Pour qu'il y ait droit constitutionnel, il faut qu'il y ait un pouvoir politique organisé. Dans la plupart des pays qualifiés de "modernes", l'Etat est le cadre du pouvoir politique, ou l'institutionnalisation du pouvoir politique.
L'Etat est la forme habituelle, dans les sociétés dites développées, de l'organisation du pouvoir politique. Il est le cadre à l'intérieur duquel naissent et se développent les règles constitutionnelles. Les Etats sont de plus en plus nombreux au monde, dans la société internationale (51 Etats à l'ONU en 1945, 193 à l'heure actuelle avec le Sud-Soudan depuis 2011 qui est le dernier Etat membre, après la proclamation de son indépendance avec le Soudan).
Le mot "Etat" a en réalité plusieurs sens, ce qui complique sa définition, d'autant que l'Etat est une forme historique et contingente qui correspond à un certain degré de développement de la civilisation occidentale. Il est né dans la Rome antique, à la suite des « cités » antiques, et s'est en partie effondré après les invasions et malgré Charlemagne. Il a ressuscité au moment de la Renaissance et aux XVIème et XVIIème siècles. La théorie socialiste (et marxiste) le vouait à la disparition, car il est le symbole de l'oppression d'une classe sur une autre. Il ne devait plus exister dans une société sans classes, ce que n'étaient pas encore, à leur stade de développement, les « pays socialistes » fonctionnant sur le modèle soviétique. Même si la disparition de l'Etat n'est pas vraiment à l'ordre du jour, l'histoire montre que des sociétés ont pu vivre sans Etat.
Etymologiquement, le mot « Etat » vient du latin « stare », qui signifie « se tenir debout ».
- La première signification du mot, qui correspond à une manière d'être, est l'apparence d'un être ou d'une situation, comme dans les expressions « je suis dans tous mes états », ou « l'état de mes finances est calamiteux ...»
- Le deuxième sens définit une manière d'être mais avec, en plus, un statut juridique particulier, comme au Moyen Age et sous les Temps modernes: l'état juridique vise alors un groupe. L'expression « état » (ou Etats) se retrouvent ainsi dans les Etats généraux, sens que l'on retrouve dans l'expression « le Tiers-Etat ».
- Le troisième sens est clairement tiré du second: l'Etat est la manifestation du pouvoir politique et désigne ceux qui exercent ce pouvoir politique et il prend alors une majuscule. On saisit bien l'abstraction de cet Etat, comme dans les expressions « chef de l'Etat », ou « représentant de l'Etat », car l'Etat a besoin de symboles extérieurs pour exister dans les Etats modernes. Ces derniers se distinguent alors des Etats monarchiques anciens (c'est-à-dire d'Ancien Régime) dans lesquels Louis XIV pouvait proclamer « L'Etat, c'est moi », assimilant sa personne et le pouvoir. L'Etat moderne a perdu cette identification physique ou matérielle.
L'Etat selon ce troisième sens se définit par des éléments, qui sont au nombre de trois (Section I). Il peut revêtir aussi des formes particulières et diverses (Section II). La République française, tant dans l'histoire que sous la Constitution de 1958, a été longtemps le prototype de l'Etat unitaire (Section III).
Section 1. Les éléments constitutifs de l'Etat
Le droit international et le droit constitutionnel définissent l'Etat par trois éléments constitutifs que sont un territoire, une population et une organisation politique qui exerce l'autorité de façon souveraine, c'est-à-dire qui n'est pas obligée de tenir compte d'autres règles que les siennes, sinon celles du droit international, qui sont, la plupart du temps, assez peu assorties de sanctions.
Le troisième élément se confond parfois avec l'Etat en général.
- De ce fait, l'Etat a alors un sens large, qui correspond aux trois éléments précités et un sens plus étroit qui correspond au pouvoir politique central qui sera alors opposé, par exemple en France aux collectivités territoriales, ou qui sera synonyme de "gouvernement" comme dans les relations diplomatiques où il est souvent question du "Gouvernement français" pour désigner la République française.
- L'Etat en tant que pouvoir politique est enfin, de façon plus récente, opposé à la "société civile", qui serait composée des individus et groupements de droit privé et de corps intermédiaires. L'Etat dans ce dernier sens est synonyme de puissance publique, opposée au monde des entreprises ou des « partenaires sociaux ».
§1. Le territoire, élément matériel
Le territoire est la partie de l'espace géographique qui "appartient" à l'Etat, qui relève de cet Etat. C'est l'espace sur lequel l'autorité politique va exercer son pouvoir. Sans territoire, le pouvoir de l'Etat ne peut s'exercer. Un Etat sans territoire en est-il encore un ? C'était pendant longtemps le problème palestinien ou celui des "Etats" en exil à la suite d'une guerre. Cet espace est délimité par des frontières.
- Le territoire peut être constitué de plusieurs entités avec des solutions de continuité : c'est le cas des archipels, de la France avec les Départements d'outre-mer et les collectivités d'outre-mer, des Etats-Unis avec l'Alaska et les îles Hawaï. Cette discontinuité peut être source d'éclatement : c'était le cas avec les deux parties du Pakistan, séparées par 16 00 km, avant la création du Bangladesh en 1971.
- Certains Etats sont enclavés en totalité dans un Etat étranger comme Saint Marin, le Vatican, sans parler de parties d'Etat enclavé dans un autre comme le Haut-Karabagh, une région de Transcaucasie enclavée en Azerbaïdjan qui a déclaré son indépendance et réclame son rattachement à l'Arménie. La communauté internationale ne reconnaît pas l'indépendance du Haut-Karabagh et considère qu'il fait partie de l'Azerbaïdjan. C'est aussi le cas de la région de Kaliningrad, qui relève de la Fédération de Russie et qui forme une enclave russe entre Pologne et Lituanie.
- La taille des Etats importe peu dans la définition : il existe des micro-Etats comme Monaco, Saint Marin, ou le Lichtenstein ou des Etats gigantesques comme la Russie, le Canada ou la Chine. Monaco est le plus petit Etat de l'ONU avec 2,5 km² et la Cité du Vatican, qui n'est pas membre de l'ONU, ne compte que 700 habitants.
Face au danger des revendications territoriales, causes fréquentes des guerres, beaucoup de constitutionnalistes posent le principe de son intangibilité et interdisent aux pouvoirs publics de consentir à des abandons de territoire. On peut remarquer que ce n'est pas le cas de la France, avec l'article 53 al 3 de la Constitution de 1958, qui prévoit la possibilité de cession, mais aussi d'adjonction, de territoires.
Le territoire, sur le plan juridique, ne comprend pas seulement la surface mais aussi le sol et le sous-sol.
- En outre, le territoire n'est pas seulement terrestre : les Etats étendent de plus en plus leur souveraineté sur l'espace maritime, avec des compétences identiques à celles exercées sur le territoire terrestre. C'est le cas de la mer territoriale (12 mille marins à l'heure actuelle, 1 mille équivalant à 1 852 m) et de la zone économique exclusive qui englobe le plateau continental sur lequel repose le territoire (ou mer patrimoniale). Pour la France, le "territoire" maritime représente donc 188 milles marins (c'est-à-dire 348 173 m ou 348 km). L'exploitation de la mer prime sur les considérations liées à la navigation, pour des raisons économiques telles que la pêche, le pétrole et autres richesses sous-marines.Ainsi l'étendue minimale de la souveraineté maritime de l'Etat riverain est fixée à 200 milles nautiques, c'est-à-dire 12 plus 188 milles. Au delà s'étend la haute-mer, ouverte à tous les Etats, riverains ou non, en vertu du principe de liberté, notamment celle de la navigation.
- La souveraineté concerne aussi l'espace aérien qui surplombe ainsi l'Etat, c'est-à-dire l'atmosphère au-dessus du territoire terrestre et de l'espace maritime. En est exclu l'espace extra-atmosphérique qui reste libre.
§2. La population, élément personnel
Il ne peut y avoir d'Etat sans population, c'est-à-dire un groupe humain, d'individus sédentaires, rattachés à un Etat.
Cette population a longtemps été confondue avec la nation.
Celle-ci peut être définie comme un groupement humain dans lequel les individus se sentent unis les uns aux autres par des liens à la fois matériels et spirituels, et qui se conçoivent (ou se perçoivent) comme différents des individus qui composent les autres groupements nationaux.
Le concept de nation a revêtu plusieurs sens : deux définitions se sont développées, l'une d'inspiration allemande, l'autre de conception française, et ces conceptions furent d'une certaine façon à l'origine des guerres des XIXème et XXème siècles.
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La conception allemande est objective : la nation est le résultat d'éléments objectifs et subit l'influence du déterminisme. En font partie la géographie, d'où l'idée de frontières naturelles, la langue qui veut que tous les germanophones soient englobés dans cette nation, y compris s'ils vivent dans les Sudètes, en Belgique ou en Alsace, la religion, l'idéologie et même la race. Cette conception a connu son apogée sous le IIIème Reich, à partir de 1933. La nation s'identifie alors à la race et conduit ainsi à l'élimination - par l'exode ou par la mort - de tous les non-nationaux, c'est-à-dire de ceux qui n'appartiennent pas à la même race.Les génocides anciens ou modernes relèvent aussi de cette vision.
Le conflit yougoslave survenu en 1991, né de l'éclatement de l'ex-Yougoslavie, a été une illustration plus récente du "concept" de purification ethnique.
- La conception française, inspirée par les travaux des historiens comme Fustel de Coulanges et Renan, fait rentrer, à côté de ces éléments objectifs, la volonté de vivre ensemble, ou selon Renan un " vouloir-vivre collectif ", ce qui correspond à des éléments subjectifs. La nation se forge alors par différents facteurs, faits notamment de souvenirs communs, bons ou mauvais, comme les guerres, ou les victoires sportives (cf. la fête nationale, l'hymne national)! En font partie aussi la communauté d'intérêts économiques, le sentiment de la parenté spirituelle comme se sentir français ou suisse ou américain : le salut au drapeau tous les matins est une façon d'inculquer ce "sentiment national". La nation dépasse aussi les individus vivants, et elle unit les générations passées et celles à venir. La nation se rapproche alors de la patrie.
Ce sentiment "subjectif" peut naître aussi de conquêtes qui "imposent" la nation à des territoires qui n'étaient pas nationaux, comme le montrent les exemples des colonisations européennes ou la conquête de l'Ouest américain.
Ce « sentiment national » se construit souvent par rapport à d'autres groupes, par un sentiment de différences avec d'autres groupes ou nations, ce qui peut conduire à l'exclusion. L'unité nationale se fait souvent contre les autres nations. Il peut aussi de cette manière être facteur de guerres.
L'unité de la nation, qu'elle soit objective ou subjective, conduit à assimiler l'Etat et la nation, avec le concept d'Etat-nation, parce que cette nation doit s'incarner dans une « réalité juridique ». Cette identification n'est pas toujours réalisée et a été, là encore, facteur de conflits.
En Europe, les nations ont souvent précédé l'Etat qui a pu servir à concrétiser politiquement et juridiquement la nation : l'Etat italien, l'Etat allemand ont suivi l'émergence de la nation italienne ou allemande. Mais en France, il est fréquent de dire que l’Etat a précédé la nation. C'est lui qui a progressivement forgé la nation, autour des Rois de France puis de la République. Il en est peut-être de même dans les Etats africains nés de la décolonisation et qui ont dû parfois créer une « nationalité », à partir de frontières imposées par le colonisateur.
Se pose alors la question de savoir si toute nation doit avoir un Etat.
Le principe des nationalités, développé à partir de la Révolution française, selon lequel toute nation a droit à devenir un Etat, traduit une réponse positive et rejoint l'idée de « souveraineté nationale ». Napoléon a contribué à propager cette idée nationale dans ses conquêtes. Ce principe fut combattu au moment du traité de Vienne de 1815 par les vainqueurs de la Sainte Alliance. Il renaît en 1848 avec les révolutions de cette époque.
Le traité de Versailles de 1919 développe ce thème en Europe centrale et orientale. La carte de l'Europe est refaite sur cette base.
Ce principe a pris la forme nouvelle du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, inscrit dans la, au paragraphe 2 de l'article 1er, et dans le Préambule de la Constitution française de 1958 à l'alinéa 2, ce qui peut entraîner une modification possible du territoire national.
Ce droit a joué un grand rôle dans le mouvement de décolonisation de l'après Seconde Guerre mondiale sous la forme du droit à l'autodétermination.
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Si la nation a souvent précédé l'Etat, la nation ne correspond pas toujours à l'Etat. La nation peut être écartelée entre plusieurs Etats, et être découpée par des frontières étatiques mais non nationales.
- Ce fut le cas de l'Allemagne écartelée de 1945 jusqu'en 1990 entre deux Etats, la République démocratique allemande et la République fédérale allemande.
- C'est encore le cas des deux Corée ou de la nation kurde éclatée entre la Turquie, l'Irak, l'Iran et la Syrie.
- Il existe aussi beaucoup d'exemples en Europe centrale, avec les minorités hongroises dans d'autres pays comme la Roumanie et la Slovaquie. La « nation » basque est également partagée entre l'Espagne et la France.
- En sens inverse, des Etats peuvent aussi regrouper plusieurs nations et l'on parle alors d'Etats bi ou multinationaux. Ce fut le cas de l'Empire austro-hongrois jusqu'en 1918, de la Tchécoslovaquie jusqu'en 1991 et de l'URSS jusqu'en 1991. De façon moins radicale, le Canada et la Belgique contemporaine se trouvent dans cette situation.
Rq.Il est à noter que la population d'un Etat comprend aussi des étrangers : un Etat n'a pas seulement à gérer ses "nationaux" ou ses ressortissants, mais aussi des "étrangers" qu'il doit "administrer", et qui sont précisément des administrés et non des citoyens, mais qui ont certains droits, comme le droit de saisir une juridiction, ne serait-ce que si on leur refuse la qualité de réfugié par exemple, ou le droit de se faire soigner.
L'Etat ne se confond donc pas totalement avec la nation, ni même avec ses nationaux.La "nationalité" unit d'ailleurs l'Etat aux personnes, avec en général comme conséquence, la citoyenneté, c'est-à-dire le droit de participer à la vie politique de l'Etat. L'article 88-3 de la Constitution inséré dans la Constitution française en 1992 dissocie cependant la nationalité et la citoyenneté pour les élections locales - municipales, en instituant le concept de citoyenneté de l'Union européenne. Cet article se présente comme une dérogation à l'article 3 qui affirme bien le lien entre la nationalité et la citoyenneté.
§3. Un pouvoir politique organisé, élément formel et abstrait
L'Etat a deux caractéristiques juridiques :
- La première considère que le pouvoir exercé dans l'Etat est souverain, aussi bien à l'égard des autres Etats qu'à l'intérieur du territoire.
- La seconde assimile l'Etat à une personne juridique identifiable par le biais de la théorie de la personnalité morale.
A. L'Etat et la souveraineté
Sur la population de ce territoire, l'Etat doit exercer une autorité politique exclusive, appelée souveraineté.
Celle-ci implique la négation de toute entrave, de toute subordination à l'égard d'autres Etats, en dehors des limitations librement acceptées, comme les limitations de souveraineté dans le cadre de l'Union européenne, du fait de notamment la politique monétaire commune. Cette acceptation volontaire se distingue de la situation des protectorats qui existaient du temps de la colonisation. L'Etat dispose ainsi de la "compétence de sa compétence" selon la formule du juriste allemand Jellinek. La souveraineté est liée à l'idée d'Etat.
Jean-Jacques Rousseau
Mais cette souveraineté est ambiguë, car elle s'exerce au dehors et au dedans du territoire: on distingue alors la souveraineté dite extérieure, ou de l'Etat, et la souveraineté intérieure ou dans l'Etat. Mais dans un cas comme dans l'autre, on peut appliquer la définition de Jean-Jacques Rousseau selon lequel « Il est de l’essence de la puissance souveraine de ne pouvoir être limitée : elle peut tout ou elle n’est rien » (« Lettre écrites de la montagne »).
Jean Bodin
La souveraineté de l'Etat a été dégagée par Jean Bodin, en 1576, dans « De la République » pour qui souveraineté signifie indépendance absolue. Il s'agissait de protéger l'indépendance de la Couronne française vis-à-vis du Saint-Siège et du Saint Empire romain-germanique : l'Etat souverain est affranchi de tout autre pouvoir. Cette souveraineté est absolue, perpétuelle et indivisible. Mais cette définition est essentiellement négative, sous la forme de souveraineté-indépendance par rapport à une autre puissance, car elle se définit par rapport à d'autres souverains.
La souveraineté de l'Etat se manifeste aussi par des signes extérieurs, parce que l'Etat est le seul à détenir certains signes, ou marques de souveraineté selon Bodin : le droit de faire la loi, de rendre la justice, de battre monnaie, et de lever une armée.
L'Etat exerce ainsi une compétence à l'égard d'une population sur un territoire donné.
La souveraineté comprend donc le pouvoir d'édicter des règles de droit, ou normes juridiques, sans se soucier d'autres règles juridiques qui seraient extérieures ou supérieures. L'Etat rédige ainsi la Constitution, les lois. C'est le pouvoir d'édicter librement des règles, c'est-à-dire avoir la compétence de ses compétences
Se pose alors une question essentielle mais difficile à résoudre sur le plan seulement juridique : comment l'Etat ou le pouvoir politique peut-il être soumis au droit puisque c'est lui qui l'a créé ? Une conception absolue de la souveraineté conduit à penser que l'Etat, souverain, ne peut être soumis à des règles qu'il a lui-même créées.
Pour combattre cette conception, plusieurs doctrines ont été avancées :
- La théorie du droit naturel ou jus-naturalisme, qui s'oppose au droit positif, considère qu'il y aurait un droit préexistant, constaté et non pas créé, en dehors des lois de l'Etat, et fondé sur la raison et idéal, et qui s'impose à l'Etat, quel qu'il soit, où qu'il soit et à n'importe quelle époque.
Ex.Cette théorie est illustrée dans le mythe d'Antigone qui oppose les lois justes et les lois injustes. Le droit naturel peut justifier la désobéissance s'il y a des lois injustes. Pour Aristote, la Nature est la Raison. Il est très facile, sur le terrain métaphysique, de remplacer la Nature par Dieu. Il existe cependant une difficulté sérieuse pour cerner le contenu de ce droit naturel. En outre, s'il y a un droit naturel, la souveraineté n'est plus illimitée
- Une autre théorie est celle de l'autolimitation : l'Etat consent à se lier lui-même en posant la règle en application de l'adage latin « patere legem quam fecisti » ou « respecte la règle que tu as faite ». Cette théorie pose la question des garanties face à l'Etat. L'autolimitation est-elle en outre éternelle et peut-on dépendre du seul bon vouloir de l'Etat ?
Les réponses ne sont pas strictement juridiques et elles sont sûrement politiques : l'évolution des sociétés et des Etats conduit néanmoins vers moins d'absolutisme et d'arbitraire.
C'est une évolution récente, fragile, qui est loin d'être universelle. C'est toute la fragilité de ce qu'il est convenu d'appeler, selon une formule traduite de l'allemand « l'Etat de droit » qui impose que l'Etat soit lui-même soumis au droit.
Ce pouvoir de l'Etat apparaît aussi comme un pouvoir de contrainte organisée. Il possède le monopole de la force organisée pour faire respecter ses décisions mais aussi pour faire respecter les règles que les citoyens ont créées entre eux. Afin de faire respecter les contrats, par exemple, les particuliers doivent s'adresser à l'Etat et ne pas avoir recours à la force privée, car il n'y a pas de droit de se faire justice à soi-même. Même les règles de droit privé sont ainsi, dans cette conception, sanctionnées par l'Etat.
Ce pouvoir de contrainte doit être accepté par les gouvernés, ce qui pose alors la question de la légitimité. Il faut que la volonté du pouvoir soit unie à la confiance des gouvernés.
Cette théorie politique naît au Moyen Age, se développe au XVIème siècle, puis s'épanouit au XVIIIème et avec les révolutions anglaise du XVII siècle et française de 1789.
Sans consentement, le pouvoir politique se confond avec le règne de la force. La légitimité est une notion abstraite, qui repose sur l'idée de consensus et de croyance: si le pouvoir est pensé comme légitime, il est accepté, ainsi que ses lois, considérées comme légitimes et justes. Lorsque cette croyance disparaît, le fossé peut se creuser entre la légitimité et la légalité. Le régime de Vichy, entre 1940 et 1944, a illustré cette dissociation. Il a fallu l'ordonnance du 9 août 1944 sur le rétablissement de la légalité républicaine pour retrouver une adéquation retrouvée entre légalité et légitimité.
La légitimité a un côté « magique » et irrationnelle. Elle se confond, dans les sociétés anciennes, avec le charisme, ou avec la convergence des aspirations du groupe social avec les objectifs du pouvoir. De manière plus moderne, la légitimité est synonyme d'un certain nombre de valeurs communes qui constituent la charpente de l'ordre social, c'est-à-dire la société dans son ensemble, et aussi de l'ordre politique.
B. L'Etat, personne morale
Le pouvoir politique, conçu comme le troisième élément de définition de l'Etat au sens large, est assimilé à la puissance publique.
Or, par une difficulté de langage préjudiciable à la bonne compréhension, cette puissance publique est souvent qualifiée d'Etat. Le même mot désigne donc l'ensemble et un élément de l'ensemble. Le même terme peut donc avoir plusieurs sens.
L'Etat - au sens de puissance publique - a des caractéristiques juridiques et il est présenté comme une organisation dotée de la personnalité morale. On dit aussi que l'Etat est une personne morale, qui est distincte de la personnalité physique.
En tant que telle, l'Etat est une collectivité organisée : c'est une entité abstraite, distincte de la personne de ceux qui parlent en son nom. La personnalité morale est conçue pour donner une existence juridique et une capacité juridique à des groupements d'individus qui poursuivent un but identique.
La personnalité morale existe en droit privé, sous la forme de sociétés, ou d'associations.
Elle existe aussi en droit public, au profit de l'Etat et d'autres personnes publiques, ou personnes morales de droit public, comme les collectivités territoriales ou les établissements publics. La personnalité morale est une abstraction mais elle permet d'expliquer certaines caractéristiques juridiques de l'Etat qui distinguent l'Etat de la personne de ses dirigeants, comme l'illustre la formule de l'Ancien Régime « Le roi est mort, vive le Roi ».
L'Etat est engagé par ses décisions, quels que soient les hommes au pouvoir. Cela sera vrai aussi pour les autres pouvoirs publics, comme les collectivités territoriales. Les gouvernants ne sont pas propriétaires de leurs fonctions, ils en sont titulaires, ou investis.
Le patrimoine des gouvernants est ainsi distinct du patrimoine de l'Etat. L'expression « locataire de l'Elysée » est parfois utilisée pour désigner cette occupation temporaire du pouvoir par le président de la République, même s'il y a abus de langage d'ailleurs quant à l'emploi du mot « locataire ».
Cette conception moderne s'oppose à une conception "patrimoniale" de l'Etat, qui est héritée de la féodalité : les attributions publiques étaient considérées comme une propriété susceptible d'être vendue, selon le système de la vénalité des offices. Il existe encore à l'heure actuelle des charges publiques pour certaines professions, comme les notaires. La conception moderne remonte à 1789, puisque sous l'Ancien Régime les biens publics du roi étaient confondus avec les choses publiques telles que les routes, ou les fleuves navigables. Le Trésor public, c'est-à-dire les ressources de l'Etat, se confondait avec la cassette du souverain. Pour se protéger contre cette confusion, la règle de l'inaliénabilité du domaine du royaume a été posée en 1566 par l'édit de Moulins afin de protéger ces biens du royaume utiles à la collectivité et qu'il fallait distinguer des biens privés du monarque.
En même temps, la personnalité morale explique que l'Etat en tant qu'entité, puisse posséder des biens, contracter, engager sa responsabilité, comme une personne physique. Il peut aussi être engagé en justice.
La personnalité morale permet d'expliquer la permanence de la puissance publique, par delà les individus et les élections.
La théorie de la personnalité morale, difficile à justifier sur le plan théorique, a des implications pratiques nombreuses et utiles pour la suite des études juridiques.