L’observation des structures étatiques à travers le monde permet de constater qu’il existe, comme le dit souvent la doctrine constitutionnaliste, plusieurs formes « d’État », ou formes politiques. Georg Jellinek (1851-1911) évoquait quant à lui les « structures » de l’État dans son ouvrage, déjà cité,
L’État moderne et son droit. La doctrine constitutionnaliste a pour habitude de dresser une typologie de ces formes politiques, comprenant – en général – deux catégories : l’État « unitaire », d’une part ; les États composés ou unions (plus ou moins intégrées) d’États, de l’autre (ces derniers peuvent être désignés par des termes ou expressions variables).
Sans entrer dans le détail d’un débat doctrinal fort complexe, plutôt inadapté à un cours adressé à de très jeunes juristes en formation, il faut toutefois reconnaître que, sur le plan juridique, dès lors que l’on a admis que la souveraineté était la caractéristique, le critère ultime de l’État (cf. la leçon 2), il est difficile – à moins de pécher par incohérence – de considérer que des entités politiques non souveraines puissent être qualifiées d’État. Or, la division binaire sus-évoquée conduit à classer dans la catégorie des États des entités qui ne sont pas souveraines au sens précédemment étudié : on songe notamment à l’« État » fédéral et aux « États » fédérés, composant « l'État » fédéral.
C’est pourquoi nous préférerons, dans la continuité des travaux d’Olivier Beaud (
Théorie de la Fédération, Paris, PUF, Léviathan, 2007) réserver la qualification d’État à l’État « unitaire » et utiliser la notion de Fédération pour désigner l’autre forme politique habituellement pratiquée dans le monde.
Après avoir présenté la structure de l’État unitaire (§1), nous en donnerons une illustration avec la France (§2).
Df.L’État « unitaire » est l’État qui exerce, à l’exclusion de tout autre, son pouvoir de domination sur l’intégralité de son territoire, en y déployant l’ensemble des prérogatives liées à la souveraineté.
Rq.On constate immédiatement que la définition ici donnée de l’État « unitaire » correspond à celle de l’État (tout court).
Dans cette configuration, l’unité de la puissance publique et du pouvoir politique est le fondement de la structure étatique. La souveraineté appartient à un unique détenteur et il n’y a qu’un seul centre d’impulsion du pouvoir politique. L’État unitaire se caractérise ainsi par la concentration et l’indivisibilité du pouvoir politique ce qui, comme l’explique Jacques Chevallier (L’État, Paris, Dalloz, 1999), implique trois choses :
- d’abord, un ordre constitutionnel unique, autrement dit, « l’unité des règles juridiques définissant [l]es conditions d’exercice » du pouvoir. Cela signifie que dans l’État « unitaire », il n’y a qu’une seule constitution, située au sommet de la hiérarchie des normes et dont dépend la validité de l’ensemble des normes infra-constitutionnelles ;
- ensuite, l’unité des normes étatiques, les normes de l’État s’appliquant à l’ensemble du territoire national et des individus qui s’y trouvent ;
- enfin, l’« unité de l’appareil » chargé de mettre en œuvre la puissance de l’État. L’État va placer, sur l’ensemble de son territoire, des autorités qui le représentent et agissent en son nom, afin d’exercer sa puissance souveraine sur tous les points de ce territoire.
Pour s’assurer la maîtrise de leurs territoires et le respect des normes qu’ils élaborent sur l’intégralité de ceux-ci, les États contemporains sont, la plupart du temps, aménagés selon le principe de la déconcentration. Souvent, ils sont également décentralisés – la décentralisation répondant toutefois à une philosophie différente de la déconcentration.
Df.La déconcentration est une modalité d’agencement du pouvoir au sein de l’État. Elle consiste à répartir des agents et des services de l’État sur l’ensemble du territoire national, en leur confiant le soin d’exercer localement des compétences (administratives) étatiques. Ces agents et services sont des agents et des services de l’État, des relais locaux du pouvoir central ; ils sont désignés par le pouvoir central et se trouvent placés sous sa dépendance et son contrôle. Le phénomène de la déconcentration se produit ainsi au sein d’une même personne morale (l’État).
En savoir plus : Schémas simplifiés de la déconcentration
Le cercle gris représente ici la personne morale « État »
En France, le préfet, institution napoléonienne, est la manifestation la plus connue de la technique de la déconcentration.
Df.La décentralisation désigne quant à elle une autre modalité d'agencement du pouvoir au sein de l'État (qui, d'ailleurs, n'est pas incompatible avec la déconcentration ; ainsi, en France, l'État est à la fois aménagé selon la technique de la déconcentration, et décentralisé). La décentralisation consiste en la création de collectivités publiques qui sont distinctes de l'État : elles disposent, comme lui, de la personnalité morale et sont à ce titre des sujets de droit à part entière. L'État leur délègue l'exercice de certaines compétences administratives, dont il se décharge à leur profit. Contrairement à l'hypothèse de la déconcentration, le transfert de compétences se réalise ici entre des personnes morales différentes. Ces collectivités publiques bénéficient, sous le contrôle de l'État, d'une certaine autonomie dans l'administration de leurs affaires. Cette autonomie résulte tant de l'attribution de la personnalité morale que du fait que les organes de ces collectivités (dans le cadre de la décentralisation géographique) sont, la plupart du temps, élus par les populations locales (et non désignés par le pouvoir central).
En savoir plus : Schéma simplifié de la décentralisation (géographique et fonctionnelle)
Le phénomène de la décentralisation répond à plusieurs types de besoins, au premier rang desquels celui de la prise en compte de la diversité : car unité (dans l'État unitaire) n'est pas synonyme d'uniformité. Cette technique part aussi du constat qu'il est plus efficace que certaines affaires soient gérées localement, par des personnes qui sont familières du contexte et maîtrisent les enjeux locaux. Prenons un exemple concret : y a-t-il mieux placé que les habitants d'une ville pour décider s'il est opportun d'y installer un réseau de tramway ? Certainement pas. On comprend dans ces circonstances que l'État cède, grâce à la technique de la décentralisation, la compétence de décider de l'installation d'un tel réseau à des organes élus par les habitants de la commune concernée, et chargés de les représenter. Enfin, en permettant aux habitants de telle collectivité de gérer collectivement les affaires locales, elle permet également le développement de démocraties locales.
En savoir plus : Georges Burdeau, « Principe et nature de la décentralisation », in Traité de science politique, Paris, LGDJ, 1949, tome 2
« Si diligents que soient les agents du Pouvoir, ils ne peuvent, à partir d'un centre unique, pourvoir à toutes les tâches qui leur incombent. C'est pourquoi il existe toujours des relais de la puissance. [...] Rome eut ses proconsuls, Charlemagne ses missi dominici, la monarchie ses intendants, Napoléon ses préfets. Dans ce système d'administration, certains fonctionnaires reçoivent du Pouvoir central, une délégation d'autorité qui leur permet de l'exercer localement ou pour la gestion d'un service déterminé. Le Pouvoir demeure unitaire, c'est son exercice seulement qui est démultiplié par la présence d'un agent qu'il dépêche au point où il y a lieu de décider. Il y a ce que l'on appelle déconcentration.
Toute autre est l'idée qui préside à la décentralisation. Une activité est dite décentralisée lorsque les règles qui la commandent sont édictées par des autorités émanant du groupe qu'elle concerne. Ce qui caractérise donc un groupement [...] lorsqu'il est décentralisé, c'est son affranchissement, quant à l'activité visée, à l'égard du pouvoir central. A l'origine de la décentralisation il y a ainsi une reconnaissance de la liberté de l'organisme qui en bénéficie, liberté qui s'analyse juridiquement dans la faculté dont il jouit de se donner à soi-même les normes qui le régissent. »
Les collectivités décentralisées ne sont pas des entités politiques souveraines. Elles n'exercent que de simples prérogatives administratives ; elles reçoivent de l'État leurs règles d'organisation et de fonctionnement. Dans la , un titre entier (le titre XII) est consacré aux « collectivités territoriales ». Dans les articles 72 et suivants de la Constitution, l'État souverain définit le statut et les prérogatives des collectivités qui n'ont pas, contrairement à lui, « la compétence de leur compétence ».
En savoir plus : Article 72 de la Constitution du 4 octobre 1958
« Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place d'une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa.
Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon.
Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. [...]
Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'État, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois.»
On présente souvent la France comme un modèle d’État « unitaire ». Cette affirmation est assez largement vraie, même si elle peut, à certains égards, être nuancée.
Le 25 septembre 1792, trois jours après avoir aboli la royauté, la Convention nationale déclarait « la République française une et indivisible ».
La tradition de l’État « unitaire » (de la République « indivisible ») est solidement ancrée dans l’histoire constitutionnelle française (au-delà de la Révolution, elle remonte d’ailleurs à l’Ancien régime et à la monarchie absolue qui s’est justement édifiée à travers le processus de concentration du pouvoir). Pour ne citer que les constitutions républicaines de notre histoire, on la trouve affirmée à nouveau dans la (IIe République, préambule), dans (IVe République, article 1er) et dans la Constitution de notre Ve République :
Tx.Article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 :
«
La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
Rq.L’affirmation du caractère unitaire et indivisible de la République n’est pas incompatible, comme cela a été précisé précédemment, avec l’affirmation de son caractère décentralisé. Toutefois, si la République française connaît le phénomène de la décentralisation depuis fort longtemps, il a fallu attendre la Constitution de 1946 (IVe République) pour voir reconnaître l’existence des collectivités territoriales par une norme constitutionnelle, leur conférant ainsi une protection accrue (cette existence ne pouvait dès lors plus être mise en cause par une simple loi). L’article 85 du titre X de la Constitution de 1946 (intitulé « Des collectivités territoriales ») était ainsi rédigé : « La République française, une et indivisible, reconnaît l’existence des collectivités territoriales. Ces collectivités sont les communes et départements, les territoires d’outre-mer ». La Constitution de 1958 reconnaît depuis les origines l’existence des collectivités territoriales. En revanche, l’affirmation de son « organisation décentralisé » a été insérée dans son article 1er par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003.
Le caractère « unitaire » de l’État est souvent traduit par son indivisibilité, indivisibilité qui se décline en trois aspects :
- L’indivisibilité du pouvoir souverain, d’abord. Cette indivisibilité implique l’unité du pouvoir politique, constituant et législatif, c’est-à-dire du pouvoir de faire la loi, dont on a vu qu’il constitue, depuis Jean Bodin, la marque, le sens profond de la souveraineté. A la différence de ce qui se produit dans les fédérations, le pouvoir législatif (comme le pouvoir constituant) est concentré et centralisé ; il n’est pas partagé entre plusieurs entités politiques ; les lois s’appliquent uniformément à l’ensemble du territoire national (sauf évidemment lorsque le législateur en décide autrement).
Rq.Pour exercer leurs missions administratives, les collectivités territoriales bénéficient également d’un pouvoir normatif (art.
72 de la Constitution : «
Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. » (nous soulignons)). Ce pouvoir réglementaire permet aux organes des collectivités territoriales d’élaborer des règlements, qui sont des normes générales et impersonnelles. Mais ce pouvoir règlementaire est un pouvoir d’exécution de la loi, bien entendu inférieur à la loi en termes de hiérarchie.
L’indivisibilité du pouvoir souverain explique également l’interdiction qui est faite, par le second alinéa de l’article 3 de la Constitution, « à aucune section du peuple […] [de] s’en attribuer l’exercice. »
- L’indivisibilité du territoire, ensuite. Celle-ci est protégée par plusieurs dispositions constitutionnelles : alinéa 2 de l’article 5 (le président de la République « est le garant » de « l’intégrité du territoire ») ; article 16 (« Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire […] sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances […] »). L’indivisibilité du territoire n’emporte pas pour autant son caractère immuable : l’article 53 de la Constitution encadre ainsi la « cession », l’« échange » ou l’« adjonction » de territoire (les traités portant modification de l’étendue du territoire « ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi » ; ces modifications ne sont pas « valable[s] » « sans le consentement des populations intéressées »).
- L’indivisibilité du peuple français, enfin. Ce dernier principe résulte de l’interprétation faite de plusieurs dispositions constitutionnelles par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991, Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse. Pour comprendre la décision du Conseil, il faut dire quelques mots du texte qui était soumis à son examen. La Corse, qui est française depuis son annexion par une conquête militaire qui a mis fin, en 1769, a son indépendance, fait partie, au même titre par exemple que les collectivités d’outre-mer, de ces collectivités territoriales de la République bénéficiant d’un statut spécifique et dérogatoire au droit commun. Plus précisément, elle appartient à la catégorie juridique des « collectivités à statut particulier », visée à l’alinéa 1er de l’article 72 de la Constitution (pour rappel : « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 » (nous soulignons)). Le traitement spécifique réservé à certaines collectivités territoriales peut s’expliquer par des raisons historiques (par exemple, lorsque telle collectivité est une ancienne colonie), géographiques (par exemple l’insularité ou l’éloignement de la métropole) ou encore démographiques (par exemple l’importance de la population). Envisagée du point des autorités étatiques françaises, l’histoire de la Corse est celle d’une hésitation permanente entre assimilation et reconnaissance de la particularité corse (v. le récent Rapport sur l’évolution institutionnelle de la Corse, rédigé par le professeur Wanda Mastor à l’attention du président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse). La loi portant statut particulier de la Corse soumise, au printemps 1991, à l’examen du Conseil constitutionnel comportait un article 1er ainsi rédigé : « La République française garantit à la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques. Ces droits liés à l'insularité s'exercent dans le respect de l'unité nationale, dans le cadre de la Constitution, des lois de la République et du présent statut ». Les auteurs de la saisine reprochaient – notamment – à la loi de reconnaître ainsi, juridiquement, l’existence au sein du peuple français d’un « peuple corse », ce qui d’après eux était contraire à « l’unicité » du peuple français, unicité qui aurait pour conséquence son indivisibilité. Au terme de son raisonnement, le Conseil constitutionnel a jugé d’une part, que « le concept juridique de "peuple français" » avait « valeur constitutionnelle », ce qui signifie qu’il est susceptible de produire des effets juridiques (le Gouvernement, dans sa défense, faisait valoir que le concept de « peuple français » avait une portée plus politique que juridique) ; d’autre part que l’indivisibilité de la République et « l’égalité devant la loi de tous les citoyens quelle que soit leur origine », proclamées à l’article 1er de la Constitution, emportaient l’indivisibilité du peuple français (l’expression n’est toutefois pas utilisée par le Conseil). En conséquence, d’après le Conseil, « la mention faite par le législateur du « peuple corse, composante du peuple français » est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion ». Il faut dès lors comprendre le peuple français comme un ensemble d’individus égaux devant la loi, et non comme un agrégat de « peuples » divers, cette diversité étant susceptible de fonder une différenciation (c’est-à-dire une discrimination) juridique. D’ailleurs, les membres du Conseil constitutionnel se sont à juste titre inquiétés des conséquences de la reconnaissance juridique de l’existence d’un peuple corse. Comme le soulignait le rapporteur, « si l’on s’engage à voir dans le peuple corse une composante du peuple français, on s’expose dans l’avenir à des conséquences redoutables : le législateur ne jugera-t-il pas à propos de consacrer un peuple breton, un peuple basque, un peuple auvergnat, un peuple lorrain… et pourquoi pas un peuple juif, qui n’aurait pas de territoire. » (PV de la séance du Conseil constitutionnel du 7 mail 1991, p. 12).
En savoir plus : Conseil constitutionnel, n° 91-290 DC du 9 mai 1991, Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse (extrait)
« […] 10. Considérant que l'article 1er de la loi est ainsi rédigé : « La République française garantit à la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques. Ces droits liés à l'insularité s'exercent dans le respect de l'unité nationale, dans le cadre de la Constitution, des lois de la République et du présent statut » ;
11. Considérant que cet article est critiqué en ce qu'il consacre juridiquement l'existence au sein du peuple français d'une composante « le peuple corse » ; qu'il est soutenu par les auteurs de la première saisine que cette reconnaissance n'est conforme ni au préambule de la Constitution de 1958 qui postule l'unicité du « peuple français », ni à son article 2 qui consacre l'indivisibilité de la République, ni à son article 3 qui désigne le peuple comme seul détenteur de la souveraineté nationale ; qu'au demeurant, l'article 53 de la Constitution se réfère aux « populations intéressées » d'un territoire et non pas au concept de peuple ; que les sénateurs auteurs de la troisième saisine font valoir qu'il résulte des dispositions de la Déclaration des droits de 1789, de plusieurs alinéas du préambule de la Constitution de 1946, de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, du préambule de la Constitution de 1958 comme de ses articles 2, 3 et 91, que l'expression « le peuple », lorsqu'elle s'applique au peuple français, doit être considérée comme une catégorie unitaire insusceptible de toute subdivision en vertu de la loi ;
12. Considérant qu'aux termes du premier alinéa du préambule de la Constitution de 1958 « le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 » ; que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen à laquelle il est ainsi fait référence émanait des représentants « du peuple français » ; que le préambule de la Constitution de 1946, réaffirmé par le préambule de la Constitution de 1958, énonce que « le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés » ; que la Constitution de 1958 distingue le peuple français des peuples d'outre-mer auxquels est reconnu le droit à la libre détermination ; que la référence faite au « peuple français » figure d'ailleurs depuis deux siècles dans de nombreux textes constitutionnels ; qu'ainsi le concept juridique de « peuple français » a valeur constitutionnelle ;
13. Considérant que la France est, ainsi que le proclame l'article 2 de la Constitution de 1958, une République indivisible, laïque, démocratique et sociale qui assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens quelle que soit leur origine ; que dès lors la mention faite par le législateur du « peuple corse, composante du peuple français » est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion ;
14. Considérant en conséquence que l'article 1er de la loi n'est pas conforme à la Constitution ; que toutefois il ne ressort pas du texte de cet article, tel qu'il a été rédigé et adopté, que ses dispositions soient inséparables de l'ensemble du texte de la loi soumise au Conseil constitutionnel […] »
Rq.On pourrait s’étonner, dans ces circonstances, de la référence faite (depuis la révision du 28 mars 2003) à l’article
72-3 de la Constitution aux « populations [et non aux « peuples »] d’outre-mer » («
La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d'égalité et de fraternité »). Outre le fait que cette reconnaissance est l’objet d’une norme constitutionnelle, introduite dans la Constitution par une loi constitutionnelle (de révision), non susceptible de contrôle par le Conseil constitutionnel, il faut bien reconnaître que la situation de ces populations, qui occupent des territoires rattachés à la France pendant la colonisation, est spécifique, dans la mesure au moins où l’on pourrait considérer qu’elles disposent d’un droit à l’autodétermination, qui pourrait s’exercer dans les conditions prévues à l’alinéa 3 de l’article
53 de la Constitution : «
Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des populations intéressées. »
Rq.Le débat sur l'indivisibilité du peuple français a récemment ressurgi à la faveur du projet de constitutionnalisation de la déchéance de nationalité, envisagée dans le contexte de l'après-attentats du 13 novembre 2015, pour les auteurs d'actes terroristes. L'article 2 du projet de loi constitutionnelle de protection de la Nation prévoyait l'insertion, à l'alinéa 3 de l'article 34 de la Constitution, des dispositions suivantes : la loi fixe les règles concernant « la nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne née française qui détient une autre nationalité peut être déchue de la nationalité française lorsqu'elle est condamnée pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation ». Ces dispositions nouvelles soulevaient de multiples questions, parfois théoriques (une constitution peut-elle, sans contredire son objet, comporter des dispositions illibérales ?) ou plus concrètes (qu'est-ce qu'une atteinte grave à la « vie de la Nation » ?). Nous n'examinerons ici que les interrogations en lien avec le principe qui nous occupe, à savoir celui d'indivisibilité du peuple. Le Gouvernement souhaitait en effet que la déchéance de nationalité ne puisse frapper que les Français binationaux. Ce faisant, le texte créait deux catégories de Français : d'un côté, les Français binationaux, qui pouvaient être déchus de la nationalité française ; de l'autre, les Français « mono-nationaux », qui ne le pouvaient pas. Outre qu'elles contrevenaient au principe d'égalité et à celui de l'interdiction des discriminations, ces dispositions étaient également contraires au principe d'indivisibilité du peuple français dans la mesure où, justement, elles créaient une division, en son sein, entre deux catégories de Français, soumis à des règles juridiques différentes. Ces interrogations sur l'éventuelle non-conformité de ces dispositions à diverses normes constitutionnelles n'auraient bien entendu pas pu empêcher leur insertion dans la Constitution (le Conseil constitutionnel refuse en effet de contrôler la conformité à la Constitution des lois constitutionnelles, c'est-à-dire de révision de la Constitution). Il n'en reste pas moins que le désaccord entre le Gouvernement, l'Assemblée nationale et le Sénat sur cette question du champ d'application de la déchéance de nationalité (tous les Français ou seulement les binationaux) est l'une des raisons principales de l'échec de la révision projetée en 2015-2016.
Comme cela a été rappelé plus haut, le caractère unitaire de l’État n’est incompatible ni avec la déconcentration, ni avec la décentralisation. La tendance actuelle, en France, est d’ailleurs au renforcement de cette dernière, comme le reflète la révision du 28 mars 2003, qui a notamment introduit à l’article 1er de la Constitution une référence à « l’organisation décentralisée » de la République.
Tx.Article 1er de la Constitution :
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. […] » (nous soulignons)
Désormais, les caractères indivisible et décentralisé de la République française ont donc tous deux valeur constitutionnelle.
Nous avons vu plus haut que la première caractéristique de la République indivisible consiste en l’indivisibilité du pouvoir souverain, qui implique l’unité du pouvoir législatif et politique. Cette unité du pouvoir législatif signifie que la compétence d’élaboration de normes (de valeur) législative est un monopole exclusif du pouvoir central. Il a également été précisé que les collectivités territoriales disposent aussi d’une compétence normative : mais elles ne peuvent élaborer que des normes d’exécution de la loi, qui lui sont strictement subordonnées, et dont l’application est strictement locale.
Nous avons vu également qu’il existe plusieurs catégories de collectivités territoriales, qui ne sont pas toutes soumises au même régime juridique. En dehors du régime de droit commun, applicable à la majorité des communes, des départements et des régions, il existe des régimes spécifiques qui régissent notamment l’organisation et le fonctionnement de certaines collectivités ultramarines.
La France a été, comme d’autres États européens, un empire colonial qui, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, était encore très étendu. Les colonies étaient des territoires occupés, situés en dehors des frontières métropolitaines, sur lesquels la France exerçait sa souveraineté.
En savoir plus : Carte de l’empire colonial français (1938)
La Seconde Guerre mondiale a conduit à l’ébranlement du système colonial, les peuples colonisés réclamant, après 1945, le retrait des puissances coloniales et leur indépendance. De nombreuses anciennes colonies françaises se sont alors émancipées (ainsi des colonies du nord et de l’ouest de l’Afrique), pour devenir des États autonomes. Mais il reste, encore aujourd’hui, des survivances de cet empire colonial. La Nouvelle-Calédonie en est une illustration.
La Nouvelle-Calédonie est un archipel situé dans l’océan Pacifique, à 17 000 kms de la métropole. Sa population est d’environ 300 000 habitants. Elle fut découverte à la fin du XVIIIe siècle, et devint définitivement une possession française en 1853. Les historiens considèrent qu’en 1914, les populations autochtones, largement spoliées par les colons, avaient vu leurs territoires réduits à 8% de la superficie totale de l’île.
Avec la disparition de l’Empire (remplacé, en 1946, par « l’Union française »), la Nouvelle-Calédonie perdit son statut de colonie pour devenir un « territoire d’outre-mer » (TOM).
En savoir plus : Titre VIII de la Constitution française du 27 octobre 1946 (IVe République) (extrait)
« Titre VIII - De l'Union française
Section I. - Principes.
Article 60. - L'Union française est formée, d'une part, de la République française qui comprend la France métropolitaine, les départements et territoires d'outre-mer, d'autre part, des territoires et États associés. […] »
Après l’entrée en vigueur de la Constitution de 1958, ce statut devait, dans un premier temps, être conservé. A partir du début des années 1980, toutefois, un conflit marqué d’incidents parfois meurtriers devait opposer les indépendantistes (principalement autochtones, rassemblés à compter de 1984 autour du FLNKS (le Front de libération nationale kanak et socialiste)) et les anti-indépendantistes (« loyalistes », regroupés autour du RPCR (Rassemblement pour la Calédonie dans la République)).
Après la prise d’otage d’Ouvéa, à la veille du premier tour de l’élection présidentielle de 1988, des représentants du FLNKS et du RPCR ont conclu, avec le Gouvernement français, les accords de Matignon (26 juin 1988).
En savoir plus : Les accords de Matignon
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Ces accords firent l’objet d’un référendum national le 6 novembre 1988 (organisé sur le fondement de l’article 11 de la Constitution). L’article 1er de la loi référendaire du 9 novembre 1988 portant dispositions statutaires et préparatoires à l’autodétermination de la Nouvelle-Calédonie en 1998, qui résumait la philosophie générale de la réforme du statut de l’archipel, disposait que la loi avait « pour objet de créer, par une nouvelle organisation des pouvoirs publics, les conditions dans lesquelles les populations de Nouvelle-Calédonie, éclairées sur les perspectives d'avenir qui leur sont ouvertes par le rétablissement et le maintien de la paix civile et par le développement économique, social et culturel du territoire, pourront librement choisir leur destin ». L’article 2 de ce même texte prévoyait quant à lui l’organisation d’un scrutin d’autodétermination, entre le 1er mars et le 31 décembre 1998, « sur le maintien dans la République ou [l’]accession [de la Nouvelle-Calédonie] à l’indépendance », conformément aux dispositions de l’article 53 de la Constitution.
L’échéance du référendum d’autodétermination fut finalement repoussée, par l’accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998 par les trois partenaires des accords de Matignon (État, FLNKS et RPCR). L’objet de cet accord était de définir un statut transitoire (et sui generis) pour la Nouvelle-Calédonie afin de l’accompagner, pendant une période de vingt ans, vers l’émancipation et l’indépendance, en lui « apprenant », en quelque sorte, l’autonomie.
Pour les constitutionnalistes, le cas de la Nouvelle-Calédonie présente un double intérêt. D’une part, à travers le processus d’émancipation et d’autonomisation de l’archipel, il illustre le phénomène de la formation (potentielle) d’un nouvel État ; d’autre part, et c’est ce second point qui va nous occuper, il révèle une organisation bilatérale originale entre l’État et cette collectivité, qui constitue une exception au principe d’indivisibilité de la République et du caractère unitaire de l’État français. Les très graves tensions qui ont secoué l'archipel depuis que l'État a déclaré souhaiter réformer le corps électoral (en 2024) témoignent de l'actualité de la question calédonienne.
En savoir plus : Préambule de l’accord de Nouméa (extrait)
« […] Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L'avenir doit être le temps de l'identité, dans un destin commun.
La France est prête à accompagner la Nouvelle-Calédonie dans cette voie.
5. Les signataires des accords de Matignon ont donc décidé d'arrêter ensemble une solution négociée, de nature consensuelle, pour laquelle ils appelleront ensemble les habitants de Nouvelle-Calédonie à se prononcer.
Cette solution définit pour vingt années l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation.
Sa mise en œuvre suppose une loi constitutionnelle que le Gouvernement s'engage à préparer en vue de son adoption au Parlement. […]
Les institutions de la Nouvelle-Calédonie traduiront la nouvelle étape vers la souveraineté : certaines des délibérations du Congrès du territoire auront valeur législative et un Exécutif élu les préparera et les mettra en œuvre.
Au cours de cette période, des signes seront donnés de la reconnaissance progressive d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, celle-ci devant traduire la communauté de destin choisie et pouvant se transformer, après la fin de la période, en nationalité, s'il en était décidé ainsi.
Le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée.
Afin de tenir compte de l'étroitesse du marché du travail, des dispositions seront définies pour favoriser l'accès à l'emploi local des personnes durablement établies en Nouvelle-Calédonie.
Le partage des compétences entre l'État et la Nouvelle-Calédonie signifiera la souveraineté partagée. Il sera progressif. Des compétences seront transférées dès la mise en œuvre de la nouvelle organisation. D'autres le seront selon un calendrier défini, modulable par le Congrès, selon le principe d'auto-organisation. Les compétences transférées ne pourront revenir à l'Etat, ce qui traduira le principe d'irréversibilité de cette organisation.
La Nouvelle-Calédonie bénéficiera pendant toute la durée de mise en œuvre de la nouvelle organisation de l'aide de l'État, en termes d'assistance technique et de formation et des financements nécessaires, pour l'exercice des compétences transférées et pour le développement économique et social. ]…]
Au terme d'une période de vingt années, le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l'accès à un statut international de pleine responsabilité et l'organisation de la citoyenneté en nationalité seront proposés au vote des populations intéressées.
Leur approbation équivaudrait à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. »
Deux mois et demi après l’accord de Nouméa, la loi constitutionnelle du 20 juillet 1988 relative à la Nouvelle-Calédonie devait esquisser le nouveau statut de l’archipel, qui allait désormais bénéficier d’une autonomie renforcée définie dans le nouveau titre XIII de la Constitution (« Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie »). Ce statut est fixé par la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.
En savoir plus : Titre XIII de la Constitution du 4 octobre 1958 : « Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie »
«
ARTICLE 76.
Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française.
Sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l'article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988.
Les mesures nécessaires à l'organisation du scrutin sont prises par décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres.
ARTICLE 77.
Après approbation de l'accord lors de la consultation prévue à l'article 76, la loi organique, prise après avis de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l'évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en œuvre :
-
les compétences de l'État qui seront transférées, de façon définitive, aux institutions de la Nouvelle-Calédonie, l'échelonnement et les modalités de ces transferts, ainsi que la répartition des charges résultant de ceux-ci ;
-
les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie et notamment les conditions dans lesquelles certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie pourront être soumises avant publication au contrôle du Conseil constitutionnel ;
-
les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l'emploi et au statut civil coutumier ;
-
les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l'accession à la pleine souveraineté.
Les autres mesures nécessaires à la mise en oeuvre de l'accord mentionné à l'article 76 sont définies par la loi.
Pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se réfèrent l'accord mentionné à l'article 76 et les articles 188 et 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est le tableau dressé à l'occasion du scrutin prévu audit article 76 et comprenant les personnes non admises à y participer. »
Aux termes du préambule de l’accord de Nouméa, précité, « Les institutions de la Nouvelle-Calédonie traduiront la nouvelle étape vers la souveraineté : certaines des délibérations du Congrès du territoire auront valeur législative et un Exécutif élu les préparera et les mettra en œuvre. ». Ces institutions sont le Congrès, le Gouvernement, le Sénat coutumier, le Conseil économique et social et les conseils coutumiers.
Source : site internet du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie : https://gouv.nc/gouvernement-et-institutions/en-un-coup-doeil
L’institution la plus importante de la Nouvelle-Calédonie est assurément le Congrès. Il est une assemblée délibérante qui comprend 54 membres élus pour 5 ans.
Le Congrès est notamment habilité à voter des normes de valeur législative appelées les « lois du pays ». Les projets et propositions de lois du pays sont soumis pour avis au Conseil d’État. Une fois adoptée par le Congrès, la loi du pays peut être déférée au Conseil constitutionnel, qui examinera dans ce cas sa conformité à la Constitution.
Le domaine des « lois du pays » est défini par l’article 22 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. Il comprend, notamment, les règles relatives à l’assiette et au recouvrement des impôts, le droit du travail et le droit syndical, la protection sociale et de la santé publique ou encore le droit de la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie et des communes. Ce champ relève, au moins pour partie, du domaine de la loi (et donc en principe de la compétence du Parlement français) en vertu des dispositions de la Constitution de 1958.
Le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie est quant à lui une autorité collégiale, dont les membres sont élus par le Congrès. Il est solidairement responsable devant ce dernier. Il exerce la fonction exécutive en préparant et en exécutant les décisions du Congrès.
Comme l’écrit Guy Carcassonne dans son commentaire de l’article 77 de la Constitution (La Constitution, Paris, Le Seuil), « Ce n’est plus un régime dérogatoire. C’est un régime d’exception ». En effet, par dérogation au principe d’indivisibilité de la République et d’indivisibilité de la souveraineté, une partie des compétences de l’État français ont fait l’objet d’un transfert au profit des institutions calédoniennes, conformément au 1er alinéa de l’article 77 de la Constitution qui évoque « les compétences de l'État qui seront transférées, de façon définitive, aux institutions de la Nouvelle-Calédonie ». Il résulte (notamment) de ces transferts que, sur l’archipel, le pouvoir législatif est désormais partagé (le préambule de l’accord de Nouméa évoque expressément la « souveraineté partagée », cf. plus haut) entre l’État français (qui demeure compétent pour les matières énumérées à l’article 21 de la loi organique du 19 mars 1999 précitée) et la Nouvelle-Calédonie. Dans ces circonstances, il semble que la qualification d’État « unitaire » est inadéquate dès lors que l’on appréhende les relations entretenues entre la République et cette collectivité. Selon le professeur Valérie Goesel-Le Bihan, celles-ci s’apparenteraient à un « quasi-fédéralisme temporaire à une seule unité » (« La Nouvelle-Calédonie et l’Accord de Nouméa, un processus inédit de décolonisation », Annuaire français de droit international, 1998).
Observons toutefois que, d’une part, la Nouvelle-Calédonie ne dispose pas du pouvoir de définir, par elle-même, son organisation institutionnelle (contrairement aux collectivités membres d’une fédération, par exemple) et, d’autre part et surtout, que contrairement à la philosophie de la fédération, qui est celle d’une union d’entités politiques fondée pour durer, la volonté qui sous-tend l’union spécifique entre la République et la Nouvelle-Calédonie est celle d’une prochaine séparation. Comme l’écrit Olivier Beaud, « si fédéralisme il y avait, il serait uniquement de dissociation et non d’agrégation » (« Libres propos sur le 3e référendum en Nouvelle-Calédonie », Blog de Jus politicum, novembre 2021). Le dispositif résultant de l’accord de Nouméa est donc tout à fait original, ce qui explique qu’on lui ait consacré ces quelques lignes.
Trois référendums d’auto-détermination ont été, à ce jour, organisés, en application des dispositions précitées. La question posée au corps électoral était la suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et à l’indépendance ? ». A trois reprises, en novembre 2018, octobre 2020 et décembre 2021, le « Non » l’a emporté (avec 96,50 % des voix en 2021, en raison du refus de la participation des indépendantistes).
Source : https://www.vie-publique.fr
L’échec de ces référendums laisse l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie en suspens. Le Gouvernement français a engagé une série de négociations visant à élaborer un statut nouveau pour l’archipel. Un projet d’accord entre les différents partenaires (État, indépendantistes et anti-indépendantistes) est actuellement en cours de gestation, dans un climat extrêmement tendu.
La doctrine constitutionnaliste a pour habitude d’opposer l’État « unitaire » à l’« État » fédéral. Or, comme l’ont montré les travaux d’Olivier Beaud (
Théorie de la Fédération, Paris, PUF, coll. « Léviathan »), cette présentation n’est guère satisfaisante, dans la mesure notamment où le modèle de la Fédération n’est pas soluble dans l’État. En pensant la Fédération de façon stato-centrée (c’est-à-dire centrée sur l’État), on est rapidement confronté à des difficultés théoriques insurmontables. La plus importante d’entre elles consiste à vouloir transposer la souveraineté, caractéristique de l’État, à la Fédération, parfois conçue – c’est notamment le cas avec l’ « État » fédéral – comme une sous-catégorie de la catégorie plus vaste qu’est l’État (ainsi l’« État » fédéral est souvent présenté comme l’une des « formes d’État ». Or, si la souveraineté (dont on rappelle qu’elle est la caractéristique de l’État) est une puissance absolue, suprême, et indivisible, n’est-elle pas incompatible avec l’idée de l’« État » fédéral ? Car, de deux choses l’une : soit l’« État » fédéral est souverain, mais dans ce cas les « États » fédérés, membres de la Fédération, ne peuvent pas l’être et ne peuvent dans ces circonstances être qualifiés d’États ; soit les « États » fédérés sont souverains, et dans ce cas la souveraineté est divisée ; il est difficile dans ces circonstances de considérer que l’« État » fédéral puisse être qualifié d’État.
C’est pourquoi le professeur Olivier Beaud invite à penser la Fédération comme une notion « autonome », en la sortant « de l’orbite de l’État ». Nous nous inscrirons ici dans la continuité de ces travaux en considérant la Fédération comme forme politique originale et à part entière, c’est-à-dire non-étatique.
D’après Olivier Beaud, la Fédération est « une union d’États » qui repose sur deux impératifs ou deux idées-force. D’une part, « la conciliation de la diversité dans l’unité ou, mieux, de la « pluralité dans l’unité » ». D’autre part, la « volonté de s’associer de la part des unités politiques qui la créent et souhaitent en devenir les futurs États membres » (Olivier Beaud, Théorie de la Fédération, op. cit.).
Df.La Fédération est une institution à part entière : en s’associant, les États membres créent une institution nouvelle, distincte d’eux, sans se dissoudre en elle. A ce titre, la Fédération peut être conçue comme « une libre association d’États qui entendent fonder un nouveau corps politique tout en voulant rester eux-mêmes des entités politiques » (ibid.)
Comme l’explique Charles Durand dans son ouvrage Confédération d’États et État fédéral (Paris, M. Rivière, 1955), « une fédération de collectivités publiques se définit par la co-existence des deux traits suivants :
-
A la différence d’une simple alliance, elle forme elle-même une collectivité publique, une personne active de droit positif car elle est pourvue d’organes auxquels la règle juridique qui lui sert de base confère des pouvoirs de décision, sur le plan interne et dans l’ordre externe, en des domaines plus ou moins étendus et avec un degré d’initiative plus ou moins élevé.
-
Chacune des collectivités ainsi fédérées conserve ou acquiert, en vertu du même acte fondamental, une autonomie partielle, c'est-à-dire qu’en certaines matières les pouvoirs de décision appartiennent à ses propres organes indépendants en droit des organes communs.
La raison d’être politique d’un tel système c’est que l’on désire simultanément satisfaire les besoins et les intérêts communs à toutes ces collectivités fédérées (Paix, sécurité, etc.) et laisser à chacune, en d’autres domaines où leurs intérêts matériels et leurs aspirations morales peuvent différer, toute l’autonomie compatible avec la réalisation des buts assignés à la fédération entière. […] Associer la diversité et l’unité, supprimer la pleine indépendance des parties sans les fondre en une collectivité complètement intégrée, assurer la co-existence de ces deux catégories d’intérêts, telle est la raison d’être du fédéralisme. »
En dehors de la Fédération, il existe d’autres formes de groupements d’États, parmi lesquelles la confédération d’États. Ce modèle est une union d’États, fondée sur une convention internationale, dans laquelle le degré d’intégration est faible : les décisions y sont (en principe) prises à l’unanimité des États membres.
Comme l’écrivaient les pères fondateurs de la constitution des États-Unis à la Convention de Philadelphie en 1787, « l’État fédéral est une société de sociétés. L’État unitaire n’est qu’une société d’individus ». Alors que l’« État unitaire » regroupe, sous une puissance souveraine unique, des individus, la Fédération regroupe des entités politiques, les États membres. En d’autres termes, la Fédération repose sur la superposition de deux niveaux institutionnels (et politiques), dotés de compétences distinctes, que les deux niveaux peuvent exercer avec des degrés d’indépendance divers.
Comme l’expliquait Georges Scelle (à propos de l’« État » fédéral), la Fédération est organisée sur la base de trois grands principes, qui ont chacun des conséquences institutionnelles. Le premier principe est le principe de participation, le second le principe d’autonomie, le troisième le principe de superposition.
- Participation. Ce principe signifie que les collectivités membres de la Fédération participent à la formation des décisions de la cette dernière. Dit autrement, tant les citoyens de la Fédération que les États membres de cette Fédération doivent participer à l’expression de la volonté générale s’incarnant dans les décisions fédérales. Sur le plan institutionnel, ce principe se traduit au niveau de la fédération par l’existence de parlements bicaméraux (c’est-à-dire formés de deux chambres) au niveau de la Fédération, dont l’une comprend les représentants des collectivités fédérées.
Ex.Ainsi, aux États-Unis d’Amérique, le Congrès est bicaméral. La chambre des représentants du peuple américain comprend les représentants des peuples des entités fédérées, le Sénat comprend quant à lui les représentants des États, représentés en tant que tels (à raison de deux représentants par État fédéré).
- Autonomie. Les entités politiques membres de la Fédération, dont les appellations sont diverses (« State » aux États-Unis, « Land » en Allemagne, « Canton » en Suisse, « Région » en Belgique, etc.) bénéficient d’une autonomie organisationnelle, politique et juridique large, qui se manifeste d’abord par l’existence d’un pouvoir constituant et de révision en leur faveur. Dit autrement, les entités fédérées ont la faculté d’établir leur propre Constitution, et donc de choisir leur organisation institutionnelle. Cela permet notamment de distinguer la situation des collectivités décentralisées et des entités fédérées dans la mesure où les premières, contrairement aux seconds, reçoivent leur statut de l’État « unitaire », et ne peuvent le modifier librement (cf. ainsi les titres XII et XIII de la Constitution française de 1958).
Rq.La Fédération dispose aussi d’une constitution, qui se matérialise dans le « pacte fédératif » (selon la terminologie employée par Olivier Beaud, Le pacte fédératif. Essai sur la constitution de la Fédération et sur l’Union européenne, Paris, Dalloz, 2022).
Du principe d’autonomie découle également l’existence d’un pouvoir législatif et donc d’une législation propre(s) à chaque entité fédérée (comme d’un pouvoir exécutif et d’institutions juridictionnelles). La répartition des compétences entre le niveau de la Fédération et celui des collectivités membres est réalisée par le « pacte fédératif » (constitution de la Fédération). La plupart du temps, la constitution de la Fédération reconnaît une compétence de principe à cette dernière et une compétence d’attribution aux entités fédérées.
Ex.Alors qu’il y a, en France, un seul code pénal dont les dispositions s’appliquent à l’ensemble des individus qui se trouvent sur le territoire de la République, il y a, aux États-Unis d’Amérique, autant de législations pénales que d’États. Ainsi, en France, la peine de mort ne peut plus être prononcée dans la mesure où elle a été abolie par la loi du 9 octobre 1981 portant abolition de la peine de mort (l’interdiction de la peine de mort a par la suite – en 2007 – été constitutionnalisée à l’article 66-1 de la Constitution). Aux États-Unis, la législation pénale relève en revanche partiellement de la compétence des États fédérés. A ce titre, ces derniers sont libres de pratiquer, ou non, la peine de mort. De la même façon, entre États pratiquant la peine de mort, les modalités de son administration varient (injection létale, électrocution, pendaison…).
En savoir plus : Quelques extraits de constitutions « fédératives »
Constitution américaine du 17 septembre 1787
«
Préambule
Nous, le peuple des États-Unis, en vue de former une union plus parfaite, d'établir la justice, d'assurer la paix intérieure, de pourvoir à la défense commune, de développer la prospérité générale et d'assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre postérité, nous ordonnons et établissons la présente Constitution pour les États-Unis d'Amérique.
Article premier
Section 1.
Tous les pouvoirs législatifs accordés par la présente Constitution seront attribués à un Congrès des États-Unis, qui sera composé d'un Sénat et d'une Chambre des représentants.
Section 2.
1. La Chambre des représentants sera composée de membres choisis tous les deux ans par le peuple des différents États ; dans chaque État, les électeurs devront remplir les conditions requises pour être électeur à l'assemblée la plus nombreuse de la législature de cet État. […]
Section 8.
Le Congrès aura le pouvoir :
-
De lever et de percevoir des taxes, droits, impôts et excises, de payer les dettes et pourvoir à la défense commune et à la prospérité générale des États-Unis ; mais lesdits droits, impôts et excises seront uniformes dans toute l'étendue des États-Unis ;
-
De faire des emprunts sur le crédit des États-Unis ;
-
De réglementer le commerce avec les nations étrangères, entre les divers États, et avec les tribus indiennes ; [...]
-
De battre monnaie, d'en déterminer la valeur et celle de la monnaie étrangère, et de fixer l'étalon des poids et mesures ;
-
D'assurer la répression de la contrefaçon des effets et de la monnaie en cours aux États-Unis ; [...]
-
De favoriser le progrès de la science et des arts utiles, en assurant, pour un temps limité, aux auteurs et inventeurs le droit exclusif sur leurs écrits et sur leurs découvertes respectifs ;
-
De constituer des tribunaux subordonnés à la Cour suprême ; [...]
-
De déclarer la guerre, d'accorder des lettres de marque et de représailles, et d'établir des règlements concernant les prises sur terre et sur mer ;
-
De lever et d'entretenir des armées, sous réserve qu'aucune affectation de crédits à cette fin ne s'étende sur plus de deux ans ;
-
De créer et d'entretenir une marine de guerre ;
-
D'établir des règlements pour le commandement et la discipline des forces de terre et de mer ; [...]
-
Et de faire toutes les lois qui seront nécessaires et convenables pour mettre à exécution les pouvoirs ci-dessus mentionnés et tous les autres pouvoirs conférés par la présente Constitution au gouvernement des États- Unis ou à l'un quelconque de ses départements ou de ses fonctionnaires. […]
Section 10.
1. Aucun État ne pourra être partie à un traité ou une alliance ou à une Confédération ; accorder des lettres de marque et de représailles ; battre monnaie ; émettre du papier monnaie, donner cours légal, pour le paiement de dettes, à autre chose que la monnaie d'or ou d'argent ; promulguer aucune loi portant condamnation sans jugement, aucune loi rétroactive ou qui porterait atteinte aux obligations résultant de contrats ; ni conférer des titres de noblesse.
2. Aucun État ne pourra, sans le consentement du Congrès, lever des impôts ou des droits sur les importations ou les exportations autres que ceux qui seront absolument nécessaires pour l'exécution de ses lois d'inspection, et le produit net de tous les droits ou impôts levés par un État sur les importations ou les exportations sera affecté à l'usage du Trésor des États-Unis ; et toutes ces lois seront soumises à la révision ou au contrôle du Congrès.
3. Aucun État ne pourra, sans le consentement du Congrès, lever des droits de tonnage, entretenir des troupes ou des navires de guerre en temps de paix, conclure des accords ou des pactes avec un autre État ou une puissance étrangère, ni entrer en guerre, à moins qu'il ne soit effectivement envahi ou en danger trop imminent pour permettre le moindre délai. […] »
Loi fondamentale allemande du 23 mai 1949
«
Article 28 [Garantie fédérale relative aux constitutions des Länder, autonomie communale]
(1) L’ordre constitutionnel des Länder doit être conforme aux principes d’un État de droit républicain, démocratique et social, au sens de la présente Loi fondamentale. Dans les Länder, les arrondissements et les communes, le peuple doit avoir une représentation issue d’élections au suffrage universel direct, libre, égal et secret. Pour les élections dans les arrondissements et communes, les personnes possédant la nationalité d’un État membre de la Communauté européenne sont également électrices et éligibles dans les conditions du droit de la Communauté européenne. Dans les communes, l’assemblée des citoyens de la commune peut tenir lieu de corps élu. (2) Aux communes doit être garanti le droit de régler, sous leur propre responsabilité, toutes les affaires de la communauté locale, dans le cadre des lois. Les groupements de communes ont également le droit à la libre administration dans le cadre de leurs attributions légales et dans les conditions définies par la loi. La garantie de la libre administration englobe également les bases de l’autonomie financière ; ces bases comprennent une ressource fiscale revenant aux communes, qui est assise sur le potentiel économique et dont les communes peuvent fixer le taux de perception. (3) La Fédération garantit la conformité de l’ordre constitutionnel des Länder avec les droits fondamentaux et avec les dispositions des alinéas 1 et 2. […]
Article 30 [Répartition des compétences entre la Fédération et les Länder]
L’exercice des pouvoirs étatiques et l’accomplissement des missions de l’État relèvent des Länder, à moins que la pré- sente Loi fondamentale n’en dispose autrement ou n’autorise une règle différente.
Article 31 [Primauté du droit fédéral] Le droit fédéral prime le droit de Land.
Article 32 [Relations extérieures]
(1) La conduite des relations avec les États étrangers relève de la Fédération. (2) Avant la conclusion d’un traité touchant la situation particulière d’un Land, ce Land devra être entendu en temps utile. (3) Dans la mesure de leur compétence législative, les Länder peuvent, avec l’approbation du Gouvernement fédéral, conclure des traités avec des États étrangers. […]
Article 38 [Élections du Bundestag]
(1) Les députés du Bundestag allemand sont élus au suffrage universel, direct, libre, égal et secret. Ils sont les représentants de l’ensemble du peuple, ne sont liés ni par des mandats ni par des instructions et ne sont soumis qu’à leur conscience. (2) Est électeur celui qui a dix-huit ans révolus ; est éligible celui qui a atteint l’âge de la majorité. (3) Les modalités sont définies par une loi fédérale. […]
Article 50 [Missions du Bundesrat]
Par l’intermédiaire du Bundesrat, les Länder participent à la législation et à l’administration de la Fédération et aux affaires de l’Union européenne.
Article 51 [Composition du Bundesrat]
(1) Le Bundesrat se compose de membres des Gouvernements des Länder, qui les nomment et les révoquent. Ils peuvent se faire représenter par d’autres membres de leur Gouvernement. (2) Chaque Land a au moins trois voix, les Länder qui comptent plus de deux millions d’habitants en ont quatre, ceux qui comptent plus de six millions d’habitants en ont cinq, ceux qui comptent plus de sept millions d’habitants en ont six. (3) Chaque Land peut déléguer autant de membres qu’il a de voix. Les voix d’un Land ne peuvent être exprimées que globalement et seulement par des membres présents ou leurs suppléants.[...]
Article 70 [Répartition des compétences législatives entre la Fédération et les Länder]
(1) Les Länder ont le droit de légiférer dans les cas où la pré- sente Loi fondamentale ne confère pas à la Fédération des pouvoirs de légiférer. (2) La délimitation des compétences de la Fédération et des Länder s’effectue selon les dispositions de la présente Loi fondamentale relatives aux compétences législatives exclusives et concurrentes.
Article 71 [Compétence législative exclusive de la Fédération, notion]
Dans le domaine de la compétence législative exclusive de la Fédération, les Länder n’ont le pouvoir de légiférer que si une loi fédérale les y autorise expressément et dans la mesure prévue par cette loi.
Article 72 [Compétence législative concurrente de la Fédération, notion]
(1) Dans le domaine de la compétence législative concurrente, les Länder ont le pouvoir de légiférer aussi longtemps et pour autant que la Fédération n’a pas fait par une loi usage de sa compétence législative. (2) Dans les domaines de l’article 74, al. 1 nos 4, 7, 11, 13, 15, 19a, 20, 22, 25 et 26, la Fédération a le droit de légiférer lorsque et pour autant que l’établissement de conditions de vie équivalentes sur le territoire fédéral ou la sauvegarde de l’unité juridique ou économique rendent nécessaire une législation fédérale dans l’intérêt de l’ensemble de l’État. (3) Lorsque la Fédération a fait usage de sa compétence de législation, les Länder peuvent adopter des dispositions législatives qui s’en écartent en matière de 1. chasse (sauf le droit des permis de chasse) ; 2. protection de la nature et conservation des sites (sauf les principes généraux du droit de la protection de la nature, le droit de la protection des espèces ou celui des espaces naturels marins) ; 3. répartition foncière ; 4. aménagement du territoire ; 5. régime des eaux (sauf les règles relatives aux substances et aux installations) ; 6. admission aux établissements d’enseignement supérieur et diplômes terminaux d’enseignement supérieur. Les lois fédérales dans ces domaines entrent en vigueur au plus tôt six mois après leur promulgation, sauf s’il en est disposé autrement avec l’approbation du Bundesrat. Pour ce qui concerne le rapport entre droit fédéral et droit de Land dans les matières de la première phrase, la loi la plus récente l’emporte. (4) Une loi fédérale peut décider qu’une disposition législative fédérale pour laquelle il n’existe plus de nécessité au sens de l’alinéa 2 peut être remplacée par du droit de Land.
Article 73 [Compétence législative exclusive de la Fédération, liste des matières]
(1) La Fédération a la compétence législative exclusive dans les matières ci-dessous : 1. affaires étrangères ainsi que défense, y compris la protection de la population civile ; 2. nationalité dans la Fédération ; 3. liberté de circulation et d’établissement, régime des passeports, déclarations de domicile et cartes d’identité, immigration et émigration, et extradition ; 4. monnaie, papier-monnaie et monnaie métallique, poids et mesures ainsi que définition légale du temps ; 5. unité du territoire douanier et commercial, traités de commerce et de navigation, libre circulation des marchandises, échanges commerciaux et monétaires avec l’étranger, y compris la police des douanes et des frontières ; 5 a. protection du patrimoine culturel allemand contre son transfert à l’étranger ; 6. navigation aérienne ; 6 a. transport sur des chemins de fer appartenant en totalité ou en majorité à la Fédération (chemins de fer de la Fédération), construction, entretien et exploitation des voies ferrées des chemins de fer de la Fédération ainsi que perception de redevances pour l’utilisation de ces voies ferrées ; 7. postes et télécommunications ; 8. statut des personnels au service de la Fédération et des collectivités de droit public dépendant directement de la Fédération ; 9. concurrence et protection de la propriété industrielle, droits d’auteur et droits d’édition ; 9 a. prévention des dangers du terrorisme international par l’Office fédéral de police criminelle, lorsqu’il y a danger menaçant plusieurs Länder, lorsque la compétence d’une autorité de police de Land n’apparaît pas clairement ou lorsqu’une autorité administrative suprême de Land demande qu’il en soit ainsi ; 10. coopération de la Fédération et des Länder a) en matière de police criminelle, b) pour protéger l’ordre constitutionnel libéral et démocratique, l’existence et la sécurité de la Fédération ou d’un Land (protection de la constitution), et c) pour protéger contre des menées sur le territoire fédéral qui, par l’emploi de la force ou par des préparatifs en ce sens, mettent en danger les intérêts extérieurs de la République fédérale d’Allemagne, ainsi que création d’un office fédéral de police criminelle et répression internationale de la criminalité ; 11. statistique à finalité fédérale ; 12. législation des armes et des explosifs ; 13. pensions des mutilés de guerre et des familles de victimes de guerre et assistance aux anciens prisonniers de guerre ; 14. production et utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques, construction et exploitation d’installations servant à ces fins, protection contre les dangers occasionnés par la libération d’énergie nucléaire ou par des radiations ionisantes, et élimination des substances radioactives ; (2) Les lois prévues à l’alinéa 1er, n° 9a, requièrent l’approbation du Bundesrat. […]
Article 79 [Modifications de la Loi fondamentale]
(1) La Loi fondamentale ne peut être modifiée que par une loi qui en modifie ou en complète expressément le texte. En ce qui concerne les traités internationaux ayant pour objet un règlement de paix, la préparation d’un règlement de paix ou l’abolition d’un régime d’occupation, ou qui sont destinés à servir la défense de la République fédérale, il suffit, pour préciser que les dispositions de la Loi fondamentale ne font pas obstacle à la conclusion et à la mise en vigueur des traités, de compléter le texte de la Loi fondamentale en se limitant à cette précision. (2) Une telle loi doit être approuvée par les deux tiers des membres du Bundestag et les deux tiers des voix du Bundesrat. (3) Toute modification de la présente Loi fondamentale qui toucherait à l’organisation de la Fédération en Länder, au principe de la participation des Länder à la législation ou aux principes énoncés aux articles 1 et 20, est interdite. […] »
Constitution fédérale de la Confédération suisse du 18 avril 1999
«
Préambule
Au nom de Dieu Tout-Puissant !
Le peuple et les cantons suisses, conscients de leur responsabilité envers la Création, résolus à renouveler leur alliance pour renforcer la liberté, la démocratie, l’indépendance et la paix dans un esprit de solidarité et d’ouverture au monde, déterminés à vivre ensemble leurs diversités
dans le respect de l’autre et l’équité, conscients des acquis communs et de leur devoir d’assumer leurs responsabilités envers les générations futures, sachant que seul est libre qui use de sa liberté et que la force de la communauté se mesure au bien-être du plus faible de ses membres, arrêtent la Constitution que voici:
Titre 1 Dispositions générales
Art. 1 Confédération suisse
Le peuple suisse et les cantons de Zurich, de Berne, de Lucerne, d’Uri, de Schwyz, d’Obwald et de Nidwald, de Glaris, de Zoug, de Fribourg, de Soleure, de Bâle-Ville et de Bâle-Campagne, de Schaffhouse, d’Appenzell Rhodes-Extérieures et d’Appenzell Rhodes-Intérieures, de Saint-Gall, des Grisons, d’Argovie, de Thurgovie, du Tessin, de Vaud, du Valais, de Neuchâtel, de Genève et du Jura forment la Confédération suisse.
Art. 2 But
1 La Confédération suisse protège la liberté et les droits du peuple et elle assure l’indépendance et la sécurité du pays.
2 Elle favorise la prospérité commune, le développement durable, la cohésion interne et la diversité culturelle du pays.
3 Elle veille à garantir une égalité des chances aussi grande que possible.
4 Elle s’engage en faveur de la conservation durable des ressources naturelles et en faveur d’un ordre international juste et pacifique.
Art. 3 Cantons
Les cantons sont souverains en tant que leur souveraineté n’est pas limitée par la Constitution fédérale et exercent tous les droits qui ne sont pas délégués à la Confédération. […]
Titre 3 Confédération, cantons et communes
Chapitre 1 Rapports entre la Confédération et les cantons
Section 1 Tâches de la Confédération et des cantons
Art. 42 Tâches de la Confédération
La Confédération accomplit les tâches que lui attribue la Constitution.
Art. 43 Tâches des cantons
Les cantons définissent les tâches qu’ils accomplissent dans le cadre de leurs compétences.
Art. 49a Principes applicables lors de l’attribution et de l’accomplissement des tâches étatiques
1 La Confédération n’assume que les tâches qui excèdent les possibilités des cantons ou qui nécessitent une réglementation uniforme par la Confédération. […]
Art. 45 Participation au processus de décision sur le plan fédéral
1 Les cantons participent, dans les cas prévus par la Constitution fédérale, au processus de décision sur le plan fédéral, en particulier à l’élaboration de la législation.
2 La Confédération informe les cantons de ses projets en temps utile et de manière détaillée ; elle les consulte lorsque leurs intérêts sont touchés. […]
Art. 47 Autonomie des cantons
1 La Confédération respecte l’autonomie des cantons.
2 Elle laisse aux cantons suffisamment de tâches propres et respecte leur autonomie d’organisation. Elle leur laisse des sources de financement suffisantes et contribue à ce qu’ils disposent des moyens financiers nécessaires pour accomplir leurs tâches. […]
Art. 49 Primauté et respect du droit fédéral
1 Le droit fédéral prime le droit cantonal qui lui est contraire.
2 La Confédération veille à ce que les cantons respectent le droit fédéral.
Section 4 Garanties fédérales
Art. 51 Constitutions cantonales
1 Chaque canton se dote d’une constitution démocratique. Celle-ci doit avoir été acceptée par le peuple et doit pouvoir être révisée si la majorité du corps électoral le demande.
2 Les constitutions cantonales doivent être garanties par la Confédération. Cette garantie est accordée si elles ne sont pas contraires au droit fédéral.
Art. 52 Ordre constitutionnel
1 La Confédération protège l’ordre constitutionnel des cantons.
2 Elle intervient lorsque l’ordre est troublé ou menacé dans un canton et que celui-ci n’est pas en mesure de le préserver, seul ou avec l’aide d’autres cantons.
Art. 53 Existence, statut et territoire des cantons
1 La Confédération protège l’existence et le statut des cantons, ainsi que leur territoire.
2 Toute modification du nombre des cantons ou de leur statut est soumise à l’approbation du corps électoral concerné et des cantons concernés ainsi qu’au vote du peuple et des cantons.
3 Toute modification du territoire d’un canton est soumise à l’approbation du corps électoral concerné et des cantons concernés ; elle est ensuite soumise à l’approbation de l’Assemblée fédérale sous la forme d’un arrêté fédéral.
4 La rectification de frontières cantonales se fait par convention entre les cantons concernés.
Chapitre 2 Compétences
Section 1 Relations avec l’étranger
Art. 54 Affaires étrangères
1 Les affaires étrangères relèvent de la compétence de la Confédération.
2 La Confédération s’attache à préserver l’indépendance et la prospérité de la Suisse; elle contribue notamment à soulager les populations dans le besoin et à lutter contre la pauvreté ainsi qu’à promouvoir le respect des droits de l’homme, la démocratie, la coexistence pacifique des peuples et la préservation des ressources naturelles.
3 Elle tient compte des compétences des cantons et sauvegarde leurs intérêts.
Art. 55 Participation des cantons aux décisions de politique extérieure
1 Les cantons sont associés à la préparation des décisions de politique extérieure affectant leurs compétences ou leurs intérêts essentiels.
2 La Confédération informe les cantons en temps utile et de manière détaillée et elle les consulte.
3 L’avis des cantons revêt un poids particulier lorsque leurs compétences sont affectées. Dans ces cas, les cantons sont associés de manière appropriée aux négociations internationales.
Art. 56 Relations des cantons avec l’étranger
1 Les cantons peuvent conclure des traités avec l’étranger dans les domaines relevant de leur compétence.
2 Ces traités ne doivent être contraires ni au droit et aux intérêts de la Confédération, ni au droit d’autres cantons. Avant de conclure un traité, les cantons doivent informer la Confédération.
3 Les cantons peuvent traiter directement avec les autorités étrangères de rang inférieur ; dans les autres cas, les relations des cantons avec l’étranger ont lieu par l’intermédiaire de la Confédération. […] »
Après avoir évoqué la définition de l’État et les différentes formes politiques, reste l’examen d’une question cruciale : celle de la souveraineté de l’État et du droit international.
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