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Introduction historique au droit

Sources et autorités du droit aux XIXème et XXème siècles : doctrine, jurisprudence et coutume

A côté et en lien avec la loi, d’autres sources ou autorités du droit ont existé au XIXème siècle. La place, le rôle et les liens entre ces différents acteurs ont été importants et essentiels pour comprendre la formation, l’interprétation et l’application de la règle de droit. Cette leçon présente leur évolution et leur perception au cours principalement du XIXème siècle et du début du XXème siècle en prenant en compte les éléments principaux de l’historiographie récente.



1. La doctrine aux XIXème et XXème siècles


Les jurisconsultes à Rome, puis les docteurs médiévaux et des Temps modernes ont joué un rôle important dans l’analyse, l’étude et la formation du droit. Ils ont contribué en leur temps à la formation d'une science du droit. A partir du XIXème, la « doctrine des auteurs » fait progressivement place à la « doctrine » composant une collectivité de membres dont la formation et l’expression se développent. Elle a sa part d’influence sur le droit des XIXème et XXème siècles.

Df.Doctrine :
  1. « Opinion communément professée par ceux qui enseignent le Droit, ou même ceux qui, sans enseigner, écrivent sur le Droit.
  2. Ensemble des ouvrages juridiques.
  3. Ensemble des auteurs d’ouvrages juridiques.
  4. Opinion exprimée sur une question de Droit particulière »
G. CORNU, Vocabulaire juridique, 8ème éd., PUF, 2007, p. 324.


La doctrine apparaît à partir de la seconde moitié du XIXème siècle. Avant, la « doctrine des auteurs » renvoyait à « l’opinion communément professée » par ces auteurs.


Sans être spécifique à la France, « la doctrine » n’en est pas moins particulière. Philippe Jestaz et Christophe Jamin présentent cette notion comme renvoyant à « trois réalités » souvent confondues en lien avec le droit savant, une source du droit et une collectivité d’auteurs (La doctrine, Coll. Méthodes du droit, Dalloz, 2004, p. 3-9). Une présentation de la doctrine à partir de la seconde moitié du XIXème et au XXème siècle est possible à travers des hommes et des méthodes.


Alors que les Écoles de droit ont été supprimées au cours de la Révolution (1793), le régime napoléonien rétablit ces Écoles par la loi du 22 ventôse an XII (13 mars 1804). Ainsi 12 écoles de droit sont organisées (Paris, Dijon, Grenoble, Aix, Toulouse, Poitiers, Rennes, Caen, Strasbourg, Bruxelles, Coblence et Turin). La composition et le fonctionnement sont prévus par le Décret du 4ème jour complémentaire de l'an XII (21 septembre 1804) prévoyant pour chacune d'elles, cinq professeurs et deux suppléants. Il s'agit de former des professionnels du droit à partir des nouveaux codes napoléoniens. Elles sont « au service d'une culture juridique officielle » (J.-L. Halpérin). L'organisation du monopole de l’État sur l'enseignement est précisé par le décret du 17 mars 1808 sur l'organisation de l'Université.
Dans ce cadre nouveau, les premiers enseignants doivent selon les termes de l'article 2 de la loi du 13 mars 1804 enseigner notamment le « droit civil français dans l'ordre établi par le Code civil ». A partir du début du XIXème siècle, différents juristes explorent le Code civil, mais aussi d'autres sources du droit, selon des traditions et des méthodes particulières. Ils participent à la construction d'une « culture juridique française ».

Tx.F. Audren, J.-L. Halpérin, La culture juridique française. Entre mythes et réalités XIXème-XXème siècles, Paris, 2013.

Une doctrine s’affirme et construit son identité en lien avec le droit. Les docteurs en droit occupent une place essentielle dans la formation d’une science juridique et en particulier les professeurs. Leur mode de recrutement et leur lieu d’enseignement contribuent à leur reconnaissance. L’instauration d’un concours national de recrutement en 1855 (agrégation) et la place de l’Université favorisent l’émergence et l’affirmation d’une identité collective doctrinale. Elle se distingue ainsi des autres juristes.
De grandes figures de la doctrine ont contribué à la formation de théories. A s’en tenir au domaine des sources du droit, la doctrine a œuvré doublement pour reconsidérer d’autres sources que la loi mais aussi affirmer sa place comme autorité doctrinale.
Le monopole officiel de la loi du début du XIXème siècle reste affirmé par les juristes dans leurs introductions au droit. L’attention est portée sur le Code civil mais à partir des années 1840 une évolution est notable. Une prise en compte plus grande de la jurisprudence et de la doctrine est perçue dans un contexte de développement des publications juridiques.
 
Tx.Charles Demolombe (1804-1887) écrivait en 1845 qu’il « s’est formé sur beaucoup de points, un dépôt de maximes et de décisions, un corps de doctrine et de jurisprudence, qui sont devenus, pour ainsi dire, inséparables des décisions législatives elles-mêmes, en ce sens qu’il n’est pas plus possible désormais d’ignorer les unes que les autres » (Ch. Demolombe, Cours de droit civil, t. 1, Durand, 1ère éd., 1845, p. IV).

Cette évolution et cette affirmation de la jurisprudence et de la doctrine à côté de la loi favorise la formulation d’une « théorie pluraliste des sources » du droit. Elle trouve notamment à s’exprimer par François Gény (1861-1959). Il publie en 1899 un ouvrage qui fera date : Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif – Essai critique. Après avoir adressé des critiques à la méthode suivie pour interpréter la loi par les juristes depuis le Code civil, il développe la notion de « sources formelles ». Il propose une typologie de ces sources distinguant alors la loi et la coutume. Il considère la doctrine et la jurisprudence comme de simples « autorités ».
François Gény (1861-1959). Source : wikipédia - domaine public.

En savoir plus : Aperçu de l’œuvre de François Gény

« L’autorité doctrinale » est encore considérée par d’autres auteurs comme faisant œuvre d’interprétation. C’est avec les auteurs du XXème siècle que la doctrine est affirmée en tant que telle. En affirmant son rôle, la doctrine se positionne par rapport aux autres sources du droit : « elle se reconnaît le droit d’expliciter le contenu brut de la loi et de la jurisprudence, ce qui tend déjà à transformer son rôle d’interprète en instrument de domination intellectuelle, en particulier sur les juges » (Ph. Jestaz, Ch. Jamin, La doctrine… op. cit., p. 121).

Dans le domaine du droit administratif, les auteurs commentent aussi les arrêts. L’activité créatrice du Conseil d’État favorise l’apparition, à la du XIXème siècle, de juristes édifiant ce droit dont Édouard Laferrière (1841-1901) fut l’un des plus illustres représentants avec son Traité de la juridiction administrative et des recours contentieux (1887). Il a posé les bases du droit administratif moderne en recherchant dans les arrêts du Conseil d’État la logique qui sous-tend ce droit. Il a permis qu’il se constitue en discipline autonome. Les professeurs bordelais Léon Duguit (11859-1928) et toulousain Maurice Hauriou (1856-1929) ont contribué à la formation d’une science juridique.

Différentes méthodes sont développées et observées par les membres de la doctrine française. Parmi celles-ci, on a en premier lieu souvent présenté l’existence d’une « École de l’Exégèse » pour désigner les commentateurs du Code civil qui se limiteraient à une analyse littérale au service du code. Elle a été qualifiée de telle par la doctrine du début du XXème siècle notamment par Ernest Glasson (1839-1907) en 1904 à l’occasion d’un discours pour le centenaire du Code civil puis par Julien Bonnecase (1878-1950) et Eugène Gaudemet (1923). C'est davantage une méhode exégétique qui se forme entre 1804 et les années 1830 puis la méthode dogmatique s'affirme. Gaudemet précise ainsi qu'au cours des années 1880-1900, « l'esprit de synthèse philosophique de Beudant, la méthode d'assouplissement analytique de Bufnoir, le sens historique de Labbé ont préparé directement la rénovation juridique ».
En savoir plus : L'École de l'Exégèse

Les commentateurs du Code civil ont été présentés comme des exégètes. Jean-Joseph Bugnet (1794-1866) apparaît comme l’un des premiers d’entre eux. On lui attribue la formule : « Je ne connais pas le droit civil, j’enseigne le Code Napoléon ». Jean-Charles Demolombe (1804-1887) est l’auteur d’une œuvre importante inachevée Cours de Code civil puis Cours de code Napoléon (31 volumes parus entre 1845 et 1879). Ce Cours prend la forme d’un simple commentaire article après article. Il a été surnommé « le prince de l’exégèse ». Il entend considérer « les textes avant tout » et expliquer « le Code Napoléon lui-même, considéré comme loi vivante, comme loi applicable et obligatoire ». Envisageant la « loi suprême », il considère aussi, par exemple, l’histoire et la jurisprudence.
Selon Julien Bonnecase, « l’École de l’Exégèse » se caractérise par cinq éléments : culte du texte de la loi, recherche de l’intention du législateur, caractère étatiste, recours « illogique et paradoxal » à la « notion de droit », portée accordée à l’argument d’autorité. Il développe son analyse dans la Revue générale du droit, de la législation et de la jurisprudence (1918-1919). Son analyse est reprise par Eugène Gaudemet dans L’interprétation du Code civil en France depuis 1804 (conférences à l'Université de Bâle en 1923 et publiée en 1935). Elle a été remise en cause par Philippe Rémy en 1985 (« Eloge de l’Exégèse », Droits, 1, 1985, p. 115 et s.).
L’École de la Libre recherche scientifique a été promue en particulier par Raymond Saleilles (1855-1912). Elle consiste à partir du texte de loi pour envisager toutes les solutions envisageables. Il s’agit d’aller « au-delà du code civil, mais par le code civil » (Préface à la première édition de l’ouvrage de F. Gény). Pour cela il peut être fait appel à l’histoire, la sociologie, l’économie, la philosophie… pour que l’interprète de la loi prenne en compte l’ensemble des données de la vie sociale.

Le comparatisme a été retenu par des civilistes comme des commercialistes dans la seconde moitié du XIXème siècle. Pour qu’il puisse se développer, il a fallu que la connaissance de la législation étrangère soit facilitée par l’existence de collections de codes étrangers publiés en français mais aussi à partir de 1872, avec l’Annuaire de législation comparée édité chaque année offrant la traduction de lois. Au début du XXème siècle, on affiche l’objectif de « dégager de l’ensemble des institutions particulières un fonds commun ou tout du moins des points de rapprochements susceptibles de faire apparaître, sous la diversité apparente des formes, l’identité foncière de la vie juridique universelle » (M. Ancel, « Cent ans de droit comparé en France », Livre du Centenaire de la Société de législation comparée (1869-1969), Paris, 1969, p. 7 sq.).


La doctrine s’exprime à travers divers supports où elle expose des théories et constructions doctrinales.


Différentes formes d’expression de la doctrine existe, parmi lesquels on trouve principalement :
  • les cours sont en principe oraux mais leur trace a pu être parfois conservée sous la forme de « polycopiés » pouvant ensuite être publiés.

Ex.En histoire du droit privé, les cours polycopiés de Pierre Petot (1887-1966) sont bien connus avec notamment : La condition des personnes dans l’ancien Droit français (1934-1935) ; La protection du patrimoine familial dans l’ancien droit français (1935-1936) ; Meubles et immeubles dans l’ancien droit français (1938-1939) ; La condition de la femme dans le mariage et après la dissolution du mariage (1939-1940) ; Le servage (1940-1941) ; Les propres dans l’ancien droit français (1941-1942) ; La formation du régime de communauté entre époux (1942-1943) ; La famille (1943-1944) ; Les divisions des biens (1944-1945) ; Histoire de la propriété foncière en France (1945-1946) ; Histoire de la classe servile en France (1946-1947) ; Les enfants dans la famille (1947-1948) ; Les régimes matrimoniaux dans les pays coutumiers (1948-1949) ; Le lignage (1949-1950) ; La femme mariée (190-1951) ; Les incapables (1951-1952) ; Les successions en ligne directe (1952-1953) ; Le mariage et ses effets civils (1953-1954) ; Questions relatives aux biens dans l’ancien droit français (1954-1955) ; Questions relatives aux droits des successions (1955-1956) ; Le régime de communauté entre époux (1956-1957) ; La formation du droit privé français (1957-1958). On peut aussi citer ceux de Roger Aubenas dans les années 1950 à la Faculté de droit d’Aix.
En histoire du droit public les cours de François Olivier-Martin (1879-1952) peuvent aussi être cités avec notamment : Histoire du droit public : l’administration provinciale à la fin de l’Ancien Régime (1924-1925) ; La coutume de Paris, trait d’union entre le droit romain et les législations (1925-1926) ; Les lois du Roi (1945-1946), Le Conseil d’État du Roi (1947-1948) ; L’inaliénabilité du domaine (1949-1950) ou encore L’absolutisme français (1950-1951). Il y aussi, par exemple, les 15 cours polycopiés de Robert Villers (1912-1989) en lien en particulier avec la justice.



A la fin du XIXème siècle et au XXème siècle, une fois la doctrine constituée et étant dégagée de la seule loi, différents champs ont été investis par les auteurs pour élaborer des théories qui ont marqué le débat doctrinal en leur temps. Elles sont aujourd’hui des pierres d’angle du droit contemporain tant en droit privé qu’en droit public.

La théorie du patrimoine a intéressé les auteurs français qui se sont inspirés de la doctrine allemande. L’apport de Charles Aubry (1803-1883) et Frédéric-Charles Rau (1803-1877) est de considérer le patrimoine en lien avec la personnalité qui lui sert de fondement. Le patrimoine désigne alors à la fois la masse de biens et le droit qu’une personne a sur son patrimoine. Ils développent la théorie du patrimoine dans leur Cours de droit civil français. Ils le définissent comme « l’ensemble des biens d’une personne, envisagé comme formant une universalité de droit… ». Ils en tirent la conséquence que toute personne n’a qu’un seul patrimoine. Cette conception affirmant l’unicité du patrimoine a été remise en cause avec l’introduction de l’article 2011 du Code civil instaurant la fiducie en 2007.


Tx.Aubry et Rau, Cours de droit civil, 4ème éd., Paris, 1873 :

« Le patrimoine étant une émanation de la personnalité, et l’expression de la puissance juridique dont une personne se trouve investie comme telle, il en résulte :
Que les personnes physiques ou morales peuvent seules avoir un patrimoine ;
Que toute personne a nécessairement un patrimoine, alors même qu’elle ne posséderait actuellement aucun bien ;
Que la même personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine, dans le sens propre du mot.
 » (§ 573).

En savoir plus : Critique et remise en cause de la théorie de l’unicité du patrimoine

La théorie présentée par Aubry et Rau est critiquée par François Gény à la fin du XIXème siècle mais aussi par Paul Esmein au milieu du XXème siècle. Une évolution notable en droit français est marquée par la reconnaissance de la fiducie en lien avec un patrimoine d’affectation distinct du patrimoine personnel du fiduciaire. Elle marque la possibilité de plusieurs patrimoines pour une même personne.

Df.Fiducie : « opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, présents ou futurs à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenants séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires ».

Raymond Saleilles (1855-1912) et Louis Josserand (1868-1941) ont développé de manière concomitante la théorie du risque en 1897. A la conception subjective de la responsabilité bâtie sur l’article 1382 du Code civil, une nouvelle approche objective est développée pour tenir compte des progrès du machinisme et du nombre croissant d’accidents. Une lecture nouvelle de l’article 1384 al. 1 du Code civil a permis de fonder la responsabilité sur la propriété de la chose qui est à l’origine du dommage et non plus sur la présomption de faute. Leur réflexion a trouvé un écho auprès du législateur avec la loi du 9 avril 1898 relative aux accidents du travail. La jurisprudence a consacré cette conception objective avec l’arrêt Jand’heur en 1930.

Rq.L’Allemagne avec Bismarck adoptée la théorie du risque en 1871 pour les accidents de chemin de fer. La consécration de la théorie du risque a eu pour effet d’inciter les employeurs à souscrire des contrats auprès des compagnies d’assurance. D’autres lois sont votées dans la première moitié du XXème siècle pour garantir les accidents survenus dans l’agriculture (loi du 30 juin 1899), dans toute exploitation commerciale sans qu’il y ait lieu de rechercher s’il était fait ou non usage de machines (loi du 12 avril 1906) ou encore dans les exploitations forestières (loi du 15 juillet 1914). Les lois des 15 décembre 1922 et 30 avril 1926 ont appliqué la loi de 1898 à tous les accidents agricoles.

Maurice Hauriou (1856-1929) publie les Principes de droit public en 1910 et son Précis de droit administratif en 1892 (11ème éd. en 1927). Il développe son analyse à partir, par exemple, des notions de puissance publique, de décision exécutoire mais aussi du concept d’institution. L’État est considéré comme « l’institution des institutions ». Il prolonge sa réflexion sur le terrain constitutionnel avec son Précis de droit constitutionnel (1923).

Tx.Hauriou propose de définir l’institution comme « une idée d’œuvre ou d’entreprise qui se réalise et dure juridiquement dans un milieu social ; pour la réalisation de l’idée il se produit des manifestations de communion dirigées par les organes du pouvoir et réglées par des procédures »

Extrait de « La théorie de l’institution et de la fondation », Cahiers de la nouvelle journée, 1925.

En savoir plus : Théorie de l’institution
Léon Duguit (1859-1928) développe sa pensée autour notamment de la notion de service public dans son Traité de droit constitutionnel. Il considère que l’ensemble du droit administratif se ramène à cette notion. Il développe une conception objective au sein de l’école dite « du service public ». L’État n’est pas l’ensemble des services publics mais doit veiller à leur « fonctionnement régulier ».

Tx.« Toute activité dont l’accomplissement doit être assurée, réglée et contrôlée par les gouvernements, parce que l’accomplissement de cette activité est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale et qu’elle est de telle nature qu’elle ne peut être réalisée que par l’intervention de la force gouvernante » (L. Duguit, Traité de droit constitutionnel, t. 2, Sirey, 1923, p. 55).

2. La jurisprudence aux XIXème et XXème siècles


Une évolution au XIXème siècle tient au passage de la jurisprudence des arrêts à la jurisprudence entendue comme l’ensemble des décisions de justice rendues. Elle ouvre la voie à une plus grande prise en considération de la place de la jurisprudence au regard de la loi d’autant qu’une œuvre prétorienne permet de faire évoluer le droit.


Alors que la loi avait été la source privilégiée voire parfois considérée comme exclusive du droit, la jurisprudence est reconsidérée ouvrant un débat quant à sa nature.


Aujourd'hui le juge, saisit d'un litige à trancher, doit déterminer la solution de droit applicable. Il « doit se prononcer sur tout ce qui est demandé et seulement ce qui est demandé » (article 5 Nouveau Code de procédure civile). L'article 4 du Code civil dispose que « le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence, de l'obscurité ou de l'insuffisance de la loi, pourra être poursuivi comme coupable d'un déni de justice ». S'il est interdit au juge une telle abstention, il peut aussi intervenir mais dans certaines limites (art. 5). Il ne peut « se prononcer par voie de disposition générale et réglementaire ». C'est là un héritage de la Révolution qui a mis fin à la pratique des arrêts de règlement des cours souveraines d'Ancien Régime et qui a redéfini le rôle du juge par rapport à la loi.

L'expression de jurisprudence des arrêts est apparue au XVIIIème siècle. Elle est définie par Cl. de Ferrière (1639-1715) comme « l'induction que l'on tire de plusieurs arrêts qui ont jugé une question de la même manière dans une même espèce » (Dictionnaire de droit et de pratique). Pour Denisart (1713-1765), « si plusieurs arrêts ont jugé la même question de la même manière, cela forme un usage et une jurisprudence dont les juges ne doivent pas s'écarter sans de grandes raisons, surtout quand il y a une suite d'arrêts uniformes et qu'il n'y en a pas de contraires » (Collection de décisions nouvelles).
Ces définitions correspondent davantage au sens moderne de la jurisprudence qui apparaît moins comme une science du droit que comme une source du droit. On passe de la « jurisprudence des arrêts » à la « jurisprudence » dont le sens moderne s'affirme au XIXe siècle.
La jurisprudence des arrêts mettait en évidence le rôle de la doctrine dans le regroupement et l'analyse des arrêts notamment en l'absence d'indication de motivation. Progressivement, la jurisprudence devient l'ensemble de décisions semblables rendues par une juridiction. Elle valorise davantage le juge. Elle marque une évolution dans « la reconnaissance du pouvoir normatif des juridictions » (N. Hakim).La loi des 16-24 août 1790 a instauré le référé législatif par lequel le législateur détient le monopole de l'interprétation de la loi (« les tribunaux ne pourront point faire de règlements, mais ils s'adresseront au corps législatif toutes les fois qu'ils croiront nécessaire d'interpréter une loi soit d'en faire une nouvelle »).  L'arrêt de règlement est une décision rendue par une cour souveraine qui pose une règle de droit générale applicable dans son ressort à tous les cas d'espèce semblable à celui pour lequel elle a été saisie. L'article 5 du Code civil a « défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises ».

La loi des 16-24 août 1790 instaure également la motivation (Titre V, art. 15 : « les motifs qui auront déterminé le jugement soient exprimés »), cette obligation est ensuite reprise : « les jugements sont motivés » (art. 208 de la constitution du 5 fructidor an III ou encore l'article 7 de loi du 20 avril 1810 qui déclare nuls les jugements qui ne contiennent pas de motifs). La motivation permet au juge de développer et d'exposer un raisonnement juridique. Elle est aussi un moyen d'éviter l'arbitraire. Enfin, elle permet qu'un contrôle puisse être exercé. Michel Grimaldi a notamment souligné que « ce peut être une simple information : la motivation vise à renseigner, mais n'appelle pas la discussion. [...]. Ce peut être aussi une motivation en vue d'un contrôle. Souvent, le plus souvent même, l'obligation de motiver se prolonge par la soumission à un contrôle. Et l'on rejoint ici la première observation : le droit à la motivation, s'il existe, ce n'est pas seulement le droit de savoir, c'est aussi l'amorce du droit de contester » (La motivation, travaux de l'association Henri Capitant, Paris, L.G.D.J, 2000, p. 2).
L’évolution de la place de la jurisprudence en sens contemporain du terme tient à plusieurs facteurs dont la création d’un Tribunal puis la Cour de cassation favorisant l’uniformisation (notamment depuis la suppression du référé législatif par la loi de 1837), la promotion de la loi souveraine, l’obligation de motivation des jugements et arrêts…

Ex.Les séances de l’Académie de législation. La cour de cassation dans la création du droit français par M. Vincent Lamanda, premier président de la Cour de cassation (14 janvier 2011) :

La loi du 1er avril 1837 met fin au référé législatif révolutionnaire pour obliger la seconde cour de renvoi à se conformer à la décision de la Cour de cassation (chambres réunies). C'est le début d'une nouvelle période où la jurisprudence s'affirme.

La Cour de cassation développe des arrêts de principe. Elle s’affirme par rapport à la doctrine et elle s’en affranchit en partie. Elle acquiert une autonomie certaine mais la doctrine entend encore en assurer la cohérence et en présenter des synthèses.

Tx.« A peine de se réduire à un rôle exclusivement empirique, la jurisprudence ne peut se passer du secours et de l’appui des auteurs. Ses travaux, conduits au jour le jour, et circonscrits au domaine concret des espèces, doivent, pour se soutenir et se développer, être dirigés par les vues d’une doctrine perspicace, et condensés en de fortes synthèses » (F. Gény, Méthode d’interprétation…, op. cit., II , p. 236).

La connaissance de la jurisprudence se développe à partir du XIXème siècle avec des répertoires, des dictionnaires, des recueils périodiques de jurisprudence (Journal du Palais, Journal des Audiences). En 1851, la Revue critique de la jurisprudence en matière civile, administrative, commerciale et criminelle formant le complément doctrinal des recueils d'arrêts est créée. Un « examen doctrinal des arrêts » apparaît. Tant en droit privé qu'en droit public, l'intérêt porté à la jurisprudence est manifeste. Les créations du Recueil Sirey, des Annales de droit commercial, français, étranger et international ou encore de la Revue trimestrielle de droit civil en témoignent.

La Revue trimestrielle de droit civil, créée en 1902, entend mener l’étude de la jurisprudence. Sa connaissance se manifeste par diverses publications : répertoires, dictionnaires ou encore recueils de jurisprudence et de revues doctrinales où l’activité jurisprudentielle est présente. Une alliance de l’École et du Palais existe. Elle prend notamment la forme de la note d’arrêt dans la seconde moitié du XIXème siècle.

Tx.Note d’arrêt de Raymond Saleilles sous Civ. 16 juin 1896, D.P., 91.1. 433-439 :

« La responsabilité des choses que l’on a sous sa garde subsiste malgré le vice occulte de la chose et la faute de celui qui l’a fournie ; elle ne disparaît que par la preuve du cas fortuit ou de la force majeure (c. civ. 1384 ; solution implicite ; 1ere espèce) (1).

Spécialement, le propriétaire d’un remorqueur est responsable de l’accident causé à un ouvrier par l’explosion de la machine due à un vice de construction, sans qu’il puisse se soustraire à cette responsabilité en prouvant soit la faute du constructeur de la machine, soit le caractère occulte du vice incriminé (1ere espèce) (2).

Toutefois la preuve du cas fortuit doit petre considérée comme acquise par le fait seul qu’on n’a pu faire la preuve d’aucun vice de construction et qu’il a été impossible, par suite, de déterminer la cause de l’accident survenu (2e espèce) (3).… (4)
».

Parfois, la justice rendue par certains juges pouvait faire appel à l’équité. L’attitude du « bon juge » Magnaud de Château-Thierry (1890-1905) révèle une « jurisprudence plus audacieuse » (J.-L. Halpérin) mais qui attire à elle la critique de la doctrine.
En savoir plus : Le bon juge Magnaud

Un débat s’est engagé pour considérer ou non que la jurisprudence constitue une source du droit ou une simple autorité. Le professeur lyonnais Louis-Etienne Josserand (1868-1941) défend la première approche dans son Cours de droit civil positif (1930). Il s’inscrit ainsi dans la continuité de l’opinion de la doctrine du fin du XIXème siècle qu’il s’agisse d’Adhémar Esmein (1848-1913), de Marcel Planiol (1853-1931) ou Edouard Lambert (1866-1947).

Tx.Extraits de L.-E. Josserand, Cours de droit civil positif (1930) :

« Le droit que nous avons pris pour objet de notre étude est avant tout le droit jurisprudentiel… C’est la jurisprudence qui constitue la matière première sur laquelle doivent s’exercer nos recherches ; le droit est tel qu’elle le comprend et l’aménage, les documents législatifs n’étant que des matériaux dont l’assemblage et la mise en œuvre lui sont confiés… (la jurisprudence) constitue, de nos jours, le mode de révélation par excellence de la coutume, le creuset dans lequel celle-ci s’élabore » (Préface et n° 99).

« Le législateur ne peut tout prévoir… Alors, plus ou moins hardiment, suivant les temps et les pays, les tribunaux, quand le législateur n’intervenait pas lui-même, ont comblé les lacunes ou modifié la loi, tout en prétendant la respecter », Paul Esmein, Rapport, Revue Internationale de droit comparé, vol. 9, n° 2, 1957, p. 416-422.

Pour d’autres auteurs, la jurisprudence ne peut être considérée comme une source du droit. Pour Charles Aubry (1803-1883) et Frédéric-Charles Rau (1803-1877) « la jurisprudence la plus constante ne peut être considérée chez nous comme constituant un élément du droit ». La place de la jurisprudence a été aussi envisagée par le Doyen Carbonnier (1908-2003) pour qui elle manque les « caractères inhérents à une source autonome du droit : ou elle est transparence de la loi, ou elle est fondation d’une coutume ». Dans son cours de sociologie juridique (Le procès et le jugement, 1961-1962), il propose de la définir comme l’« autorité de ce qui a été jugé constamment dans le même sens ».

Tx.Aujourd’hui la jurisprudence est considérée comme une source du droit et présentée comme telle notamment par le Ministère de la Justice.

Avec l’évolution de la place et du rôle des sources du droit, la situation du juge a évolué. En lien avec l’article 4 du Code civil (« le juge qui refusera de juger, sous prétexte du silence de la loi, pourra être poursuivi comme coupable de déni de justice »), le juge est amené à inventer une règle de droit dans la limite de l’article 5 du Code civil (« Il est défendu aux juges de prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les causes qui leur sont soumises »). Le juge a été qualifié de « législateur particulier » par le Doyen Carbonnier.

Ex.Affaire dite des « mères porteuses » :

Des « mères porteuses » sont présentées à des couples par une association pour faciliter une insémination artificielle moyennant argent, un abandon de l’enfant par la « mère porteuse » et l’adoption par le couple. L’épouse avait formé une demande en adoption plénière (art. 353 Code civil). La question de la qualification de cette relation (contrat ou non) a été portée devant la Cour de cassation. En l’absence de texte, elle s’est prononcée pour considérer qu’il s’agissait d’un contrat. Elle a aussi considérée que ce contrat portait atteinte aux intérêts tant de la mère porteuse que de l’enfant.

Tx. Assemblée plénière, 31 mai 1991 (pourvoi n° 90-20.105) :

« La Cour ; - Sur le pourvoi dans l'intérêt de la loi formé par M. le procureur général près la Cour de cassation : -

Vu les articles 6 et 1128 du Code civil, ensemble l'article 353 du même code ;-

Attendu que la convention par laquelle une femme s'engage, fût-ce à titre gratuit, à concevoir et à porter un enfant pour l'abandonner à sa naissance contrevient tant au principe d'ordre public de l'indisponibilité du corps humain qu'à celui de l'indisponibilité de l'état des personnes

Attendu, selon l'arrêt infirmatif attaqué (Paris, 1re ch. C, 15 juin 1990) que Mme X..., épouse de M. Y..., étant atteinte d'une stérilité irréversible, son mari a donné son sperme à une autre femme qui, inséminée artificiellement, a porté et mis au monde l'enfant ainsi conçu ; qu'à sa naissance, cet enfant a été déclaré comme étant né de Y..., sans indication de filiation maternelle ; -

Attendu que, pour prononcer l'adoption plénière de l'enfant par Mme Y..., l'arrêt retient qu'en l'état actuel des pratiques scientifiques et des mœurs, la méthode de la maternité substituée doit être considérée comme licite et non contraire à l'ordre public, et que cette adoption est conforme à l'intérêt de l'enfant, qui a été accueilli et élevé au foyer de M. et Mme Y... pratiquement depuis sa naissance ;

Qu'en statuant ainsi, alors que cette adoption n'était que l'ultime phase d'un processus d'ensemble destiné à permettre à un couple l'accueil à son foyer d'un enfant, conçu en exécution d'un contrat tendant à l'abandon à sa naissance par sa mère, et que, portant atteinte aux principes de l'indisponibilité du corps humain et de l'état des personnes, ce processus constituait un détournement de l'institution de l'adoption, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; -

Par ces motifs, casse... mais seulement dans l'intérêt de la loi et sans renvoi 
».

La loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal a interdit la « maternité de substitution » (article 16-7 du Code civil : « Toute convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui est nulle »).

Afin d’éviter de se rendre coupable du déni de justice, le juge doit créer du droit. Aujourd’hui, on considère qu’il existe des droits fondamentaux d’accès au juge mais aussi d’accès au droit. Le Conseil constitutionnel l’a affirmé dans sa décision n° 96-373 DC du 9 avril 1996 relative à la loi organique portant statut d’autonomie de la Polynésie (considérant 83).
Tx.Cons. 83. Considérant qu'aux termes de l'article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution" ; qu'il résulte de cette disposition qu'en principe il ne doit pas être porté d'atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d'exercer un recours effectif devant une juridiction ; ».

Un dialogue autour du droit, de son application et de sa création se noue qu’il s’agisse du dialogue des juges ou encore entre le juge et la doctrine et parfois aussi entre le juge et le législateur.


Des constructions jurisprudentielles sont apparues aux XIXème et XXème siècles tant en droit privé qu’en droit public et tout spécialement pour le droit administratif avec le Conseil d’État.


Grace à l’interprétation, les juges ont pu construire des théories jurisprudentielles. Le Tribunal de cassation puis la Cour de cassation ont ainsi œuvré en de nombreux domaines : inaliénabilité de la dot, légalité de l’emphytéose et encore du droit de la responsabilité objective du fait des choses à partir de l’article 1384 al. 1 du Code civil.

Tx. Arrêt Jeand’heur du 13 février 1930, Chambres réunies de la Cour de cassation  :

Dans la situation d’un accident mécanique (camion en l’espèce), la question de la responsabilité est posée. Jusqu’en 1930, la preuve de la faute de l’auteur du fait générateur du dommage devait être rapportée (article 1382 Code civil). Une telle preuve est devenue plus difficile lorsqu’une machine est en cause. Avec l’arrêt Jand’heur, les juges décident que la preuve de la garde d’une chose suffit (responsabilité objective). Ils posent ainsi un principe général.

Article 1384 al. 1 Code civil : « On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l’on a sous sa garde ».

La loi dite « Badinter » du 25 juillet 1985 relative à l’indemnisation des victimes d’accidents de la circulation prévoit la mise en place d’une indemnisation automatique en lien avec les assurances.

La jurisprudence n’est pas sans lien avec la doctrine. Le rôle de la doctrine est important en ce qu’elle « révèle » un arrêt. Elle participe à l’« élaboration et (… la) sélection de ce qui est un "arrêt de principe"» ou une "ligne jurisprudentielle constante" » (Chr. Grzegorczyk, « Jurisprudence : phénomène judiciaire, science ou méthode ? », Archives de philosophie du droit, t. 30, La jurisprudence, 1985, p. 42).

La notion d’abus de droit a été consacrée par la Cour de cassation dans un arrêt de principe en 1915 (Clément-Bayard). Depuis la fin du XIXème siècle, la jurisprudence (Cass. Req.n 10 juin 1902 et Cass.n 5 décembre 1904) comme la doctrine civiliste évoquent l’abus de droit (Saleilles, Josserand) en lien avec la doctrine allemande. Elle est critiquée par d’autres juristes (Ripert, Planiol, Duguit). Les liens entre morale et droit ont ainsi trouvés à s’exprimer. Le législateur a suivi la jurisprudence avec la loi du 4 juillet 1935 établissant des servitudes spéciales dites servitudes dans l’intérêt de la navigation aérienne.


C’est en lien avec la formation du droit administratif que la jurisprudence a joué un rôle essentiel. Ce droit s’est construit au XIXème siècle en lien avec la justice administrative. Le Doyen Vedel évoquait le caractère avant tout jurisprudentiel de ce droit (« Le droit administratif peut-il rester indéfiniment jurisprudentiel ? », Études et documents (publiés par le Conseil d’État), 1979-80, n° 31, p. 31). Il est encore un droit « fondamentalement jurisprudentiel » (Chapus). L’évolution et la place du Conseil d’État est essentielle pour comprendre l’origine et la formation du droit administratif.
En savoir plus : Le Conseil d’État et la juridiction administrative

Tx.Extraits, M. Hauriou, « De la formation du droit administratif français depuis l’an VIII », Revue générale d’administration, 1892 :

« I - (…) Ce n’est donc point l’histoire de telle ou telle institution administrative dont il va être parlé, mais bien véritablement l’histoire du droit administratif lui-même, dans ce qu’il a de plus intime et de plus profond, dans la constitution de ce qu'on peut appeler son ossature.
Les matériaux dont nous nous servirons seront les ouvrages doctrinaux, c’est-à-dire que cet essai sera avant tout une histoire de la littérature administrative.
On pourrait aussi bien tenter de faire l’histoire de la jurisprudence administrative, ou bien celle de la pratique administrative, car la jurisprudence et la pratique ont contribué à la formation du droit administratif autant que la doctrine. Et si l'on va au fond des choses, c’est même à la jurisprudence que revient la plus grosse part (…)
III – (…) Le droit administratif a présenté dans son évolution les phénomènes suivants :

1° Il s’est formé surtout par le contentieux, c’est-à-dire par la jurisprudence du Conseil d’État. Le Conseil d’État s’est trouvé dans une situation exceptionnelle : juge définitif de tout le contentieux administratif, grâce à l’appel et à la cassation, qui lui subordonnaient toutes les autres juridictions administratives, il était en même temps jugé prétorien, grâce à l’absence de codification. D'un autre côté, bien que ce fût un corps gouvernemental, heureusement pour lui peut-être, il a été pendant plusieurs années, sous la Restauration et sous la monarchie de Juillet, critique, discuté, attaqué ; ces tribulations l’ont incliné au culte du droit plus que ne l’eût fait sans doute, si elle eût duré, la faveur dont il jouissait sous le premier Empire. Sauf de rares écarts, sa jurisprudence s’est montrée très juridique et l’on peut dire que la substance du droit administratif est sortie de ses arrêts et de ses avis.

2° Le droit administratif a passé par les phases suivantes :
a) Une période d’élaboration secrète ; non pas que le secret ait été voulu, ni jalousement gardé comme celui des formules des actions de la loi, à Rome, par le collège des pontifes, mais on fait, il y a eu un certain nombre d’années pendant lesquelles ni les procédés de l’administration, ni les décisions du Conseil d’État n’étaient connus ;
b) Une période de divulgation ;
c) Une période d’organisation.

Il est difficile d‘arrêter par des dates ces différentes périodes. Dans la vie tout s’enchevêtre. Il y a eu dès le début un peu d’organisation, il y a encore actuellement une part de divulgation; ces divisions ne doivent donc pas être considérées comme nettes et tranchées. Toutefois, on peut fixer à l‘année 1818 le commencement de la divulgation, et à l’année 1860 le début de l’ère d’organisation (…)
 ».

La loi des 16 et 24 août 1790 a séparé les fonctions administratives des fonctions judiciaires (« les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelques manière que ce soit les opérations des corps administratifs ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions »). Puis au cours du XIXème siècle, administration et juge administratif sont séparés. Le régime napoléonien reposait sur le système de la justice retenue (Constitution de l’an VIII et loi du 28 pluviôse an VIII). La loi du 24 mai 1872 a mis en place une justice déléguée. Elle précise que « le Conseil d’État statue souverainement sur les recours en matière contentieuses administrative, et sur les demandes d’annulation pour excès de pouvoir formées contre les actes des diverses autorités administratives » (art. 9).
Tx.La théorie du ministre-juge est abandonnée par le Conseil d’État avec l’arrêt Cadot du 13 décembre 1889.

L’autonomie du droit administratif est affirmée par l’arrêt Blanco (Tribunal des conflits, 8 février 1873). Il est décidé que les principes du code civil ne peuvent régir la mise en jeu de la responsabilité de l’État pour des dommages causés aux particuliers du fait des services publics. Des règles spéciales doivent s’appliquer. Elles sont autonomes et justifiées par les besoins du service. La juridiction administrative est alors compétente.
Tx.Tribunal des conflits, 8 février 1873.

Le Conseil d’État et le Tribunal des conflits permettent l’élaboration de théories jurisprudentielles à travers de « grands arrêts » qu’il s’agisse, par exemple, de l’emprise, de la voie de fait, de la distinction entre faute personnelle et faute de service ; de la responsabilité sans faute…

3. La coutume et les usages aux XIXème et XXème siècles


Entre les années 1880 et 1920, la science juridique française exprime un son intérêt aux sources du droit et pas seulement à la loi.


A la fin du XIXème siècle, la doctrine civiliste, engagée dans une critique du légicentrisme, reconsidère la coutume et les usages. Les auteurs cherchent alors davantage à affirmer leur rôle d’interprète des sources juridiques. Ces sources du droit sont aussi prises en compte par la jurisprudence.


La supériorité accordée à la loi n’a pas été sans conséquence tout au long du XIXème s. sur les autres sources du droit. Avec l’importance reconnue à la loi et aux codes, la doctrine civiliste du XIXe s. s’est en partie détournée de la coutume. Elle ne l’a cependant pas ignorée totalement comme source du droit. On a pu parler à son égard d’un « tabou vieux de deux siècles pour les juristes de l’aire soumise au Code Napoléon… d’une succession répudiée » (A. Gouron).

François Gény en 1899 a permis de reconsidérer la coutume dans son ouvrage : Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif. Pour lui, l’usage constitue une étape dans la formation de la coutume.
L’usage est un fait (« substratum nécessaire de toute coutume juridique ») qui peut se muer en coutume si au premier élément matériel vient s’ajouter un élément psychologique (opinio necessitatis seu juris). La distinction entre usages conventionnels et usages de droit en découle.

Tx.« L’usage, pour engendrer la coutume, doit avoir, chez ceux qui le pratiquent, le caractère d’exercice d’un droit subjectif, qui contienne l’expression d’une règle de droit objectif ; autrement dit, que les actes composant cet usage n’ont effet, pour la création du droit, que s’ils ont lieu dans la pensée d’une sanction sociale effective » (F. Gény, Méthode d’interprétation…, op. cit., I, p. 361).

L’analyse conceptuelle et historique développée par Lambert pour combattre la théorie classique de la coutume met en lumière le rôle essentiel joué par le juge. La coutume tire alors son autorité de la jurisprudence.

Tx.« la jurisprudence est l’agent nécessaire de la transmutation du sentiment juridique en normes de droit […] Les experts officiels – sorciers, prêtres ou pontifes des siècles anciens, juges modernes – n’assistent pas passivement à l’éclosion de la coutume ; sans leur secours elle n’arriverait point à se dégager de la gaine des mœurs ; ils sélectionnent, cultivent, émondent et redressent les productions spontanées de la vie juridique. Ils ont quotidiennement à faire acte de découverte et d’initiative, et à exercer au nom de la collectivité, le libre arbitre social » (E. Lambert, La fonction du droit civil comparé, Paris, 1903, p. 802-803).


Df.Les usages locaux ont été définis par la Cour de cassation comme des « pratiques habituellement suivies dans un milieu donné… en vertu d’une règle non exprimée s’imposant comme une règle de droit » (Cass. Civ., 12 février 1861, DP 1861.1.120).

L’usage est pris en considération par la jurisprudence dans le domaine du droit du travail. L’usage professionnel ou l’usage d’entreprise tient à une pratique reconnue par le juge à l’occasion d’un litige. Les caractères de constance, de fixité et de généralité doivent être présents auxquels doit s’ajouter un élément psychologique.

Tx.« une pratique habituellement suivie dans l'entreprise, constitutive d'un avantage supplémentaire par rapport à la loi, la convention collective ou le contrat de travail, accordée aux salariés ou à une catégorie d'entre eux » (Cass. Soc. 16 mars 1989, n° 86-41.619).

Certains usages ont été repris dans les conventions collectives ou la loi (indemnité de licenciement apparue en 1919 et période d’essai dans les années 1950-1960) d’autres demeurent (le préavis avec des décisions de la Cour de cassation dans les années 1870 ; le 25 novembre – sainte Catherine - est un jour férié dans les entreprises du secteur de la couture).

En matière commerciale, la jurisprudence joue un rôle lorsque les tribunaux « fixent, par une série de décisions semblables, le sens d’une clause d’un usage courant » comme dans le cas du compte-courant. En 1920, la chambre des Requêtes a consacré la présomption de solidarité.

Tx.Arrêt du 20 octobre 1920 (Robin c/Serenon) :

« selon un usage antérieur à la rédaction du Code de commerce et maintenu depuis, les tribunaux de commerce sont conduits à considérer que la solidarité entre débiteurs se justifie par l’intérêt commun du créancier qu’il incite à contracter, et des débiteurs dont il augmente le crédit ; qu’ils ne font ainsi qu’user du pouvoir souverain qui leur appartient en ce qui concerne l’existence de simples présomptions » (D. 1920.1.161 et S. 1922.201).

L’usage est pris en considération par la jurisprudence administrative. Il doit présenter certains caractères pour être reconnu. Il doit être ancien, constant, reconnu et géographiquement délimité. Le Conseil d’État dans un arrêt du 14 janvier 1927, Sieur Martin, a recours à des usages locaux pour compléter des dispositions légales. Il a aussi jugé qu’une coutume pouvait empêcher un maire d’exercer une partie de ses compétences notamment en matière de réglementation des sonneries de cloche (C.E., 5 août 1908, Braux et autres, p. 867, concl. Saint-Paul ; C.E. 12 décembre 1913, n° 48336).

Il existe des usages locaux pour lesquels une référence explicite existe de nos jours.
Ex.
  • Ancien article L. 215-5 du Code de l'environnement (abrogé par la loi n° 2006-1772 du 30 décembre 2006) : il « est pourvu au curage et à l'entretien des cours d'eau non domaniaux ainsi qu'à l'entretien des ouvrages qui s'y rattachent de la manière prescrite par les anciens règlements ou d'après les usages locaux ».
  • Ancien article L. 2333-63 du Code général des collectivités territoriales (abrogé par la loi n° 2012-354 du 14 mars 2012) : « dans les communes où, conformément aux usages locaux, le pavage de tout ou partie des rues est à la charge des propriétaires riverains, l'obligation qui en résulte pour les frais de premier établissement ou d'entretien peut, en vertu d'une délibération du conseil municipal et sur un tarif voté par cette assemblée, être convertie en une taxe recouvrée comme en matière d'impôts directs ».

Dans l’ancien droit, une distinction est établie entre la coutume et l’usage en lien avec leur caractère écrit.
En savoir plus : Coutume et usage dans l'ancien droit

J. Moreau-David, « La coutume et l’usage en France de la rédaction officielle des coutumes au Code civil : les avatars de la norme coutumière », R.H.F.D., n° 18, 1997, p. 125-157.
L’usage correspond au droit non écrit, à la coutume non rédigée, alors que la coutume est synonyme de coutume rédigée. Elle est selon Claude de Ferrière, « un droit écrit ayant force de loi dans la province pour laquelle elle a été faite » (Introduction à la pratique, Lyon, 1697, « Coutume »). Au XIXème siècle, la même conception est reprise notamment dans le Répertoire raisonné de jurisprudence de Merlin ou dans le Répertoire de jurisprudence de Dalloz.

Tx.
  • « aujourd’hui nous appelons coutumes, les règles qui se sont introduites par les mœurs du peuple, et que l’autorité législative a fait rédiger par écrit ; et le nom d’Usage est resté à celles dont il n’existe point de rédaction ordonnée ou approuvée par le souverain » (Merlin).
  • « sous cette dénomination d’usage sont comprises les règles introduites par les mœurs et la tradition mais non rédigées par écrit, à la différence des coutumes proprement dites » (Dalloz).


Considérée comme incertaine et conservatrice, la coutume est rejetée au bénéfice de la loi pendant la Révolution. La loi du 30 ventôse an XII promulguant le Code civil abroge les coutumes d’Ancien Régime (art. 7).
Tx.
  • Article 7 : « A compter du jour où ces lois sont exécutoires, les lois romaines, les ordonnances, les coutumes générales ou locales, les statuts, les règlements, cessent d’avoir force de loi générale ou particulière dans les matières sont l’objet desdites lois composante le présent Code ».

Le Code civil fait néanmoins référence parfois aux usages (articles 593 ou 1648) notamment pour le droit rural en matière de baux à ferme, de servitudes et de régime des eaux.
Tx.
  • Article 593 du Code civil : « Il peut prendre, dans les bois des échalas pour les vignes; il peut aussi prendre, sur les arbres, des produits annuels pu périodiques; le tout suivant l’usage du pays ou la coutume des propriétaires ».
  • Article 1648 du Code civil : « L’action résultant des vices rédhibitoires doit être intentée par l’acquéreur, dans un bref délai, suivant la nature des vices rédhibitoires, et l’usage du lieu où la vente a été faite ».

La vivacité des usages locaux au XIXème siècle, en particulier dans certaines zones montagneuses, pose la question du « pluralisme juridique en plein règne de la loi » (J.-L. Halpérin). Ils vont être rédigés de manière privée puis de façon plus officielle (Eure-et-Loir en 1817, Maine-et-Loire en 1835, Loire-Atlantique en 1845). Des circulaires entre 1844 et 1855 incitent au recueil de ces usages. En 1878, un Code des Usages Locaux est publié par la Société Centrale d’Agriculture de Seine-Maritime. Plusieurs mises à jour ont été effectuées permettant une relative uniformisation.

La loi du 15 septembre 1807 n’a pas abrogé les anciens usages du commerce. François Gény considérait que « la loi écrite n’a pas encore tellement pris le pas sur la coutume… et on peut s’en tenir à l’équivalence des deux sources » (F. Gény, Méthode d’interprétation…, op. cit., I, p. 413).

L’usage commercial présente une valeur conventionnelle qui est mise en lumière par l’analyse de sa formation. Ainsi le commercialiste Jean Escarra dissocie différentes étapes dans la création de l’usage.
Tx.J. Escarra, « De la valeur juridique de l’usage en droit commercial », op.cit., p. 115 : « l’usage commercial date du jour où les clauses écrites ont été sous-entendues et où la pratique générale expresse s’est détachée de la convention pour s’ériger en une disposition objective non exprimée… C’est alors qu’il sort de la volonté, qui fut sa primitive origine, pour s’objectiver en une règle dont le fondement est encore la volonté elle-même, mais une volonté collective, une conscience générale, […] appelée la conscience générale de la place ».

Il est admis que l’usage puisse être interprétatif (secundum legem). On l’affirme pour les clauses du contrat comme pour la loi aux termes de l’article 1159 du Code civil (« ce qui est ambigu s’interprète par ce qui est d’usage dans le pays où le contrat est passé »).

Le pouvoir supplétif des usages est affirmé (praeter legem). La justification est tirée d’un avis non publié du Conseil d’État du 13 décembre 1811. Cet avis a été repris de manière constante par la doctrine commerciale au XIXème siècle.
Tx.Avis du Conseil d’État en 1811 : « les tribunaux de commerce doivent juger les questions particulières qui se présentent suivant leur conviction, et d’après les termes et l’esprit du Code, et en cas de silence de sa part, d’après le droit commun et les usages du commerce ».

On déduit aussi de l’article 1873 du Code civil relatif à l’application des usages commerciaux en matière de société un principe général d’application à l’ensemble du droit commercial.
Tx.Article 1873 du Code civil : « Les dispositions du présent titre ne s’appliquent aux sociétés de commerce que dans les points qui n’ont rien de contraire aux lois et usages du commerce ».

La question de la reconnaissance aux usages de la possibilité de déroger à la loi est plus discutée (contra legem). Une distinction est posée suivant qu’un usage puisse écarter l’application d’une loi simplement interprétative ou déclarative et suivant qu’un usage ne puisse pas écarter l’application d’une loi impérative ou prohibitive. Ayant la force d’« une convention tacite », l’usage ne peut prévaloir contre une loi d’ordre public.

Les usages en matière commerciale ont joué un rôle essentiel dans la formation du droit des sociétés. Des usages ont été « légalisés » c’est-à-dire repris par le législateur. Tel a été le cas, par exemple, pour le droit des sociétés notamment de capitaux (société anonyme).

Les usages commerciaux se rencontrent aussi dans le commerce international. Leur rôle est plus affirmée qu’en droit interne. Ils se rencontrent dans la lex mercatoria dont les origines et les rapports avec les droits nationaux font l’objet de débats.
En savoir plus : Débats juridiques et historiques autour de la lex mercatoria

Depuis les années 1960, nombre de juristes européens et anglo-américains se sont intéressés à la notion de lex mercatoria en relation avec le droit du commerce international à la suite de Berthold Goldman, mettant en lumière l’importance de normes d’origine professionnelle, puis de l’« Ecole de Dijon » avec Philippe Khan. La lex mercatoria est considérée comme indépendante et autonome au regard des droits nationaux. Il s’agit alors d’un ensemble de principes généraux et de coutumes apparus en relation avec le commerce international. Pour nombre d’auteurs, elle correspond à un ordre juridique cohérent, un « corps du droit », qui prend naissance aux XIème et XIIème siècles dans le cadre de la communauté des marchands hors du champ des titulaires du pouvoir de faire la loi et qui répond aux besoins du commerce international. L’idée est apparue en 1964 que la période médiévale puisse être vue comme la matrice de la Lex mercatoria lui conférant une « légitimité glorieuse » (J. Bart).
Une seconde conception perçoit la lex mercatoria comme un corps de droit, présentant des origines transnationales, mais dont l’existence et la portée reposent sur les droits nationaux.
Enfin, une dernière approche critique la doctrine moderne de la lex mercatoria considérant l’impossibilité d’un droit sans l’intervention du législateur étatique. On a dénié qu’elle puisse constituer un ordre juridique (P. Lagarde).
La notion de lex mercatoria est une expression qui se rencontre dans le droit anglais au XIIIème s. en relation avec des privilèges procéduraux. Cependant elle ne peut être véritablement envisagée comme un ordre juridique commercial matériel jusqu’au XVIIème siècle (Gerard Malynes, Consuetudo Vel Lex Mercatoria, 1622 puis Blackstone et Lord Mansfield).

Quelques indications bibliographiques :
  • J. Bart, « La lex mercatoria au Moyen Âge : mythe ou réalité ? », Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 20ème siècle. A propos de 30 ans de recherche du CREDIMI. Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, Travaux du Centre de recherche sur le droit des marchés et des investissements internationaux, vol. 20, Paris, 2000, p. 9-22.
  • A. Cordes, « A la recherche d’une Lex mercatoria au Moyen Âge », La ville et le droit au Moyen Âge, P. Monnet et O. G. Oexle (édité par), Paris, 2003, p. 119-120.
  • B. Goldman, « Frontières du droit et lex mercatoria », Archives de Philosophie du Droit, 1964, IX, p. 177-192 et « La lex mercatoria dans les contrats et l’arbitrage internationaux : réalité et perspectives », Journal de Droit International, 1979, p. 475 sq.
  • Ph. Khan, « L’essor du non-droit dans les relations commerciales internationales et le contrat sans loi », L’hypothèse du non-droit, XXXème séminaire organisé à Liège les 21 et 22 octobre 1977, Liège, 1978, p. 231-266 et « La lex mercatoria : point de vue français après quarante ans de controverses », Revue de droit McGill, août 1992, vol. 37, n° 2, Règlement de différends internationaux, p. 413-427.
  • P. Lagarde, « Approche critique de la lex mercatoria. Le droit des relations économiques internationales », Etudes offertes à Berthold Goldmann, Paris, 1987, p. 125 sq.
  • E Loquin, « Où en est la lex mercatoria », Souveraineté étatique et marchés internationaux à la fin du 20ème siècle. A propos de 30 ans de recherche du CREDIMI. Mélanges en l’honneur de Philippe Kahn, Travaux du Centre de recherche sur le droit des marchés et des investissements internationaux, vol. 20, Paris, 2000, p. 51 sq.

La jurisprudence française l’a prise en considération. La Cour de cassation (Cass. Civ. 2ème, 9 décembre 1981, SA SNTC Fougerolle c/Banque du Proche-Orient SAI, Grands arrêts) reconnaît l’existence implicite de la lex mercatoria en se référant aux « principes généraux des obligations généralement applicables dans le commerce international ». Sa juridicité est reconnue. Dix ans plus tard, elle est perçue comme « l’ensemble des règles du commerce international dégagées par la pratique et ayant reçu la sanction des jurisprudences nationales » (Cass. Civ,. 22 octobre 1991, Clunet, 1992, p. 177 note Goldman ; Rev. crit. DIP 1992, p. 113 note Oppetit ; Revue de l’arbitrage 1992, p. 457, obs. Lagarde). Un arbitre peut ainsi appliquer de manière indifférente la lex mercatoria ou le droit national.


Sy.Le XIXème siècle a été marqué par l’importance accordée à la loi comme source du droit. La doctrine, la jurisprudence et la coutume vont être progressivement reconsidérées à partir de la seconde moitié du XIXème siècle et au XXème siècle pour en faire soit des autorités soit de de véritables sources du droit. Au cours des années 1880-1920, la doctrine s’affirme et construit son identité en lien avec le droit. Les docteurs en droit occupent une place essentielle dans la formation d’une science juridique. « L’autorité doctrinale » est encore considérée par d’autres auteurs comme faisant œuvre d’interprétation. C’est avec les auteurs du XXème siècle que la doctrine est affirmée en tant que telle et elle développe différentes méthodes. En affirmant son rôle, la doctrine se positionne par rapport aux autres sources du droit. Le regard porté sur cette période a permis de reconsidérer ce qui avait été dénommé « l’École de l’Exégèse ». Une évolution au XIXème siècle tient au passage de la jurisprudence des arrêts à la jurisprudence entendue comme l’ensemble des décisions de justice rendues. Elle ouvre la voie à une plus grande prise en considération de la place de la jurisprudence au regard de la loi d’autant qu’une œuvre prétorienne permet de faire évoluer le droit. La question a été débattue de savoir si la jurisprudence constituait une source du droit (Josserand) ou une simple autorité (Aubry et Rau, Carbonnier). Les jurisprudences judiciaire et administrative ont permis l’évolution du droit par leur œuvre prétorienne. Enfin, à la fin du XIXème siècle, la doctrine civiliste, engagée dans une critique du légicentrisme, reconsidère la coutume et les usages locaux, ruraux et commerciaux. Les auteurs cherchent alors davantage à affirmer leur rôle d’interprète des sources juridiques.


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