1934
La preuve des droits subjectifs (principes applicables à l'objet et à la charge de la preuve)

Rq.NOTE IMPORTANTE : Le droit français du contrat, du régime général et de la preuve des obligations a fait l'objet d'une importante réforme avec l'. Dans cette leçon les articles du Code civil qui portent la mention "nouv." (ex. art. 1353 nouv. du C. civ.) font référence aux articles postérieurs à la réforme, tels qu'ils figurent dans les codes d'une édition postérieure à 2016.


Il ne suffit pas qu’un sujet de droit invoque l’existence d’un droit subjectif pour qu’il soit considéré comme titulaire de ce droit. Il faut encore qu’il soit en mesure de prouver l’existence de son droit.

On dit en latin « Idem est non esse et non probari » : « Ne pas pouvoir prouver son droit équivaut à ne pas avoir de droit ».

En réalité, l’absence de preuve ne remet pas en cause l’existence du droit, mais empêche seulement son exercice dans les rapports que son titulaire entretient avec autrui.

L'adage signifie simplement qu'en matière juridique la simple affirmation est inopérante, et que le titulaire d'un droit est en danger de ne pouvoir l'exercer s'il est hors d'état de le prouver.

D’où l’importance capitale des questions de preuve. L'issue de la plupart des actions en justice dépend de problèmes de preuve : même s'il est bien fondé dans son action, celui qui n’arrive pas à prouver l’existence de son droit perdra le procès.

Rq.Il ne faut pas pour autant en déduire que les problèmes de preuve ne surgissent qu’à l’occasion des procès. Toutes les situations juridiques soulèvent des questions de preuve, et il n’est pas nécessaire d’arriver à une situation conflictuelle pour s’en rendre compte.

Ex.Celui qui veut se marier doit prouver qu’il a l’âge requis et que, éventuellement, sa précédente union a déjà été dissoute par un décès ou par un divorce.


Le droit civil français est dominé par le système de preuve légale : c’est la loi (principalement les articles 1353 à 1386-1 nouv. du Code civil et les articles 6 et 9 du Code de procédure civile) qui prévoit les règles d’administration de la preuve, et répond aux questions principales : qui doit prouver quoi et comment ?




En savoir plus


Le rapport des juristes à la preuve n'a pas toujours été aussi étroit. Ainsi, les romains avaient-ils tendance à considérer que la preuve tenait à la rhétorique (art de convaincre) et pas au droit. Aussi, pendant des siècles la preuve fut-elle globalement libre. A partir de l'Empire (27 av. J.-C. / 476 ap. J.-C.), la matière s'est étoffée, mais dès le début du Moyen Age (période d'obscurantisme juridique), on va retourner aux preuves primitives, de type surnaturel : ordalie, duel judiciaire, usage démesuré du serment.

A partir du XIIème siècle, on rétablit peu à peu le système de preuves légales, en instituant une hiérarchie précise des preuves, à laquelle on joint des raisonnements arithmétiques (deux preuves simples équivalent à une preuve pleine). La Révolution française va abolir en matière pénale le système de preuve légale, qui restera en vigueur en droit civil.







Section 1. L'objet de la preuve


Df.La question de l’objet de la preuve renvoie au point de savoir ce que le justiciable doit prouver pour obtenir gain de cause.

Nous allons voir d’abord les principes généraux (I), avant d’étudier plus précisément les critères permettant de connaitre l'objet de la preuve (II), et le mécanisme spécifique des présomptions (III).




Il faut d’abord préciser que, en principe, seule l’existence du droit subjectif doit être prouvée. Les règles de droit objectif qui s'appliquent à ce droit n’ont pas à être prouvées.

Ex.Celui qui prétend qu’il peut vendre un bien car il en est le propriétaire doit simplement prouver son titre de propriété, et non pas la règle qui prévoit que le propriétaire peut disposer d’un bien comme il l’entend. Cette règle est en effet prévue par l’article 544 du Code civil, et l’adage selon lequel nul n’est censé ignorer la loi s’impose également au juge.

Tx.Article 544 du Code civil : « La propriété est le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »



Il existe toutefois deux types de règles de droit dont on est censé faire la preuve :
  • S’ils sont contestés, la coutume et les usages doivent être établis dans leur existence et dans leur contenu par celui qui s’en prévaut.
    Cela se justifie parce que le juge n’a pas toujours les moyens de rechercher lui-même ces règles, qui ne font pas l’objet d’une publication officielle et unifiée.
    Cette preuve pourra se faire par tous moyens, et notamment grâce à la consultation de recueils, d’avis d’experts ou de parères (d’attestations écrites délivrées par des commerçants notables ou des organismes comme les Chambres de commerce).
  • De même, il appartient aux parties qui invoquent l’application d’une loi étrangère d’en prouver, sinon l’existence, au moins le contenu. Les mêmes raisons s’imposent ici que pour la coutume : la loi étrangère ne peut pas bénéficier de la même présomption de connaissance par le juge que la loi française. Ici encore, la preuve peut être faite par tous moyens. Le plus souvent, ce sera un document écrit émanant d’un juriste spécialisé, ou d’une autorité officielle étrangère.

Il demeure assez exceptionnel qu’une partie ait à rapporter la preuve de la règle de droit objectif, tandis qu’elle a pratiquement toujours à faire la preuve de son droit subjectif.

Deux règles permettent de connaître la façon dont se décompose le travail probatoire :
  1. Tx.Article 6 du Code de procédure civile : « A l’appui de leur prétention, les parties ont la charge d’alléguer les faits propres à les fonder. »

    Df.La prétention, c’est ce que veut obtenir le plaideur.
    Ex.Ex : Il réclame des dommages et intérêts, ou l'annulation d’un contrat.

    Df.Alléguer, c'est faire valoir en justice un fait qui justifie le succès d'une prétention.
    Ex.Ex : Le demandeur allègue que le défendeur l'a renversé avec sa voiture, ou qu'il l'a induit en erreur pour le convaincre de conclure un contrat désavantageux.
  2. Tx.Article 9 du Code de procédure civile : « Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires à leur prétention. »

Le travail d’administration de la preuve peut donc se décomposer comme ceci :




La partie qui a une prétention doit d'abord alléguer les faits ou actes qui justifient cette prétention. Ensuite, il doit prouver ces faits ou actes.

En principe, tous les éléments qui constituent l’allégation doivent être prouvés.

Ex.Si A réclame des dommages et intérêts à B (prétention) en soutenant que B l’a renversé avec sa voiture (allégation), il va lui falloir démontrer tous les éléments de cette allégation :
  1. L'existence de l’accident ;
  2. Le fait que B est bien l’auteur de l’accident ;
  3. La réalité du dommage subi par A ;
  4. Le fait que l’accident est à l’origine du dommage...

Dans un procès, il est donc fréquent que de nombreux éléments aient à être prouvés. Encore est-il possible de subdiviser les éléments précités : ainsi, pour prouver que B est l’auteur de l’accident, il faudrait d'abord démontrer que la voiture lui appartenait, que c’est bien cette voiture qui est à l’origine de l’accident, que c’est B qui la conduisait ... et ainsi de suite.

Pour éviter que les plaideurs aient à prouver à l’infini tous les faits qui ont créé la situation décrite dans l’allégation, certains critères délimitent l’objet de la preuve.

Ne sont en réalité objet de preuve que les faits pertinents, contestés et contestables.


Le fait désigné comme objet de la preuve doit être un fait pertinent, c’est-à-dire un fait dont il est utile qu’il soit prouvé, parce qu’il a une influence sur la décision judiciaire à venir.

En d'autres termes, si ce fait est démontré il en découlera l’application d’une règle de droit qui entraînera le succès de la prétention de la partie en question.

Ex.Un homme A est assigné par une femme B qui exerce au nom de son enfant une action en recherche de paternité (c’est-à-dire qu’elle essaie de faire reconnaître juridiquement que le défendeur est le père de son enfant).
Si l'homme se défend simplement en démontrant qu'il est déjà marié avec une autre femme C, le fait qu'il aura prouvé ne sera pas pertinent, car il ne permet pas à lui seul de démontrer qu'il n'a pas eu de relations sexuelles avec la femme B, et qu'il ne peut donc être le père de l'enfant.
En revanche, la stérilité du défendeur, ou son absence à l'étranger pendant toute l'année précédent la naissance de l'enfant seront des faits pertinents, dont la preuve aura normalement pour effet de faire obstacle à l’action en recherche de paternité.


Rq.Il peut aussi arriver qu’un fait, qui abstraitement aurait pu être utile, soit rejeté comme non pertinent parce que :
  • il est invraisemblable ;
  • l’autre partie a déjà prouvé le contraire.


Les juges considèrent généralement que ce qui n’est pas contesté est « constant », c’est-à-dire qu’il n’a pas besoin d’être prouvé.

Ex.Vous vendez votre vélo à un ami. Lorsque vous lui réclamez l’argent, il prétend que vous le lui avez donné. Il ne sert à rien dans cette hypothèse d’essayer de démontrer que le vélo vous appartenait, puisque ce fait n’est nullement contesté par votre ami. C’est l'existence du contrat de vente qui est contestée, et qu’il vous faudra donc démontrer.

Il arrive que la loi interdise de contester certains faits.

Ex.
  • Avant 1972, il était interdit pour un tiers de contester la paternité d’un homme marié à l’égard des enfants de son épouse. Seul le mari lui-même pouvait, dans des conditions strictes, rapporter cette preuve.
  • Le vendeur professionnel est présumé connaitre les vices de la chose qu'il a vendue, et il n'est pas admis à démontrer le contraire.

Les faits non contestables (qui font l'objet de "présomptions irréfragables", comme on le verra plus tard) ne sont toutefois pas très nombreux.

Sy.Une fois que l’on a déterminé quels étaient les faits pertinents et contestés nécessaires au succès de la prétention, on a trouvé l’objet de la preuve.

Il peut arriver qu'un plaideur obtienne gain de cause alors même qu'il n’a pas établi directement les faits qui constituent l’objet de la preuve. Il peut en effet bénéficier de ce que l’on appelle une présomption.

Les présomptions sont des moyens utilisés pour faciliter l’administration de la preuve : lorsque les faits qui constituent l’objet de la preuve sont trop difficiles à prouver, on admet que la partie se contente de démontrer l’existence de faits connexes, plus faciles à démontrer, et qui rendent vraisemblable l’existence du fait qui devrait normalement être prouvé.

L'ancien article 1349 du Code civil (aujourd'hui abrogé) donnait une définition assez claire de la présomption : « Les présomptions sont les conséquences que la loi ou le magistrat tire d’un fait connu à un fait inconnu ».

Il y a ainsi, en quelque sorte, déplacement de l’objet de la preuve.

Rq.Il ne faut pas confondre les présomptions qui déplacent l'objet de la preuve et celles qui déplacent la charge de la preuve. Voir infra, section 2, III.


Il existe deux sortes de présomptions déplaçant l’objet de la preuve :
  • les présomptions légales,
  • les présomptions du fait de l'homme.



Comme leur nom l’indique, les présomptions légales sont celles qui sont expressément prévues par la loi. Trois exemples permettent de comprendre le mécanisme :


- La présomption de paternité.
L'article 312 du Code civil décide que l'enfant d'une femme marié est présumé avoir pour père le mari. Il en résulte que le mari n’a pas besoin de prouver qu'il est véritablement le géniteur de l'enfant : il lui suffit de démontrer qu’il était marié avec la mère de l’enfant au jour où celui-ci est né ou a été conçu.
C'est bien le mécanisme de la présomption qui est mis en Ĺ“uvre ici : de faits connus et facilement démontrables (le mariage et la naissance), on déduit un fait inconnu et difficilement prouvable (la filiation).
Tx.Article 312 du Code civil : « L’enfant conçu ou né pendant le mariage a pour père le mari. »

Justification : La présomption de paternité est une règle très ancienne, qui date d’une époque où il était techniquement impossible d’être certain de la paternité d’un individu. Pour remédier à cette difficulté, on a estimé que la preuve du mariage suffisait, car elle rendait très vraisemblable la paternité du mari. En effet, le mariage fait naitre une obligation de cohabitation et une obligation de fidélité, qui laissent supposer que le mari est effectivement le père de l’enfant dont l'épouse a accouché pendant le mariage.

- La possession.
Df.En droit des biens, la possession c'est le pouvoir de fait exercé sur une chose, et manifesté par des actes de propriétaires (cultiver, clore, construire, habiter...).
Il existe une règle qui dit que la possession fait présumer la propriété. Il est en effet vraisemblable que celui qui possède un bien, c’est-à-dire celui qui se comporte comme le véritable propriétaire, est effectivement propriétaire. Dans certains cas, celui qui se prétend propriétaire pourra donc se contenter de démontrer qu’il est possesseur du bien. Cette règle vaut en particulier pour les biens meubles (dans certaines conditions).
Tx.Article 2276 du Code civil : « En fait de meubles, la possession vaut titre. »

- L'autorité de la chose jugée.
Df.L’autorité de la chose jugée, est un principe qui interdit à une partie au procès de saisir à nouveau le juge pour lui soumettre une prétention déjà tranchée dans un jugement devenu définitif (art. 1355 nouv. du Code civil).
La loi attache à la chose jugée une présomption de vérité, qui rend le jugement incontestable (sauf par les voies de recours ouvertes par la loi : appel et cassation). Dès lors, celui dont le litige a été tranché pourra s'en prévaloir contre autrui, en se contentant de rappeler le jugement, sans avoir à démontrer son droit.

La plupart des présomptions se fondent sur l’idée selon laquelle « le plus souvent, il en est ainsi » (on parle du plerumque fit , ou principe de vraisemblance) : en effet le plus souvent, le mari est effectivement père, le possesseur est réellement propriétaire, la chose jugée est bien jugée...


Toutes les présomptions n'ont pas la même autorité : Selon l'article 1354 nouv. du Code civil il existe trois type de présomptions :
  • Certaines présomptions sont irréfragables, c’est-à-dire incontestables.
    Ex.C'est le cas de l’autorité de la chose jugée : nul n’est admis à prouver, en allant devant un autre juge pour faire trancher une nouvelle fois le litige, que le premier juge s’est trompé.
    Jusqu’en 1972, la présomption de paternité de l’article 312 du C. civ. était irréfragable (sauf à l’égard du mari lui-même). Personne ne pouvait démontrer que le mari n'était pas le père de l'enfant.
  • Certaines présomptions sont dites mixtes car il est possible de les combattre, mais uniquement par les moyens prévus par la loi ou sur un point particulier.
  • Mais la plupart des présomptions sont des présomptions simples, que l'on peut contester en justice.
    Dans ce cas, la partie adverse (celle qui ne bénéficie pas de la présomption) peut démontrer que le lien généralement admis entre le fait prouvé et le fait présumé ne se retrouve pas en l’espèce.
    Ex.Depuis 1972, il est possible de prouver que l’homme, bien que marié avec la mère de l’enfant, n’en est pas véritablement le père. La présomption, autrefois irréfragable, est devenue simple.
    On peut toujours démontrer que tel individu, bien que possesseur d’un bien, n’en est pas le véritable propriétaire.

Sy.En résumé, tandis que nul ne peut contester les présomptions irréfragables, la preuve contraire des présomptions simples et mixte est admise.

En dehors du cas des présomptions légales, les juges admettent fréquemment que l’objet de la preuve soit déplacé, et que la preuve de l’allégation ne soit rapportée que de façon indirecte.

On les appelait des présomptions "du fait de l'homme". Depuis la réforme du 10 février 2016 on les appelle des présomptions judiciaires.

Ex.Pour reconstituer la vitesse à laquelle roulait une voiture lors d'un accident, on se fie à l’impact laissé sur la carrosserie, ou on mesure les traces de pneus laissées sur la route.
On reste dans la mécanique de la présomption puisqu'on déduit d’un fait connu (l'état de la carrosserie, les traces de pneus) un fait inconnu (la vitesse du véhicule).

Le mécanisme de la présomption présente donc un avantage majeur : il rend plus facile l’administration de la preuve. Mais il a aussi un inconvénient : en admettant une preuve indirecte, on distend le rapport entre le fait prouvé et la vérité. On est donc moins sûr de la vérité.

Pour limiter les dangers d’un tel mécanisme, deux précautions :
  1. L’article 1382 nouv. du Code civil précise que ces présomptions « sont laissées à l'appréciation du juge, qui ne doit les admettre que si elles sont graves, précises et concordantes ». L’article précise en outre qu’il existe des cas dans lesquels le juge ne peut admettre les présomptions - nous y reviendrons.
  2. Ces présomptions judiciaires sont presque toujours des présomptions simples, et il est donc possible de rapporter la preuve contraire.


Sy.En conclusion : Qu'elles soient légales ou judiciaires, simples mixtes ou irréfragables, ces présomptions ont toujours pour objectif de faciliter le travail probatoire des parties, en leur permettant de démontrer un fait connexe à celui qui constitue véritablement l'objet de la preuve.




Une fois que l'on a déterminé l'objet de la preuve, il faut s'interroger sur le point de savoir qui doit prouver le point pertinent et contesté. C'est la question de la charge de la preuve.

Section 2. La charge de la preuve


La charge de la preuve permet de savoir, lorsqu’il y a une contestation sur l’existence d’un droit, qui doit prouver ce droit : est-ce celui qui l’invoque, ou celui qui le conteste ?

Rq.Dans le procès civil, de type accusatoire, le juge n’a traditionnellement qu’un rôle passif : ce n’est pas à lui d’établir les faits donnant raison à telle ou telle partie. Il doit attendre que les parties apportent leurs preuves, puis il doit trancher le conflit en conséquence.

Cependant, il ne faut pas exagérer cette passivité du juge civil : le juge peut quand même intervenir et aider les parties dans l’administration de la preuve, en ordonnant des mesures d’instruction (expertises, enquêtes, déplacement sur les lieux...), en convoquant des témoins, ou en ordonnant à une partie de produire des éléments de preuve qu’elle détient, même si ils peuvent aider au succès de la prétention de la partie adverse.

Conformément à l’article 9 du Code de procédure civile, c’est principalement aux parties de prouver les faits nécessaires au succès de leur prétention.

Cette règle est reprise plus précisément dans l’article 1353 nouv. du Code civil (art. 1315 anc.), qui constitue le texte de référence en matière de charge de la preuve.
L’article 1353 nouv. du Code civil - qui reprend mot pour mot l'ancien article 1315 du C. civ. - dispose :
Tx.« Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. » (1er alinéa) ;
« Inversement, celui qui se prétend libéré doit justifier le payement, ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation. » (2nd alinéa).

A priori, l’article 1353 nouv. du Code civil ne dit pas autre chose que l’article 9 du nouveau Code de procédure civile : chacun doit prouver ce qu’il soutient.

On exprime ce principe avec l’adage Actori incumbit probatio : La preuve incombe au demandeur.

Rq.On fait référence ici au demandeur à l'allégation. Mais on verra que le demandeur à l’instance (celui qui initie le procès) n’est pas toujours le demandeur à l’allégation (celui à qui incombe la charge de la preuve). Si la première qualification ne varie pas, la seconde est susceptible de basculer sur les épaules de l'une ou l'autre partie au cours du procès. Chacun peut alternativement assumer la qualité de demandeur face à de l preuve de ce qu'il allègue. 

L’article 1353 nouv. du C. civ. pose néanmoins des règles particulières, qu’on a interprétées différemment avec le temps.


A l’origine, on a pensé que l'article 1315 (actuel art. 1353) décrivait dans ses deux alinéas une sorte de dialogue entre les parties, lesquelles interviendraient l’une après l’autre dans un ordre chronologique préétabli :

  • Alinéa premier - Cela commencerait avec la prétention originale : le demandeur à l’instance réclame l’exécution d’une obligation. Il sera alors demandeur à l’allégation, et il lui faudra prouver l’acte ou le fait juridique qui est à l’origine de cette obligation. Deux issues possibles : 
    • Si le demandeur échoue dans l’administration de la preuve, sa prétention sera rejetée.
    • Si le juge au contraire s’estime convaincu, l’existence de l’obligation est prouvée, et le demandeur gagne le procès... sauf si l'alinéa 2 trouve à s'appliquer.
  • Alinéa second - Si le défendeur prétend qu’il est libéré de l’obligation, il devient alors lui-même demandeur à l’allégation, et il lui appartiendra de prouver soit le paiement (c’est-à-dire l’exécution - au sens large et pas uniquement pécuniaire - de l’obligation), soit le fait qui a produit sa libération (par exemple une remise de dette, ou la prescription de l’action en justice, ou, en matière de divorce, le fait que l’époux demandeur a pardonné la faute commise par le défendeur... etc.).
    • S'il échoue, il devra exécuter l’obligation, qui par hypothèse a été démontrée par l'autre, en vertu de l'alinéa 1er
    • S'il réussit, l’action du demandeur initial sera rejetée... sauf si celui-ci apporte à son tour la preuve d’une nouvelle allégation : on retombe alors dans le champ de l'alinéa premier.

=> En théorie, l’article 1315 anc. / 1353 nouv. décrirait une sorte de jeu alternatif, chacun ayant à son tour la balle de la preuve dans son camp, et devant la renvoyer à l’autre partie. Celui qui échoue à ce renvoi perd le procès.

En pratique, la réalité est différente : dans le procès civil, chaque partie apporte ses preuves simultanément. Par exemple, le créancier apporte des preuves pour convaincre le juge qu’il a prêté de l’argent, et que le débiteur ne l’a pas remboursé.
Le débiteur cherche pour sa part à établir qu’il n’a rien emprunté, ou qu'il s'agissait d'un don (combattant alors l’allégation du demandeur), ou que la dette est prescrite ou qu’il l'a déjà remboursée (défendant ici sa propre prétention).

Le juge va examiner toutes ces preuves qui lui sont soumises en même temps.

Trois situations sont alors possibles :
  • 1- Le juge est convaincu par les preuves du demandeur à l’instance ;
  • 2- Le juge est convaincu par les preuves du défendeur à l’instance ;
Dans ces deux premières situations, pas de problème : le juge tranchera en faveur de celui qui a emporté sa conviction.
  • 3- Si le juge n’est convaincu ni par l’un, ni par l’autre, et que le doute subsiste, que se passera-t-il ? Nous savons que, en vertu de l’article 4 du Code civil, le juge est obligé de trancher, à peine de commettre un déni de justice...

La question sera alors : à qui profite le doute ? Autrement dit, il s'agira de déterminer qui supportera les risques du procès.

Il est apparu que cette question des risques était en fait la principale question résolue par l’article 1353 nouv. du Code civil.

La question des risques est apparue comme la vraie question sensible, le seul véritable enjeu de la détermination de la charge de la preuve.

La réponse est apportée par l’article 1353 nouv. du Code civil : les risques doivent être supportés par la partie à qui incombait la charge de la preuve du fait sur lequel le doute subsiste.

Ex. : « L’incertitude et le doute subsistant à la suite de la production d’une preuve doivent nécessairement être retenus au détriment de celui qui avait la charge de cette preuve. »

En cas de doute subsistant à l'issue d'un procès, le juge devra s'interroger pour savoir :
  1. Sur quel point subsiste le doute ?
  2. A qui incombait la preuve de ce point qui demeure hypothétique ?

C'est la réponse à la deuxième question qui désignera la partie qui devra succomber.

Ex.Si on reprend l'exemple du prêt :
  • Si le doute subsiste sur l’existence du prêt, c’est le demandeur à l’instance qui succombera, car, en vertu de l’alinéa 1er, il lui incombait de prouver l’existence de ce prêt (« Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver »). Le demandeur à l’instance supportera donc les risques de la preuve, et perdra le procès.
  • Si au contraire le prêt est démontré, mais que le doute demeure sur le point de savoir s’il a été remboursé ou non, c’est le défendeur à l’instance, c'est-à-dire l'emprunteur, qui devra supporter les risques, et perdra le procès en se voyant condamné à rembourser le prêt. En effet, c'est le défendeur à l'instance qui en vertu de l’alinéa 2 de l’article 1353 nouv. du C. civ., était demandeur face à cette allégation (« Inversement, celui qui se prétend libéré doit justifier le payement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation »).


Ces règles sont les règles de principe. Elles sont parfois difficiles à appliquer, car il arrive qu'il soit délicat de déterminer qui a la qualité de demandeur à l’allégation, et si les moyens de défense opposés par une partie sont de simples contestations de l’allégation initiale (la charge de la preuve reste alors sur les épaules du demandeur à l'instance) ou des allégations nouvelles (qui doivent être prouvées par leur auteur, le défendeur à l'instance supportant alors les risques de la preuve).

Ex.Madame X demande le divorce, en soutenant que Monsieur X la trompe. Deux cas de figures peuvent se présenter :
  • Monsieur X soutient que c'est faux, et qu’il ne l’a pas trompée : c’est une simple contestation de l’allégation de Mme X. En application de l'alinéa 1er de l'article 1353 nouv. du C. civ., Madame X, qui demande le divorce pour faute, doit démontrer que les conditions de ce divorce sont réunies. Elle a la charge de la preuve de la faute qu'elle invoque. Si à l'issue du procès (chacun ayant rapporté ses propres preuves) le doute subsiste sur l’existence de cette faute, alors Mme X doit en supporter les risques.
  • Si, dans un autre cas de figure, Monsieur X soutient que Madame X a pardonné la faute, cela revient à admettre l’existence de la faute, tout en soutenant que Monsieur X est libéré des conséquences de cette faute. En vertu de l'alinéa 2 de l'article 1353 nouv. du C. civ., on voit que Monsieur X ne se contente plus de contester l'allégation de Madame X, mais qu'il est l'auteur d'une nouvelle allégation qu'il doit donc prouver. S’il subsiste un doute sur la réalité du pardon, c’est Monsieur X, à qui incombait la charge de cette preuve, qui doit succomber.


En dépit de ces difficultés d'application, il est très important de connaitre le fonctionnement de l'article 1353 nouv. du Code civil, car l'issue de très nombreux procès dépend de cette question des risques de la preuve.

En savoir plus


Deux théories principales se sont dégagées en doctrine pour l'interprétation de l'ancien article 1315 du C. civ. : la désignation de celui à qui incombe la charge de la preuve peut être faite par référence à la normalité de la situation invoquée (a) ou à la formulation d’une nouvelle allégation (b), sans que ces deux théories soient nécessairement exclusives l’une de l’autre.

a - Théorie de la normalité :

On a d’abord tenté d’éclairer la question de la charge de la preuve en considérant que celui qui se prévaut d’une situation normale n’a pas à rapporter la preuve de son existence.

La difficulté réside évidemment dans la détermination de ce qui constitue une situation normale :

  • Une situation peut être normale parce qu’elle est établie : ce qui existe jusqu’à présent, et dont on réclame la modification… On doit donc prouver la nécessité de la modification de ce qui existe ; c’est un nouveau développement de la théorie des droits acquis. Ainsi le doyen Gény voyait-il dans le défendeur le représentant de la « situation acquise ». Demolombe considérait qu’une autre répartition, qui obligerait le défendeur à sortir de sa passivité « menacerait les droits les plus anciens » et « serait un véritable attentat à la liberté, non moins qu’à la fortune des citoyens ».

C'est une vision conservatrice, davantage attachée à la sécurité juridique qu'à la justice.

  • Une situation peut également être normale parce que c’est elle qui est la plus vraisemblable, ou la plus naturelle : ainsi le possesseur d’un bien est vraisemblablement propriétaire de ce bien, ce qui le constituera défendeur face à la preuve de cette propriété.

L'inconvénient de cette théorie est que le critère de la normalité est souvent difficile à appliquer. Par exemple, comment trancher entre les allégations du demandeur qui réclame la restitution des sommes avancées à titre de prêt, et celles du défendeur qui soutient qu’il s’agit en vérité d’une donation ? Où est la normalité ? La vraisemblance ? A priori, dans la mesure où l'intention libérale ne se présume pas, c'est le prêt qui devrait l'emporter... mais quid si les parties sont père & fils ? C'est alors la donation qui est la plus vraisemblable... 


b- La formulation d’une allégation nouvelle

Henri Motulsky (milieu du XXème siècle) a développé une thèse plus subtile que celle de la normalité, en mettant l’accent sur les notions de prétention et d’allégation : la charge de la preuve incombera au demandeur qui formule une nouvelle allégation.

Cette théorie a inspiré l’article 9 du Code de procédure civile, dont la combinaison avec les articles 6 du Code de procédure civile et 1353 nouv. du Code civil donne une nouvelle vision de la charge de la preuve. Tout dépendra du point de savoir si l'on réclame l'exécution d'une obligation ou d'une action en justice (art. 1353 nouv., al. 1), ou si l'on se prévaut de son extinction (art. 1353 nouv., al. 2) Dans le premier cas, il incombera au demandeur à l'allégation de démontrer l'existence et la validité de l'obligation. Dans le second cas, c'est au défendeur à l'allégation de démontrer l'extinction (ou la prescription, ou le payement, selon les mots de l'article 1353 nouv., al. 2). Dans les deux cas, on est face à une allégation nouvelle.

La jurisprudence, tout en marquant une préférence pour la théorie de Motulsky, n'a pas non plus complètement négligé la théorie de la normalité, qui apparait en filigrane dans certaines décisions.


Il existe des dérogations à ces principes applicables en matière de charge de la preuve : il s’agit des présomptions inversant la charge de la preuve.

Nous avons déjà étudié les présomptions qui opèrent un déplacement de l’objet de la preuve : sans dispenser le demandeur à l’allégation des faits nécessaires au soutien de sa prétention, on l’autorise à ne prouver qu’un fait connexe, dont l’existence rend vraisemblable le fait qui constitue l’objet de la preuve stricto sensu.

Nous allons parler maintenant d’un autre type de présomptions : celles qui dispensent purement et simplement le demandeur à l’allégation de rapporter la preuve d’un fait qui, pourtant, est nécessaire pour assurer le succès de sa prétention.
Cette dispense revient finalement à faire peser la charge de la preuve contraire sur la partie adverse.
Ce sont donc des présomptions qui inversent la charge de la preuve.

Une fois encore, il s’agit d’une faveur faite au demandeur à l’allégation, soit pour le protéger, soit parce que la preuve est pour lui trop difficile à rapporter, et qu’il est équitable de faire peser la charge de la preuve contraire sur le défendeur.

Ces présomptions peuvent être d’origine légale ou jurisprudentielle.

Ex.L’exemple le plus fameux de présomption inversant la charge de la preuve est celui relatif à la bonne foi :

L'article 2274 du Code civil dispose en effet : « La bonne foi est toujours présumée, et c’est à celui qui allègue la mauvaise foi à la prouver ».

Cette présomption trouvera par exemple une utilité en ce qui concerne le possesseur de bonne foi.

L’hypothèse est celle où une personne s’est comportée comme le légitime propriétaire d’un bien, alors que le bien ne lui appartenait pas. Elle a usé de la chose, et en a perçu les fruits (par exemple les loyers d’un immeuble) pendant un certain temps (qui n’était toutefois pas suffisamment long pour qu’elle acquière le bien par prescription acquisitive).

Imaginez que le véritable propriétaire revendique le bien.

L'article 549 du Code civil dispose que le possesseur devra restituer la chose ainsi que les fruits, sauf si sa possession était de bonne foi (parce qu’il s’est sincèrement cru propriétaire de la chose, par exemple parce qu’il l’a acheté à une personne sans savoir qu'elle n’avait pas qualité pour la vendre). En vertu de ce texte, s'il est de bonne foi, il devra évidemment restituer la chose mais pourra conserver les fruits perçus pendant sa possession.

Dans une telle situation, et si l'on suit les règles de l'article 1353 nouv. du Code civil, le propriétaire revendiquant devra prouver qu’il est le véritable propriétaire du bien, ce qui lui permettra de récupérer le bien ainsi que les fruits perçus par le possesseur.

Le possesseur, s’il veut conserver les fruits, pourra invoquer l’article 549 du Code civil. Il devrait en principe démontrer qu’il entre dans les conditions prévues par ce texte, c’est-à-dire qu’il est de bonne foi.

=> C’est là qu’intervient l’article 2274 et la présomption de bonne foi : par l’effet de cet article, le possesseur sera dispensé de rapporter la preuve de sa bonne foi, et ce sera au propriétaire revendiquant, s’il veut récupérer les fruits, de prouver la mauvaise foi du possesseur.

On voit bien à travers cet exemple que ce renversement de la charge de la preuve est une faveur faite au possesseur. Ici, la bonne foi n’est pas écartée comme objet de preuve, mais on modifie la désignation de celui qui en a la charge.

Rq.On peut aussi déduire de cet exemple que la présomption de bonne foi est une présomption simple, puisqu'il est possible d'en apporter la preuve contraire.

La détermination de l'objet de la preuve et de la charge de la preuve se font au moyen de règles légales et jurisprudentielles qui sont parfois délicates à appliquer. Une fois qu'elles sont établies, il reste à savoir de quelle façon les plaideurs devront rapporter la preuve qui leur incombe. Cela revient à se demander quels sont les modes de preuves admis (voir infra, Leçon n° 9).
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