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Pix+Droit Domaine 4

4.3. Appréhender juridiquement les nouvelles technologies



1. L’intelligence artificielle



Df.L’intelligence artificielle peut être définie comme « la capacité d’une unité fonctionnelle à exécuter des fonctions généralement associées à l’intelligence humaine, telles que le raisonnement et l’apprentissage » (norme ISO-2382-28).

L’intelligence artificielle a donc pour but de simuler – voire à terme de dépasser – l’intelligence humaine.
Le machine learning est à cet égard une forme particulière d’intelligence artificielle, lorsque le deep learning est une manifestation spécifique du machine learning.


L’intelligence artificielle soulève de nombreuses questions sur le plan juridique.
Ex.Sont ainsi concernés, par exemple (la liste n’étant pas exhaustive) :
  • Le droit de la responsabilité (civile et pénale) : responsabilité en cas de dommage créé par un véhicule autonome, un objet connecté, etc.
  • Le droit processuel : règles de preuve, justice prédictive, etc.
  • Le droit financier : recours aux robo-advisors, taxation de l’intelligence artificielle, etc.
  • Le droit de la propriété intellectuelle : interrogations quant à la qualification d’auteur ou d’inventeur au bénéfice de l’IA.

L'intelligence artificielle fait l'objet de réflexions, au niveau national comme au niveau de l'Union européenne.
Ces réflexions pourraient faire émerger un cadre juridique propre à l'intelligence artificielle.
Quelques points clés :
  • L’intelligence artificielle ouvre de nombreuses perspectives en matière d’administration de la justice.
  • La réflexion doit préférablement être menée au niveau de l’Union européenne (plan coordonné, avril 2021).
  • L’objectif des réflexions est de sécuriser, sur le plan juridique, les interventions de l’IA afin de créer la confiance (un rapprochement peut être fait avec le commerce électronique à la fin des années 1990 et au début des années 2000, le but à l’époque ayant également été d’inspirer la confiance).
  • Les différentes réflexions menées s’accordent pour écarter la reconnaissance d’une personnalité juridique au profit de l’intelligence artificielle.
  • Les enjeux assurantiels (liés aux dommages susceptibles d’être causés par l’intelligence artificielle) sont régulièrement mis en lumière.

2. La blockchain



Df.« Une blockchain est un registre, une grande base de données qui a la particularité d’être partagée simultanément avec tous ses utilisateurs, tous également détenteurs de ce registre, et qui ont également tous la capacité d’y inscrire des données, selon des règles spécifiques fixées par un protocole informatique très bien sécurisé grâce à la cryptographie » (Rapport de la mission d’information commune sur la blockchain (chaîne de blocs) et ses usages : un enjeu de souveraineté).

Ex.
Source : extrait du rapport de la mission d’information commune sur la blockchain (chaîne de blocs) et ses usages : un enjeu de souveraineté.


Le terme de smart contract a été popularisé par l’informaticien Nick Szabo dans son article de 1997, « The Idea of Smart Contracts »

Df.Le smart contract peut être défini comme un protocole informatique ayant pour objet de conclure, exécuter ou mettre un terme automatiquement à un contrat. Le smart contract désigne donc la technologie qui répond à cet objectif et non le contrat lui-même.


La technologie qu’est le smart contract repose sur la blockchain. C’est à partir de celle-ci (et notamment de la blockchain Ethereum) que les smart contracts sont créés (rédaction en langage de programmation).

La preuve écrite parfaite n’est pas toujours requise. Au contraire, le principe est celui de la preuve libre.
Tx.Code civil :
  • Article 1358 : « Hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen ».
  • Article 1359, al. 1er : « L’acte juridique portant sur une somme ou une valeur excédant un montant fixé par décret doit être prouvé par écrit sous signature privée ou authentique. Il ne peut être prouvé outre ou contre un écrit établissant un acte juridique, même si la somme ou la valeur n’excède pas ce montant, que par un autre écrit sous signature privée ou authentique ».



Deux types de preuves écrites parfaites en droit français :
L'acte authentique.

Article 1369, al. 1er du Code civil : « l'acte authentique est celui qui a été reçu, avec les solennités requises, par un officier public ayant compétence et qualité pour instrumenter ».
L’acte sous signature privée (anciennement acte sous seing privé).

Acte rédigé et signé par les parties sans intervention d’un officier public.

L'officier public n'est pas présent dans une blockchain.
L'acte n'est pas sous le contrôle exclusif du destinataire au sein de la blockchain.



La preuve par blockchain ne peut être une preuve écrite parfaite.

« En l'état du droit positif, [la blockchain] n'a pas de force probante supérieure aux autres éléments qui sont soumis [au juge] ; des éléments de preuve contraires pourront donc être produits par la partie adverse et seront pareillement pris en considération par le juge » (S. Canas, « Blockchain et preuve – Le point de vue du magistrat », in La blockchain, Dalloz grand angle, 2020, p. 124).

3. L’open data des décisions de justice



Df.L’open data se traduit littéralement comme les données ouvertes, ce qui renvoie à une logique d’accessibilité.

Tx.L’article L. 312-1 du Code des relations entre le public et l’administration dispose que « Les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 [l’État, les collectivités territoriales ainsi que les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission] peuvent rendre publics les documents administratifs qu’elles produisent ou reçoivent ».

Spécifiquement, l’open data des décisions de justice vise le fait de rendre accessible les décisions rendues par les juridictions administratives et judiciaires.

Rq.Actuellement, seules 20 000 décisions administratives environ et 15 000 décisions judiciaires environ sont diffusées en ligne chaque année. À terme, l’objectif est que plus de 300 000 décisions de l’ordre administratif et plus de 3 millions de décisions de l’ordre judiciaire soient mises en ligne annuellement.

L’arrêté du 28 avril 2021 pris en application de l’article 9 du décret n° 2020-797 du 29 juin 2020 relatif à la mise à la disposition du public des décisions des juridictions judiciaires et administratives fixe le calendrier de l’open data des décisions de justice.

Pour l'ordre administratif, la date limite est fixée au :
Pour les contentieux civils, commerciaux et sociaux relevant de la compétence de l'ordre judiciaire, la date limite est fixée au :Pour les contentieux pénaux relevant de la compétence de l'ordre judiciaire, la date limite est fixée au :
  • 30 septembre 2021 s'agissant des décisions du Conseil d'État ;
  • 31 mars 2022 s'agissant des décisions des cours administratives d'appel ;
  • 30 juin 2022 s'agissant des décisions des tribunaux administratifs.
  • 30 septembre 2021 s'agissant des décisions rendues par la Cour de cassation ;
  • 30 avril 2022 s'agissant des décisions rendues par les cours d'appel ;
  • 30 juin 2023 s'agissant des décisions rendues par les conseils de prud'hommes ;
  • 31 décembre 2024 s'agissant des décisions rendues par les tribunaux de commerce ;
  • 30 septembre 2025 s'agissant des décisions rendues par les tribunaux judiciaires.
  • 30 septembre 2021 s'agissant des décisions rendues par la Cour de cassation ;
  • 31 décembre 2024 s'agissant des décisions rendues par les juridictions de premier degré en matière contraventionnelle et délictuelle ;
  • 31 décembre 2025 s'agissant des décisions rendues par les cours d'appel en matière contraventionnelle et délictuelle ;
  • 31 décembre 2025 s'agissant des décisions rendues en matière criminelle.

  • Septembre 2021 : les décisions de la Cour de cassation et du Conseil d’État seront publiées sur leurs sites internet respectifs avec des nouvelles fonctionnalités de recherche.
  • Avril 2022 : l’ensemble des décisions des cours d’appel en matière civile, sociale et commerciale seront publiées.
  • Juin 2022 : l’ensemble des décisions des tribunaux administratifs seront publiées.
  • Juin 2023 : l’ensemble des décisions des conseils de prud’hommes seront publiées.
  • Décembre 2025 : l’ensemble des décisions de première instance en matière commerciale (tribunaux de commerce) et civile (tribunaux judiciaires) seront publiées, ainsi que l’ensemble du contentieux pénal (tribunaux de police, juridictions correctionnelles, cours d’assises...). Cette publication se fera par étapes successives.

L’accessibilité des décisions de justice par le biais de l’open data doit néanmoins respecter un certain nombre de principes qui s’imposent comme autant de limites.

Anonymisation/pseudonymisation

Intégrité

Respect des données personnelles

« Sauf dispositions législatives contraires ou si les personnes intéressées ont donné leur accord, lorsque les documents et les données mentionnés aux articles L. 312-1 ou L. 312-1-1 comportent des données à caractère personnel, ils ne peuvent être rendus publics qu'après avoir fait l'objet d'un traitement permettant de rendre impossible l'identification de ces personnes. » (art. L. 312-1-2 du Code des relations entre le public et l'administration)« Sauf accord de l'administration, la réutilisation des informations publiques est soumise à la condition que ces dernières ne soient pas altérées, que leur sens ne soit pas dénaturé et que leurs sources et la date de leur dernière mise à jour soient mentionnées. » (art. L. 322-1 du Code des relations entre le public et l'administration)« La réutilisation d'informations publiques comportant des données à caractère personnel est subordonnée au respect des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. » (art. L. 322-2 du Code des relations entre le public et l'administration)

Df.La justice prédictive peut être définie comme une réflexion – actuellement prospective – visant à la mise en place d'outils permettant de prévoir l'issue de contentieux.

Cette prévisibilité (voire cette prédiction) suppose des calculs opérés à partir de masses très importantes de données. Dès lors, la mise à disposition des décisions – par le biais de l'open data – est une condition sine qua non des traitements algorithmiques permettant la justice prédictive.

Le rapport « L'open data des décisions de justice » de la mission d'étude et de préfiguration sur l'ouverture au public des décisions de justice (cf. bibliographie) propose, au sein de sa vingtième recommandation, de « réguler le recours aux nouveaux outils de justice dite prédictive par :
  • l'édiction d'une obligation de transparence des algorithmes ;
  • la mise en œuvre de mécanismes souples de contrôle par la puissance publique ;
  • l'adoption d'un dispositif de certification de qualité par un organisme indépendant ».

4. La protection des logiciels et des bases de données



Le logiciel et la base de données sont des créations numériques qui font l'objet d'une protection par le droit.

Logiciel

Protection par le droit spécial du droit d'auteur (directive 91/250/CEE du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d'ordinateur, consolidée par la directive 2009/24/CE du 23 avril 2009).
Base de données

Protection par le droit d'auteur mais aussi par le droit sui generis reconnu au profit du producteur de la base de données (directive 96/9/CE du 11 mars 1996, concernant la protection juridique des bases de données).
Définition du « programme d'ordinateur », considérant 7 :
Df.le terme « vise les programmes sous quelque forme que ce soit, y compris ceux qui sont incorporés au matériel ; ce terme comprend également les travaux préparatoires de conception aboutissant au développement d'un programme, à condition qu'ils soient de nature à permettre la réalisation d'un programme d'ordinateur à un stade ultérieur ».
Définition de la « base de données », art. 1.2 :
Df.« On entend par base de données un recueil d'oeuvres, de données ou d'autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou d'une autre manière ».

Le logiciel est une œuvre de l'esprit à part entière, protégé par un droit d'auteur spécial.
Il faut toutefois bien distinguer :
  • le droit d'auteur spécial logiciel protège la forme programmée ;
  • le droit commun du droit d'auteur continue de s'appliquer à la forme exécutée ;
  • il demeure des éléments non protégés




Le droit d’auteur spécial logiciel implique un certain nombre de dérogations au droit commun du droit d’auteur.






Protection reconnue au profit du producteur, « entendu comme la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel » (art. L. 341-1 du CPI).
> Prend l’initiative, assume le risque, réalise l’investissement.

Droit d'interdire :
  • Extraction ou réutilisation d'une partie substantielle de la base :
    Tx.« L'extraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d'une base de données sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit ;
    La réutilisation, par la mise à la disposition du public de la totalité ou d'une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu de la base, quelle qu'en soit la forme
     » (art. L. 342-1 du CPI).
  • Extraction ou réutilisation répétée d'une partie non substantielle de la base :
    Tx.« L'extraction ou la réutilisation répétée et systématique de parties qualitativement ou quantitativement non substantielles du contenu de la base lorsque ces opérations excèdent manifestement les conditions d'utilisation normale de la base de données » (art. L. 342-2 du CPI).
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