En 1576, les Etats-généraux de Blois réclament que soient révisées les coutumes antérieurement rédigées. Avec cette réclamation, les Etats-généraux se font l’écho des transformations considérables que connaît le tournant du siècle, et face auxquelles nombre de coutumes rédigées apparaissent désormais dépassées et obsolètes.
Les raisons de cette désaffection sont nombreuses.
En premier lieu, la seconde moitié du XVIème siècle est une période de profondes mutations sociales et économiques. La découverte de l’Amérique draine vers le Vieux Continent une masse aurifère considérable et de nouvelles matières premières, provoquant un spectaculaire élan commercial et bancaire. Le renouveau de l’économie provoque aussi une concurrence accrue à l’échelle européenne, et l’émergence de nouvelles pratiques commerciales sur de nouveaux circuits d’échanges. Autant d’enjeux économiques modernes auxquels les coutumes fixées au début du XVIème siècle peinent à faire face.
En second lieu, le XVIème siècle est une période de transformation considérable de la pensée juridique. La rédaction des coutumes a eu pour effet de mettre en évidence des défauts jusque là cachés derrière l’oralité et le pluralisme coutumier. La doctrine, inspirée par l’humanisme juridique et la seconde renaissance du droit romain qui se déploient au même moment dans toute l’Europe (cf. leçon 7), développe une étude critique des coutumes rédigées, sur la base du comparatisme. Elle transpose dans le champ coutumier les exigences nouvelles de rationalité que formule l’humanisme naissant, en pointant du doigt les conflits de coutumes qui ont massivement subsistés à la mise par écrit du début du XVIème siècle et les incohérences persistant entre ces coutumes et la jurisprudence des parlements. La doctrine, à l’image de Charles Du Moulin (1500-1566), critique surtout la multiplicité des coutumes, et appelle à une unification du droit coutumier, avec la coutume de Paris pour modèle.
En troisième lieu, enfin, à partir du règne de Henri II (1547-1559), et plus encore sous les règnes de ses fils (François II, 1559-1560 ; Charles IX, 1560-1574 ; Henri III, 1574-1589), les juristes renouvellent considérablement les doctrines de la souveraineté royale. Avec Jean Bodin (Les Six livres de la République, 1576), le pouvoir de faire la loi devient la première marque de la souveraineté. Renforcée de ses soubassements théoriques, la monarchie s’empare ainsi plus encore de la capacité à élaborer le droit. Trop « négociées » avec les populations locales, les premières rédactions de coutumes ne reflètent plus aux yeux du roi la maîtrise normative à laquelle il aspire désormais.
Pour répondre à toutes ces attentes et adapter le droit à ce nouvel environnement, le pouvoir royal procède à la « réformation » des coutumes.
Df.Réformation : le terme est issu du vocabulaire politique du Moyen Age, mais il connaît au XVIème siècle un engouement formidable. La « réformation » est étymologiquement une modification, une révision. Il ne s’agit donc pas, dans l’esprit de la monarchie, d’une nouvelle rédaction, mais bien plutôt de la continuité de la précédente mise par écrit.
Entre 1555 et 1581 (et sans que le mouvement soit freinés par les guerres de religion), les principales coutumes du pays sont réformées, en utilisant la même procédure que pour leur formation.
Df.La réformation des coutumes entraîne l’apparition d’un nouveau vocabulaire.
La coutume réformée est appelée « nouvelle coutume », par opposition à la coutume rédigée antérieurement, qui est, elle, désignée comme « ancienne coutume ». L’expression « très ancienne coutume » désigne désormais les coutumes rédigées au Moyen Age.
Le terme « coutume » ne désigne désormais plus que ce qui a fait l’objet d’une rédaction. Les pratiques laissées à l’écart du processus de mise par écrit sont désignées sous le terme d’« usages ».
En savoir plus : Les principales coutumes réformées
- Nouvelle coutume de Sens (1555)
- Nouvelle coutume d’Etampes (1556)
- Nouvelle coutume de Montfort-l’Amaury (1556)
- Nouvelle coutume de Mantes et Meulan (1556)
- Nouvelle coutume de Reims (1566)
- Nouvelle coutume de Laon (1556)
- Nouvelle coutume du Grand-Perche (1558)
- Nouvelle coutume du Maine (1559)
- Nouvelle coutume d’Anjou (1559)
- Nouvelle coutume de Touraine (1559)
- Nouvelle coutume de Poitou (1559)
- Nouvelle coutume de Melun (1560)
- Nouvelle coutume d’Auxerre (1562)
- Nouvelle coutume de Péronne (1569)
- Nouvelle coutume de Montdidier (1569)
- Nouvelle coutume de Roye (1569)
- Nouvelle coutume d’Amiens (1569)
- Nouvelle coutume de Bourgogne (1575)
- Nouvelle coutume de Bretagne (1580)
- Nouvelle coutume de Paris (1580)
- Nouvelle coutume d’Orléans (1583)
Il y a pourtant une différence importante entre le mouvement de rédaction et celui de réformation : les commissaires royaux gagnent en importance et en influence dans ce second mouvement, preuve du rôle accru du pouvoir monarchique dans le processus.
Ainsi, ce sont les commissaires qui modifient le texte existant, avant de le présenter, au nom du roi, à l’assemblée des Etats provinciaux.
Plus encore, parce que le but officieux de la réformation est de concourir à l’unification et à l’harmonisation du droit coutumier, un même commissaire royal se voit souvent confier la tâche de réformer plusieurs coutumes au sein d’un même ressort.
Surtout, le roi a eu l’habileté de confier ce rôle de commissaire à de grands juristes, aux aptitudes réelles et reconnues par leurs contemporains.
Il en est ainsi résulté des textes d’une grande qualité, que dans la pratique les assemblées, pourtant libres de recevoir ou de refuser, ont acceptés presque systématiquement.
Ex.Parmi les commissaires auxquels a été confiée la réformation de plusieurs coutumes du même ressort, il faut souligner le rôle primordial de Christofle de Thou (1508-1582).
Premier président du parlement de Paris depuis 1562, il a été chargé, comme commissaire du roi, de la réformation de toutes les coutumes du ressort du Parlement de Paris, qui s’étend sur près d’un tiers du royaume (de Laon à Auxerre). Le projet l’occupe pendant plusieurs décennies, depuis la réformation de la coutume de Sens en 1555 jusqu’à celle de Paris en 1580. Il a œuvré, à chaque fois, à supprimer les particularismes et à généraliser de façon cohérente les solutions juridiques les plus efficaces, en s’inspirant de la pratique du Parlement et des innovations doctrinales. [Sur ce personnage et son œuvre, voir la notice rédigée par J.-L. Thireau dans le Dictionnaire historique des juristes français, dir. P. Arabeyre, J.-L. Halpérin et J. Krynen, Paris, PuF, 2007].
Par exemple, c’est à C. de Thou que l’on doit la reprise textuelle dans huit coutumes du ressort du Parlement parisien de l’article relatif au droit d’aubaine (le droit du roi de recueillir de manière exclusive la succession d’un étranger mort dans le royaume), et donc l’uniformisation des pratiques en la matière sur un très vaste territoire.
L’importance du rôle des commissaires dans le processus de réformation des coutumes est loin d’être anecdotique. Bien au contraire, elle manifeste clairement les changements que la mise par écrit apporte à la notion de coutume : désormais, « elle apparaît de moins en moins comme une règle constatée, pour devenir une règle consentie après révision et adaptation » (A. Rigaudière). Les contemporains ne s’y trompent d’ailleurs pas, à l’image de René Choppin (1537-1606), auteur d’un commentaire sur la coutume d’Anjou : « Les coutumes nouvellement réformées que nous feuilletons, sont plustost des loix et des ordonnances des commissaires commis pour la réformation qu’ils ont faite de leur jugement, que non pas les anciens statuts des coustumes des provinces » (cité par C. Lovisi, Introduction historique au droit, Paris, 2003, p 209).
Avec la réformation des coutumes, le droit coutumier prend un nouveau visage.
Les coutumes, moins nombreuses, s’appliquent désormais dans des ressorts plus vastes.
Ex.Ainsi, à la fin de l’Ancien Régime, on compte un peu plus de soixante coutumes régionales (ainsi que près de trois cent coutumes locales, qui ne diffèrent des coutumes régionales que sur des points précis).
Les coutumes sont désormais définitivement cristallisées : les textes réformés du XVIème siècle restent en vigueur jusqu’à la fin de l’Ancien régime, sans connaître d’évolution postérieure. Les coutumes sont figées dans une forme définitive, qui ne connaîtra aucune évolution ultérieure.
Rq.Les « usages » (les pratiques n’ayant pas fait l’objet d’une rédaction), qui permettent de suppléer au silence de la coutume, continuent, eux, d’évoluer. Ils doivent toujours être prouvés, par l’enquête par turbe jusqu’en 1667, puis au moyen de l’acte de notoriété, délivré par un juge royal.
Les coutumes sont désormais d’une bien meilleure qualité. Le processus de réformation a conduit à une modernisation, une élimination des contradictions, une insertion des évolutions jurisprudentielles, une assimilation des nouveaux principes doctrinaux influencés par la seconde renaissance du droit romain.
Ex.La coutume de Paris est véritablement le chef-d’œuvre de ce mouvement de réformation. Rédigée en 1510, elle compte cent vingt articles. Après sa réformation en 1580, elle en comprend désormais plus de trois cent cinquante. Elle intègre notamment les innovations jurisprudentielles ; le Parlement de Paris a d’ailleurs été associé à cette réformation (au point qu’Etienne Pasquier dira que le résultat final n’est « autre chose qu’un abrégé de l’air général des Arrêts de la Cour de Parlement »). Elle intègre aussi dans sa nouvelle version les innovations doctrinales, en particulier en s’appuyant sur les commentaires rédigés par Charles Dumoulin sur cette coutume parisienne à partir de 1539.
Le contenu des coutumes est ainsi nettement précisé. Les coutumes réformées du XVIème siècle n’ont plus la même physionomie que celle de la période antérieure. Le droit pénal y est presque absent, et la procédure fait la part belle à la législation royale. Les coutumes se resserrent sur le champ du droit civil, en y introduisant les modifications formidables que connaît le contexte social au XVIème siècle. Les coutumes rédigées constituent désormais « un arsenal satisfaisant de dispositions juridiques modernisées fixant le contenu du droit » (J. Gaudemet et B. Basdevant-Gaudemet).
Ex.Le XVIème siècle est marqué par une crise morale et rigoriste, qui se répercute sur le droit de la famille, en renforçant la figure d’autorité du père et du mari.
En matière matrimoniale, le mariage se cristallise désormais autour du mari. La poussée d’anti-féminisme du XVIème siècle entraîne une dégradation de la situation de la femme mariée, qui se traduit juridiquement par des dispositions sévères : le mari a autorité sur sa femme, l’épouse est juridiquement incapable, tout acte passé par une femme sans l’autorisation de son mari est déclaré nul, la direction du ménage est entièrement entre les mains du mari.
De la même façon, l’autorité paternelle est considérablement renforcée. Elle est désormais donnée à voir comme l’image, à échelle miniature, de l’autorité du roi sur ses sujets : le droit coutumier tend à privilégier l’ordre des familles, comme garant du maintien de l’ordre social. Les droits du père sont renforcés par l’allongement de la durée d’exercice de l’autorité paternelle : l’âge de l’accession à la majorité est retardé, la puissance paternelle viagère (qui trouve son modèle dans le droit romain) est réhabilitée.
La volonté d’homogénéisation et d’unification qui a présidé à cette réformation a conduit à transposer les règles juridiques d’une coutume à l’autre. Un véritable rapprochement a ainsi été opéré entre les coutumes, influençant profondément l’esprit du droit. Premier pas vers une unification du droit, ce mouvement de réformation entretient les aspirations de la doctrine coutumière à l’élaboration d’un véritable « droit commun coutumier ».
Rq.Sur la doctrine coutumière et le droit commun coutumier, cf. la leçon 7.
Il est aussi le point de départ d’un vaste débat doctrinal sur la nature de la coutume et sur la valeur de l’autorité qui lui est conférée par la sanction royale.
Depuis le Moyen Age, l’opinion majoritaire considère que ce qui fait la coutume n’est pas son caractère oral ou écrit, mais le consentement populaire dont elle est issue. En conséquence, la mise par écrit de la coutume ne modifie pas sa nature : la coutume est une coutume, non pas une loi.
Tx.Guillaume de Paris, Formulaire de l’officialité de Paris, vers 1290 (extraits) :
« 1. La coutume est un certain droit établi par les mœurs, c’est-à-dire l’usage répété des hommes, qui est reçu pour loi, quand la loi est déficiente (d’après le Décret de Gratien). Ce qui est rédigé par écrit est, en effet, qualifié de loi ou de constitution. Ce qui n’est pas mis par écrit garde son nom de coutume. C’est ce qui est dit dans le Décret de Gratien et aussi ailleurs. Il apparaît que le droit est établi par écrit ou non, d’après les Institutes de Justinien. D’après le Décret de Gratien, on appelle coutume ce qui est dans l’usage commun.
2. La coutume est introduite quand le peuple commence à observer quelque chose dans cet esprit qu’à l’avenir, il y ait coutume, ou, au dire d’autres, quand il plaît expressément au peuple que quelque chose soit observé pour que désormais il y ait coutume, autrement non, par ce fait même que le droit coutumier est autre avant que la coutume ne soit introduite […].
4. Une telle coutume [ainsi introduite] emporte le droit dans le lieu où elle est en vigueur, pourvu seulement qu’elle soit raisonnable. Une telle coutume sert à l’interprétation de la loi, […] parce qu’il importe peu qu’elle ait sa justification dans l’écriture ou dans la raison. Une telle coutume est tenue pour loi, lorsque la loi est défaillante, comme il a été dit, et que cette coutume devient le droit. […] D’ailleurs si elle n’est pas raisonnable, il en est autrement […]. En effet, pour établir des règles nouvelles, il doit y avoir une utilité évidente à s’éloigner du droit qui a longtemps semblé équitable […]. Si on doute d’une telle coutume, les uns affirmant son existence, les autres la niant, et qu’on se soit prononcé pour son existence, on dit que la coutume a été reconnue dans un jugement contradictoire, on ne dit pas que la coutume a été introduite, mais qu’elle a été confirmée ».
Or l’intervention royale dans le processus de mise par écrit à partir du XVème siècle pose la double question de la survivance du consentement populaire et du rapprochement entre coutume et loi du roi.
La doctrine argumente, entre ceux qui pensent que la coutume tient toujours son autorité du peuple (par l’accord tacite des assemblées impliquées dans la procédure de rédaction et de réformation), et ceux qui estiment que désormais l’autorité de la coutume résulte de sa sanction par le pouvoir royal, et qu’elle se rapproche ainsi de la loi.
Tx.
- Guy Coquille (1523-1603) : « Le peuple de chacune province a droit d’établir loi sur soi qui sont les coutumes […] C’est le peuple qui fait la loi, qui est une marque de l’ancien établissement de cette République française, mêlée de démocratie, aristocratie et monarchie » [Questions, réponses et méditations su les articles des coutumes, question 1].
- Pierre de L’Hommeau (début XVIème - ap. 1610) : « La force et autorité de la loi et de la coutume gît au pouvoir du prince souverain. Ce n’est pas la présence et consentement des trois états du pays qui donne force à la coutume, mais le roi par les commissaires qu’il députe à cet effet » [Deux livres de la jurisprudence françoise, Saumur, 1605, p. 7-8].
- Jean Domat (1625-1696) : « [les coutumes sont] des lois qui dans leur origine n’ont pas été écrites mais qui se sont établies par le consentement d’un peuple, et par une espèce de convention de les observer ou par un usage insensible qui les a autorisées » [Traité des lois, chap. XI, § 46].
« 10. Les lois arbitraires sont de deux sortes. L’une, de celles-ci qui dans leur origine ont été établies, écrites et publiées par ceux qui en avaient l’autorité, comme sont en France les Ordonnances des Rois ; et l’autre, de celles dont il ne paraît point d’origine et de premier établissement, mais qui se trouvent reçues par l’approbation universelle, et l’usage immémorial qu’en a fait le peuple ; et ce sont ces lois ou règles que l’on appelle Coutumes. 11. Les Coutumes tirent leur autorité du consentement universel du peuple qui les a reçues, lorsque c’est le peuple qui a l’autorité, comme dans les Républiques. Mais dans les Etats sujets à un Souverain, les Coutumes ne s’établissent ou ne s’affermissent en forme de lois que de son autorité. Ainsi en France les Rois ont fait arrêter et rédiger par écrit, et ont confirmé en lois toutes les Coutumes, conservant aux Pandectes les lois qu’elles tiennent ou de l’ancien consentement des peuples qui les habitaient, ou des Princes qui les gouvernaient » [Les loix civiles dans leur ordre naturel, 1689 (extrait du livre préliminaire, titre I, section I)].
Sur ces questions, cf J. L. Thireau,
Introduction historique au droit, p. 245-246.
Sy.Ce que montrent ces débats doctrinaux, c’est que l’essentiel est acquis pour la monarchie à partir du XVIIème siècle. Comme l’écrit l’auteur anonyme du Traité du droit des coutumes en France, à propos du processus de mise par écrit et de la place dévolue au consentement populaire dans ce processus : « Cette petite liberté accordée au peuple ne peut rien diminuer de l’autorité souveraine du Roi ni de la dépendance des sujets ». C’est par délégation du roi qu’agissent les assemblées populaires dans le processus de rédaction de la coutume. La coutume rédigée est devenue si proche de la loi qu’il n’existe désormais plus d’autre coutume que celle promulguée par le roi. Juges et avocats ne peuvent plus alléguer ou appliquer que des coutumes promulguées par le roi.
Comme l’affirme Antoine Fontanon (†1590) dans les Edits et ordonnances des roys de France (1580), « parce que les coutumes sont rédigées par autorité du roi, elles sont considérées de même droit que les ordonnances » (livre IV, tome 1).
La question de la nature orale ou écrite de la coutume n’est plus à l’ordre du-jour. Désormais, seule compte l’intervention du roi : la coutume « fait loi » dès sa sanction par l’autorité monarchique.
Au terme d’un long processus allant du XIème au XVIème siècle, l’autorité monarchique a ainsi établi son contrôle sur une source de droit dont la formation lui échappe. Intervenant d’abord à la marge, en gardien des coutumes, puis gardien des bonnes coutumes, le roi a progressivement réussi à imposer sa main-mise sur les procédures de mise par écrit des coutumes, transformant considérablement la physionomie du droit coutumier.
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