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Méthodologie à la dissertation en droit : propos généraux et spécifiques au droit privé, droit public et histoire du droit

Exemples en histoire du droit


Sujet n° 1 : « Le pouvoir royal à l'époque franque »



  • définition des termes :C'est la première chose à faire pour éviter le hors sujet.
    • « pouvoir royal ». Il peut se définir comme l'ensemble des compétences juridiques et la capacité matérielle du roi. Le roi se définit comme le détenteur unique du pouvoir dans une monarchie, forme de gouvernement dans laquelle le pouvoir politique appartient à une seule personne.
  • définition de la chronologie : « époque franque ».
    • aucune difficulté particulière ici : l'époque franque court de 476 (chute de l'Empire romain d'Occident, marquée par la victoire du général barbare Odoacre sur le dernier empereur romain Romulus Augustule) à 987 (élection d'Hugues Capet et passage à la dynastie des Capétiens).

Tout ce à quoi le sujet nous fait penser, puis on essaye de regrouper certaines idées pour former des blocs cohérents. Ainsi se construisent la problématique et le plan.


Quel type de plan adopter ?

  • on pourrait penser à un plan chronologique, en traitant les Mérovingiens dans un I) et les Carolingiens dans un II).
    • Mais en jetant nos idées au brouillon, on s'aperçoit que les deux dynasties ont des points communs. Un tel plan entraînerait donc des redites.
    • En outre, le problème juridique qui se pose ne semble pas être une évolution, mais plutôt une comparaison. Donc un plan chronologique ne permettrait pas de comparer les deux dynasties.
  • donc il semble plus opportun, ici, d'opter pour un plan dogmatique, c'est-à-dire un plan d'idées, qui permette la comparaison. L'époque franque couvrant deux dynasties, le sujet est d'essence plutôt comparative : le pouvoir royal mérovingien est-il différent du pouvoir royal carolingien ? Y a t-il une unité du pouvoir royal franc ? Cette question apparaît assez vite.


Accroche. La monarchie, mode de gouvernement traditionnel de la France jusqu'en 1792, trouve ses racines dans un lointain passé.

Délimitation du sujet. C'est plus précisément à l'époque franque (476-987) que le pouvoir royal, entendu comme l'autorité du pays détenue par une personne unique appelée le roi, émerge en Gaule.

Rq.Notez ici que le sujet a été délimité chronologiquement et que son thème a été défini.

Précédents historiques. Même si, en Gaule, la royauté renaît donc au Ve siècle, cette institution avait existé bien avant les Francs. Il n'est que de penser au roi David, personnage biblique ayant régné sur le peuple d'Israël. Les différents peuples de l'Antiquité avaient également leurs rois, comme les Egyptiens ou les royaumes proche-orientaux, par exemple. Rome à son tour, avant de devenir une République puis un Empire, était à l'origine gouvernée par les rois étrusques. Le premier roi de Rome est Romulus, son fondateur légendaire, qui règne de 753 à 715. Le dernier est Tarquin le Superbe, au pouvoir de 534 à 509. La Gaule est conquise par Rome et, sous le Bas- Empire, des tribus germaniques dirigées par des chefs poussent des raids sur le territoire, avant de défaire le dernier général romain Syagrius. Aux mains des rois germaniques, la Gaule est enfin réunifiée par Clovis, le roi des Francs Saliens : ainsi, la royauté franque naît véritablement à la faveur de l'effondrement de l'Empire romain d'Occident.
Rq.Les précédents historiques portent toujours sur l'institution étudiée. Il s'agit par conséquent ici d'étudier les antécédents du pouvoir royal, qui est le thème de la dissertation.


Contexte. L'époque franque n'est cependant pas uniforme : elle a connu deux dynasties différentes. La première d'entre elles, la dynastie mérovingienne, règne de 476 à 751. Clovis, roi des Francs Saliens, unifie en effet unifie le royaume et convertit les Francs au catholicisme par son baptême en 496. Son oeuvre unificatrice est toutefois vouée à l'échec : ses fils se partagent le royaume. En outre, à partir de la mort de Dagobert en 639, règnent les rois fainéants, qui conduisent le pays à un changement de dynastie. De fait, face à ces rois falots atteints de débilité physique, la réalité du pouvoir passe aux mains des maires du Palais, principaux personnages de l'administration centrale. En 720, l'un d'eux, Charles Martel, devient maître de presque toute la Gaule. Il acquiert un immense prestige en arrêtant les invasions arabes à Poitiers en 732. C'est qu'en effet, la période est marquée par des vagues migratoires, notamment arabes. Sur le plan social, le royaume est constitué d'ethnies différentes, ce qui ne facilite pas l'unité du royaume ni son gouvernement par le roi. Chaque individu, wisigoth, burgonde, franc ripuaire ou franc salien par exemple, obéit à la loi de son peuple d'origine : c'est le système de la personnalité des lois.

En 751, le fils de Charles Martel, Pépin le Bref, lui succède, détrônant ainsi le dernier roi mérovingien, Childeric III. Pépin se fait sacrer en 751. C'est le début de la dynastie carolingienne, qui règne jusqu'en 987. Le contexte est alors très différent : le IXe siècle apparaît en effet comme une ère de renouveau pour l'Occident, marqué par une véritable renaissance culturelle. Charlemagne entreprend en outre une immense politique de conquête et parvient à réunir un vaste territoire. Il restaure l'Empire en 800 et met en place un important système administratif. Toutefois, la dynastie s'essouffle après Louis le Pieux, mort en 840. Ses trois fils se disputent et le Traité de Verdun de 843 partage l'Empire en trois. Cette déconfiture est aggravée par la reprise des invasions sarrasines, normandes et magyares. Il ne faut pas oublier, pendant cette période, le rôle socio-politique déterminant de l'Eglise qui, en tant de crise, reste la seule structure organisée de la société. Son autorité morale en fait l'alliée naturelle des rois de France.

Rq.
Remarque : le sujet en lui-même se concentre sur les aspects institutionnels et juridiques de la royauté. Par conséquent, ce contexte sert à poser tous les éléments périphériques destinés à ce que le lecteur comprenne le corps du devoir : éléments indispensables d'histoire évènementielle ; contexte social, juridique et religieux etc. Il ne faut surtout pas défricher le sujet dans le contexte mais expliquer ce qu'il y a autour.


Intérêt du sujet. L'étude du pouvoir royal à l'époque franque présente un important intérêt historique : il s'agit en effet du moment où naît la monarchie française, appelée à un long avenir.

Problématique. Etant donné l'importance historique du pouvoir royal franc, on peut se demander quelles en sont les caractéristiques juridiques et institutionnelles tout au long de la période.

Idée générale. À l'analyse, il apparaît que le pouvoir royal a pu varier pendant les cinq cent ans qu'a duré la période franque. Les royautés mérovingienne et carolingienne, empruntes d'une triple culture romaine, germanique et chrétienne, ont à la fois des points communs et des différences. À une époque où la notion de souveraineté a disparu, les caractéristiques du pouvoir royal franc sont largement fonction de la personnalité de son titulaire.

Annonce du plan. Pour s'en convaincre, nous comparerons les deux dynasties quant à leur conception du pouvoir en premier lieu (I) et quant aux attributions du pouvoir en second lieu (II).



Chapeau : les deux monarchies, mérovingienne et carolingienne, partagent certes certains points communs. Malgré tout, elles s'opposent nettement quant aux caractères (A) et à la transmission (B) du pouvoir.







Transition : importantes quant à la conception et à la transmission du pouvoir royal, les divergences entre les deux dynasties sont moins évidentes en ce qui concerne les attributions du pouvoir. On peut, à ce sujet, parler d'absolutisme général.


Chapeau : le pouvoir du roi franc apparaît comme un pouvoir absolu (A). Pour autant, cet absolutisme n'est pas sans limites, et Mérovingiens et Carolingiens connaîtront des restrictions à leur appétit de puissance (B).







Sujet n° 2 : « Les ordonnances royales au Moyen Âge » (exemple de plan détaillé)


  • ORDONNANCES

Ce sont des actes royaux impératif édictés par le roi, présentant un certain degré de permanence et de généralité. Les ordonnances correspondent au pouvoir normatif du roi.

Il s'agit de l'une des composantes de la souveraineté.

=> synonymes : « lois du roi » ; établissements (XIIIe siècle, du latin stabilimentum, chose établie et destinée à durer) ; constitution ; pragmatique sanction et, enfin, ordonnance (ordinatio, de « ordonner ») au XIVe siècle.
> ordonnance veut dire « ordonner », dans le sens d'obliger, contraindre (pourvoir de ban).
> signifie aussi « mettre en ordre », là où auparavant régnait le désordre. La loi est ordonnatrice des rapports sociaux.

=> à différencier de :
  • édits : objet plus restreint (même si on n'est pas dans une logique de hiérarchie des normes) ;
  • lettres royaux : actes réglementant des situations particulières et adressées à un groupe ou à une personne.
L'ordonnance est un texte qui répond à une structure précise. Elle est ouverte, c'est-à-dire adressée à tous. Elle commence par une adresse suivie d'un préambule de considérations générales sur le droit et le devoir du roi, puis les raisons de motivation de l'ordonnance et les dispositions de l'ordonnance. Enfin, il faut la mention du lieu de l'ordonnance, la date et la signature du roi en bas du document. Elle est envoyée aux agents locaux qui assurent la publication et l'application de l'ordonnance.


  • DELIMITATION CHRONOLOGIQUE
Les premières ordonnances ne datent que de la moitié du XIIe siècle, donc le sujet part environ de là pour se terminer en 1453.


Ici, on s’aperçoit assez rapidement qu’aucune évolution majeure n’a lieu durant la période. Un plan chronologique semble donc exclu. Aussi le plan thématique doit-il être privilégié. Il va permettre de dynamiser le sujet, dont l’intitulé peut apparaître très descriptif au premier abord.


Les ordonnances royales apparaissent consubstantielles de la notion de souveraineté, dont elles constituent l'une des expressions privilégiées. À partir du milieu du XIIe siècle, le roi parvient ainsi à progressivement déployer son pouvoir normatif (A). Celui-ci apparaît fondé sur l'idée de ministère royal (B).

La reconquête par le roi de son pouvoir normatif ne s'est pas faite aisément. Les difficultés rencontrées par le monarque sont de deux ordres : elles sont trait d'abord au domaine d'application géographique des ordonnances royales (1) ; elles sont relatives ensuite à leur domaine d'application thématique (2).

  • milieu du XIIe siècle (1155) à la fin du règne de Philippe Auguste (1223) : 1ères tentatives pour légiférer hors de son domaine. Vaine déclaration de Philippe Ier. Lorsque le roi légifère, c'est dans les mêmes conditions que les princes territoriaux, c'est-à-dire que l'accord exprès des grands seigneurs est requis. S'explique car chacun a la puissance publique sur ses terres.
Ex.ex : ordonnance de 1144 sur les Juifs relaps (qui reviennent au judaïsme après s'être convertis au christianisme). Règne de Louis VII. Mais contesté par certains car ne concernerait qu'un cas particulier.
ex : constitution de Soissons de 1155 établissant une paix de 10 ans dans le royaume. Les grands barons souscrivent l'ordonnance, s'engageant ainsi à la mettre en œuvre.

  • vers la fin du règne de Philippe Auguste (1223) jusqu'en 1285, le roi commence à s'émanciper du contrôle de ses grands vassaux. Sous Louis VIII (1223-1226), Louis IX (1226-1270) et Philippe III le Hardi (1270-1285), si la couronne continue à requérir l'assentiment des grands vassaux pour les ordonnances applicables dans tout le royaume, on se contente désormais d'une majorité. Expressément indiqué dans une ordonnance de 1223.
En pratique, preuve = le nom des barons cesse d'être précisé dans le texte des ordonnances. Malgré cela, en pratique, le roi ne légifère souvent que dans son domaine, car St Louis savait qu'il touchait là à l'une des grandes prérogatives de la noblesse : prouver son bon droit par l'épée.
Ex.Ex : ordonnance de 1258 abolissant le duel judiciaire (« preuve par bataille »).

  • passé 1285, avec Philippe le Bel, l'idée se répand d'après laquelle il appartient au roi de prendre des ordonnances. Le roi légifère désormais avec l'assentiment de quelques barons réunis en son conseil.

  • domaine du droit public. Ordre public dans ses différents aspects, administratifs et judiciaires (pénal = public aussi car répression des troubles), ainsi qu'aux différents organes chargés de le mettre en œuvre. Administratif et judiciaire pas encore séparés à l'époque. Donc justice et son fonctionnement, cad procédure civile et pénale.
Ex.Ex : ordonnance de 1190 (« testament de Philippe Auguste ») réorganisant l'administration ; ordonnances de Saint Louis de 1254 et 1256 sur l'administration ; ordonnance de Philippe V le Long réorganisant le Parlement.

  • la vie ordinaire des sujets est à l'inverse régie par les coutumes, que le roi doit garder. Le droit privé ne peut normalement pas faire l'objet des ordonnances royales. Malgré tout, elles sont assez nombreuses à concerner le droit privé au XIIIe siècle (ex : ordonnance de Philippe Auguste sur les francs-fiefs 1275), mais réticence de la population, qui rechigne à respecter une ordonnance qui déroge à la coutume. Donc les rois se montrent prudents, et ne légifèrent plus qu'en droit public.
Exception : ordonnance de Philippe Auguste de 1214, qui règle une question relative aux régimes matrimoniaux (douaire). Ne peut s'expliquer que par l'état lacunaire des coutumes. Beaumanoir qualifie l'ordonnance royale de 1214 de « coutume générale » (significatif).

La reconquête par le roi de son pouvoir normatif est largement tributaire d'un effort intellectuel visant à en dégager les fondements. Il apparaît ainsi que la capacité du roi à édicter des ordonnances royales est fondée sur la rénovation de l'idée de ministère royal.

Héritiers des empereurs carolingiens, les rois capétiens investis de la tuitio regni ont pour fonction principale d'assurer la protection de leurs sujets et de faire régner la justice, ce qui suppose la capacité de légiférer. Le roi est l'organe du « commun profit » ; il a la garde générale du royaume et de situe donc au dessus des intérêts particuliers des féodaux. Il doit donc légiférer dès que l'intérêt public est en cause. Cette rénovation de l'idée de ministère royal est le fait des légistes, qui utilisent à cet effet le droit romain (1). Leurs idées sont synthétisées par Philippe de Beaumanoir au XIIIe siècle (2).

Le XIIIe siècle apporte à l'idée de ministère royal de considérables enrichissements. Philippe le Bel (1285-1314) avait reçu l'enseignement de Gilles de Rome (théologien et philosophe italien) lui-même disciple de Saint Thomas d'Aquin. En a appris l'importance de la loi ordonnatrice. Il a beaucoup légiféré dans le cadre de son conseil. Sous son règne, modification de la composition du conseil : l'élément féodal en recul et les légistes deviennent essentiels.

Ceux-ci appliquent au roi, « empereur en son royaume », les maximes romaines principalement tirées d'Ulpien : « Quod principi placui legis habet vigorem » (« Ce qui plaît au prince a force de loi ») ; « Princeps legibus solutus » (« Le prince n'est pas lié par les lois ») ; « Si veut le roi, si veut la loi ».

À première vue, c'était reconnaître au roi de France, émule de l'Empereur romain, une omnipotence législative complète. Empereur = loi vivante sur la terre ; empereur en son royaume (Guillaume de Plaisians, légiste de Philippe IV le Bel). En réalité, le droit romain posait lui-même des bornes à cette omnipotence, en particulier avec la constitution impériale Digna vox de Théodose II et Valentinien III qui assure la soumission de l'empereur à la loi.

Célèbre juriste français du XIIIe siècle. Dans ses Coutumes de Beauvaisis (1283), il définit dans quelles conditions le roi peut légiférer dans l'ensemble du royaume :
  • en temps de paix : le droit applicable est le droit coutumier. Le roi est gardien des coutumes. Son activité normative doit rester exceptionnelle.
  • en temps de guerre ou en prévision : il peut prendre les dispositions qu'impose la nécessité et qui ne seraient pas acceptables en temps de paix.
  • dans tous les cas,
    • a- le roi doit délibérer avec son grand conseil (survivance du droit féodal et du droit romain).
    • b- le nouvel établissement ne se justifie que par le « commun profit » du royaume (= intérêt général). Cette notion vient du droit romain et de la philosophie politique d'Aristote que Saint Thomas d'Aquin venait de remettre au goût du jour.
    • c- la norme nouvelle doit être raisonnable, c'est-à-dire conforme à la raison. Cela rejoint Saint Thomas mais aussi la décrétale de Grégoire IX inspirée du droit romain et disant que la coutume doit être raisonnable.
Les ordonnances royales apparaissent donc comme la manifestation de la souveraineté retrouvée du monarque capétien, dont elles manifestent la puissance. Pour autant, ce pouvoir normatif ne saurait être illimité et les ordonnances se présentent également, à bien des égards, comme les instruments d'un pouvoir tempéré.

Le pouvoir normatif du roi ne signifie aucunement que ce dernier agit comme bon lui semble. En effet, ce pouvoir souffre tout d'abord de plusieurs limites (A). Il apparaît également contrôlé par d'autres institutions (B).

La capacité du roi à édicter des ordonnances souffre essentiellement de deux limites : l'une, morale, tient au nécessaire respect de la notion de bien commun (1). L'autre, pratique, tient à la fréquente ineffectivité de cette première « législation » (2).

Notion de bien commun, issue de la pensée de Saint Thomas d'Aquin (bonum communis), qui opère une relecture d'Aristote. Le roi doit légiférer en ayant ce bien commun ou cet intérêt général à l'esprit. Limite « morale » à sa puissance législative.

De fait, la conception religieuse de la royauté, la nécessaire soumission du roi à la justice sont de puissantes limites à un droit législatif qui en pratique a toujours reconnu certaines limites. Les légistes du conseil eux-mêmes distinguent deux cas de figure :
  • en temps normal : « puissance réglée », respectueuse des droits acquis.
  • circonstances exceptionnelles : le pouvoir du roi devient « puissance absolue », le roi s'autorisant alors à modifier le droit existant.

À côté de mesures ponctuelles, des textes plus longs s'attachent à organiser ou réorganiser tout ou partie de l'administration du royaume. L'idée centrale est ici celle de réformation. Il s'agit de remettre dans la forme ancienne ou dans l'ordre ancien, l'administration ou la justice du royaume, afin d'éliminer les injustices et les abus qui se sont introduits avec le temps.

1ère grande ordonnance de réformation = ordonnance de St Louis de 1254, au retour de croisade. Le roi avait attribué son échec (prisonnier par les musulmans d'Egypte, il avait abandonné le tombeau du Christ aux mains des « infidèles ») à une sanction divine pour les péchés du royaume, surtout commis par les agents royaux. Donc la réformation constitue le préalable indispensable à une nouvelle croisade. L'ordonnance imposait aux baillis et sénéchaux un serment solennel très détaillé, véritable code déontologique des administrateurs royaux.

Mais les abus renaissent, donc les ordonnances de réformation se succèdent tout au long du Moyen Âge. Sont souvent prises à la demande des États Généraux, assemblées représentatives des trois ordres sollicités de temps à autre par le roi.

Ces ordonnances reprennent souvent les mêmes dispositions tout au long du Moyen Âge  (ex d'une ordonnance de Philippe le Bel dont les dispositions sont réitérées trente fois jusqu'en 1413). En réalité, sous prétexte de retour à un âge embelli, l'idée de réformation permet d'introduire dans les institutions du royaume des innovations parfois radicales. Correspondent à des temps troublés.

À ces premières limites morales et matérielles s'adjoignent un contrôle des ordonnances royales par diverses institutions, qui viennent contrebalancer la toute-puissance du roi.



Au plan institutionnel, le pouvoir normatif du monarque est équilibré par l'action du Parlement de Paris, lequel joue un rôle important dans le processus d'élaboration des ordonnances (1). De la même manière, les États Généraux, à partir du XIVe siècle, pèsent de plus en plus sur le contenu des ordonnances (2).


Ordonnances préparées par le chancelier puis signées par le roi ; elles sont scellées par le chancelier avec le Grand Sceau du Royaume. Puis, le Parlement est chargé de les enregistrer.

Le chancelier, avant de sceller, jouit d'un droit de remontrance. En d'autres termes, s'il le juge nécessaire, il peut conseiller le roi de revoir l'ordonnance. Le roi exprime sa volonté finale de réviser ou pas, et le chancelier doit s'incliner.

Le Parlement peut aussi faire des remontrances au roi sur les raisons qui paraissent s'opposer à l'exécution du texte et dans ce cas, il refuse d'enregistrer les ordonnances. En réalité, au départ,  l'enregistrement était un acte purement matériel, destiné à faire connaître les ordonnances. Mais bientôt, le roi, ne pouvant tout vérifier lui-même, incite le Parlement à lui faire connaître les éventuels actes contraires à la coutume, à l'ordre monarchique ou au droit. Cette pratique devient règle début XIVe siècle. Le Parlement s'enhardit bientôt et, prenant exemple sur le chancelier, adresse des remontrances. Parvient à faire admettre que si l'ordonnance royale n'estt pas enregistrée, elle n'a pas valeur exécutoire.

Le roi, après avoir reçu de nombreuses remontrances du Parlement, peut passer outre : il ordonne l'enregistrement au Parlement par envoi de lettres de jussion.
  • Le Parlement peut s'incliner. Dans ce cas, il faut inscrire sur un registre la transcription de l'ordonnance et elle est appliquée.
  • Si le Parlement s'oppose de nouveau à la volonté royale par l'envoi « d'itératives remontrances » au roi. Mais le roi peut ne pas accepter et envoyer d'autres lettres de jussion. Dans ce dernier cas, le Parlement doit s'incliner.
Si l'ordonnance est de grande importance, il n'en envoie pas mais se rend au Parlement et tient un lit de Justice et fait enregistrer l'acte au cours d'une séance solennelle.


A partir du XIVe siècle, les mesures édictées sont parfois imposées par la force par les États Généraux. Philippe le Bel, pour lutter contre les seigneurs, essaie de s'appuyer sur un nouvel élément : le Tiers Etat, qu'il réunit aux prélats et aux barons pour former les États Généraux (1302). Commencent à s'occuper de législation sous les Valois, vers 1355-1358. Dictent au dauphin Charles V les ordonnances de réforme dans un contexte de crise.

Présentent des vœux/ doléances qui sont bien souvent des exigences. Souvent, les ordonnances reprennent leurs demandes.  Dès 1484, ils ne sont plus réunis et ne réapparaîtront qu'en 1560. Sous l'Ancien Régime, le pouvoir de « donner et casser la loi » (Jean Bodin) deviendra la première marque de la souveraineté, alors que le Moyen Âge privilégiait plutôt l'image du roi justicier.

Accroche. La notion de souveraineté se comprend comme le droit exclusif d'utiliser l'autorité publique. Elle comprend divers droits régaliens, également appelés « prérogatives de puissance publique ». Il s'agit, par exemple, de la justice, du pouvoir fiscal, militaire ou encore du pouvoir législatif, sur lequel nous allons particulièrement nous attarder ici.

Rq.Notez que l'introduction démarre en « entonnoir », du plus général (la souveraineté) au particulier (le pouvoir législatif ou normatif, qui en est l'un des attributs).

Délimitation du sujet. Or, au Moyen Âge (987-1453), le roi de France ne retrouve sa souveraineté perdue qu'au XIIIe siècle environ, au terme d'une longue lutte contre la féodalité. Aussi les ordonnances royales, définies comme les règles de droit de portée générale et permanente édictées par le monarque, correspondant à son pouvoir normatif, n'apparaissent-elles qu'au moment où le roi affaibli commence à relever la tête, c'est-à-dire du milieu du XIIe siècle à 1453.

Développement historique. Ce pouvoir normatif retrouvé fait suite à une longue éclipse de plusieurs siècles. En effet, à Rome, le Bas Empire (284-565) connaît un droit législatif permanent sous forme de constitutions impériales promulguées par l'Empereur. Lorsque les rois germaniques s'installent en Gaule, ils maintiennent une certaine activité législative, dans le cadre de la rédaction des lois nationales de leurs peuples (leges barbarorum et leges romanorum). La dynastie franque (476-987) connaît également une législation royale sous forme de capitulaires, plus répandus toutefois chez les Carolingiens (751-987) en raison de l'éphémère restauration de l'idée d'État que chez les Mérovingiens, aux conceptions politiques plus frustes. À la fin de la période franque, la décomposition du pouvoir entraîne la disparition du pouvoir législatif. Le droit de ban seigneurial se substitue à celui-ci mais il se rattache surtout à l'exercice de la justice. Au niveau législatif, le concept même de loi disparaît au profit de la notion concrète de commandement des hommes. Le dernier capitulaire remonte à 884 (Carloman II). On cite parfois un capitulaire de Charles III le Simple de 920. En tout cas, au début de l'ère capétienne, de la fin du IXe siècle jusqu'au début du XIIe, la royauté affaiblie cesse d'exercer un véritable pouvoir législatif. Elle ne promulgue que des décisions particulières, actes individuels, concessions ou confirmations de chartes collectives, qui revêtent la forme de diplômes. Elle prend également mesures de police dans le domaine royal, ou encore des mesures rurales concernant par exemple la date des moissons. En revanche, quelques grands princes territoriaux édictent dans leur domaine des mesures générales et permanentes. Pendant ce premier âge féodal, le roi se contente donc de se faire le gardien de la coutume. Il confirme les coutumes d'un groupe social ou d'un lieu et peut mettre fin à la coutume déraisonnable. Il prend de plus en plus souvent des mesures dérogatoires à la coutume. La renaissance du pouvoir normatif se fera véritablement quand le roi aura la capacité de remédier au vide de la coutume face à des situations nouvelles.

Il s'agit ici de retracer les origines du pouvoir normatif ou législatif jusqu'à la date de début du sujet, c'est-à-dire le milieu du XIIe siècle.
Contexte. C'est dire que la question des ordonnances royales ne peut se poser que lorsque le roi retrouve sa souveraineté, au milieu du XIIIe siècle environ. Cette époque est marquée par le règne de rois prestigieux tels que Philippe Auguste (1180-1123) et surtout Philippe le Bel (1285-1314). Le royaume jouit désormais d'une assise territoriale renforcée. L'institution royale est affermie grâce à l'instauration de règles dérogatoires pour la royauté (lois fondamentales). La féodalité est maîtrisée  et le roi développe des rouages gouvernementaux et locaux efficaces. Le monarque est désormais roi à la tête de l'armée et de la justice. Issu d'un démembrement de la Curia Regis, le Parlement de Paris naît sous Saint Louis, au XIIIe siècle. De la même manière, les États Généraux sont réunis pour la première fois en 1302 sous Philippe le Bel. Ils se présentent comme le résultat de la volonté royale de s'appuyer sur l'opinion et d'être mieux informé.
Or, parmi les attributs de la souveraineté retrouvée figure le fait de guider le sort du droit. Le roi essaye alors de s'imposer face à un ordre juridique essentiellement coutumier qui, jusque là, lui échappait largement. Ainsi, en vertu de la promesse du sacre, il se permet de confirmer ou d'abolir certaines coutumes. Dans le même esprit, il encourage discrètement la mise par écrit des coutumes. Les coutumiers privés fleurissent aux XIIIe et XIVe siècles : ces compilations privées sont rédigées par des praticiens, souvent baillis royaux qui ne se contentent pas de compiler les usages, mais suppriment les dispositions défavorables au roi. Le plus célèbre coutumier privé est rédigé par le bailli de Clermont-en-Beauvaisis Philippe de Beaumanoir : il s'agit des fameuses Coutumes de Beauvaisis (1283).
Parallèlement à cette action royale tendant à bâtir un droit plus cohérent ou, en tout cas, à infléchir lentement l'ordre juridique existant, l'Occident a redécouvert le droit romain, et en particulier le Corpus Juris Civilis de Justinien. Cette redécouverte intellectuelle majeure est déterminante dans les progrès de la souveraineté royale, les légistes gravitant dans l'entourage du monarque capétien y puisant nombre d'arguments renforçant la suprématie royale.

Rq.Notez que le contexte pose les éléments annexes/périphériques au sujet, qui permettent au lecteur d'avoir tous les éléments indispensables à la compréhension du « corps du devoir ».

Intérêt du sujet. L'étude des ordonnances royales au Moyen Âge permet de s'apercevoir très clairement que la capacité du pouvoir à édicter des mesures normatives est directement fonction de son caractère fort ou faible. Le lien entre droit et pouvoir apparaît ici très nettement.

Problématique et idée générale. La maîtrise progressive par le roi de son pouvoir normatif constitue, au Moyen Âge, l'un des attributs essentiels de la reconstitution de l'État. Les ordonnances royales suivent par conséquent les tribulations du principe de souveraineté lui-même, dont elles sont consubstantielles. À ce titre, elles constituent à la fois l'outil de la souveraineté et le moyen de sa limitation.

Annonce du plan. C'est pourquoi nous verrons que les ordonnances royales apparaissent comme la manifestation de la souveraineté retrouvée (I), tout en constituant l'instrument d'un pouvoir modéré (II).


Sujet n° 3 : « L'intendant sous l'Ancien Régime » (exemple intégralement rédigé)




De nos jours, le préfet constitue dans le département, le relais entre le gouvernement et les administrés. Cette institution moderne, au service du pouvoir central comme du département, trouve ses origines sous l'Ancien Régime (1453-1789), sous le nom d'intendants.


  • définition du thème. L'intendant se définit comme l'agent par excellence du gouvernement dans la province (du latin intendere, surveiller, veiller à). Dépositaire de l'autorité du roi en province, on a pu le qualifier de « ministre plénipotentiaire à l'intérieur du royaume » (Philippe SUEUR). Il est officiellement « intendant de justice, police et finances, commissaire départi pour l'exécution des ordres du roi ».
  • définition de la chronologie. On fera débuter le sujet en 1630-1640, lorsque l'institution se fixe et se clarifie, soit à partir de la fin du règne de Louis XIII, sous le ministère de Colbert), jusqu'à leur disparition, en juin 1790.


L'histoire des intendants connaît en effet une première phase assez empirique. L'intendance résulte en réalité de la fusion de commissions successives dont la royauté avait multiplié la création depuis la fin du Moyen Âge en vue de mieux contrôler l'ensemble du territoire.

L'institution a donc une double origine :
  • L'origine des intendants remonterait au XVe siècle, avec les chevauchées d'inspection des maîtres des requêtes de l'Hôtel du roi.

  • Par ailleurs, à la fin du XVIe siècle, la royauté envoie des commissaires chargés de missions permanentes dans les provinces où se sont produits des troubles et pour lutter contre l'indépendance des gouverneurs. On les appelle alors intendants généraux des finances à la suite des armées ou surintendants de la justice et police en l'armée. Ils sont chargés de seconder les gouverneurs dans l'administration de leur armée. Mais ils demeurent souvent en place une fois la paix revenue. Progressivement qualifiés d'intendants, ils sont, jusqu'au règne d'Henri IV (1589-1610), de véritables ministres des gouverneurs et commandants, qu'ils assistent dans des domaines de plus en plus variés.

Au début du XVIIe siècle, les liens qui unissent les intendants des armées aux gouverneurs tendent à se relâcher : les commissaires-intendants sont recrutés parmi les conseillers d'État et les maîtres des requêtes, et ils ne sont plus directement placés au service des gouverneurs. Leur présence devient progressivement permanente. L'institution se clarifie et se fixe à la fin du règne de Louis XIII, soit vers 1630-1640. Richelieu (1585-1642) fusionne en effet les deux corps en 1634. Violemment contestée pendant la Fronde (1648-1653), l'institution est supprimée, avant d'être rétablie par Mazarin (1602-1661).

Au niveau politique, le sujet va donc de Louis XIII à Louis XVI. C'est la période de la monarchie absolue, ce qui signifie que le monarque règne seul, sans freins ni contrepouvoirs. Cette doctrine a été progressivement élaborée, par des auteurs tels que Jean BODIN (Les six livres de la République, 1576) ou encore Guy COQUILLE qui affirme, dans son Institution au droit des Français (1603), que « le roy est monarque et n'a point de compagnon en sa majesté royale ». Sur le terrain des idées toujours, l'absolutisme triomphe sous Louis XIII, avec Richelieu (absolutisme empirique) et sous Louis XIV, avec Bossuet (absolutisme théocratique).

Sur le terrain des faits, cette fois-ci, il faut bien voir que ces théories visant à raffermir l'institution royale sont en réalité une réaction des catholiques car l'autorité royale est mise à mal pendant les guerres de religion. Rappelons d'abord que les protestants ont également leurs théoriciens, les monarchomaques, qui développent des doctrines hostiles à la toute-puissance du roi. Ils se prononcent en faveur d'une monarchie tempérée.

Le règne de Louis XIII s'ouvre sur l'assassinat d'Henri IV, prince protestant qui avait abjuré et ménagé une place à la Religion prétendument réformée avec l'Edit de Nantes (1598). Son règne débute donc dans les pires difficultés. La régence de Marie de Médicis s'annonce mal : les protestants, inquiets du mariage de Louis avec la fille du roi d'Espagne Anne d'Autriche, se soulèvent. Mais en 1624, elle se fait conseiller par Richelieu, son homme de confiance. À la mort de Louis XIII en 1643, Anne d'Autriche assure la régence avec Mazarin : la situation financière et politique apparaît désespérée : la crise économique entraîne un recours aux expédients suscitant un important mécontentement populaire, que la noblesse attise. C'est la période de la Fronde (1649-1652), conduite par les princes qui se rebellent contre le roi.

Après cet épisode douloureux, la France a besoin de paix, quitte pour cela à perdre ses libertés. Ce sera le long règne de Louis XIV, qui gouverne 54 ans, de 1643-1715. Monarque absolu par excellence, il enferme les princes dans la domesticité dorée d'une vie de cour faite d'oisiveté. Il déclare son désir de gouverner seul. Le pouvoir très centralisé exerce alors une véritable tutelle sur l'ensemble des forces économiques et sociales auxquels les siècles précédents avaient donné quelques pouvoirs : villes, Parlements, Etats généraux et provinciaux. Mais ce règne est toutefois jalonné d'une série de guerres et de luttes ruineuses, dont la France sort amoindrie et appauvrie. Un effort fiscal accru des populations est exigé. À la famine s'ajoute de surcroît la révocation de l'Edit de Nantes en 1685.

Louis XV (1715-1774) a un règne moins glorieux. Soutenu par quelques ministres compétents, il mène certes une sage et saine politique, mais l'absolutisme est à éclipses car le gouvernement manque d'une direction ferme. Les Parlements s'engagent dans la voie d'une obstruction systématique à la législation royale. Il faut ajouter à ces problèmes administratifs d'énormes difficultés financières, ainsi que des querelles religieuses ravivées. La royauté connaît alors une période de profond discrédit de la royauté, ce que n'arrange pas le règne du pâle Louis XVI (1774-1792).


La monarchie absolue ainsi brièvement dépeinte a donc besoin des intendants pour étendre son bras en province. Le sujet présente un intérêt non-négligeable dans la mesure où les intendants sont souvent considérés comme les ancêtres des actuels préfets. Il s'agit donc d'un modèle administratif pérenne.


Nous constaterons que les intendants, de par leur statut et la variété de leurs attributions, apparaissent comme un véritable moyen d'expression de l'absolutisme, dont ils constituent le bras en province. Ils sont dès lors l'exemple parfait de relais d'un pouvoir central autoritaire, et constituent le type même de l'agent déconcentré.


Nous vérifierons cette assertion en constatant que sur bien des plans, ce ministre plénipotentiaire du roi (II) s'avère une institution particulièrement efficace (I).



L'intendant bénéficie d'un statut lui permettant une grande efficacité dans l'exercice de ses fonctions. Cette efficacité est due à une carrière bien balisée (A) et au fait que l'intendant soit très bien épaulé (B).

L'intendant apparaît comme un homme fort, ce que manifeste tant son statut social (1) que juridique (2).

Tous les intendants ou presque sont recrutés parmi les maîtres des requêtes au Conseil, et appartiennent pour la plupart à la noblesse.
  • jusqu'en 1715, les maîtres de requêtes ont un monopole presque absolu. Ils sont presque tous issus de la haute bourgeoisie anoblie par les offices : la noblesse de robe. Jaloux de leur milieu d'origine, ils sont très attachés au titre de baron, comte ou marquis. On note tout-de-même parmi eux des personnes issues de vieilles familles de la noblesse d'épée. Ce sont tous des juristes.
  • de 1715 à 1790 : les conditions de recrutement et de formation des intendants demeurent les mêmes, ce qui tend à renforcer un esprit de corps construit autour de trois données :
    1. L'intendant est désormais toujours un magistrat noble, issu de familles parlementaires.
    2. L'intendant est un homme riche et influent. Il est propriétaire de vastes domaines fonciers dont il tire d'importants revenus. Il dispose aussi souvent de grosses fortunes mobilières. Cette fortune personnelle lui est indispensable car ses appointements ne lui permettent pas de faire face au train de vie d'une intendance.
    3. L'intendant fait partie de la « robe du Conseil ». Tous ceux qui la composent font partie des proches du roi ou du gouvernement, auxquels ils vouent une obéissance et un dévouement sans limite.

L'intendant est un commissaire
. Il est donc toujours nommé par le roi ou son conseil, sur proposition du ministre compétent. Le roi demeure maître de sa nomination et du contenu de la lettre de commission. Il est donc investi d'une mission particulière.

Comme tout commissaire, il est librement révocable par le roi. Sous Colbert, afin de lui apprendre à bien connaître le royaume, l'intendant est souvent nommé pour une durée de deux à cinq ans. Puis, à partir de la seconde moitié du XVIIe siècle, la durée des commissions ne cesse de s'allonger. Elle permet à son titulaire de rester en fonctions pendant des durées très longues, parfois plusieurs dizaines d'années.

Transition : le statut de l'intendant lui permet de mener une carrière bien balisée et de renforcer son poids en province. Celui-ci est également accru par le fait que l'intendant, loin de gouverner seul, est très bien épaulé.

En raison de l'importance de ses fonctions et de sa généralité, l'intendant ne saurait gouverner seul. Il s'entoure donc d'un personnel compétent (1), et a également besoin de déconcentrer son activité au moyen de subdélégués (2).

L'intendant sait s'entourer de collaborateurs efficaces qui constituent le bureau de l'intendance. Celui-ci est composé de commis et de délégués. Un premier secrétaire est chargé de les surveiller.

En outre, sous le règne de Louis XVI apparaît, de manière officieuse, dans certaines intendances (en Bourgogne, par ex) un comité contentieux de l'intendant : les intendants s'entourent d'avocats locaux afin de se faire aider et conseiller dans les affaires difficiles.

Eu égard à l'étendue de la généralité, l'intendant est contraint de déconcentrer son activité : il choisit des agents auxquels il délègue une partie de ses pouvoirs : les subdélégués, placés à la tête de circonscriptions appelées les subdélégations. Ces auxiliaires apparaissent dans la 1ère moitié du XVIIe siècle. Ils sont souvent recrutés parmi les juges ou les avocats. Ils font office d'agents de renseignements de l'intendant dans la généralité, qu'ils quadrillent.

Transition : si l'intendant apparaît sur le plan local comme une institution efficace en raison de son statut et de ses auxiliaires, il est également, du côté du pouvoir central, un ministre plénipotentiaire tout dévoué au roi.

L'intendant apparaît véritablement comme le bras du roi en province. Il représente ce dernier dans sa généralité, ce dont témoignent ses fonctions très étendues (A). L'importance même de ces dernières aboutira à une importante critique de l'intendance dans la seconde moitié du XVIIIe siècle (B).

Les fonctions de l'intendant se fixent dans la seconde moitié du XVIIe siècle : on peut alors dégager quelques tendances des diverses lettres de commission : ils sont en effet désormais « intendants de justice, police et finances, commissaires départis pour l'exécution des ordres du roi ». Il s'agira d'examiner leurs fonctions judiciaires (1), avant d'étudier leur mission de police et de finances (2).


L'intendant doit assurer la surveillance des cours et des tribunaux de sa circonscription. Autrement dit, il surveille la justice ordinaire, veille à sa bonne marche, peut entrer dans tous les sièges de justice de sa circonscription (bailliage, prévôté, présidiaux, sénéchaussées). Il a droit de séance aux audiences du Parlement et des autres Cours souveraines de son ressort.

Il juge également les affaires que lui confie le roi, en vertu d'une délégation spéciale, comme agent de sa justice retenue. Ainsi, en matière criminelle, il juge les crimes et délits exigeant une prompte répression. En matière administrative, lui incombe la majorité du contentieux administratif, qu'il juge seul par voie d'arrêt ou d'ordonnance susceptibles d'appel devant le Conseil du roi. Il juge ainsi les litiges relatifs aux armées, aux travaux publics, aux expropriations. Il dispose également d'un important contentieux en matière fiscale.


L'intendant est tout d'abord intendant de police, au sens de l'administration générale : il a la charge de tout ce qui a trait au bien public. Il assure la sûreté et la tranquillité publique, la gestion des milices, l'approvisionnement et les logements, les troupes, la police des cultes, la police religieuse et morale, l'assistance et la santé publique, la police économique, ou encore la voirie et l'urbanisme.

Il est également intendant des finances. C'est un de ses domaines d'intervention les plus importants. En théorie, sa compétence est universelle, mais il doit compter avec les autorités plus anciennes, donc sa marge de manœuvre est en réalité étroite. Il contrôle la gestion du domaine et l'administration des finances. Les impôts indirects, affermés, sont perçus sous sa surveillance. La taille (impôt direct par excellence) est levée sous son autorité et il s'occupe des impôts directs récents : capitation et vingtième.

Transition : en raison de l'importance de leurs fonctions, les intendants subissent, à partir environ de 1750, d'importantes critiques.

L'intendant fait l'objet de nombreuses critiques à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle. L'intendance est tout d'abord une institution mal perçue, et son titulaire souffre de la solitude du pouvoir (1). Le pouvoir, précisément, ne soutient guère son bras droit en province (2).

L'administration dynamique et autoritaire de l'intendant soulève un mécontentement profond chez ceux qui préfèrent l'archaïsme des vieilles institutions aux bienfaits d'une administration plus centralisée. Eclate alors le conservatisme de la petite bourgeoisie et l'esprit rétrograde de la noblesse.

Plus précisément, l'intendant souffre de la haine et du mépris des aristocrates, qu'il maintient dans l'obéissance. Il pâtit également de l'hostilité des cours financières et des Parlements, qu'il amoindrit. Enfin, il subit l'incompréhension des populations dans les périodes difficiles : elles le voient comme l'homme des impôts et l'exécuteur des œuvres des ministres qui cachent la vérité au roi.

Ce sont les ministres et les divers conseils royaux qui attaquent les premiers les initiatives des intendants, jugées trop audacieuses. En outre, la pesanteur de la tutelle des intendants sur les villes finit par être critiquée. Enfin, les intendants sont de plus en plus placés sous le contrôle du Conseil du roi.

Il est certain que l'action des intendants ne pouvait satisfaire tout le monde, car elle heurtait très souvent d'ancestrales coutumes et dérangeait des intérêts privés. De nombreuses plaintes furent adressées au gouvernement central contre l'action des intendants. A partir de 1750, le Conseil du roi défendit ses intendants avec beaucoup plus de mollesse qu'auparavant. À partir de ce constat, les parlements s'enhardirent, et pratiquèrent rapidement une politique d'obstruction vis à vis des intendants, même sur des problèmes mineurs. Ce défaut de soutien s'accrut sous le règne du faible Louis XVI. L'intendance est ainsi systématiquement stigmatisée dans les Cahiers de doléance. Cela n'empêchera cependant pas Napoléon Ier de s'y référer lorsqu'il créera les préfets, représentants du pouvoir dans le département, par la loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1790).
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