Commentaire
Sauf à considérer les micro-Etats, le peuple ne peut pas rédiger lui-même la constitution. Pour des raisons techniques, d’abord : c’est impossible de faire rédiger un document, dans des délais raisonnables, par plusieurs millions d’électeurs (voire davantage encore si l’on considère les habitants). Pour des raisons politiques ou philosophiques, ensuite : les gouvernants se réservent en général la rédaction de la constitution (via un comité d’experts, par exemple : la Vème République française) tout en y associant parfois le peuple (via une adoption du projet de constitution par référendum, par exemple). Et ceci, sans que cela nuise nécessairement au caractère démocratique de la constitution.
Les citoyens peuvent être amenés par référendum à adopter la Constitution (ex. Vème République). Mais en amont de l’écriture de la future constitution, les citoyens peuvent d’ores et déjà fixer un cadre que devra respecter le constituant – quand bien même celui-ci serait constitué des représentants que les citoyens ont précisément élus pour écrire la future constitution. Dans l’histoire constitutionnelle française, la Constitution de la IVè République illustre d’une certaine manière ce processus : lors du référendum d’avril 1946, les électeurs ont voté majoritairement contre le projet de constitution. Une nouvelle assemblée constituante a alors été élue pour rédiger un nouveau projet de constitution qui tirait en partie les enseignements du scrutin d’avril. Ce second projet de constitution a été adopté par référendum en octobre 1946.
Ce sont généralement les représentants du peuple qui révisent la constitution au nom de celui-ci. Toutefois l’intervention directe des électeurs peut être prévue dans le processus de révision constitutionnelle. Ainsi, l’article 89 de la Constitution de la Vème République consacrée à la procédure de révision prévoit une procédure dite « normale » : les chambres adoptent dans les mêmes termes un projet ou une proposition de loi constitutionnelle qui est ensuite soumise au référendum pour adoption définitive. Ce même article prévoit également une seconde procédure, dite « exceptionnelle », selon laquelle l’adoption définitive est assurée, non par le peuple lui-même, mais par ses représentants (députés et sénateurs) réunis dans un nouvel organe spécialement à cet effet, le Congrès du Parlement. En pratique, sur les 24 révisions de la constitution adoptées depuis 1958, 22 l’ont été dans le cadre de l’article 89C (car l’une l’a été par l’article 85C aujourd’hui supprimé, et l’autre via la procédure controversée de l’article 11C) dont une seule selon la procédure « normale », procédure recommandée pourtant par la constitution, la procédure faisant intervenir directement le peuple.
A priori, la constitution étant la norme fondamentale, elle s’impose à tous, elle s’impose aux corps institué par elle ou sur son fondement. Au contraire, le peuple a ceci de particulier qu’il est à la fois un organe institué et le souverain. A priori, il est ainsi soumis, comme tout organe institué, aux règles posées par la constitution. En matière constitutionnelle, il ne peut donc intervenir que dans le seul cadre prévu par la constitution (ex. cadre posé par l’art. 89C pour la Vème République). Toutefois, sous la Vème République, deux référendums comportant des modifications de la constitution ont été organisés à l’initiative du Général de Gaulle (1962 ; 1969), non dans le cadre de l’article 89C dédié à la procédure de révision, mais sur la base de l’article 11C (prévoyant selon de nombreux interprètes un référendum législatif). En 1962, les Français votent majoritairement en faveur du texte proposé, et au contraire en 1969 ils votent majoritairement contre. Ont-ils voté contre les dispositions proposées (régionalisation, réforme du Sénat)? Contre la procédure référendaire hors article 89C? Peu importe. Aucun des successeurs du Général de Gaulle n’a à ce jour eu recours à l’article 11C pour réviser la constitution, considérant que l’échec de 1969 faisait obstacle au recours au référendum de l’article 11C pour réviser la constitution.