Commentaire
Pour sa révision, la Constitution de la IVème République prévoyait dans son article 90 une procédure longue avec succession de votes : les assemblées parlementaires engageaient la procédure de révision par le vote d’une résolution spécifiant l’objet de la révision. Puis suivait un délai de trois mois minimum de réflexion. Enfin, le Parlement se prononçait sur le projet de loi révision constitutionnelle qui ne pouvait être adopté qu’à la majorité qualifiée (majorité des deux tiers à l’Assemblée nationale ou des trois cinquièmes pour chacune des deux assemblées), sinon par référendum. Qui plus est, cette procédure avait vocation de rendre possibles les révisions ponctuelles du texte constitutionnel, et non un changement de régime (contrairement à la Constitution de 1793).Enfin, compte tenu du contexte (incapacité de la IVème République à régler la question algérienne, appel du Président René Coty au Général de Gaulle pour diriger le gouvernement et volonté de celui-ci de changer les institutions), il fallait aller vite.
Le Général de Gaulle a accepté de diriger le gouvernement pour régler la crise algérienne et également pour changer le régime de la IVème République. La procédure de révision de l’article 90 en offrait la possibilité : en 1955, l’Assemblée nationale et le Conseil de la République avaient adopté des résolutions visant une révision de la constitution, et notamment de son article 90 (modalités de la procédure de révision). Et rien ne s’opposait à ce que cette procédure, non poursuivie dans les années qui ont suivi l’adoption des résolutions, soit reprise en 1958 et menée jusqu’à son terme. Et ce afin de gagner du temps dans la réforme profonde des institutions souhaitée par l’ensemble de la classe politique, et en premier lieu par le Général de Gaulle. Aussi, le 1er juin 1958 le Général de Gaulle est investi Président du Conseil et le 3 juin le Parlement vote une loi constitutionnelle précisant que « par dérogation aux dispositions de l’article 90, la Constitution sera révisée par le gouvernement investi le 1er juin 1958 ». La loi constitutionnelle du 3 juillet 1958 rentre parfaitement dans le cadre de la procédure de révision prévue par la Constitution de la IVème République.
Le Général de Gaulle a certes été un acteur majeur du changement de régime en 1958. Il n’a pas pour autant réalisé lui même ce changement. En d’autres termes, il n’a jamais reçu le pouvoir constituant, contrairement au Maréchal Pétain en juillet 1940. En effet, la loi du 10 juillet 1940 adoptée par la Chambre des députés et le Sénat, réunis en assemblée nationale, avait donné « tout pouvoir au Gouvernement de la République sous l’autorité et la signature du Maréchal Pétain, de promulguer par un ou plusieurs actes constitutionnels une nouvelle constitution de l’Etat français », et avait ainsi délégué le pouvoir constituant au Gouvernement dirigé par le Maréchal Pétain. Au contraire, la loi constitutionnelle du 3 juillet 1958 délègue le pouvoir constituant au peuple (adoption de la future Constitution par référendum), le rôle du Gouvernement se limitant à préparer le projet de constitution. Par ailleurs, le nom du Général de Gaulle n’est pas mentionné dans la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, qui ne cite que le gouvernement investi le 1er juin 1958.
La transition constitutionnelle par la révolution a été une « tradition » française (1789, 1830 ou 1848), ainsi que les coups de force (An VIII ou 1852, pour ceux qui ont réussi). Cependant, compte tenu du contexte insurrectionnel dans les départements algériens et du risque d’extension de l’insurrection sur l’ensemble du territoire français, c’est la voie institutionnelle qui a été choisie.