'est-à-dire l'aspect extérieur, notamment sa procédure d'adoption.
  • Mais on peut distinguer aussi des constitutions écrites et des constitutions non-écrites ou coutumières.


Ils sont de deux ordres, comme pour tout acte juridique. Ces deux critères ne se recoupent pas obligatoirement mais ils peuvent aussi être combinés pour obtenir la définition de la Constitution.


Elle s'attache au contenu de la matière constitutionnelle. Mais les appréciations peuvent diverger quant au contenu qui doit être celui d'une constitution. Au sens large, les règles constitutionnelles portent sur l'organisation et le fonctionnement des pouvoirs publics, sur les normes applicables à un système juridique donné, comme les rapports de la Constitution avec la loi, ceux qui peuvent exister entre le traité et la loi et sur les garanties des droits fondamentaux des citoyens comme, par exemple le droit de propriété, la liberté d'aller et venir ou la liberté de conscience.

Mais, en tant qu'acte juridique premier, il est concevable que la Constitution doive contenir l'ensemble des règles les plus importantes de l'Etat, celles qui encadrent une société donnée et celles dont les autres peuvent dépendre. Les plus importantes signifient ici que la Constitution doit les contenir et que les autres règles devront découler de ces règles constitutionnelles.

Tous les Etats ont ainsi matériellement une constitution car tout Etat dispose matériellement d'un ensemble de règles, même coutumières, qui concernent la dévolution et l'exercice du pouvoir. Mais tous les Etats n'ont pas forcément une constitution formelle.


Elle s'attache à la forme et aux procédures d'édiction et elle met l'accent sur le contenant et à la procédure, et non sur le contenu. L'existence de formes et de procédures particulières, par rapport à la loi ordinaire, marque la supériorité de la Constitution sur la loi ordinaire et l'on retrouve alors la distinction entre les constitutions rigides et les constitutions souples (cf. supra).

Ce n'est pas le contenu qui détermine l'existence d'une constitution, mais le mode d'adoption et son organe d'adoption, d'où le nom aussi de critère organique. L'adoption d'un texte par une assemblée constituante est un critère d'existence d'une constitution.

Le plus souvent, ces deux critères coïncident et, dans une constitution au sens formel sont inscrites des dispositions fondamentales, c'est-à-dire des règles qui organisent le pouvoir politique, qui définissent les normes et les droits fondamentaux.

Mais ce n'est pas toujours le cas :
  • le Royaume-Uni qui possède bien une constitution matérielle, ne dispose pas d'une Constitution au sens formel.
  • En France, certaines matières qui peuvent apparaître comme constitutionnelles par nature, comme les modes de scrutin, ou les règles relatives au financement des partis car elles intéressent de manière évidente la démocratie, ne se retrouvent pas dans le texte constitutionnel, au nom d'une souplesse revendiquée, car ces règles pourront être modifiées plus facilement que si elles étaient inscrites dans la Constitution.

L'inverse est également vrai : la Constitution peut contenir des dispositions qui ne sont pas matériellement constitutionnelles. Les exemples sont plus délicats, car si certaines dispositions sont inscrites dans le texte fondamental, c'est que, a priori, la Constitution a entendu leur donner une valeur particulière.

Ex.
  • L'article 102 de la Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999, intitulé « Approvisionnement du pays » dispose ainsi que « 1 La Confédération assure l'approvisionnement du pays en biens et services de première nécessité afin de pouvoir faire face à une menace de guerre, à une autre manifestation de force ou à une grave pénurie à laquelle l'économie n'est pas en mesure de remédier par ses propres moyens. Elle prend des mesures préventives. 2 Elle peut, au besoin, déroger au principe de la liberté économique ». La rédaction antérieure était plus datée : « La Confédération entretient les réserves de blé nécessaires pour assurer l'approvisionnement du pays » (art. 23 bis de la Constitution de 1848). De même, l'ancien article 2-5 interdisait l'abattage des animaux de boucherie sans qu'ils aient été au préalable étourdis.
  • De même, le dix-huitième amendement de la Constitution américaine a interdit, en 1918, la vente ou le transport de boissons enivrantes à l'intérieur du territoire des Etats-Unis, ce qui a entraîné, on le sait, la prohibition. Devant les conséquences pires que le mal entraînées par cet excès de puritanisme, le vingt-et-unième amendement a abrogé, en 1933, cet amendement.

Dans un cas comme dans l'autre, on peut se demander si ces dispositions ont réellement leur place dans une Constitution. Mais leur insertion sous cette forme illustre, nécessairement, la volonté politique d'inscrire cette interdiction, puis la levée de celle-ci, au niveau juridique le plus élevé.

Définition formelle et définition matérielle ne se recoupent pas toujours, mais il n'est pas toujours sûr qu'il faille exclure du "texte constitutionnel" certaines dispositions au motif qu'elles sont peu importantes.

Ce sont les deux formes traditionnelles de constitution. En fait, cette distinction mérite d'être nuancée car les Constitutions coutumières ont souvent des dispositions écrites et les autres sont souvent interprétées et appliquées à la lumière de la coutume.


Elles sont aujourd'hui peu nombreuses. Mais jusqu'au XVIIIème siècle, la quasi-totalité des Etats étaient régis par une organisation coutumière, en ce qui concerne, du moins, le domaine du pouvoir politique. Les lois fondamentales du royaume, sous l'Ancien Régime, étaient par exemple des règles coutumières, comme la loi salique interdisant la succession des femmes sur le trône royal.

Parmi les grands Etats, il n'y a guère que le Royaume-Uni qui connaisse encore une Constitution coutumière. Encore cette affirmation doit-elle être nuancée. Le régime constitutionnel de ce pays contient un certain nombre de textes ou d'écrits comme la Grande Charte de 1215, la Pétition des droits de 1628, l'Act d'Habeas Corpus de 1679, qui protège les citoyens contre l'arbitraire monarchique, le Bill of rights de 1689, l'Act d'établissement de 1701 qui règle les problèmes de succession au trône et les Parliament Acts de 1911 et 1949.

Mais des règles essentielles pour le régime britannique comme le droit de dissolution de la Chambre des communes, l'obligation de nommer Premier ministre le chef du parti majoritaire, l'interdiction pour le roi de présider le Cabinet sont purement coutumières, ce qui n'empêche pas qu'elles ont une force obligatoire très forte.


Les premières constitutions écrites furent celles que se donnèrent les colonies britanniques d'Amérique pour rejeter la domination britannique, puis la Constitution fédérale de 1787.

En Europe, la Constitution polonaise du 3 mai 1791 a précédé de quelques semaines la Constitution française du 3 septembre 1791 promulguée avec la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

Les Constitutions écrites présentent de façon évidente des avantages : leur lisibilité, leur accessibilité. Leur mode d'établissement peut également être plus démocratique car le peuple est appelé à rédiger ou adopter ce texte, par une assemblée constituante ou par le référendum.

Mais ces constitutions écrites peuvent faire l'objet d'applications coutumières. Elles sont parfois ambiguës et ont besoin d'interprétations, car elles comportent nécessairement des lacunes.

Se produit alors un décalage entre la Constitution écrite et la Constitution réellement appliquée, qui correspond à des pratiques, des usages ou à l'absence d'usages.

Pour qu'il y ait coutume, il faut, de manière générale en droit, la réunion de plusieurs caractères : la même interprétation des textes constitutionnels doit, tout d'abord, être répétée sur une période relativement longue. Sinon, il s'agit d'un simple précédent, qui n'est pas une coutume. Il est nécessaire qu'existe la constance de cette attitude ou de cette interprétation.

Si les précédents divergent, la coutume ne peut devenir une règle de droit, qui a besoin d'une certaine permanence.

Il faut, ensuite, l'accord de tous les organes constitutionnels impliqués, c'est-à-dire la croyance dans le caractère obligatoire de ces règles, ce que les juristes appellent "l'opinio juris". La coutume a longtemps été niée comme source du droit constitutionnel en France mais la doctrine a évolué au cours du XXème siècle sur cette question. Il y a, en réalité, plusieurs sortes de coutumes.

  • Il existe des coutumes praeter legem c'est-à-dire « à côté de ... » qui sont interprétatives ou supplétives et qui viennent pallier les articles obscurs ou les lacunes du texte écrit. Les lois constitutionnelles de 1875 ignoraient ainsi l'existence d'un "président du conseil" ou chef du gouvernement. C'est la coutume ou la pratique qui l'ont créé, coutume qui fut consacrée ensuite par des textes (articles 45 et suivants de la Constitution de 1946).
  • Mais il existe aussi des coutumes contra legem , c'est-à-dire qui s'appliquent directement à l'encontre de dispositions claires du texte de la Constitution. La doctrine est plus réservée à l'égard de ces coutumes. Certains juristes, tels René Capitant, estimaient néanmoins que la souveraineté de la nation pouvait abroger une disposition constitutionnelle expresse, en cessant d'obéir à cette règle. Cette doctrine considère alors que la souveraineté nationale emporte tout sur son passage. C'est ce raisonnement qui fut adopté, en 1962, pour justifier le recours à l'article 11 pour réviser la Constitution, ce que le texte semblait interdire.

Mais la doctrine majoritaire, notamment Carré de Malberg selon lequel il y a incompatibilité entre constitution et coutume, n'accepte pas une telle thèse qui remet en question toute idée de document écrit et qui laisse les gouvernants modifier de leur seule volonté une règle en apparence claire en espérant que la "coutume" viendra légitimer ce phénomène. Est également posée la question de savoir si du droit peut naître de la violation du droit. Transformer cette violation en coutume revient à habiller du manteau du droit ce qui n'est au départ qu'un pur fait.

Il est vrai, en sens inverse, que la primauté des règles écrites est un phénomène récent, lié à l'existence des Etats puisque ce sont eux qui ont le monopole de l'édiction de la règle écrite. Si la règle écrite cesse d'être respectée par les gouvernants, il est logique que se forme à côté (et même contre) une règle coutumière : c'est la victoire du droit spontané sur le droit artificiel, selon la belle formule du constitutionaliste Bernard Chantebout.

Au-delà des débats théoriques, il est certain que la pratique constitutionnelle, habillée ou non du nom de coutume, joue un grand rôle dans cette matière, qui est un droit fragile, car les sanctions sont rares.

Ex.Les exemples ne manquent pas sous la Vème République, comme la transformation de l'esprit "parlementaire" en une lecture plus favorable au Président de la République, notamment du fait de l'élection du Président de la République au suffrage universel direct.

Section 3. La supériorité de la Constitution et les mécanismes de protection


Afin d'assurer sa suprématie, la Constitution doit faire l'objet d'une protection, c'est-à-dire que l'ensemble des actes inférieurs à elle doivent lui être conformes, ou du moins n'être pas incompatibles avec elle, d'où la nécessité de sanctions.

La méconnaissance de la Constitution est une tentation permanente pour tout pouvoir politique, puisque la Constitution est là précisément pour le limiter. Prévoir et organiser des sanctions est un moyen d'assurer la prééminence de la Constitution, et donc de l'Etat de droit. Le mouvement des idées s'est développé dans ce sens, depuis deux siècles environ, afin de limiter le pouvoir politique et de le contraindre à respecter la constitution. Ces dernières décennies (années pour certains pays) et encore pas partout, les sanctions juridiques prennent le pas sur les sanctions politiques.


La plus rigoureuse est la destitution des gouvernants qui ont violé la Constitution mais il n'est pas certain qu'elle soit la plus efficace.

Elle peut prendre la forme de la résistance à l'oppression, prévue mais non organisée, ce qui est déjà symbolique, dans les premières constitutions révolutionnaires.

La Constitution de 1791 confiait la garde de la Constitution « à la vigilance des pères de famille, aux épouses et aux mères, à l'affection des jeunes citoyens et au courage de tous les Français » (chap. V, titre VII, art. 8, dernier article).

La Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen range aussi à l'article 2 parmi les droits naturels et imprescriptibles, « la résistance à l'oppression ».

Cette technique sert surtout de justification a posteriori de l'action des révolutionnaires car il est difficile d'imaginer quel pouvoir pourrait admettre qu'un citoyen s'insurge contre lui. C'est ce qu'exprimait Boissy d'Anglas en l'an III quand fut examinée la question de mettre ces formules dans le texte constitutionnel : « Lorsque l'insurrection est générale, elle n'a pas besoin d'apologie, et lorsqu'elle est partielle, elle est toujours coupable ».

Mais, à côté de cette sanction inorganisée, beaucoup de Constitutions organisent des mécanismes surtout destinés à empêcher le pouvoir exécutif d'agir, car c'est lui qui est jugé le plus dangereux, puisque c'est lui qui dispose de la force. Ces procédures visent le chef de l'Etat, ou des ministres, en cas d'abus flagrant de leur part.


En Grande Bretagne et aux Etats-Unis


En France

En Allemagne
Cette procédure est connue en Grande Bretagne et aux Etats-Unis sous le nom d'"impeachment" ou mise en accusation devant la Haute Cour de Justice, qui est souvent l'une des Chambres, comme en Grande-Bretagne. L'acte d'accusation, car il s'agit d'une procédure mêlant le pénal et le politique, est dressé par la Chambre des communes et la Chambre des Lords juge le ministre. Aux Etats-Unis, dans la Constitution de 1787, le système est inspiré de la Grande-Bretagne : l'acte d'accusation est dressé par la Chambre des représentants, et le jugement est prononcé par le Sénat.Un organisme spécifique peut être constitué spécialement : c'est le cas de la France. Jusqu'en 2007, la Haute-Cour, composée de 12 députés et de 12 sénateurs pouvait juger le Président de la République en cas de haute trahison. Les ministres relèvent, depuis la réforme constitutionnelle du 27 juillet 1993, d'une Cour de justice de la République (art. 68-1 et suivants).Une juridiction ordinaire suprême du pays peut également jouer ce rôle: le Tribunal constitutionnel en Allemagne et la Cour constitutionnelle en Italie pour le Président de la République.


Ces procédés sont peu efficaces.

Ex.Aux Etats-Unis, une seule procédure avait été conduite à son terme, en 1868 contre le Président Andrew Johnson, qui a été acquitté. La même observation peut être faite à propos de M. Clinton en 1999 dont le Sénat ne reconnut pas la culpabilité. La procédure est tellement mais volontairement lourde qu'une solution politique est généralement trouvée. Le Président Nixon a démissionné en 1974 quand il a senti que le Congrès voterait l'impeachment. Cette procédure ne peut être envisagée contre un Président populaire et démagogue, et pour des atteintes mineures à la Constitution.

Parfois enfin, la défense de la Constitution (ou des institutions) est confiée au Président de la République lui-même, ou au chef de l'Etat. C'est le cas des articles 5 et 16 de la Constitution de 1958. Le Président « veille au respect de la Constitution » selon l'article 5, ou aux « institutions de République » selon l'article 16.

Ces mécanismes sont fragiles ou tellement lourds qu'ils en deviennent inefficaces. En outre, ils n'envisagent pas une violation de la Constitution par la loi ni par d'autres actes juridiques. Or, si ce sont ces violations, moins voyantes que la haute trahison, elles peuvent être les plus dangereuses et les plus pernicieuses.

Pour celles-là, il faut des sanctions juridiques.

Elles ne peuvent être instituées qu'au profit de constitutions formelles, c'est-à-dire un texte identifiable comme étant la Constitution, et a priori écrites.

Il s'agit de faire constater par un organisme approprié qu'un acte juridique édicté par une autorité publique a été pris en violation de la Constitution et n'a donc pas de force juridique.


Dans la plupart des Etats, un tel contrôle existe à l'égard des actes de l'Exécutif, ayant un caractère général et impersonnel, et baptisés du nom de règlements.

Ces actes doivent en général être conformes aux lois et donc à la Constitution, qui est la règle suprême.
  • En France et dans les pays qui ont copié le système juridique et juridictionnel français, le contrôle de légalité et de constitutionnalité des règlements est assuré par les juridictions administratives, avec à leur tête le Conseil d'Etat.
  • Dans les pays de droit anglo-saxon, ce contrôle est assuré par les juridictions judiciaires.

Le problème est plus délicat pour les lois, même si le principe de la soumission des lois à la Constitution est presque partout admis, sauf dans les pays à Constitutions souples où la révision du texte constitutionnel est aisée.

Mais, notamment dans les Etats européens, la tradition a longtemps voulu que la Parlement soit l'expression du souverain. La loi était l'expression de la volonté générale chez Jean-Jacques Rousseau. Elle pouvait « interpréter » à sa guise la Constitution et il ne pouvait être question de la contrôler, même si la lettre ou l'esprit de la Constitution étaient violés.

La tradition européenne est donc hostile à toute forme de contrôle, préférant le légicentrisme plutôt que le constitutionnalisme. En France, cette tradition a été critiquée par la majeure partie de la doctrine française sous la IIIème République qui incitait à la création d'un système de contrôle de constitutionnalité des lois et qui invitait les juridictions ordinaires à accepter les exceptions d'inconstitutionnalité (Duguit, Hauriou, notamment).

Ce légicentrisme a atteint des sommets sous la IIIème République en France car, entre autres raisons, la Constitution ne contenait aucune disposition de fond, notamment sur les droits fondamentaux, et laissait une totale liberté à la loi sur ces matières (cf.).

Cette situation explique le refus du juge administratif d'examiner l'exception d'inconstitutionnalité, dans, Arrighi, compte tenu de " l'état actuel du droit public ".


Les modalités du contrôle de constitutionnalité des lois peuvent beaucoup varier d’un pays à l’autre. Il y a cependant deux modèles, l’un dit américain, l’autre dit européen. La différence tient à la procédure par laquelle une loi est déclarée inconstitutionnelle par l’organe compétent. À partir de ces modèles, différentes variantes peuvent exister.


Dans le système américain, la recherche de la conformité de la loi à la Constitution est incident, c’est-à-dire qu’il intervient à l’occasion d’un procès, entre deux personnes, généralement privées, ayant un tout autre objet que le contrôle de constitutionnalité (la contestation de la propriété d’un bien donné, ou le refus de pratiquer l’avortement dans une clinique privée par exemple). Dans le système américain, le contrôle est exercé par l’ensemble des juridictions, à la tête desquelles se trouve la Cour suprême. Le contrôle est dit diffus, car il n’appartient pas à un seul organe ou juridiction de l’exercer, mais à l’ensemble des tribunaux. Il est exercé à l’occasion d’un procès, et c’est un contrôle par voie d’exception, car le litige ne porte pas principalement sur le problème de la constitutionnalité. Il est donc exercé a posteriori, c’est-à-dire sur des lois déjà promulguées et entrées en vigueur.

Ce mécanisme n’est pas inscrit dans la Constitution américaine, mais il est le fruit de la jurisprudence de la Cour suprême.

Une certaine tradition d’examen des lois locales des administrations, mais aussi des lois du Parlement de Londres par les juridictions coloniales des colonies britanniques en Amérique, existait avant 1776.

A partir de cette date, les constitutions de 9 des 13 Etats nouveaux et indépendants établirent un mécanisme de contrôle de constitutionnalité des lois, mais à l’intérieur de chacun des Etats, et confié à une Cour suprême de chacun d’eux.

Lors de la Convention de Philadelphie, réunie pour élaborer la Constitution de la fédération en 1787, le débat eut lieu, au sein des "Pères fondateurs” chargés de rédiger le nouveau texte, entre ceux qui voulaient transposer au niveau de l’Union la "subordination de la législation à l’autorité de la Constitution”, organisée au niveau des Etats et ceux qui rejetaient une telle institution. Etaient favorables à la mise en place d’un tel mécanisme, les "libéraux” partisans d’une fédération forte et de contrepoids aux excès de la démocratie. En face, les "démocrates” derrière T. Jefferson et T. Paine, qui étaient antifédéralistes, se méfiaient de ce qui pouvait limiter le pouvoir des Etats et donc celui des peuples, considérés au départ comme synonymes. Le compromis, destiné à ne pas effaroucher les nouveaux Etats et à faire accepter la Constitution fédérale, aboutit à consacrer un pouvoir judiciaire fort, mais non à affirmer un contrôle de constitutionnalité (art 3 de la Constitution fédérale). L’organe chargé de faire respecter cette suprématie constitutionnelle n’est pas désigné clairement dans la Constitution. En fait la Cour suprême s’est d’elle même attribuée compétence pour exercer ce contrôle par l’arrêt de 1803 Marbury c. /Madison. Il faut souligner le rôle important joué par le Chief Justice Marshall (Président de la Cour suprême) et fédéraliste convaincu. Dans cet arrêt, la Cour s’est reconnu le droit de contrôler les actes de l’Exécutif et les lois par rapport à la Constitution.

A partir de ce moment, et à l’occasion de litiges, la Cour suprême peut, par voie d’exception, quand se pose un problème d’interprétation de la Constitution, faire prévaloir la Constitution fédérale y compris les 10 premiers amendements et le 14ème qui constituent une sorte de déclaration des droits, sur toute autre norme inférieure, émanant soit d’une autorité fédérale, tels que l’Exécutif ou le Congrès, soit d’une institution fédérée.

La Cour suprême s’est peu livrée à des déclarations d’inconstitutionnalité, une centaine de fois en deux siècles pour des lois fédérales. Il faut attendre 1857 pour que la Cour Suprême déclare une loi contraire à la Constitution de 1787. La loi n’est pas annulée, mais déclarée inapplicable au cas d’espèce du fait de l’autorité relative de la chose jugée. Mais l’importance de la règle du précédent ("stare decisis") et la position hiérarchique de la Cour, dont les décisions s’imposent à toutes les juridictions subordonnées, aboutissent à priver d’effet pratique une loi déclarée par elle inconstitutionnelle. Ce mécanisme "d’exception d’inconstitutionnalité", contrôle incident soulevé à l’occasion d’un litige concret devant une juridiction ordinaire, est susceptible d’être utilisé devant le juge fédéral (si une loi fédérale est supposée contraire à la Constitution), ou fédéré (si une loi d’un Etat ne respecte pas, soit la Constitution de cet Etat, soit la Constitution fédérale). La Cour suprême peut être amenée à trancher en dernier ressort, par la voie de l’appel ou de la cassation. C’est a priori le système le plus libéral ou le plus ouvert qui soit.

Il y a deux autres mécanismes pour exercer le contrôle de constitutionnalité aux Etats-Unis : l’injonction, par laquelle un citoyen demande au juge d’interdire à un fonctionnaire d’exécuter une loi qui lui porte préjudice, parce que contraire à la Constitution et le jugement déclaratoire, qui permet à quiconque de s’adresser au juge pour lui demander de se prononcer sur une éventuelle inconstitutionnalité de la loi, avant qu’elle ne lui soit appliquée. Si la juridiction estime que la loi est inconstitutionnelle, l’administration n’en fera pas application dans le cas d’espèce. C’est une sorte de consultation juridique sur une difficulté sérieuse susceptible de déboucher sur un procès futur.

Un très sévère système de filtrage permet à la Cour d’éliminer 95 % des requêtes jugées irrecevables. Elle ne juge ainsi que quelques centaines de décisions.

Le cas américain montre la toute puissance du pouvoir judiciaire aux Etats-Unis et la grande importance de la Cour suprême qui peut parfois se substituer au pouvoir politique (cf. son opposition au New Deal de Roosevelt). On parle beaucoup de "juges qui gouvernent” ou de "gouvernement des juges".

Ce système fonctionne aussi parce qu’existe un véritable culte de la "Constitution” aux Etats-Unis, qui bénéficie de la permanence depuis 1787, à la différence de la France.



Le modèle européen est très différent. Le contrôle est confié à une Cour constitutionnelle, institution spécialisée dans le contentieux constitutionnel. Il est concentré, en ce sens qu’il n’est exercé que par une juridiction et qu’il est en général réservé à certains requérants. Cette cour est située en dehors du système juridictionnel ordinaire. Quel que soit leur nom (Cour, Tribunal, Conseil), les Cours constitutionnelles ont, en principe, le monopole du contentieux constitutionnel. Ce contentieux concerne essentiellement le contrôle des lois nationales et des traités. Les membres de la Cour constitutionnelle sont des juges non magistrats désignés par des autorités politiques. Dans la plupart des pays, ils sont choisis majoritairement parmi les professeurs de droit, les magistrats ou les avocats. Ces cours constitutionnelles sont des juridictions, en ce qu’elles disent le droit à l’occasion de litiges abstraits ou concrets et que leurs décisions sont revêtues d’une autorité de chose jugée ou d’une autorité équivalente et s’imposant erga omnes, c’est-à-dire à l’égard de tous.

Plusieurs raisons expliquent le refus du système américain en Europe.
  • Il y a tout d’abord la crainte du « gouvernement des juges ».
  • Il y a ensuite le légicentrisme, né d’une conception déformée de la séparation des pouvoirs.
  • La souveraineté des Parlements dans beaucoup de pays, au nom là aussi de l’application de la théorie de la séparation des pouvoirs, la complexité des deux ordres juridictionnels (judiciaire et administratif) sont d’autres raisons de l’impossibilité d’une Cour suprême.
  • Il ne faut pas négliger non plus une certaine hostilité à l’égard des Etats-Unis ni une incompréhension d’un droit pragmatique et anglo-saxon.

Les pays européens se sont mis tard au contrôle de constitutionnalité, avec un système destiné à rendre la loi inapplicable à l’égard de tous (erga omnes), avant même qu’elle ne produise des effets ou après son entrée en vigueur. Le "modèle américain" a été théorisé à partir d’une pratique, tandis que le modèle européen est le résultat d’une construction théorique, celle de Kelsen, car le contrôle de constitutionnalité est nécessaire au maintien de la pyramide des normes.

On trouve les prémisses de cette théorie, avant la lettre, en France, avec le "Jurie constitutionnaire" de Sieyès, en thermidor an III (1795). Cette proposition fut rejetée, car ce jury aurait disposé en définitive de tous les pouvoirs. Le Tribunal d’Empire dans la Constitution autrichienne de 1867 ou même le Tribunal des garanties constitutionnelles dans la Seconde République espagnole en 1931 constituent d’autres précédents.

Mais Hans Kelsen est à l’origine, en 1920, de la création, dans la Constitution autrichienne, de la Haute Cour constitutionnelle. Les premiers membres étaient élus à vie, afin d’assurer leur indépendance (gouvernement des sages ?) mais une révision constitutionnelle en 1929, afin de déconsidérer la Haute Cour, a fait nommer tous ses membres par l’Exécutif, ce qui entraîna la démission de Kelsen. La Haute Cour disparut avant même l’occupation allemande de 1938. C’est la fin de la guerre et des régimes totalitaires en Europe qui a entraîné le retour de Cours constitutionnelles de type kelsénien avec un contrôle de constitutionnalité, dont l’objet est essentiellement de protéger les droits fondamentaux contre des régimes autoritaires, au nom de la démocratie. Ce mouvement s’oppose ainsi aux intentions réactionnaires du début du XXème siècle.

Le modèle européen n’est pas aussi simple et pur que cela. Il y a eu ainsi plusieurs vagues de juridictions constitutionnelles (en dehors de la France, étudiée dans un autre cours) et une très grande diversité des situations.
La première génération

La deuxième génération

La troisième génération

La première intéresse l’Autriche, et l’Allemagne avec le Tribunal constitutionnel fédéral allemand. (Loi fondamentale du 23 mai 1949, titre IX) marque la fin du nazisme et le rejet du communisme. La Cour de Karlsruhe en Allemagne intervient pour garantir le respect des compétences fédérales et des Länder, pour protéger les pouvoirs publics fédéraux entre eux, afin d’empêcher les empiétements réciproques, pour protéger les droits fondamentaux des citoyens et pour sauvegarder l’ordre démocratique et libéral constitutionnel. Il a ainsi une place considérable dans la vie politique et juridique allemande. Il peut être saisi par les citoyens contre des lois ou des actes des autorités de l’Exécutif. Relève aussi de cette catégorie la Cour constitutionnelle italienne (Constitution du 27 décembre 1947). Elle ne se prononce pas seulement sur les lois, mais aussi sur les actes des régions. Elle exerce un contrôle abstrait mais aussi un contrôle incident par renvoi préjudiciel des tribunaux ordinaires, à l’occasion d’un litige.La deuxième génération concerne des juridictions nées souvent aussi après des périodes de dictature, avec le Tribunal constitutionnel espagnol, créé pour restaurer l'Etat de droit en Espagne (Constitution du 27 déc. 1978) ou le Tribunal constitutionnel portugais créé en 1982. Le Tribunal espagnol est sans doute la juridiction la plus proche du modèle théorique européen. Il joue aussi un rôle important dans la répartition des compétences entre l'Etat et les communautés autonomes en cas de conflit relatif à leurs compétences respectives. Il a un rôle dans la protection des droits fondamentaux. Le Tribunal peut être saisi a priori ou a posteriori, tout tribunal ordinaire pouvant renvoyer, sans condition de délai, au Tribunal constitutionnel toute question d'inconstitutionnalité soulevée à l'occasion d'un litige.La création de Cours constitutionnelles dans les pays anciennement soumis à l'Union soviétique, après 1989, permet d'envisager une troisième génération de juridictions constitutionnelles. On voit que la France, avec la création du Conseil constitutionnel en 1958 échappe à ce phénomène et que la naissance d'une juridiction constitutionnelle ne doit rien à une quelconque influence du droit comparé, mais plus à l'histoire constitutionnelle française.


Le Tribunal constitutionnel espagnol est probablement la juridiction qui représente le mieux ce que l’on appelle le modèle européen. S’inspirant des précédents allemands, français et italien, ce tribunal joue un rôle essentiel dans la protection des droits fondamentaux. Il peut être saisi a priori ou a posteriori, tout tribunal ordinaire pouvant renvoyer, sans condition de délai, au Tribunal constitutionnel toute question d’inconstitutionnalité soulevée à l’occasion d’un litige. Il joue aussi un rôle important dans la répartition des compétences entre l’Etat et les communautés autonomes en cas de conflit relatif à leurs compétences respectives.

Cependant, les mécanismes du contrôle de constitutionnalité sont différents selon les cours.

En ce qui concerne le contrôle de la constitutionnalité des lois, plusieurs distinctions sont possibles. Le contrôle abstrait est un contrôle indépendant d’un autre litige, c’est un procès fait à un acte, la loi. Il est en général déclenché par une autorité politique. Le contrôle concret des normes est opéré à propos d’un litige conditionné par la régularité de la loi applicable. Il est en général opéré par renvoi, ou question préjudicielle, de la juridiction chargée de juger le litige à la Cour constitutionnelle. Le contrôle a priori est un contrôle opéré avant que la loi ne soit applicable dans l’ordre juridique. Le contrôle a posteriori est un contrôle qui peut être opéré sur la loi à tout moment, alors que la loi est applicable. Enfin, certains mécanismes particuliers sont organisés. Ainsi, en Allemagne, en Autriche et en Espagne, des recours permettent aux particuliers d’intervenir devant la Cour, lorsqu’ils jugent leurs droits fondamentaux lésés, et à cette occasion, le juge constitutionnel pourra être conduit à apprécier la constitutionnalité de la loi.

  • Certaines cours interviennent essentiellement pour assurer un contrôle abstrait ou concret de la loi en tant que telle (en Autriche, en France pendant longtemps, jusqu'à l'intervention de la révision de 2008, par exemple). L’activité essentielle de ces Cours constitutionnelles consiste à opérer un contrôle de constitutionnalité, tel qu’il a été organisé, d’abord, en Autriche, à la suite des analyses de Kelsen et qui résulte de l’affirmation selon laquelle la Constitution contient non seulement des règles relatives à l’organisation et au fonctionnement des pouvoirs publics, mais aussi un catalogue de droits fondamentaux. La garantie de la Constitution repose principalement sur la possibilité d’annulation des actes qui lui sont contraires. Il revient ainsi à un organe différent du Parlement et indépendant de lui et de toute autre autorité étatique d’annuler des actes inconstitutionnels. Cet organe ne peut être qu’ une juridiction ou un tribunal constitutionnel.
  • D’autres cours, notamment, en Allemagne, en Italie, ou encore en Espagne, interviennent également pour contrôler la constitutionnalité de l’application de la loi, en permettant aux particuliers d’intervenir devant elles. C'est aussi ce qu'a réalisé la révision constitutionnelle de 2008 en France qui a introduit la QPC, ou Question Prioritaire de Constitutionnalité, mélange d'exception d'inconstitutionnalité et de question préjudicielle. On notera cependant qu’il s’agit de tendances et que l’évolution globale du contentieux constitutionnel conduit, avec des différences sensibles selon les Etats, à un développement de ce dernier type de contrôle.
  • Tel est aussi le cas de la Frahce qui a introduit, lors de la révision constittionnelle du 23 juillet 2008, un contrôle a posteriori à côté, ou en plus, du contrôle a pirori qui existait jusqu'à cette date (article 61-1 de la Constitution). Ce contrôle reste confié au seul Conseil constitutionnel et porte le nom de APC (ou question prioritaire de constitutionnalité). A l'occasion d'un litige en cours devant une juridcition judiciaire ou administrative, une telle question peut être soulevée par un justiciable, s'il estime qu'une disposition législative est susceptible de méconnaître un droit ou une liberté que la Constitution garantit. La juridiction doit en examiner notamment le caractère applicable au litige et sérieux, avant de la transmettre dans les plus brefs délais à la juridiction suprême de son ordre jurdicitionnel, soit la Cour de cassation soit le Conseil d'Etat.  Ces deux juridictions disposent d'un délai de trois mois avant de décider de renvoyer  ou non la QPC au Conseil constitutionnel qui a, lui aussi, le même délai de trois mois pour statuer. Dans le cas où la disposition est contraire à la Constitution, elle est abrogée, soit au jour de la décision, soit dans un délai, rarement supérieur à un an, que le Conseil constitutionnel fixe discrétionnairement. Si la France a mis en place un contrôle a posteriori, le modèle du contrôle reste concentré en ce qu'il est confié au Conseil constitutionnel.   





Rq.Analyse comparée : Pouvez-vous expliquer les différents modes de contrôle de constitutionnalité (US et Europe). En quoi ces modèles sont diffus ou concentrés ?
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