Commentaire
Le pouvoir constituant originaire est a priori inconditionné, car il se situe dans une perspective de rupture par rapport à l’ordre juridique précédent auquel il entend succéder. Le caractère inconditionné peut naître dans un Etat neuf, (comme dans le sujet proposé), constitué après l’indépendance d’un pays ou d’un Etat renouvelé après une révolution, un coup d’Etat ou le renversement d’une dictature. On peut citer en France les régimes mis en place en 1814, 1848, 1870 ou la Russie de 1917. Toutefois si une constitution s’installe sur des bases juridiques neuves, avec la volonté de faire table rase du passé, elle se construit aussi en réaction ou par mimétisme par rapport aux régimes auxquels elle succède. Ainsi la Charte constitutionnelle de 1830 reprend très largement le texte de 1814 ou encore la Constitution de 1958 s’inspire sur certains points de celle de 1946. Très rares sont les restrictions au pouvoir constituant : le pouvoir constituant est inconditionné sauf à admettre des règles qui seraient tirées de la nature ou du droit naturel, ou encore sauf à envisager des situations historiques et politiques exceptionnelles (la Loi fondamentale allemande de 1949 élaborée par un Conseil parlementaire réunissant des délégués des Länder, sous la tutelle des Alliés occidentaux, soucieux de dirigé la « rééducation démocratique » ; la Constitution de Bosnie-Herzégovine découlant des accords de Dayton, en 1995). Quant au choix concernant la procédure d’élaboration de la nouvelle constitution, les dirigeants du moment sont libres d’en choisir les modalités. En effet, sur le plan juridique, rien ne les oblige à choisir telle ou telle voie, à choisir entre un processus démocratique et une démarche autoritaire.
Le peuple peut être exclu de l’établissement de la future constitution. Dans ce cas, les dirigeants décident d’élaborer une nouvelle constitution, de la rédiger, sans la soumettre au peuple qui alors ne peut que la recevoir des dirigeants. La constitution est ainsi octroyée par un acte unilatéral du titulaire du pouvoir, qui est, compte tenu des circonstances, obligé de concéder une constitution. On parle d’un mode autoritaire d’établissement de la constitution. Ce fut le cas en France de la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 octroyée par Louis XVIII à son retour d’exil, ou celui de la Constitution accordée à la Russie par Nicolas II en 1905 après la première révolution russe.Lorsque l’octroi fait l’objet d’une transaction ou d’un compromis entre les forces en présence, la constitution apparaît comme plus contractuelle qu’unilatérale. Ce fut le cas de la charte constitutionnelle du 14 août 1830 qui a été négociée par Thiers au nom des parlementaires et le futur Louis Philippe ; c’est fut aussi le cas de la Constitution belge de 1831.
Le peuple est appelé à désigner une assemblée constituante chargée de rédiger une constitution. Le processus est public : la rédaction est publique, des avis et consultations sont sollicités, le texte est amendé, discutés et voté, les travaux préparatoires servent à l’interprétation et à la compréhension du texte. L’Assemblée constituante est en principe limitée dans le temps (le temps de faire la constitution), elle peut être convoquée exclusivement pour faire la constitution ou être législative en même temps, elle dispose en général de pouvoirs illimités (c’est le mythe de la table rase).
Il s’agit alors d’un mode démocratique d’établissement de la constitution. En effet, dans une démocratie, la volonté du peuple est la source du pouvoir : le pouvoir constituant, en tant que première manifestation de la souveraineté, appartient au peuple, c’est à dire au suffrage universel. Le peuple constituant peut être appelé à se prononcer par référendum (par une réponse par oui/non), sur le projet de constitution élaboré par les détenteurs du pouvoir et auquel le peuple ne participe pas. Ce fut le cas de la Constitution de l’An VIII ou celle de la constitution du 14 janvier 1852 (adoptée par référendum des 21 et 22 décembre 1851, peu après le coup d’Etat de Louis Napoléon Bonaparte du 2 décembre 1851). Il arrive parfois que le référendum permette un véritable choix. Ainsi, le référendum du 21 octobre 1945 posait une double question au peuple français. La première demandait : « Voulez-vous que l'Assemblée élue ce jour soit Constituante ? ». Si la réponse était positive, une seconde question portait sur l’organisation des pouvoirs publics pendant la période de mise en place de la nouvelle constitution. Une réponse négative impliquait un retour aux institutions de la IIIème République. Ici, le peuple français avait une vraie liberté de choix. Solution mixte : assemblée constituante puis référendum de ratification. L’illustration la plus caractéristique est l’expérience française de 1946 : un premier projet de constitution a été refusé par référendum le 5 mai 1946 ; alors une nouvelle assemblée constituante a été élue le 2 juin 1946. Son projet a été adopté par référendum le 13 octobre 1946 (et promulgué le 27 octobre 1946).