Df.La vie privée recouvre tous les éléments non publics relatifs à une personne, qui ne peuvent être exposés sans son consentement.
En France, l’
article 9 du Code civil protège le respect de la vie privée depuis la
loi n° 70-643 du 17 juillet 1970. Le droit au respect de la vie privée a un fondement constitutionnel. En effet, par un
arrêt en date du 23 juillet 1999, le Conseil Constitutionnel a donné au droit à la vie privée valeur constitutionnelle sur le fondement de l’article 2 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Les composantes de la vie privée n'ont pas fait l'objet d'une définition ou d'une énumération afin d'éviter de limiter la protection aux seules prévisions légales. Les tribunaux ont appliqué le principe de cette protection au droit à la vie sentimentale et à la vie familiale, au secret relatif à la santé, au secret de la résidence et du domicile, aux opinions personnelles et au droit à l'image.
Ce qui est considéré comme privé diffère selon les groupes, les cultures et les individus, selon les coutumes et les traditions bien qu'il existe toujours un certain tronc commun. La différenciation entre ce qui relève du public et ce qui relève du privé n'est jamais figée et a évolué au fil des époques.
Au temps de la Grèce antique, il y a, très schématiquement, une distinction privé /public de l’espace : au privé le monde de l’oikos, monde de l’économie familiale et au public le monde de la polis, monde du politique. Bien entendu, il existe des lieux intermédiaires, mi public mi privé (comme le banquet par exemple). Cette distinction se retrouve chez Périclès qui affirme qu’ « Étant libres dans ce qui concerne la vie publique, nous le sommes également dans les relations quotidiennes. Chacun peut se livrer à ses plaisirs sans encourir de blâme ou des regards blessants, quand même ils ne causent pas de mal. Malgré cette tolérance dans notre vie privée, nous nous efforçons de ne rien faire d’illégal dans notre vie publique ». En revanche, à Sparte, la vie privée des citoyens est strictement contrôlée et tout luxe est interdit.
À Rome, ces principes se retrouvent, mais il n’existe pas de protection, de garantie propre à protéger la vie privée. Au contraire, les élites dominantes ont fait de la transparence et de l’ouverture un trait dominant de leur société. L’aménagement interne des riches demeures patriciennes romaines est d’ailleurs conçu de façon telle que les espaces publics ou semi-publics occupent une place primordiale. Même dans les pièces les plus privées le riche romain vit constamment sous le regard des esclaves et serviteurs. Les classes dominées et particulièrement celle des esclaves, pourtant responsables d’une grande partie de la production de la richesse, n’ont pas du tout de vie privée. En effet, l’aménagement des espaces qui leur sont dévolus, surtout dans les vastes latifundia, ne laisse généralement aucune place à l’intimité (l’approche casernière qui prédomine ne permettant pas la protection de la moindre parcelle de vie privée). Par ailleurs, les esclaves sont aussi confinés dans la sphère de la vie privée du maître, puisque la participation à toute activité publique à titre personnel leur est interdite. Le pater familias omnipotent impose sa loi à tous les membres de sa maisonnée et à sa famille.
Le Moyen Âge est caractérisé par une certaine confusion entre le public et le privé, l’individu étant soumis à une surveillance à peu près continue de son entourage. Les solidarités collectives, féodales et communautaires encadrent et limitent l’individu. Malgré tout, c’est au Moyen Âge que le privé apparaît, il devient ce qui n’est pas public, c’est-à-dire ce qui ne relève pas de l’État. La diversification et l’augmentation des échanges marchands qui relèvent d’intérêts privés participent au mouvement de spécification du public et du privé. La vie bourgeoise dessine alors une distinction entre public et privé ; cette distinction recoupe alors celle nature/culture. L’individu est en représentation dans le domaine public, il est naturel dans le domaine privé.
À la Renaissance, un grand mouvement d'affirmation des individualités débute et voit l’individu s’émanciper de ses anciennes attaches globales, (il ne s'estime plus absorbé dans un grand ensemble tel que la cité de Dieu ou le Cosmos), pour donner libre cours à un souci de soi inédit. Cette période marque les débuts de la conquête de l’intimité individuelle. Il y a un affinement de la sensibilité, de la pudeur qui conduit certains actes (se moucher, déféquer, avoir des relations sexuelles), autrefois accomplis en public, à se privatiser. Néanmoins, au XVIème siècle, dans les châteaux, des pratiques dites aujourd’hui privées (recevoir des amis, s’occuper des enfants, se détendre...) se déroulent encore dans la salle d’apparat. Les gentilshommes et le roi sont en perpétuelle représentation ; non pas qu’ils manquent de moyen pour construire des espaces privés, mais ils n’en ressentent pas la nécessité et on attend d'eux que l'ensemble de leur vie se déroule au grand jour. La vie privée est quasi inexistante pour tous les individus publics, notamment pour le roi. L’enfant royal est un enfant public dont la naissance est offerte en spectacle à ses futurs sujets. Quelques années plus tard, on arrange pour lui l’union la plus utile à la dynastie sans égards pour ses inclinations. Pour La Bruyère, il ne « manque rien à un roi que les douceurs d'une vie privée ». Tous les gestes quotidiens se font en effet en public : se lever, se coucher, manger, se divertir.
C’est au XVIIIème siècle qu’un basculement s’opère. Il s’incarne d’abord dans une concentration sur la famille comme espace devenu plus privatif, moins ouvert. Le corps lui-même se privatise avec l’apparition de lieux consacrés à l’hygiène. Si, jusqu’à Louis XIV, le roi recevait sur sa chaise percée (et si son opération de la fistule en 1686 a lieu avec des invités), la salle de bain fait, à cette époque, son apparition dans quelques demeures princières tandis que la privatisation des toilettes est acquise au cours du XVIIIème siècle. À travers ces lieux d’intimité, on assiste également à la constitution d’une intimité psychique. Arrivée à Versailles à 15 ans, Marie-Antoinette, l’épouse du futur roi Louis XVI, trouve pesantes ces règles de la vie à la Cour et cette observation constante. Devenue reine en 1774, elle ne cessera de revendiquer son droit à la vie privée. Elle s’invente un style personnel pour affirmer sa singularité en investissant un espace privé, le Trianon, soigneusement protégé des regards importuns et qui devient d’ailleurs rapidement suspect aux yeux de ceux qui n’y ont pas accès. Marie-Antoinette ne s’en préoccupe pas. Jusqu’à la Révolution, sa conduite reflète sa volonté de se soustraire autant que possible à l’emploi du temps royal. Ainsi, la reine a-t-elle pu devenir pour la postérité un porte-drapeau des droits du privé. Néanmoins, jusqu’au XIXème siècle au moins, ces distinctions tardent à pénétrer le monde paysan et ouvrier.
Le Petit Trianon, domaine du parc du château de Versailles, dans les Yvelines, en France. Source : https://www.chateauversailles.fr
La montée en importance de la lecture et de l’écriture, grâce à l’invention de l’imprimerie permet un développement de l’intime, du privé. La lecture silencieuse s’impose ; elle traduit et provoque une individualisation plus poussée. La lecture publique ou la lecture à haute voix devient réservée soit aux classes pauvres qui ne savent pas lire, soit aux soirées de l’élite culturelle où, entre amis choisis, les aristocrates se font la lecture. La pratique de la lecture à haute voix en famille constitue aussi une pratique qui se développe et permet de resserrer les liens familiaux. Mais le savoir-lire ou écrire permet aussi de nouveaux modes de relations avec les autres, et avec le pouvoir. Sa diffusion façonne des sociabilités inédites et sous-tend la construction de l’État moderne qui appuie sur l’écrit sa manière nouvelle de dire la justice et de régler la société. D’ailleurs, à ces transformations correspondent aussi de nouvelles formes littéraires (le journal, la correspondance, l’autobiographie…). L’espace profondément public de la littérature médiévale (chansons de geste, théâtre…) devient alors plus intimiste dans son propos et dans ses formes. Le goût de la solitude et l’importance accrue de l’amitié entre personnes de même sexe traduisent ces sensibilités nouvelles.
Avec la Révolution, l’État, le public, entrent davantage dans la sphère familiale, sécularisant le mariage, prenant en charge l’éducation. La famille, la maison qui évolue (avec notamment la séparation des chambres des parents et des enfants) deviennent alors des refuges dans lesquels peut se développer la vie privée, loin des regards de l’État.
À la fin du XVIIIème siècle, le philosophe utilitariste Jeremy Bentham et son frère, Samuel imaginent le panoptique. Il s’agit d’un type d'architecture dont l'objectif est de permettre à un gardien, logé dans une tour centrale, d'observer tous les prisonniers, enfermés dans des cellules individuelles autour de la tour, sans que ceux-ci puissent savoir s'ils sont observés. L'idée de Bentham est inspirée par des plans d'usine mis au point pour une surveillance et une coordination efficace des ouvriers. Ces plans sont imaginés dans l'objectif de simplifier la prise en charge d'un grand nombre de travailleurs. Le philosophe et historien Michel Foucault, dans Surveiller et punir (1975), en fait le modèle abstrait d'une société disciplinaire, axée sur le contrôle social. Dans ce modèle, la vie privée disparaît totalement au profit d'une surveillance ressentie en permanence.
Plan du panoptique de Jeremy Bentham, 1791. Source : domaine public.
La prison de Stateville, en Illinois, est un exemple de panoptique. Source : https://ici.radio-canada.ca
Le XIXème siècle constitue l’âge d’or du privé. Cette privatisation concerne d’abord la famille. Dans la bourgeoisie, la vie privée coïncide assez exactement avec la cellule familiale qui tend à devenir une entité affective et un refuge des individus contre les agressions de la société. Parallèlement, le processus d’individualisation se poursuit grâce aux progrès de l’hygiène et de la médecine. Se déshabiller ou se laver en public devient peu à peu honteux jusque dans les classes populaires, et les premières salles de bains bourgeoises apparaissent à la fin du siècle. D’importantes différences subsistent néanmoins selon les classes sociales. Si dans les milieux bourgeois, l’habitation se caractérise par une séparation marquée entre les pièces de réception et les autres, les conditions d’existence des paysans ou des ouvriers ne leur permettent pas de mettre ainsi à l’abri des regards une partie de leur vie. Les éléments culturels comme le goût, les arts de la Table, l’aménagement interne des maisons deviennent des éléments de distinction au sein des classes dominantes et traduisent l’individualisation des mœurs. La vie privée atteint même le monde carcéral puisque dès 1875, une loi a posé le principe de l'emprisonnement individuel dans les établissements pénitentiaires sans que celui-ci soit jamais totalement respecté.
Un mouvement inverse s’opère : la resocialisation de fonctions autrefois privées. L’État puis les associations prennent peu à peu en charge une partie des questions d’éducation, de santé, d’alimentation, d’hygiène, d’entretien physique, tous ces aspects de la vie personnelle demeurés jusqu’alors l’apanage de choix individuels.
Cet intérêt pour la vie privée est présent dans le débat politique et constitue même une des composantes de la nouvelle conception de la liberté. C’est ainsi qu’au XIXème siècle, Benjamin Constant distingue la liberté des Anciens de celle des Modernes. Selon lui, les Modernes ont une conception toute différente de la liberté : « La liberté est, pour chacun, le droit de n'être soumis qu'aux lois, de ne pouvoir être arrêté, ni détenu, ni mis à mort, ni maltraité par la volonté arbitraire d'un ou de plusieurs individus. C'est, pour chacun, le droit de dire son opinion, de choisir son industrie et de l'exercer, de disposer de sa propriété, d'aller, de venir, sans en obtenir la permission et sans rendre compte de ses motifs. C'est, pour chacun, le droit de se réunir à d'autres individus, pour conférer sur ses intérêts, pour professer un culte, ou simplement pour remplir ses jours et ses heures d'une manière conforme à ses inclinations. Enfin, c'est le droit, pour chacun, d'influer sur l'administration du Gouvernement, soit par la nomination de fonctionnaires, soit par des représentations, des pétitions, des demandes, que l'autorité est plus ou moins obligée de prendre en considération ».
Selon Constant, pour les Anciens, la liberté était conçue comme la liberté politique, comme la participation effective et directe des citoyens au pouvoir. Pour les Modernes, la liberté est « la jouissance paisible de l'indépendance privée et la sécurité dans les jouissances privées. Le peuple ... tient à sa liberté surtout, parce qu'il y aperçoit la garantie de ses jouissances ».
Le XXème siècle voit la lente généralisation d’une organisation de l’existence autour de la distinction entre public et privé. L’histoire de la vie privée pour cette période est celle de sa démocratisation. L’élévation du niveau de vie offre la possibilité aux membres d’une famille d’épanouir leur vie privée à l’abri du regard des proches. De plus, cette vie privée se dédouble peu à peu : au sein de la vie privée familiale émerge celle de l’individu. Le lit commun puis la chambre commune disparaissent, l’écoute individuelle du transistor se substitue à celle collective de la télégraphie sans fil, l’introspection et les loisirs solitaires se banalisent. À partir des années 60, la scolarisation des filles, le mouvement féministe et le développement du travail salarié des femmes leur permettent d’accéder à leur tour à une vie privée indépendamment de leur famille et de leur mari et enfants. Enfin, l’investissement de la vie privée par l’État se poursuit. L’école, l’hôpital, la médecine, les organismes sociaux, enlèvent au monopole des familles la définition des normes, l’encadrement des comportements et l’acquisition des apprentissages sur de nombreuses questions touchant aux savoirs, aux mœurs et à la vie hors du travail.
De nos jours, la notion de vie privée est devenue
fondamentale, elle est nécessaire à la dignité humaine (il s’agit d’ailleurs d’un des thèmes du roman de Georges Orwell,
1984).
Tx.La
Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et la
Convention Européenne des Droits de l’homme consacrent la vie privée comme un droit humain fondamental.
La Déclaration Universelle de 1948 énonce les droits de l'individu et, parmi ceux-ci, le droit à la protection de la vie privée que reprend le droit français. La principale disposition relative à la vie privée en droit civil français est l'
article 9 du Code civil, issu de la loi du 17 juillet 1970 : «
Chacun a droit au respect de sa vie privée ». Il y aussi les articles
226-1 et suivants du Code pénal, pour les peines prévues en cas de violation de la vie privée. Le Conseil Constitutionnel considère que le droit à la vie privée découle de la liberté proclamée par l'article 2 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Df.Mais il n'y aucune définition légale de la vie privée. C'est la jurisprudence qui est chargée de dire ce qui est protégé. Elle inclut : le domicile, l'image, la voix, le fait d'être enceinte, l'état de santé, la vie sentimentale, la correspondance (y compris sur le lieu de travail)...
Le secret professionnel a été mis en place pour défendre la vie privée de chacun et en particulier le secret médical pour protéger le patient contre la trop grande curiosité des employeurs, assureurs et organismes de crédit. Il n'est pas possible à un patient de délier son médecin du secret professionnel. Cela reviendrait à faire porter une suspicion sur ceux qui ne le font pas, et, indirectement, à supprimer ledit secret.
Le respect de la vie privée n’est pas absolu. Une personne peut donner son autorisation à la divulgation de faits privés ; cette autorisation doit être expresse, tacite et non équivoque. Le fait que la personne ait elle-même révélé des faits n'autorise pas la redivulgation de certains de ces faits (droit à l'oubli). La redivulgation est soumise à autorisation spéciale, sauf lorsque la publication des faits ne vise pas à nuire et obéit à un intérêt légitime. Il n’y a pas non plus de violation de la vie privée lorsque la révélation est en relation avec une œuvre historique.
La vie privée doit s’articuler avec les autres libertés, la liberté d'expression et la liberté d'informer, lorsque cela concerne la révélation d’un fait d’actualité. Dans ce cas, l’intérêt général doit primer.
Dans de nombreux domaines, des atteintes peuvent être portées au secret de la vie privée. La jurisprudence ne protège pas contre la divulgation de certaines informations comme la situation patrimoniale d'une personne menant une vie publique (tel un dirigeant de grande entreprise). Les faits révélés par les comptes rendus de débats judiciaires ne sont pas protégés non plus. Dans le domaine du travail, il n'est pas illégal en France de demander son âge à un candidat pas plus que de lui demander une information, pourtant sans rapport avec sa démarche, sa date de naissance, ce qui conduit à des abus tels que l'établissement de profils astrologiques des candidats par certains cabinets. En revanche, il est illégal de demander à un candidat son état de santé, ou sa volonté d'avoir des enfants, de déménager. Aux États-Unis, demander l'âge d'un candidat à l'embauche est strictement interdit et peut faire l'objet d'un procès en suspicion de discrimination d'âge.
Aujourd’hui, pour les particuliers, le respect de la vie privée se heurte au développement de l’informatique. L’évolution des techniques de communication et d’information crée des tensions autour de la vie privée. La notion de trace, de marqueur de soi, laissée par l’usager du numérique devient fondamentale. Qu’elle soit consciente ou non, volontaire ou non. Internet est un formidable outil de partage à l’échelle mondiale. Cependant, son utilisation amène parfois à la violation de droits fondamentaux, comme la vie privée. Le problème est donc celui d’un équilibre entre sécurité et protection de la vie privée avec la possibilité de naviguer librement sur le Net.
On traduit en français l'expression anglaise de privacy par respect de la vie privée. Ce concept comporte plusieurs aspects comme celui ne pas être ennuyé avec les spams sur Internet, ni avec les publipostages dans la vie courante. Ou encore, le fait que les goûts et opinions personnels ne soient pas tracés, car certains organismes pourraient en faire un mauvais usage :
Ex.par exemple, un employeur pourrait être dissuadé de recruter quelqu’un en raison de prises de positions politiques ou sociales, ou de pratiques, exprimées pourtant dans la sphère privée.
Paradoxalement, bien que les Français se montrent très attachés à la protection de leur vie privée, nombre d’entre eux s’exposent volontairement sur des sites et des réseaux sociaux. Il faut alors distinguer deux catégories de données personnelles collectées sur Internet : d'abord, les données confiées par les internautes aux services utilisés, lors de leur inscription à un site ou un réseau social. Ensuite, les données collectées à leur insu par des services. Ainsi, le fait de s'exposer sur Internet et plus précisément sur les médias sociaux favorise les risques de piratage, par d’autres particuliers, par curiosité d’abord, pour se renseigner, pour se rassurer (lorsque les parents surveillent leurs enfants et ce qu’ils font sur Internet ou lorsqu’ils se renseignent sur un moniteur par exemple) ; mais aussi bien sûr, par des commerciaux ou plus grave, par des pirates malintentionnés qui visent à voler les informations importantes comme les codes des cartes bancaires par exemple.
De plus, la plupart des données publiées sur Internet ont une longue durée de vie. Pour de nombreux sites collaboratifs, il n’y a pas de possibilité pour un internaute de récupérer ses données personnelles lorsqu’il se désinscrit d’un service. Or, selon l’ancien président de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), Alex Türk, l’internaute est un consommateur comme les autres. Il doit ainsi pouvoir bénéficier de tous les droits et protections qui lui sont dus.
C’est ainsi que l'utilisation des réseaux sociaux a provoqué plusieurs débats dans l’actualité.
D’une part, la protection des données relatives à la vie privée se trouve menacée par les réseaux sociaux car d’abord, près de la moitié des employeurs français révèle avoir recouru à Internet pour trouver des informations sur les candidats à l’embauche. Ensuite, plus d’un tiers d’entre eux avouent avoir éliminé certains candidats en raison des informations (comme des photographies) ainsi recueillies. Cette pratique se révèle alors scandaleuse notamment avec l’essor du CV anonyme.
D’autre part, toujours dans le domaine du travail, utiliser un réseau social présente un danger au sein même de l’entreprise.
Ex.
En effet, en 2009 au Québec, une compagnie d’assurances aurait recueilli des informations sur Facebook afin de déterminer si un bénéficiaire avait ou non droit à ses indemnités de maladie. En effet, la salariée d’une entreprise, en arrêt maladie pour cause de dépression depuis un an, avait publié des photos d’elle sur une plage ensoleillée, assistant à un spectacle de Chippendales ou fêtant son anniversaire. L’assureur a alors cessé de lui verser toute indemnité de maladie considérant qu’elle pouvait reprendre le travail, à en juger par les photos publiées. La compagnie d'assurance a reconnu qu'elle pouvait tenir compte des éléments mis en ligne sur Facebook pour s'informer sur ses clients, mais qu'elle ne prenait pas la décision de refuser ou d'interrompre le versement d'allocation en se fondant uniquement sur les informations publiées sur de tels sites. Cette affaire n’a pas donné lieu à un procès puisque, en 2012, l’employée et l’employeur sont parvenus à un accord.
En dehors du domaine du travail, les atteintes à la vie privée peuvent être nombreuses et souvent malveillantes telles la diffusion de photos ou de vidéo intimes (comme le revenche porn par exemple).
Ex.C‘est le cas par exemple en 2020 lors de la diffusion sur le site internet « pornopolitique.com », de vidéos intimes et sexuelles du député et candidat aux élections municipales parisiennes Benjamin Griveaux, ce qui le pousse à retirer sa candidature et entraîne un important scandale médiatique et politique. Les auteurs de cette diffusion sont condamnés en 2023 (à six mois de prison ferme pour l’un et avec sursis pour l’autre) pour atteinte à l’intimité de la vie privée.
Internet n’est pas la seule menace pour la vie privée des citoyens. Dans le sillage des attentats du 11 septembre 2001, une politique sécuritaire s’est développée, au détriment de la liberté et de la vie privée. Les États en lutte contre le terrorisme veulent déceler toute menace avant qu’elle éclate, ce qui entraîne la création de fichiers, d’écoutes…
Deux sources de tension se dégagent. D’une part, de nombreux citoyens ont une impression de surveillance et d’intrusion par les pouvoirs publics (fichage, vidéosurveillance (devenue vidéoprotection, cette modification sémantique vise à rendre plus acceptable la vidéosurveillance), localisation par GPS…) et par les entreprises qui veulent mieux connaître les consommateurs grâce aux fichiers clients, aux cartes de fidélités... ; d’autre part, s’est développée une crainte de l’utilisation illégale des données. Ainsi, les scandales liés aux fichiers mettent la vie privée au centre du débat public.
Ex.Par exemple, le fichier SAFARI était un projet d'interconnexion des fichiers nominatifs de l'administration française, notamment par le biais du numéro INSEE. Le projet est révélé le 21 mars 1974 par le quotidien Le Monde, dans l'article intitulé « SAFARI ou la chasse aux Français ». Les informations provenaient d'informaticiens du Ministère de l'Intérieur soucieux de la préservation des libertés individuelles. Cela entraîna une vive opposition populaire, incitant le gouvernement à créer la Commission Nationale de l'Informatique et des Libertés. Le projet, lancé lors de la présidence de Georges Pompidou, n'a finalement jamais vu le jour.
Plus récemment, la mise en place du fichier EDVIGE a soulevé un tollé dans une partie de l'opinion publique française. Ce fichier de police informatisé devait fusionner le fichier CRISTINA de la DST et les fiches des anciens Renseignements généraux. Le comité des droits de l'homme de l'ONU a souligné dans un rapport rendu public le 22 juillet 2008 que ce fichier contrevenait au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, entré en vigueur en 1976.
Cependant, devant la mobilisation citoyenne, les points les plus controversés du projet initial ont été supprimés sans pour autant mettre un terme à l’opposition. Le fichier EDVIGE, qui devait recenser les personnes «
ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif », devrait voir le jour, après modification, formulé ainsi : les données ne pourront être collectées que pour des personnes «
dont l'activité individuelle ou collective » peut «
porter atteinte à la sécurité publique » et pour celles «
entretenant ou ayant entretenu des relations non fortuites avec elles ». Il visera également «
des personnes travaillant dans des secteurs ou des domaines sensibles » et qui font à ce titre l'objet d'enquêtes administratives. Ce fichier a été intégré par la suite dans une loi plus générale, la loi
LOPSI (loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure) puis
LOPPSI 2. Régulièrement, de nouvelles lois sur le renseignement sont adoptées et critiquées comme pouvant porter atteinte à la vie privée des citoyens.
Les personnages publics sont encore plus exposés que les citoyens ordinaires. La vie privée des hommes politiques et des artistes doit de nos jours s’articuler avec la liberté d’informer et la liberté de la presse. Aujourd’hui, la vie privée des stars du grand et du petit écran, du sport, de la chanson mais aussi celle des têtes couronnées constitue la matière de toute une presse illustrée à succès, dite « presse people ». Attentives à leur popularité, les vedettes introduisent le public et les journalistes dans leur intérieur, dans le détail de leurs goûts, de leurs amours, de leurs peines.
Rq.Après celle des stars, c’est la vie privée des hommes politiques qui intéresse le plus les médias au point que l’on qualifie désormais de « peopolisation » la vedettisation de l’homme politique et l’exposition médiatique de sa vie privée. Les hommes politiques sont devenus des célébrités comme les autres. De plus, un sentiment de désaveu de la classe dirigeante semble avoir accéléré l’intégration d’une démarche marketing dans la communication politique pour coller aux goûts et aux attentes des électeurs.
Cette privatisation de l’espace public, et de publicisation de l’espace privé sont perçues assez négativement en France. Elles porteraient atteinte à la noblesse du politique relevant justement d’une mise entre parenthèses de l’intime. Face au comportement de certains politiciens adoptant les conduites exhibitionnistes des personnalités du show-biz, certains dénoncent une américanisation de la politique française. Il est vrai que dans le monde anglo-saxon, l’exposition de sa vie privée est entrée dans les mœurs et est considérée comme une utile preuve de transparence ; on demande à une personne d’avoir la même attitude en privé qu’en public. Qu’un homme politique tienne des discours en décalage avec ses pratiques personnelles est donc perçu comme inacceptable. Les Français, accordent moins d’importance, aux mœurs de leurs représentants et se moquent davantage de savoir si tel ou tel vit en concubinage, est marié ou divorcé...
Marie-Laure Denis, présidente de la CNIL. Source : https://www.cnil.fr
Tx.La première protection dont bénéficie la vie privée est celle de la loi, en particulier la
loi informatique et liberté de 1978, refondue en 2004 puis en 2019 qui fait reposer la protection de la vie privée sur les données à caractère personnel.
La CNIL, autorité administrative indépendante, est composée d’un Collège de 18 membres et d’une équipe d’agents contractuels de l’État. Depuis 2019, elle est présidée par Marie-Laure Denis. 12 de ces membres sont élus ou désignés par les assemblées ou juridictions auxquelles ils appartiennent ; les autorités publiques ou dirigeant d’entreprises ne peuvent s’opposer à son action. Elle est chargée de veiller à ce que l’informatique soit au service du citoyen et ne porte pas atteinte aux droits de l’homme, à la vie privée ou aux libertés individuelles ou publiques. Elle peut désormais enquêter et sanctionner. L'article 9 du Code civil, qui consacre la vie privée et l'article 1240 (ancien 1382) qui instaure le principe général de responsabilité, permettent de garantir le respect de la vie privée des citoyens, de faire cesser les atteintes à l'intimité de la vie privée par divers moyens (séquestre, saisie…). La jurisprudence sanctionne tous les modes de divulgation : affichage, exposition publique du portrait, diffusion du journal, de la revue ou du livre, projection à l'écran, à la télévision, sur un site Internet ….
Cependant, le développement des moyens de communication rend parfois cette protection insuffisante et nécessite la recherche de moyens nouveaux.
L’ancien président de la CNIL, Axel Türk voit quatre technologies susceptibles de heurter la vie privée (la vidéosurveillance, la biométrie, la géolocalisation et bien sûr Internet). Les risques pour la vie privée sont une concentration et une synergie de ces dispositifs, leur dissémination, leur miniaturisation et leur dématérialisation.
Il envisage des solutions : la privacy by design (système permettant de juguler les effets néfastes d’Internet), la pédagogie et une position juridique commune de l’Europe (notamment sur le droit à l’oubli), ainsi que le processus de Madrid (il s’agit d’une résolution votée en novembre 2009 à l'occasion d'une conférence internationale des autorités de protection de la vie privée, mais elle n'est à ce jour pas juridiquement contraignante. Elle définit les principes qui devraient - de manière urgente, selon les auteurs du texte- renforcer le caractère universel du droit à la protection de la vie privée et des données de tous les citoyens (y compris les enfants ou personnes vulnérables, et notamment sur Internet). Elle vise la rédaction et la signature d'une Convention universelle pour la protection des personnes à l’égard du traitement des données personnelles.
En raison des dangers des réseaux sociaux quant à la protection de la vie privée, le 6 novembre 2009, deux sénateurs ont déposé une proposition de loi destinée « à mieux garantir le droit à la vie privée à l’heure du numérique » et à donner une plus grande effectivité au droit à l’oubli sur Internet. Ce texte permettrait alors, à tout internaute, d’exercer un « droit de suppression des données » gratuitement. Sans attendre l'adoption d'une loi, le 13 octobre 2010, à l'initiative de la secrétaire d'État à l'économie numérique, Nathalie Kosciusko-Morizet, une charte du droit à l'oubli numérique dans les sites collaboratifs et moteurs de recherche a été signée. Elle a pour objectif, entre autres, de protéger la vie privée sur Internet et de simplifier et faciliter la suppression et la désindexation de données personnelles. En 2014, un arrêt de la Cour de Justice de l’Union Européenne accorde donc aux individus le droit de s'opposer au traitement de leurs données personnelles et de demander le déréférencement des liens qui apparaissent dans une recherche associée à leur nom, tout en prenant en compte l'intérêt prépondérant du public à avoir accès à l'information.
L’ancien président de la CNIL s’est quant à lui prononcé en faveur de l’inscription du droit à l’oubli numérique dans la Constitution française. Ainsi, selon la CNIL, le domaine d’application de protection de la vie privée devrait s’élargir, notamment au champ d’application virtuel. Cette volonté d’une telle protection constitutionnelle vient en partie du phénomène de la libre disponibilité et utilisation des données personnelles en ligne, liée à la popularité mondiale des réseaux sociaux.
Rq.Cependant, la volonté d’instaurer un droit à l’oubli dans la Constitution française pose un problème d’ordre pratique dans la mesure où de nombreux réseaux sociaux mondiaux sont situés aux États-Unis. Or, aux États-Unis, les données personnelles ayant une valeur marchande, les standards de protection ne sont pas les mêmes qu’en France et qu’en Europe. D'ailleurs le 6 octobre 2015, la Cour de Justice de l'Union européenne a décidé de suspendre le « Safe Harbor », un accord qui encadre l’utilisation des données des internautes européens par de nombreuses entreprises américaines. La Cour estime que la mise à disposition des données personnelles des Européens aux agences de renseignement américaines portait « atteinte au contenu essentiel du droit fondamental au respect de la vie privée ».
Face à ces contraintes, l'obfuscation est la stratégie de protection la plus efficace. Il s’agit d’une stratégie de protection de la vie privée qui consiste à publier en quantité des informations. De cette manière, on tente de « noyer » les informations existantes que l'on souhaite cacher. Outre la protection des données personnelles, cette méthode peut s'adapter à la gestion de la réputation numérique d'une entreprise, à la sauvegarde de la confidentialité des informations. On parle également d'opération de masquage, d'opacification ou d'assombrissement.
Le développement d’Internet et la difficulté de savoir où vont les informations recueillis donnent naissances à des pratiques particulières (fausses informations, pseudonymes, multiplication d’ adresses mails) permettant aux individus de protéger leur vie privée. Mais d’un autre côté, les citoyens ont tendance à s’exposer publiquement de plus en plus sur Internet avec les selfies, les blogs, les réseaux sociaux…
Sy.Le développement des médias et des techniques de communication a permis la médiatisation des « stars » et des hommes et femmes politiques. Celui de l’Internet a offert cette possibilité au citoyen « lambda ». Ce développement s’est accompagné de violations de la vie privée. C’est pourquoi les États ont eu le souci de mieux formaliser et de mieux protéger ce droit par l’élaboration de lois et la mise en place d’institutions.
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