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L'Etat et le pouvoir politique





Pour qu'il y ait droit constitutionnel, il faut qu'il y ait un pouvoir politique organisé. Dans la plupart des pays qualifiés de "modernes", l'Etat est le cadre du pouvoir politique, ou l'institutionnalisation du pouvoir politique.

L'Etat est la forme habituelle, dans les sociétés dites développées, de l'organisation du pouvoir politique. Il est le cadre à l'intérieur duquel naissent et se développent les règles constitutionnelles. Les Etats sont de plus en plus nombreux au monde, dans la société internationale (51 Etats à l'ONU en 1945, 193 à l'heure actuelle avec le Sud-Soudan depuis 2011 qui est le dernier Etat membre, après la proclamation de son indépendance avec le Soudan).

Le mot "Etat" a en réalité plusieurs sens, ce qui complique sa définition, d'autant que l'Etat est une forme historique et contingente qui correspond à un certain degré de développement de la civilisation occidentale. Il est né dans la Rome antique, à la suite des « cités » antiques, et s'est en partie effondré après les invasions et malgré Charlemagne. Il a ressuscité au moment de la Renaissance et aux XVIème et XVIIème siècles. La théorie socialiste (et marxiste) le vouait à la disparition, car il est le symbole de l'oppression d'une classe sur une autre. Il ne devait plus exister dans une société sans classes, ce que n'étaient pas encore, à leur stade de développement, les « pays socialistes » fonctionnant sur le modèle soviétique. Même si la disparition de l'Etat n'est pas vraiment à l'ordre du jour, l'histoire montre que des sociétés ont pu vivre sans Etat.

Etymologiquement, le mot « Etat » vient du latin « stare », qui signifie « se tenir debout ».

  • La première signification du mot, qui correspond à une manière d'être, est l'apparence d'un être ou d'une situation, comme dans les expressions « je suis dans tous mes états », ou « l'état de mes finances est calamiteux ...»
  • Le deuxième sens définit une manière d'être mais avec, en plus, un statut juridique particulier, comme au Moyen Age et sous les Temps modernes: l'état juridique vise alors un groupe. L'expression « état » (ou Etats) se retrouvent ainsi dans les Etats généraux, sens que l'on retrouve dans l'expression « le Tiers-Etat ».
  • Le troisième sens est clairement tiré du second: l'Etat est la manifestation du pouvoir politique et désigne ceux qui exercent ce pouvoir politique et il prend alors une majuscule. On saisit bien l'abstraction de cet Etat, comme dans les expressions « chef de l'Etat », ou « représentant de l'Etat », car l'Etat a besoin de symboles extérieurs pour exister dans les Etats modernes. Ces derniers se distinguent alors des Etats monarchiques anciens (c'est-à-dire d'Ancien Régime) dans lesquels Louis XIV pouvait proclamer « L'Etat, c'est moi », assimilant sa personne et le pouvoir. L'Etat moderne a perdu cette identification physique ou matérielle.


L'Etat selon ce troisième sens se définit par des éléments, qui sont au nombre de trois (Section I). Il peut revêtir aussi des formes particulières et diverses (Section II). La République française, tant dans l'histoire que sous la Constitution de 1958, a été longtemps le prototype de l'Etat unitaire (Section III).


Section 1. Les éléments constitutifs de l'Etat



Le droit international et le droit constitutionnel définissent l'Etat par trois éléments constitutifs que sont un territoire, une population et une organisation politique qui exerce l'autorité de façon souveraine, c'est-à-dire qui n'est pas obligée de tenir compte d'autres règles que les siennes, sinon celles du droit international, qui sont, la plupart du temps, assez peu assorties de sanctions.

Le troisième élément se confond parfois avec l'Etat en général.
  • De ce fait, l'Etat a alors un sens large, qui correspond aux trois éléments précités et un sens plus étroit qui correspond au pouvoir politique central qui sera alors opposé, par exemple en France aux collectivités territoriales, ou qui sera synonyme de "gouvernement" comme dans les relations diplomatiques où il est souvent question du "Gouvernement français" pour désigner la République française.
  • L'Etat en tant que pouvoir politique est enfin, de façon plus récente, opposé à la "société civile", qui serait composée des individus et groupements de droit privé et de corps intermédiaires. L'Etat dans ce dernier sens est synonyme de puissance publique, opposée au monde des entreprises ou des « partenaires sociaux ».



Le territoire est la partie de l'espace géographique qui "appartient" à l'Etat, qui relève de cet Etat. C'est l'espace sur lequel l'autorité politique va exercer son pouvoir. Sans territoire, le pouvoir de l'Etat ne peut s'exercer. Un Etat sans territoire en est-il encore un ? C'était pendant longtemps le problème palestinien ou celui des "Etats" en exil à la suite d'une guerre. Cet espace est délimité par des frontières.

  • Le territoire peut être constitué de plusieurs entités avec des solutions de continuité : c'est le cas des archipels, de la France avec les Départements d'outre-mer et les collectivités d'outre-mer, des Etats-Unis avec l'Alaska et les îles Hawaï. Cette discontinuité peut être source d'éclatement : c'était le cas avec les deux parties du Pakistan, séparées par 16 00 km, avant la création du Bangladesh en 1971.

  • Certains Etats sont enclavés en totalité dans un Etat étranger comme Saint Marin, le Vatican, sans parler de parties d'Etat enclavé dans un autre comme le Haut-Karabagh, une région de Transcaucasie enclavée en Azerbaïdjan qui a déclaré son indépendance et réclame son rattachement à l'Arménie. La communauté internationale ne reconnaît pas l'indépendance du Haut-Karabagh et considère qu'il fait partie de l'Azerbaïdjan. C'est aussi le cas de la région de Kaliningrad, qui relève de la Fédération de Russie et qui forme une enclave russe entre Pologne et Lituanie.

  • La taille des Etats importe peu dans la définition : il existe des micro-Etats comme Monaco, Saint Marin, ou le Lichtenstein ou des Etats gigantesques comme la Russie, le Canada ou la Chine. Monaco est le plus petit Etat de l'ONU avec 2,5 km² et la Cité du Vatican, qui n'est pas membre de l'ONU, ne compte que 700 habitants.

Face au danger des revendications territoriales, causes fréquentes des guerres, beaucoup de constitutionnalistes posent le principe de son intangibilité et interdisent aux pouvoirs publics de consentir à des abandons de territoire. On peut remarquer que ce n'est pas le cas de la France, avec l'article 53 al 3 de la Constitution de 1958, qui prévoit la possibilité de cession, mais aussi d'adjonction, de territoires.



Le territoire, sur le plan juridique, ne comprend pas seulement la surface mais aussi le sol et le sous-sol.

  • En outre, le territoire n'est pas seulement terrestre : les Etats étendent de plus en plus leur souveraineté sur l'espace maritime, avec des compétences identiques à celles exercées sur le territoire terrestre. C'est le cas de la mer territoriale (12 mille marins à l'heure actuelle, 1 mille équivalant à 1 852 m) et de la zone économique exclusive qui englobe le plateau continental sur lequel repose le territoire (ou mer patrimoniale). Pour la France, le "territoire" maritime représente donc 188 milles marins (c'est-à-dire 348 173 m ou 348 km). L'exploitation de la mer prime sur les considérations liées à la navigation, pour des raisons économiques telles que la pêche, le pétrole et autres richesses sous-marines.Ainsi l'étendue minimale de la souveraineté maritime de l'Etat riverain est fixée à 200 milles nautiques, c'est-à-dire 12 plus 188 milles. Au delà s'étend la haute-mer, ouverte à tous les Etats, riverains ou non, en vertu du principe de liberté, notamment celle de la navigation.
  • La souveraineté concerne aussi l'espace aérien qui surplombe ainsi l'Etat, c'est-à-dire l'atmosphère au-dessus du territoire terrestre et de l'espace maritime. En est exclu l'espace extra-atmosphérique qui reste libre.


Il ne peut y avoir d'Etat sans population, c'est-à-dire un groupe humain, d'individus sédentaires, rattachés à un Etat.

Cette population a longtemps été confondue avec la nation.

Celle-ci peut être définie comme un groupement humain dans lequel les individus se sentent unis les uns aux autres par des liens à la fois matériels et spirituels, et qui se conçoivent (ou se perçoivent) comme différents des individus qui composent les autres groupements nationaux.

Le concept de nation a revêtu plusieurs sens : deux définitions se sont développées, l'une d'inspiration allemande, l'autre de conception française, et ces conceptions furent d'une certaine façon à l'origine des guerres des XIXème et XXème siècles.

  • La conception allemande est objective : la nation est le résultat d'éléments objectifs et subit l'influence du déterminisme. En font partie la géographie, d'où l'idée de frontières naturelles, la langue qui veut que tous les germanophones soient englobés dans cette nation, y compris s'ils vivent dans les Sudètes, en Belgique ou en Alsace, la religion, l'idéologie et même la race. Cette conception a connu son apogée sous le IIIème Reich, à partir de 1933. La nation s'identifie alors à la race et conduit ainsi à l'élimination - par l'exode ou par la mort - de tous les non-nationaux, c'est-à-dire de ceux qui n'appartiennent pas à la même race.Les génocides anciens ou modernes relèvent aussi de cette vision.
    Le conflit yougoslave survenu en 1991, né de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie, a été une illustration plus récente du "concept" de purification ethnique.

  • La conception française, inspirée par les travaux des historiens comme Fustel de Coulanges et Renan, fait rentrer, à côté de ces éléments objectifs, la volonté de vivre ensemble, ou selon Renan un " vouloir-vivre collectif ", ce qui correspond à des éléments subjectifs. La nation se forge alors par différents facteurs, faits notamment de souvenirs communs, bons ou mauvais, comme les guerres, ou les victoires sportives (cf. la fête nationale, l'hymne national)! En font partie aussi la communauté d'intérêts économiques, le sentiment de la parenté spirituelle comme se sentir français ou suisse ou américain : le salut au drapeau tous les matins est une façon d'inculquer ce "sentiment national". La nation dépasse aussi les individus vivants, et elle unit les générations passées et celles à venir. La nation se rapproche alors de la patrie.

Ce sentiment "subjectif" peut naître aussi de conquêtes qui "imposent" la nation à des territoires qui n'étaient pas nationaux, comme le montrent les exemples des colonisations européennes ou la conquête de l'Ouest américain.

Ce « sentiment national » se construit souvent par rapport à d'autres groupes, par un sentiment de différences avec d'autres groupes ou nations, ce qui peut conduire à l'exclusion. L'unité nationale se fait souvent contre les autres nations. Il peut aussi de cette manière être facteur de guerres.

L'unité de la nation, qu'elle soit objective ou subjective, conduit à assimiler l'Etat et la nation, avec le concept d'Etat-nation, parce que cette nation doit s'incarner dans une « réalité juridique ». Cette identification n'est pas toujours réalisée et a été, là encore, facteur de conflits.

En Europe, les nations ont souvent précédé l'Etat qui a pu servir à concrétiser politiquement et juridiquement la nation : l'Etat italien, l'Etat allemand ont suivi l'émergence de la nation italienne ou allemande. Mais en France, il est fréquent de dire que l’Etat a précédé la nation. C'est lui qui a progressivement forgé la nation, autour des Rois de France puis de la République. Il en est peut-être de même dans les Etats africains nés de la décolonisation et qui ont dû parfois créer une « nationalité », à partir de frontières imposées par le colonisateur.

Se pose alors la question de savoir si toute nation doit avoir un Etat.

Le principe des nationalités, développé à partir de la Révolution française, selon lequel toute nation a droit à devenir un Etat, traduit une réponse positive et rejoint l'idée de « souveraineté nationale ». Napoléon a contribué à propager cette idée nationale dans ses conquêtes. Ce principe fut combattu au moment du traité de Vienne de 1815 par les vainqueurs de la Sainte Alliance. Il renaît en 1848 avec les révolutions de cette époque.

Le traité de Versailles de 1919 développe ce thème en Europe centrale et orientale. La carte de l'Europe est refaite sur cette base.

Ce principe a pris la forme nouvelle du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, inscrit dans la, au paragraphe 2 de l'article 1er, et dans le Préambule de la Constitution française de 1958 à l'alinéa 2, ce qui peut entraîner une modification possible du territoire national.

Ce droit a joué un grand rôle dans le mouvement de décolonisation de l'après Seconde Guerre mondiale sous la forme du droit à l'autodétermination.

  • Si la nation a souvent précédé l'Etat, la nation ne correspond pas toujours à l'Etat. La nation peut être écartelée entre plusieurs Etats, et être découpée par des frontières étatiques mais non nationales.
    • Ce fut le cas de l'Allemagne écartelée de 1945 jusqu'en 1990 entre deux Etats, la République démocratique allemande et la République fédérale allemande.
    • C'est encore le cas des deux Corée ou de la nation kurde éclatée entre la Turquie, l'Irak, l'Iran et la Syrie.
    • Il existe aussi beaucoup d'exemples en Europe centrale, avec les minorités hongroises dans d'autres pays comme la Roumanie et la Slovaquie. La « nation » basque est également partagée entre l'Espagne et la France.
  • En sens inverse, des Etats peuvent aussi regrouper plusieurs nations et l'on parle alors d'Etats bi ou multinationaux. Ce fut le cas de l'Empire austro-hongrois jusqu'en 1918, de la Tchécoslovaquie jusqu'en 1991 et de l'URSS jusqu'en 1991. De façon moins radicale, le Canada et la Belgique contemporaine se trouvent dans cette situation.





Rq.Il est à noter que la population d'un Etat comprend aussi des étrangers : un Etat n'a pas seulement à gérer ses "nationaux" ou ses ressortissants, mais aussi des "étrangers" qu'il doit "administrer", et qui sont précisément des administrés et non des citoyens, mais qui ont certains droits, comme le droit de saisir une juridiction, ne serait-ce que si on leur refuse la qualité de réfugié par exemple, ou le droit de se faire soigner.
L'Etat ne se confond donc pas totalement avec la nation, ni même avec ses nationaux.

La "nationalité" unit d'ailleurs l'Etat aux personnes, avec en général comme conséquence, la citoyenneté, c'est-à-dire le droit de participer à la vie politique de l'Etat. L'article 88-3 de la Constitution inséré dans la Constitution française en 1992 dissocie cependant la nationalité et la citoyenneté pour les élections locales - municipales, en instituant le concept de citoyenneté de l'Union européenne. Cet article se présente comme une dérogation à l'article 3 qui affirme bien le lien entre la nationalité et la citoyenneté.

L'Etat a deux caractéristiques juridiques :
  • La première considère que le pouvoir exercé dans l'Etat est souverain, aussi bien à l'égard des autres Etats qu'à l'intérieur du territoire.
  • La seconde assimile l'Etat à une personne juridique identifiable par le biais de la théorie de la personnalité morale.


Sur la population de ce territoire, l'Etat doit exercer une autorité politique exclusive, appelée souveraineté.

Celle-ci implique la négation de toute entrave, de toute subordination à l'égard d'autres Etats, en dehors des limitations librement acceptées, comme les limitations de souveraineté dans le cadre de l'Union européenne, du fait de notamment la politique monétaire commune. Cette acceptation volontaire se distingue de la situation des protectorats qui existaient du temps de la colonisation. L'Etat dispose ainsi de la "compétence de sa compétence" selon la formule du juriste allemand Jellinek. La souveraineté est liée à l'idée d'Etat.

Jean-Jacques Rousseau

Mais cette souveraineté est ambiguë, car elle s'exerce au dehors et au dedans du territoire: on distingue alors la souveraineté dite extérieure, ou de l'Etat, et la souveraineté intérieure ou dans l'Etat. Mais dans un cas comme dans l'autre, on peut appliquer la définition de Jean-Jacques Rousseau selon lequel « Il est de l’essence de la puissance souveraine de ne pouvoir être limitée : elle peut tout ou elle n’est rien » (« Lettre écrites de la montagne »).


Jean Bodin

La souveraineté de l'Etat a été dégagée par Jean Bodin, en 1576, dans « De la République » pour qui souveraineté signifie indépendance absolue. Il s'agissait de protéger l'indépendance de la Couronne française vis-à-vis du Saint-Siège et du Saint Empire romain-germanique : l'Etat souverain est affranchi de tout autre pouvoir. Cette souveraineté est absolue, perpétuelle et indivisible. Mais cette définition est essentiellement négative, sous la forme de souveraineté-indépendance par rapport à une autre puissance, car elle se définit par rapport à d'autres souverains.


La souveraineté de l'Etat se manifeste aussi par des signes extérieurs, parce que l'Etat est le seul à détenir certains signes, ou marques de souveraineté selon Bodin : le droit de faire la loi, de rendre la justice, de battre monnaie, et de lever une armée.

L'Etat exerce ainsi une compétence à l'égard d'une population sur un territoire donné.

La souveraineté comprend donc le pouvoir d'édicter des règles de droit, ou normes juridiques, sans se soucier d'autres règles juridiques qui seraient extérieures ou supérieures. L'Etat rédige ainsi la Constitution, les lois. C'est le pouvoir d'édicter librement des règles, c'est-à-dire avoir la compétence de ses compétences

Se pose alors une question essentielle mais difficile à résoudre sur le plan seulement juridique : comment l'Etat ou le pouvoir politique peut-il être soumis au droit puisque c'est lui qui l'a créé ? Une conception absolue de la souveraineté conduit à penser que l'Etat, souverain, ne peut être soumis à des règles qu'il a lui-même créées.

Pour combattre cette conception, plusieurs doctrines ont été avancées :

  • La théorie du droit naturel ou jus-naturalisme, qui s'oppose au droit positif, considère qu'il y aurait un droit préexistant, constaté et non pas créé, en dehors des lois de l'Etat, et fondé sur la raison et idéal, et qui s'impose à l'Etat, quel qu'il soit, où qu'il soit et à n'importe quelle époque.
Ex.Cette théorie est illustrée dans le mythe d'Antigone qui oppose les lois justes et les lois injustes. Le droit naturel peut justifier la désobéissance s'il y a des lois injustes. Pour Aristote, la Nature est la Raison. Il est très facile, sur le terrain métaphysique, de remplacer la Nature par Dieu. Il existe cependant une difficulté sérieuse pour cerner le contenu de ce droit naturel. En outre, s'il y a un droit naturel, la souveraineté n'est plus illimitée
  • Une autre théorie est celle de l'autolimitation : l'Etat consent à se lier lui-même en posant la règle en application de l'adage latin « patere legem quam fecisti » ou « respecte la règle que tu as faite ». Cette théorie pose la question des garanties face à l'Etat. L'autolimitation est-elle en outre éternelle et peut-on dépendre du seul bon vouloir de l'Etat ?

Les réponses ne sont pas strictement juridiques et elles sont sûrement politiques : l'évolution des sociétés et des Etats conduit néanmoins vers moins d'absolutisme et d'arbitraire.

C'est une évolution récente, fragile, qui est loin d'être universelle. C'est toute la fragilité de ce qu'il est convenu d'appeler, selon une formule traduite de l'allemand « l'Etat de droit » qui impose que l'Etat soit lui-même soumis au droit.

Ce pouvoir de l'Etat apparaît aussi comme un pouvoir de contrainte organisée. Il possède le monopole de la force organisée pour faire respecter ses décisions mais aussi pour faire respecter les règles que les citoyens ont créées entre eux. Afin de faire respecter les contrats, par exemple, les particuliers doivent s'adresser à l'Etat et ne pas avoir recours à la force privée, car il n'y a pas de droit de se faire justice à soi-même. Même les règles de droit privé sont ainsi, dans cette conception, sanctionnées par l'Etat.

Ce pouvoir de contrainte doit être accepté par les gouvernés, ce qui pose alors la question de la légitimité. Il faut que la volonté du pouvoir soit unie à la confiance des gouvernés.

Cette théorie politique naît au Moyen Age, se développe au XVIème siècle, puis s'épanouit au XVIIIème et avec les révolutions anglaise du XVII siècle et française de 1789.

Sans consentement, le pouvoir politique se confond avec le règne de la force. La légitimité est une notion abstraite, qui repose sur l'idée de consensus et de croyance: si le pouvoir est pensé comme légitime, il est accepté, ainsi que ses lois, considérées comme légitimes et justes. Lorsque cette croyance disparaît, le fossé peut se creuser entre la légitimité et la légalité. Le régime de Vichy, entre 1940 et 1944, a illustré cette dissociation. Il a fallu l'ordonnance du 9 août 1944 sur le rétablissement de la légalité républicaine pour retrouver une adéquation retrouvée entre légalité et légitimité.

La légitimité a un côté « magique » et irrationnelle. Elle se confond, dans les sociétés anciennes, avec le charisme, ou avec la convergence des aspirations du groupe social avec les objectifs du pouvoir. De manière plus moderne, la légitimité est synonyme d'un certain nombre de valeurs communes qui constituent la charpente de l'ordre social, c'est-à-dire la société dans son ensemble, et aussi de l'ordre politique.

Le pouvoir politique, conçu comme le troisième élément de définition de l'Etat au sens large, est assimilé à la puissance publique.

Or, par une difficulté de langage préjudiciable à la bonne compréhension, cette puissance publique est souvent qualifiée d'Etat. Le même mot désigne donc l'ensemble et un élément de l'ensemble. Le même terme peut donc avoir plusieurs sens.

L'Etat - au sens de puissance publique - a des caractéristiques juridiques et il est présenté comme une organisation dotée de la personnalité morale. On dit aussi que l'Etat est une personne morale, qui est distincte de la personnalité physique.

En tant que telle, l'Etat est une collectivité organisée : c'est une entité abstraite, distincte de la personne de ceux qui parlent en son nom. La personnalité morale est conçue pour donner une existence juridique et une capacité juridique à des groupements d'individus qui poursuivent un but identique.

La personnalité morale existe en droit privé, sous la forme de sociétés, ou d'associations.

Elle existe aussi en droit public, au profit de l'Etat et d'autres personnes publiques, ou personnes morales de droit public, comme les collectivités territoriales ou les établissements publics. La personnalité morale est une abstraction mais elle permet d'expliquer certaines caractéristiques juridiques de l'Etat qui distinguent l'Etat de la personne de ses dirigeants, comme l'illustre la formule de l'Ancien Régime « Le roi est mort, vive le Roi ».

L'Etat est engagé par ses décisions, quels que soient les hommes au pouvoir. Cela sera vrai aussi pour les autres pouvoirs publics, comme les collectivités territoriales. Les gouvernants ne sont pas propriétaires de leurs fonctions, ils en sont titulaires, ou investis.

Le patrimoine des gouvernants est ainsi distinct du patrimoine de l'Etat. L'expression « locataire de l'Elysée » est parfois utilisée pour désigner cette occupation temporaire du pouvoir par le président de la République, même s'il y a abus de langage d'ailleurs quant à l'emploi du mot « locataire ».

Cette conception moderne s'oppose à une conception "patrimoniale" de l'Etat, qui est héritée de la féodalité : les attributions publiques étaient considérées comme une propriété susceptible d'être vendue, selon le système de la vénalité des offices. Il existe encore à l'heure actuelle des charges publiques pour certaines professions, comme les notaires. La conception moderne remonte à 1789, puisque sous l'Ancien Régime les biens publics du roi étaient confondus avec les choses publiques telles que les routes, ou les fleuves navigables. Le Trésor public, c'est-à-dire les ressources de l'Etat, se confondait avec la cassette du souverain. Pour se protéger contre cette confusion, la règle de l'inaliénabilité du domaine du royaume a été posée en 1566 par l'édit de Moulins afin de protéger ces biens du royaume utiles à la collectivité et qu'il fallait distinguer des biens privés du monarque.

En même temps, la personnalité morale explique que l'Etat en tant qu'entité, puisse posséder des biens, contracter, engager sa responsabilité, comme une personne physique. Il peut aussi être engagé en justice.

La personnalité morale permet d'expliquer la permanence de la puissance publique, par delà les individus et les élections.

La théorie de la personnalité morale, difficile à justifier sur le plan théorique, a des implications pratiques nombreuses et utiles pour la suite des études juridiques.


Section 2. Les différentes formes d'Etats

Il existe plusieurs sortes de classifications des Etats.

Sur le plan juridique, il existe deux formes d'Etats : sont distingués l'Etat simple comme la France, et l'Etat composé, qui suppose une union ou un groupement d'Etats, ou Etat fédéral, comme les Etats-Unis, l'Allemagne et la Suisse.

Il y a aussi, entre ces deux extrêmes, quantité de situations intermédiaires.

On retrouve, dans cette section, le sens large du mot "Etat", correspondant aux trois éléments ci-dessus présentés.



Il se caractérise par l'unité du pouvoir politique, avec un seul centre de décisions politiques. Il n'y a qu'un seul Etat.

Sur le plan juridique, il n'existe qu'une seule catégorie de lois, issues de l'Etat et qui s'appliquent sur l'ensemble du territoire. Cette unité n'empêche pas l'édiction de règles de droit qui s'appliquent sur une portion du territoire comme les arrêtés préfectoraux ou municipaux. La loi est nationale, les autres règles de droit sont locales.

Dans un Etat unitaire, les normes locales ne peuvent être édictées qu'en application et en conformité avec les normes nationales préalables. Elles ne peuvent être créées que si la loi nationale détermine les matières dans lesquelles elles peuvent intervenir. De même, la loi organise aussi le contrôle exercé sur ces actes locaux.

L'Etat unitaire est indivisible, ce qui signifie que le pouvoir politique est un et n'est pas divisible en parties. Il est affirmé que l'Etat est indivisible, comme l'indique l'article 1 de la Constitution de 58 selon lequel « la France est une République indivisible ». Cette proclamation se retrouve dans les constitutions antérieures, à partir de 1792, date de la proclamation de la République, afin de lutter contre les ennemis de la Révolution, accusés de fédéralisme. Mais ce caractère n'est pas propre à la République, comme l'atteste l'article 1er du Titre II de la, « Le Royaume est un et indivisible ».

Cette indivisibilité du pouvoir se caractérise par le fait que tous les citoyens sont soumis au même pouvoir (unité de constitution) aux mêmes lois (unité de législation) et au même gouvernement (unité de gouvernement) et aux mêmes tribunaux, Il existe cependant un droit d'Alsace-Moselle, depuis la loi du ler juin 1924 qui reprend des éléments du droit allemand.

L'Etat unitaire est une forme répandue d'Etats : la Chine, le Portugal, l'Algérie, le Royaume-Uni, la Pologne, sont des Etats unitaires. Il y a en fait plusieurs catégories d'Etats unitaires.


L'Etat simple ou unitaire est presque naturellement centralisé, comme le montre la construction de l'Etat monarchique absolutiste, avec le nivellement des particularismes locaux. Le mouvement s'est continué sous la Convention avec les Jacobins, dont le nom est devenu synonyme de centralisateurs, et Napoléon Bonaparte créant les préfets par la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800). La construction du chemin de fer en étoile depuis Paris illustre aussi cette tendance.

Cette centralisation à l'extrême n'est guère réalisable en dehors des micro-Etats. Un géographe a pu ainsi parler en 1947 de "Paris et le désert français", tandis que Lamennais, au XIXème siècle parlait de « l'apoplexie du centre et de la paralysie des extrémités »pour décrire la situation française à leur époque respective. Cette centralisation ne peut donc être totale et ne l'a jamais été, même en France. D'abord, l'Etat est divisé en circonscriptions administratives, simples découpages territoriaux, ne serait-ce que pour mieux exécuter les ordres venus d'en haut. Même à l'époque napoléonienne, il y a des départements, des arrondissements et des communes avec à leurs têtes des autorités locales chargées d'exécuter, comme les préfets, les sous-préfets et les maires.

Cette centralisation peut ensuite être tempérée par la déconcentration, qui est un aménagement territorial du pouvoir de décision à l'intérieur de l'Etat. Les attributions de l'Etat sont réparties entre des autorités de l'Etat, nommées par lui, dans des circonscriptions administratives de l'Etat.

La déconcentration est un déplacement du pouvoir de décision et, selon la formule d'Odilon Barrot, homme politique du milieu du XIXème siècle, « c'est toujours le même marteau qui frappe, mais on en a raccourci le manche ». Ces autorités ne sont pas seulement instituées pour exécuter, elles reçoivent un pouvoir de décision. Mais ces autorités sont soumises à un pouvoir et à un contrôle hiérarchique à la fois sur les actes, par un pouvoir d'injonction et un pouvoir de réformation, sur les personnes car la déconcentration permet la nomination et la révocation des autorités subordonnées.

Les préfets, les directeurs départementaux ou régionaux des services déconcentrés de l'Etat, les recteurs d'académie et même les maires, sont des autorités déconcentrées. Il en est de même des procureurs généraux et de la République. La déconcentration est parfois présentée comme une spécificité française.

Mais l'Etat unitaire peut également être décentralisé, ce qui donne une plus grande autonomie aux autorités locales. Au sein des Etats unitaires, il peut y avoir de grandes différences selon qu'il y a plus ou moins de décentralisation.

La décentralisation est la reconnaissance de collectivités, ou d'entités administratives, distinctes de l'Etat pris en tant que personne morale, dotées elles aussi de la personnalité morale, agissant selon un principe d'autonomie, qui est différent du contrôle hiérarchique. La personnalité morale leur donne une autonomie juridique et financière.

Ces entités administratives ne sont là que pour créer et gérer des services publics, faire œuvre d'administration, et non édicter des lois. Elles n'ont pas non plus la compétence de leurs compétences, c'est à dire qu'elles ne peuvent pas déterminer elles-mêmes leur domaine de compétence ou d'action, comme le précise l'article 72 al 3 selon lequel les collectivités territoriales s'administrent librement « dans les conditions prévues par la loi ». Elles bénéficient d'une autonomie et non d'une indépendance, car elles font l'objet d'un contrôle, du fait de l'Etat unitaire, appelé tutelle ou contrôle de légalité. Celui-ci a connu une évolution, par la
.

Ces « entités » peuvent correspondre à des territoires infra étatiques, collectivités territoriales ou collectivités locales, qui peuvent avoir le même cadre géographique (et porter le même nom) que les circonscriptions administratives dans le cadre de la déconcentration : communes, départements et régions. C'est là une des difficultés de l'organisation administrative française.

Mais la centralisation et la décentralisation sont un peu des modèles-types et la réalité est parfois différente de ces modèles théoriques : la France s'est considérablement rapprochée du modèle décentralisateur à partir de 1982 et dans les années qui ont suivi, dans la plupart des domaines, qu'il s'agisse de la suppression de la tutelle, de l'élection des organes exécutifs, de la répartition des compétences, ou de la fonction publique territoriale. Cet acte I de la décentralisation a été suivi, à partir de la
, d'un acte II.La réforme des collectivités territoriales menée en 2010 a été présentée par les uns comme un acte III de la décentralisation, par les autres comme l’acte I d’une re-centralisation.

Il y a parfois des situations intermédiaires entre l'Etat unitaire et l'Etat fédéral : on parle souvent de l'Etat régional ou même parfois d'Etat autonomique à propos de l'Italie ou de l'Espagne. Le partage des compétences se fait, entre l'Etat et les collectivités décentralisées, dans la Constitution et celle-ci autorise ces collectivités à s'organiser partiellement et à définir leur mode de fonctionnement. La situation est alors très proche de celle de l'Etat fédéral, et il existe plus de différences de degré entre toutes ces formes d'Etats, que des différences de nature, selon l'existence d'une plus ou moins grande autonomie. De même, l'autonomie donnée à certaines parties du territoire français outre-mer éloigne la France du strict modèle unitaire.

Le rapprochement du pouvoir de décision n'est pas la suppression du pouvoir. Sont parfois critiqués, du fait de la décentralisation, les notables locaux, le développement de la corruption, le gaspillage et l'augmentation des disparités entre collectivités territoriales riches et collectivités territoriales pauvres.

La centralisation garantirait en revanche l'anonymat du pouvoir et l'égalité de traitement.


En réalité, cet Etat revêtir diverses formes : l'essentiel est qu'il y ait plusieurs unités étatiques réunies entre elles. Quel que soit le nom donné à ces dernières, ces unités sont des Etats.

L'Etat composé est un Etat composé d'Etats ou encore un Etat divisible en parties internes méritant elles-mêmes le nom d'Etats.

Il y a deux formes actuelles d'Etat composé, mais l'une d'elles ne donne pas naissance véritablement à un Etat nouveau, mais à une structure interétatique.


Df.La confédération est une association d'Etats par un traité international.
Les Etats parties au traité sont les Etats membres de la Confédération. Le traité instituant la Confédération peut créer un organisme central qui exercera des compétences communes et énumérées dans le traité.

Cet organe est généralement composé de représentants des Etats nommés par leurs Etats respectifs. Les décisions sont en général prises à l'unanimité pour respecter l'autonomie de chacun des Etats, avec des décisions parfois prises à la majorité. Ces décisions ne sont pas directement applicables dans l'ordre interne des Etats et nécessitent l'utilisation du procédé de la ratification.

Les Etats acceptent de coopérer pour un certain nombre de domaines, en règle générale pour les compétences diplomatiques ou militaires, mais conservent, à titre principal, leur souveraineté, et leur existence internationale.

Dans une Confédération, un membre peut en principe se retirer, à la différence de l'Etat fédéral, où cette possibilité est refusée : ce fut l'enjeu majeur de la guerre de Sécession entre les Confédérés et les Nordistes, assimilés à des fédéralistes ou partisans du pouvoir central.

Ex.Il y eut plusieurs exemples dans l'histoire :
  • étaient des confédérations la Confédération des Etats-Unis de l'Amérique du Nord de 1778 à 1787 pendant la guerre d'Indépendance, avant la transformation en Etat fédéral,
  • la Confédération helvétique avant la transformation en Etat fédéral en 1848 mais qui a gardé cette dénomination désormais trompeuse,
  • et la Confédération germanique de 1815 à 1866, englobant l'Autriche, puis la Confédération de l'Allemagne du Nord jusqu'en 1871, avant la naissance de l'Etat fédéral.
  • Plus proche de cette époque, il faut citer le Commonwealth qui rassemble les liens historiques entre le Royaume Uni et ses anciennes possessions mais les liens sont très distendus.
  • La C.E.I. ou Confédération des Etats indépendants rassemble dans une confédération les ex-républiques soviétiques, sauf les Etats baltes, depuis 1991.

Les Communautés européennes, créées par les traités de 1951 et de 1957, puis l'Union européenne en 1992 avec le Traité de Maastricht signé le 7 février 1992 complété par celui d'Amsterdam en 1997, celui de Nice de 2001 et celui de Lisbonne de 2007, sont proches de la Confédération. Mais elles présentent des originalités multiples.

  • D'une part, les compétences mises en commun étaient au départ essentiellement économiques et non politiques ni militaire.
  • D'autre part, le droit communautaire ou de l'Union prime sur le droit interne et est directement applicable aux Etats-membres, sans ratification, comme dans un Etat fédéral. Pour certaines règles de droit communautaire, les Etats doivent adapter leur droit national pour transposer ces règles communautaires. En outre, les règles de droit communautaire priment sur les règles nationales, y compris les lois. Seule la Constitution échappe (provisoirement?) à cette primauté, et sous réserve, en France des articles 88-1 et suivants.

Souvent la Confédération est une étape vers une intégration plus poussée, le fédéralisme. Les confédérations ne sont pas faites pour durer et l'on dit parfois que la fédération est une confédération qui a réussi.

Mais il existe aussi des Confédérations de dislocation comme la CE.I. La Confédération ne serait alors qu'une étape vers moins de liens entre les Etats ou plus de liens.


Le fédéralisme gagne-t-il du terrain ? Beaucoup d'Etats importants sont des Etats fédéraux.

L'Etat fédéral est une union d'Etats, au sens du droit constitutionnel, au sein de laquelle un nouvel Etat se superpose à ces Etats. Des Etats souverains acceptent d'abandonner des compétences pour former un nouvel Etat : il y a donc création d'un Etat supplémentaire. Ce fédéralisme naît par une Constitution, à la différence de la Confédération qui naît d'un Traité. Cet Etat fédéral est le seul qui subsiste au niveau international. Lui seul peut entretenir des relations internationales.

Les Etats-membres d'une fédération ont gardé les apparences (et la réalité) d'un Etat avec une Constitution, un Parlement, des tribunaux. C'est une construction à deux étages :
  • Au premier niveau, figurent les Etats-membres ou Etats fédérés. Ces unités portant des noms divers : provinces au Canada, cantons en Suisse, Länder en Allemagne et en Autriche, régions en Belgique. Mais ce sont des Etats en Australie, Inde, ou aux Etats-Unis. L'emploi du même mot pour désigner les entités fédérées et l'entité fédérale est source de confusions. Mais il faut se méfier de la traduction ou de la francisation : aux Etats-Unis, le mot « State » est réservé aux "Etats fédérés". La fédération est désignée sous le pluriel « les Etats-Unis ». On parle aussi de « l'Etat libre de Bavière ».
  • Au niveau supérieur, se trouve le nouvel Etat, ou Etat fédéral ou Fédération, qui englobe les Etats fédérés mais ne les absorbe pas. C'est une synthèse de l'Etat unitaire et de la Confédération. La Constitution fédérale crée un nouvel ordre juridique et politique.

La devise des Etats-Unis illustre ce phénomène, « E pluribus unum » qui pourrait se traduire par « Unité dans la diversité ».



Il est fréquent de considérer que le fédéralisme est le résultat de deux principes, qui ont été systématisés par le juriste Georges Scelle.


Puisque l'Etat fédéral est un Etat composé d'Etats, doivent se retrouver aux deux niveaux les trois éléments de l'Etat que sont le territoire, la population, et une Constitution.
  • Il existe ainsi deux territoires et le territoire fédéral est la somme des territoires fédérés.
  • L'Etat fédéral englobe deux populations car chaque individu se dédouble en citoyen fédéral et en citoyen fédéré.
  • Sont consacrés enfin deux pouvoirs politiques organisés par deux Constitutions.
 
Il faut alors organiser un partage des compétences, qui repose, souvent, sur la distinction entre la compétence générale ou de droit commun donnée au niveau fédéré et la compétence d'exception ou d'attribution confiée au niveau fédéral.

  • La première compétence est, en principe, d'interprétation large : le niveau fédéré est compétent pour toutes les affaires ou matières sauf celles qui sont réservées au niveau fédéral.
  • La seconde compétence est de portée limitée et s'interprète restrictivement : elle consiste en une énumération au profit de l'Etat fédéral.

Ex.Aux Etats-Unis et en Suisse par exemple, les constitutions réservent la compétence de droit commun aux Etats fédérés et l'Etat fédéral se contente de certaines attributions. Mais c'est un peu l'inverse au Canada où les provinces ont des compétences résiduelles, d'où la permanence du problème québécois.

Mais la Constitution allemande met en place trois listes (articles 70 et suivants). Les deux premières sont relatives à la compétence exclusive de la Fédération (Bund) et à celle des Länder. La troisième concerne la compétence partagée ou concurrente entre la Fédération et les Länder. Dans ce cas, les Länder peuvent légiférer mais la Fédération a le droit de légiférer s'il apparaît un besoin de législation fédérale, en faisant application du principe de subsidiarité.

En ce qui concerne le contenu des compétences, la distinction se fait globalement entre les compétences externes et les compétences internes, les premières étant réservées à l'Etat fédéral.

Les relations avec l'étranger sont confiées à l'Etat fédéral puisque c'est lui qui dispose seul de la souveraineté internationale (domaines diplomatique, militaire, économique, monétaire, citoyenneté et nationalité).

Mais il existe des exceptions : le Québec (province) a signé directement un accord avec la France dénommé « entente » et il dispose à Paris d'une délégation générale qui jouit d'un statut diplomatique. Du temps de l'U.R.S.S., l'Ukraine bénéficiait d'un siège à l'O.N.U, au nom de son ancienne indépendance, retrouvée depuis.

Les Etats-membres gardent un pouvoir d'auto-organisation interne, qui se manifeste par une Constitution par Etat, un parlement (Congrès de l'Etat aux Etats-Unis) et un exécutif.
Ex.Le gouverneur d'un Etat américain est l'équivalent local, et lui aussi élu, du président des Etats-Unis. Le ministre-président de chaque Land en Allemagne est l'équivalent du chancelier fédéral. Une organisation juridictionnelle distincte peut exister d'un Etat à un autre. Plus symboliquement, chaque Etat possède son drapeau et un hymne distincts comme en Bavière ou dans les Etats américains.

Sur les matières réservées aux Etats fédérés, la législation peut être différente.
Ex.Il est plus facile de divorcer à Las Vegas (Nevada) qu'ailleurs, la peine capitale ne s'applique pas de la même manière, l'avortement est admis ou aboli dans certains Etats...

L'Etat fédéré est donc a priori très différent de la collectivité décentralisée, pour laquelle l'autonomie n'est qu'administrative. Bien sûr, chacun de ces Etats fédérés est lui-même un Etat unitaire avec ses collectivités décentralisées, qui peut comprendre des entités correspondant aux départements et communes français, sur lesquelles il exerce un contrôle qui ressemble à la tutelle.

La protection du partage des compétences se fait en principe par la voie juridictionnelle, qui vient réguler et protéger le fédéralisme inscrit dans la Constitution fédérale, comme une sorte de contrat qu'il faut protéger. Cette juridiction est donc constitutionnelle, prévue par la constitution et chargée de faire respecter cette dernière. La Cour suprême aux Etats-Unis, la Cour constitutionnelle allemande, sont des juridictions de ce type. Elles contribuent en pratique à renforcer le centralisme juridique, et donc politique.

Les Etats fédérés sont associés à l'organisation de l'Etat fédéral ainsi qu'à la révision de la Constitution fédérale, ce qui est logique puisque l'Etat fédéral résulte au départ d'un accord volontaire entre les Etats membres.


Il existe dans tout Etat fédéral une seconde chambre où siègent des représentants des Etats-membres, afin que ceux-ci soient représentés au même titre que la population qui, elle, l'est dans le cadre d'une première chambre.

Ex.C'est le cas aux Etats-Unis, avec le Sénat, distinct de la Chambre des représentants et en République fédérale allemande, où le Bundesrat, chambre des Etats ne se confond pas avec le Bundestag, chambre du peuple.
  • Le Sénat américain participe, par exemple, à l'œuvre législative et budgétaire mais aussi participe à certaines attributions de l'exécutif par ratification des traités et confirmation de la nomination à des emplois ou postes fédéraux, comme les « ministres » fédéraux ou les membres de la Cour Suprême.
  • C'est ainsi que l'article 50 de la Loi Fédérale allemande prévoit que le Bundesrat est composé de membres des gouvernements des Länder. Par son intermédiaire, les « Länder participent à la législation et à l'administration de la fédération ».

La représentation au sein de cette seconde assemblée peut être égalitaire, avec un nombre identique de membres par Etat comme aux Etats-Unis avec le Sénat. En Suisse, « les cantons d'Obwald, de Nidwald, de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne, d'Appenzell Rhodes-Extérieures et d'Appenzell Rhodes-Intérieures élisent chacun un député ; les autres cantons élisent chacun deux députés » (art 150 de la Constitution de 1999).

Elle peut ne pas l'être et tenir compte d'une pondération différente selon la taille ou la démographie des Etats, comme en RFA.

La désignation de l'Exécutif fédéral peut faire aussi intervenir les Etats-membres. C'est le cas de l'élection du Président des Etats-Unis, qui n'est pas élu au suffrage universel direct, mais avec un mécanisme de décompte des mandats électoraux par Etat.


Celle-ci suppose l'approbation des Etats-membres et c'est la garantie majeure. Le « contrat » initial ne peut être modifié sans l'accord de tous ou d'une majorité qualifiée, des deux tiers ou des trois quarts des Etats fédérés.

Ex.Ainsi, aux Etats-Unis, un amendement à la Constitution ne peut être adopté que s'il est adopté à la majorité des deux tiers des chambres du Congrès, où siègent des représentants des Etats, et s'il est ratifié par au moins les trois quarts des « législatures » ou Congrès fédérés (c'est-à-dire 38).

Il y a donc des difficultés sérieuses pour réviser la Constitution mais ces contraintes sont volontaires, afin de protéger l'équilibre entre la Fédération et les Etats fédérés.
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