Après une présentation de l'organisation judiciaire et des règles de compétence gouvernant l'intervention des juridictions, cette première partie du cours traitera des actes du juge et de la spécificité de la fonction juridictionnelle.
L'organisation et le fonctionnement des institutions judiciaires doivent répondre à un certain nombre de conditions et de principes généraux. Après avoir passé ces principes en revue, nous présenterons les différentes juridictions appelées à statuer en matière civile. Enfin, les professions qui contribuent au fonctionnement de la Justice civile seront étudiées dans la leçon 3.
Section 1. Principes généraux de fonctionnement des institutions judiciaires civiles
§ 1. Le respect nécessaire des garanties fondamentales de procédure issues de la Convention EDH
Outre le droit d’accès à un tribunal et le droit à l’exécution des décisions de justice (voir leçon 1), la Cour EDH considère que doivent être respectées des garanties de bonne justice d’ordre procédural et notamment le droit à un procès équitable, public, dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, tel que visé par l’art. 6 §1.
La Cour EDH appréhende le droit à une bonne justice à la fois au regard de la composition et de l’organisation du tribunal (A) et des garanties mises en place au niveau du déroulement de l’instance (B).
A. Garanties de composition et d’organisation du tribunal
La question du droit à un bon juge postule sans doute une réflexion sur le choix d’une organisation de type collégial ou à juge unique (voir §2, infra) mais la convention pose surtout clairement l’exigence du droit à un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi.
- Tribunal : le pouvoir de rendre une décision obligatoire définitive ne peut émaner d’une autorité non judiciaire au détriment d’une partie (Cour EDH, 19/4/94, GP 28 sept 95 note Pettiti).
- Tribunal indépendant : l’indépendance, préalable à l’impartialité, fait référence à l’absence de liens avec d’autres pouvoirs ou avec les parties, et implique pour les juges la possibilité d’exercer leurs fonctions en toute liberté, sans entrave ni pression externe. Pour l’apprécier il faut tenir compte du mode de désignation et de la durée du mandat des juges, et des garanties contre des pressions extérieures et en termes d’indépendance (Cour EDH, Delcourt, 17 janvier 1970 ; Sramek, 22 octobre 1984). Comme nous allons l’examiner plus loin au regard du principe de séparation des pouvoirs (§2), il doit y avoir indépendance à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif, en ce sens que le tribunal ne doit pas recevoir d’injonctions intéressant son activité juridictionnelle et que si tel était le cas, les parties devraient pouvoir disposer d’un recours devant un tribunal.
-
Tribunal impartial : parmi les principes énoncés par l'article 6§1, celui d'impartialité, lié à l’organisation et au fonctionnement interne des juridictions, fait l'objet d'une jurisprudence abondante, à l'origine de plusieurs évolutions textuelles (RT 00 618 - D 01 chr 2427).
L'impartialité peut tout d'abord s'apprécier de manière subjective, du point de vue du sentiment éprouvé par le juge dans son for intérieur, dans sa conscience intime (Cour EDH, 1er oct. 82, Piersak/Belgique, série A n° 53). Mais le défaut d'impartialité subjective n'est pas nécessairement aisé à établir.
L'impartialité peut aussi se déterminer de manière objective, en fonction des circonstances dans lesquelles le juge intervient, en lien avec la composition de la juridiction ou le fait qu'il ait déjà connu de l'affaire auparavant, en une autre qualité (impartialité fonctionnelle): c'est le critère de l'apparence, que traduit la formule « Justice must not only be done, it must also be seen to be done» (Cour EDH, 22 oct. 84, Sramek/Belgique, série A n° 84).
La jurisprudence européenne retient désormais une conception plutôt pragmatique du défaut d’impartialité fonctionnelle : elle a rejeté une application indifférenciée du critère objectif pour dépasser l'approche fondée sur les apparences (Cour EDH, Kleyn/Pays-Bas, 6 mai 2003, P.A. 2004 n° 44 : exercice successif de fonctions consultatives et juridictionnelles par le Conseil d'Etat).
Ex.Exemples d'atteintes à l'exigence d'impartialité :- Non-respect du principe de séparation des fonctions d’instruction et de jugement en cas de présence du rapporteur lors du délibéré des autorités administratives indépendantes (Ass Plén 5/2/99 (C.O.B.) : JCP 99 II 10060, RGP 99 275, RT 00 625 ; V. Magnier, JCP 00 I 252). La CA de Paris a statué dans le même sens à propos du Conseil de la concurrence (RGP 99 719), à la différence du Conseil d’Etat (CE Ass 9 déc 99 : Conseil des marchés financiers ; Conseil National de l’Ordre des médecins ; CNIL, JCP 99 Fasc 50 actua).
- Dans le même sens, sanction par la Cour EDH de la participation au délibéré du commissaire du gouvernement (devenu rapporteur public) devant le Conseil d’Etat (Cour EDH, 7/6/01, Kress/France, D 01 2619, JCP 01 II 10578 ; Cour EDH 5/7/05, Loyen/France, JCP 06 II 10016, dont s’infère l’inconventionnalité de la présence même au délibéré du commissaire du gouvernement) et la Cour des comptes, que cette présence soit active ou passive (Cour EDH 12/4/06, JCP 06 I 157 n° 12 et I 164 § n° 5).
- Conseil constitutionnel (QPC), DCC 8 juill. 2011, JCP 2011 F. 29 n° 868 : le cumul des fonctions d'instruction et de jugement du juge des enfants est jugé contraire au principe d'impartialité.
- Cass. soc., 23 oct. 2013, Proc. 2014 Fasc. 1 n° 13 obs. A. Bugada : en statuant en des termes injurieux et manifestement incompatibles avec l'exigence d'impartialité, une cour d'appel viole l'art. 6§1 de la Convention EDH.
- Crim 13/1/2015, (affaire AZF), JCP 2015 Fasc. 4 n° 50 note M. le Pogam, Fasc. 8 note 121 H. Matsopoulou et n° 122 note J. van Campernolle: le principe d'impartialité est méconnu dès lors que les liens existant entre le juge et certaines parties créent un doute raisonnable, objectivement justifié, quant à l'impartialité de la formation de jugement (impartialité subjective).
B. Garanties dans le déroulement de l’instance
Est ici notamment visé le droit à un procès équitable, public et d’une durée raisonnable.
Nous n’aborderons dans ce paragraphe que le droit à un procès équitable, les autres principes étant examinés lors de l’étude des règles traditionnelles d’organisation de la justice civile (§2, infra).
L’idée d’équité résume à elle seule l’ensemble des garanties énoncées par l’art 6§1. La notion bénéficie néanmoins d’une autonomie d’interprétation propre, permettant de vérifier qu’un procès a été équitable dans son intégralité, au-delà des garanties expressément citées par le texte.
: le droit à un procès équitable relève de l'ordre public international au sens de l'art 27 de la Convention de Bruxelles modifiée.
En savoir plus
- Cass. Civ. I, 11 juin 2009, JCP 09 n° 41 et D. 09 2599 : la sécurité juridique, invoquée sur le fondement du droit à un procès équitable, pour contester l'application immédiate d'une solution nouvelle résultant d'une évolution de la jurisprudence, ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, dès lors que la partie qui s'en prévaut n'est pas privée du droit à l'accès au juge (voir également N. Molfessis, La Cour de cassation face à la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence, D. 09 chr. 2567).
- Cour EDH, 26 mai 2011, Legrand /Fr, JCP 2011 Fasc. 26 n° 742 et actu 730 aperçu rapide A. Marais, Proc. 2011 Fasc. 7 n° 229, note N. FRICERO : la Cour EDH admet qu’un revirement de jurisprudence puisse de façon rétroactive et en lien avec le principe de concentration des moyens, priver des requérants de leur droit à réparation sans porter atteinte à leur droit d’accès au tribunal. Elle considère qu'il n'y a pas d'atteinte au droit à un procès équitable si la Cour de cassation applique immédiatement un revirement de jurisprudence survenu avant la formation du pourvoi et connu des parties. En conséquence, il n'y a pas violation de l'article 6 § 1, si la demande devant le juge civil est déclarée irrecevable, sur le fondement de la chose jugée tirée de l'art 1351 Cciv., le demandeur n'ayant pas concentré tous ses moyens devant la juridiction pénale pour obtenir réparation de son préjudice.
Par ailleurs, a été dégagée comme découlant des exigences du procès équitable la notion d’égalité des armes : « toute partie à une action civile doit avoir une possibilité raisonnable d’exposer sa cause au tribunal dans des conditions qui ne la désavantagent pas d’une manière appréciable par rapport à la partie adverse » (Cour EDH, Swabowicz c/Suède, 30 juin 1959, Annuaire II p. 535). Cela inclut la possibilité de présenter ses preuves (Cour EDH, 27 oct. 1993, série A 274, JCP 94 I 3742 n° 14 obs. F. Sudre), de même que l’obligation de loyauté dans la recherche de la preuve. Le contradictoire s’y intègre également (Cour EDH, 23 juin 93, Ruis Mateos/Esp., série A n° 262 § 63), de même que les relations avec le Ministère public.
Même si l’ensemble de la procédure est examiné en bloc, la Cour EDH fait du respect du droit à un procès équitable l’un des critères d’appréciation de son contrôle de la proportionnalité des ingérences des Etats dans les droits substantiels garantis aux individus par la Convention EDH. Selon la doctrine, le droit au procès équitable est devenu l’une des pierres angulaires du droit de la Convention et constitue désormais un droit substantiel (S. Guinchard, Le procès équitable, garantie formelle ou droit substantiel, Mel. G. Farjat, 1999 p. 179).
§ 2. Des garanties européennes impactant les règles traditionnelles d’organisation de la justice civile
Comme nous le verrons, certains de ces principes ont été renforcés, notamment du fait du jeu de la convention EDH, alors que d’autres ont parfois subi des atteintes susceptibles d’en réduire la portée.
A. Séparation des pouvoirs
Ce principe se traduit par une interdiction faite au pouvoir judiciaire d'attenter aux prérogatives du législatif ou de l'exécutif, tout en protégeant son indépendance vis-à-vis de ces mêmes pouvoirs.
1. Interdiction d'attenter aux prérogatives du législatif et de l'exécutif
a) Pas d'empiétement du judiciaire sur le législatif
- La première illustration est l'interdiction des arrêts de règlement, posée par l'article 5 du Code civil.
Un juge ne peut rendre de décisions de portée générale. Il ne peut raisonner qu'au cas par cas, sans faire référence aux précédents, comme c'est le cas en droit anglo-saxon.
Tx.Jurisprudence
Civ. II, 4 fév. 2010, RT 2010 375 obs. R. Perrot.
Rq.Un auteur a soulevé la question de l'incidence des questions préjudicielles communautaires : J. Huet, Union européenne et démocratie : prohibition des arrêts de règlement et avis de décès de l'article 5 du Code civil, JCP 2011 F. 17 n° 473
Mais le juge doit interpréter les lois et il a même l'obligation de suppléer à leur silence : c'est l'interdiction du déni de justice (art 4 CCiv).
En pratique la jurisprudence, née de la répétition et de l'autorité de certaines décisions, notamment émanant des juridictions supérieures, n'en est pas moins une source de droit.
Tx.Jurisprudence
Sur la portée de la règle : Cass. com., 4 mai 2010, Proc 2010 n° 262, obs. R. Perrot, Le juge doit trancher le litige qui lui est soumis sans en différer l'examen au motif qu'il lui manquerait des éléments de preuve.
- Ensuite, les juges ne peuvent se prononcer directement sur la constitutionnalité des lois.
Une évolution résulte cependant de l’introduction récente de la question prioritaire de constitutionnalité, instituée par l’article 61-1 de la Constitution et précisée par la loi organique du 10 décembre 2009 (validée par le Conseil Constitutionnel le 3 décembre 2009 : DCC n° 2009-595 – JCP 09 Fasc. 51 n° 568). Cette loi, entrée en vigueur le 1er mars 2010, instaure un contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois déjà entrées en vigueur (B. Mathieu, La question prioritaire de constitutionnalité : une nouvelle voie de droit – A propos de la loi organique du 10 décembre 2009 et de la décision du Conseil constitutionnel n° 2009-595 DC, JCP 09 Fasc. 52 n° 602 – Croze, Proc. 2010 n° 2 & JCP 2010 Fasc. 9 n° 269 ; G. Drago, Vers la question prioritaire de constitutionnalité ; une constitution proche du citoyen, JCP 2010 Fasc 1 n° 2).
La réforme permet à tout justiciable de soutenir devant un juge (hors Cour d’assises) qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et liberté garantis par la Constitution. Si la juridiction en cause décide de transmettre la question au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation, elle doit en principe surseoir à statuer. Le Conseil d’Etat et la Cour de cassation décident alors si le Conseil constitutionnel doit être saisi de la question. Si elle lui est renvoyée, celui-ci peut la trancher et, le cas échéant, abroger la disposition en cause.
En savoir plus
Les règles de procédure propres aux juridictions judiciaires et administratives sont précisées par le D. n° 2010-148 du 16/2/2010 (H. Croze, Proc 2010 n° 4 alerte 17), tandis que le Conseil constitutionnel a fixé dans son règlement intérieur la procédure applicable devant lui (Décision du 4 fév. 2010 ; B. Mathieu, JCP 2010 fasc. 9, N° 238). A cet égard, la Cour EDH avait précisé que cette procédure était soumise aux règles du procès équitable (Cour EDH, 13 oct 2009, Ferré Gisbert/Espagne, Proc 09 n° 399, obs. N. Fricero).
Voir également :
Circulaire du 24/2/2010 (S. Lavric, D. 2010 564).
B. Mathieu, Les débuts prometteurs de la question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil d'État - À propos des arrêts rendus par le Conseil d'État les 14 et 16 avril 2010, JCP 2010 F. 17 n° 465 – A. Levade, QPC 1, 2 et 3 : le Conseil d'Etat joue le jeu du renvoi !, D. 2010 1061.
Liens internet utiles :
Tx.Jurisprudence
Alors que la question avait fait débat, le principe du droit de tout justiciable à contester par voie de QPC la conformité tant d’une disposition législative, que de l’interprétation jurisprudentielle constante que la Cour de cassation en donne, ont été confirmés par l’Assemblée Plénière (Ass. Plén., 20 mai 2011 (quatre arrêts), N. Maziau, Les « bonnes raisons » de la Cour de cassation, D. 2011 1775).
Sous cette réserve, les juges, qui ne sont pas habilités à soulever d'office la question prioritaire de constitutionnalité, ne peuvent refuser d'exécuter les lois : ils doivent les appliquer, en vertu des articles 1 du CCiv et 12 du CPC.
Un juge peut toutefois refuser d'appliquer un règlement qu'il considérerait comme illégal car portant atteinte à la liberté individuelle ou au droit de propriété. Il peut aussi, en vertu de l'article 55 de la Constitution, refuser d'appliquer une loi contraire à un traité, cela même s'il s'agit d'une loi postérieure au traité (, D 75 497 concl Touffait -, JCP 89 II 21371 concl Frydman). Cette solution a été étendue aux règlements (CE 24/9/90, JCP 90 IV 357) et aux directives communautaires (, JCP 92 II 21859 Teboul).
b) Pas d'empiétement du judiciaire sur l'exécutif
- Le juge ne peut prendre de décision politique, sous peine d'être sanctionné pour excès de pouvoir.
- Il ne peut non plus apprécier la validité des actes administratifs, ni connaître du contentieux administratif. La règle a été posée par la loi des 16 et 24 août 1790.
2. Protection de l'indépendance de l'autorité judiciaire
a) Protection du juge contre le pouvoir législatif
- Une loi ne peut résoudre un procès spécifique et ne pourrait être adoptée à cette fin.
Un risque existe en cas d'adoption de dispositions expressément rétroactives ou de lois de validation.
En savoir plus
La Cour Européenne des Droits de l'Homme considère que les lois de validation sont susceptibles d'attenter à l'exigence de procès équitable, imposée par la Convention EDH (Cour EDH, Zielinski, 28 oct 99, RT 2000 obs. Marguénaud, Rev. Proc 00 n° 94).
En droit interne, la Cour de cassation a souvent adopté une position plus nuancée : elle admettait que le principe de prééminence du droit et la notion de procès équitable s’opposaient, sauf pour d’impérieux motifs d’intérêt général, à l’ingérence du pouvoir législatif dans l’administration de la justice afin d’influer sur le dénouement judiciaire des litiges en cours…
Mais de tels motifs ont été retenus à diverses reprises (Ass. Plén. 24/1/03, 2 arrêts, D. 03 1648 note crit. S. Paricard-Pioux et Civ. I, 9/7/03, JCP 04 II 10016 : reconnaissance en l’espèce de l’existence d’impérieux motifs d’intérêt général - Ass. Plén, 23/1/04, JCP 04 II 10030, Proc. 04 n° 49, RT 04 341 n° 3 : application de la solution tant aux lois de validation qu’aux lois interprétatives - Com 14 déc. 04, Proc 05 n° 60 : inversion de la formulation et admission d’une application rétroactive en matière civile, et aux instances en cours, pour un impérieux motif d’intérêt général).
Ce point de vue a été censuré par la Cour européenne, qui a prononcé en 2006 l’inconventionnalité d’une loi de validation, en l’occurrence, l’art. 87-1 de la loi du 12 avril 1996 dans l’affaire dite « des tableaux d’amortissement » en matière de crédit immobilier, avec effet rétroactif, sous réserve des décisions passées en force de chose jugée. Il a été jugé indifférent que la loi en cause ait été déclarée conforme à la constitution, tout comme le fait que l’Etat soit partie ou non aux procédures. Selon la Cour, pour être compatible avec la Convention EDH, la loi rétroactive, qu’elle porte atteinte au droit à un procès équitable ou au droit de propriété, doit obéir à un impérieux motif d’intérêt général. Mais en l’espèce, le motif financier qui avait été retenu par la Cour de cassation n’a pas été validé (Cour EDH, 11/4/06, Cabourdin/France et Cour EDH 14 /2/06, Lecarpentier/France, JCP 06 I 164 § n° 4 et JCP 06 II 10171 note Thioye – V. aussi Cour EDH, 11/2/2010, Proc 2010 n° 120, obs. N. Fricero).
Depuis, cette position a été reprise par la Chambre Sociale, en droit du travail, dans l'affaire dite des « heures d'équivalence » (Soc 13/6/07 (deux arrêts), D. 07 2439, note Pérès, L'avenir compromis des lois de validation consécutives à un revirement de jurisprudence).
- C'est au juge qu'il revient d'interpréter les lois, d'où l'interdiction du référé législatif.
b) Protection contre l'exécutif
- Garanties d'indépendance organique
Les magistrats sont des fonctionnaires sous la dépendance du Garde des Sceaux. Pour exercer leurs fonctions en toute sérénité des conditions d'indépendance sont indispensables quant à leur nomination, leur avancement et leur discipline. Pour cette raison, le principe d'inamovibilité des magistrats du siège est inscrit dans la Constitution (art 64 de la Constitution). La signification en est l'impossibilité de leur imposer une affectation territoriale nouvelle qu'ils n'auraient pas consentie.
Leur indépendance est aussi garantie par le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), qui comporte deux formations, l'une compétente à l'égard des magistrats du siège, l'autre à l'égard des magistrats du Parquet. La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 a apporté à son organisation et à son fonctionnement des modifications importantes, qui sont entrées en vigueur le 23 janvier 2011.
En savoir plus
- dans la rubrique « présentation » voir les développements sur l'historique, la composition et les compétences du CSM
- dans la rubrique « textes » peuvent être consultés les textes déterminant son statut et ses compétences
L'évolution du CSM, de 1993 à janvier 2011
Le CSM comportait autrefois 9 membres, tous désignés par le Président de la République, qui en assurait la présidence, le Ministre de la Justice étant vice-président. La création des deux formations en 1993 (Loi constitutionnelle n° 93-952 du 27/7/93), a constitué une première réforme allant dans le sens d'une plus grande indépendance et d'une unité de la magistrature.
- La formation compétente à l'égard des magistrats du siège était composée de 5 magistrats du siège, d'un magistrat du Parquet, d'un Conseiller d'Etat désigné par le Conseil d'Etat et de 3 personnalités n'appartenant ni au Parlement ni à l'ordre judiciaire et désignées par le Président de la République, le Président de l'Assemblée Nationale, et celui du Sénat.
- La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet était composée de manière symétrique mais avec cinq magistrats du Parquet et un magistrat du siège. Ce texte avait été complété par une loi organique du 5/2/94 quant au mode de désignation de ces magistrats : ils étaient élus pour 4 ans non renouvelables par deux collèges au terme d'une élection majoritaire à deux degrés.
Une autre réforme d'envergure avait été envisagée à la fin des années quatre-vingt-dix : réforme de la nomination des magistrats du Parquet, du CSM, suppression des instructions dans les affaires individuelles, développement de la responsabilité (JCP 98 Fasc 5 actua). L'opposition parlementaire avait conduit le Président de la République à annuler la réunion du Congrès qui devait procéder à la révision de la Constitution. Quelques retouches ponctuelles ont été apportées, notamment par la loi organique du 25 juin 2001 et le D. n° 2002-442 du 2 avril 2002 modifiant le mode de scrutin aux élections du CSM.
Une étape importante a été franchie avec la loi constitutionnelle de 2008. La réforme n'est pas intervenue le 1er mars 2009, comme prévu initialement, car l’effectivité de certaines dispositions était subordonnée à des compléments, qui n’ont été adoptés que par une loi organique du 22 juillet 2010 (trois dispositions ont été censurées par le Conseil constitutionnel : DCC n° 2010-611 du 19 juillet 2010). La loi a été complétée par un décret n° 2010-1637 du 23 déc. 2010.
JC Zarka, Le « nouveau CSM », D. 2010 1888 ; M. Le Pogam, Réforme du CSM – Entre ouverture et autonomie, JCP 2010 F. 40 n° 982.
Le Président de la république ne préside plus le CSM. Par ailleurs, celui-ci comporte à présent 22 membres et les magistrats sont désormais minoritaires au sein de chaque formation :
- La formation compétente à l’égard des magistrats du siège est présidée par le Premier président de la Cour de cassation. Cette formation comprend en outre cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d’Etat désigné par le Conseil d’Etat, un avocat et six personnalités qualifiées, qui n’appartiennent ni au Parlement, ni à l’ordre judiciaire, ni à l’ordre administratif. Le président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat désignent chacun deux personnalités qualifiées. Les nominations effectuées par les présidents des deux assemblées sont soumises à l’avis de la commission permanente compétente de chaque assemblée intéressée.
- La formation compétente à l'égard des magistrats du parquet, présidée par le Procureur général près la Cour de cassation comprend cinq magistrats du parquet et un magistrat du siège, ainsi que le conseiller d'Etat, l'avocat et les six personnalités qualifiées mentionnées dans la formation compétente à l'égard des magistrats du siège. Selon le Conseil d'Etat, la présidence du CSM par le Procureur général près la Cour de cassation ne méconnaît pas le principe d'impartialité (CE 27 mai 2009, JCP 09 n° 21).
Le CSM a compétence en matière de nomination et de discipline des magistrats du siège et du Parquet (art 65 de la Constitution).
Il fait des propositions pour les nominations des magistrats de la Cour de Cassation, pour celles des Premiers Présidents de Cours d’appel et présidents de TGI. La nomination des autres magistrats du siège est soumise à son avis conforme et celle des magistrats du Parquet à un avis simple, y compris désormais pour les Procureurs généraux. Par ailleurs, les commissions parlementaires disposent désormais d’un droit de veto sur les projets de nomination (total des votes négatifs représentant au moins 3/5e des suffrages exprimés au sein des deux commissions).
Enquête, La nomination des magistrats du siège et du parquet, JCP 09, n° 28, 90, p. 8.
En matière disciplinaire, le CSM dispose d'un pouvoir juridictionnel à l'égard des magistrats du siège, et d'un pouvoir d'instruction débouchant sur un avis à l'égard des magistrats du Parquet (voir leçon 3).
Lorsqu'elle se réunit en Conseil de discipline, la formation compétente à l'égard des magistrats du siège comprend aussi le magistrat du siège appartenant à la formation compétente à l'égard des magistrats du Parquet. De même, le magistrat du parquet appartenant à la formation compétente à l'égard des magistrats du siège participe à la réunion de la formation compétente à l'égard des magistrats du Parquet lorsque celle-ci est amenée à donner un avis sur les sanctions disciplinaires à l'égard des magistrats du Parquet.
Le CSM se réunit en formation plénière pour répondre aux demandes d'avis du Président de la République, pour se prononcer sur les questions relatives à la déontologie des magistrats ainsi que sur toute question relative au fonctionnement de la justice dont le saisit le Garde des Sceaux. La formation plénière comprend 3 des 5 magistrats du siège de la formation compétente à l'égard des magistrats du siège, 3 des 5 magistrats du parquet de la formation compétente à l'égard des magistrats du Parquet, le Conseiller d'Etat, l'avocat et les six personnalités qualifiées. Elle est présidée par le Premier président de la Cour de cassation, que peut suppléer le Procureur Général près la Cour.
Sauf en matière disciplinaire, le ministre de la Justice peut participer aux séances des formations du CSM.
Une autre évolution importante tient au fait que désormais le CSM peut être saisi par tout justiciable qui considère qu’à l’occasion d’une procédure judiciaire le concernant, le comportement d’un magistrat dans l’exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire. Les conditions ont été fixées par la loi organique du 22 juillet 2010 : un dispositif de filtrage, sous forme d’une commission d’admission des requêtes composée de 4 membres du CSM, a été mis en place. Cette commission doit vérifier que les plaintes ne sont pas irrecevables ou manifestement infondées, afin d’éviter que la saisine du CSM ne devienne une voie de contestation systématique des décisions de justice.
En général elles ne visent qu’à contester la décision rendue et non le comportement du magistrat (JCP 2012, Fasc. 40 n° 1049).
En réalité le projet de réforme n'est pas abandonné. S'agissant du ministère public, le débat a été relancé à l'occasion de la réflexion en cours sur la justice du XXIème siècle, plus particulièrement dans le cadre du rapport Nadal, « Refonder le ministère public », déposé fin novembre 2013.
F. Tiberghien, Quelles perspectives pour la future réforme du CSM?, JCP 2014 Fasc. 30 n° 860.
P. Fauchon et B. Matthieu, Pour un renforcement du rôle du CSM, JCP 2015 Fasc. 10 n° 281
-
Garanties d'indépendance fonctionnelle
- Le juge n'a pas à recevoir d'ordres de l'exécutif. Jusqu'à très récemment cette règle ne valait que pour les magistrats du siège, pas pour les magistrats du Parquet. Une réforme avait été envisagée dans les années 90 mais ce n'est qu'en 2013 qu'a été supprimée la possibilité pour le Garde des Sceaux d'adresser aux magistrats du parquet des instructions dans les affaires individuelles (L. n° 2013-669 du 25 juillet 2013). Il est probable que la position adoptée par la Cour EDH soit à l'origine d'autres évolutions (voir infra leçons 3 et 5 et Rapport Nadal précité, « Refonder le ministère public »).
- Ensuite, l'exécutif ne peut trancher les litiges ou s'opposer à l'exécution d'un jugement.
En pratique, on a parfois pu observer des refus, justifiés par le maintien de l'ordre public. Pourtant, selon la Cour EDH, l'exécution d'une décision judiciaire doit être considérée comme faisant partie intégrante du droit à un procès équitable.Tx.Jurisprudence
Cour EDH 19/3/97 Hornsby, JCP 97 II 22949 ; Cour EDH 23 oct. 03, JCP 03 I 107 n° 3 - Cour EDH, 9 juin 2009, Proc 09 n° 229, note N. Fricero : application à la réparation civile des conséquences d'une infraction pénale : le caractère excessif de la durée d'exécution doit s'apprécier avec les mêmes critères que la durée de la procédure).
Actualité :- Les 15 et 16 mars 2010 s’est tenue une table ronde du Comité des ministres du Conseil de l'Europe sur les « recours effectifs contre la non-exécution ou l'exécution tardive des décisions de justice internes » (Proc. 2010 n° 180, N. Fricero).
- Par ailleurs, aux côtés de 8 partenaires européens (Belgique, Luxembourg, Pays Bas, Ecosse, Allemagne, Hongrie, Pologne, Italie), la Chambre nationale des huissiers de justice a lancé en mai 2010 le projet EJE, soutenu par la Commission européenne, et destiné à améliorer l'exécution des décisions de justice en Europe grâce à l'E-justice. Ce projet se matérialisera notamment par la création d'un portail Internet disponible en 7 langues.
- Cette indépendance peut être un peu nuancée, en relation avec le fait que les sources du droit judiciaire privé sont principalement d'origine réglementaire (voir leçon 1)...
B. Principe d'égalité devant la justice
- Tous les citoyens doivent bénéficier des mêmes juges et des mêmes procédures.
Il n'existe pas en droit judiciaire privé de privilèges de juridiction liés à la qualité des justiciables. Cela ne constitue toutefois pas un obstacle à l'existence de juridictions spécialisées, compétentes en raison de la nature du litige.
- Il n'existe pas de préférences liées au rang des individus, et il n'est pas possible de retirer un procès à son juge naturel.
Cette règle connaît quelques dérogations liées à l'existence de procédures administratives spéciales et de la Cour de Justice de la République. Il existe aussi un privilège de juridiction lié à la nationalité française des plaideurs issu des articles 14 et 15 CCiv. (voir leçon, 4 section, 4§1B) et un privilège des agents diplomatiques étrangers.
C. Principe de gratuité de la justice
Il existe toutefois une certaine obligation de contribution des plaideurs à la dette judiciaire. Celle-ci se traduit par la condamnation du perdant aux dépens. Par ailleurs, chaque partie doit assumer ses propres frais en cas de recours à des auxiliaires de justice, sauf si la partie perdante ou condamnée aux dépens est condamnée à assumer prendre en charge une partie de ces frais irrépétibles (en application de l'art 700 CPC).
Pour le reste, une prise en charge des frais du procès peut résulter soit de l'admission d'un plaideur au bénéfice de l'aide juridictionnelle (loi du 10 juillet 1991 modifiée), soit de la souscription volontaire d'une assurance de protection juridique (L 31 déc. 89, modifiée en 2007).
Mais le principe de gratuité a récemment subi des atteintes :
- D'une part, la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 avait introduit, à compter du 1er oct. 2011, une contribution pour l'aide juridique de 35€ par instance introduite devant une juridiction judiciaire (non pénale) ou administrative. Cette contribution, instaurée pour financer la réforme de la garde à vue était versée au Conseil national des Barreaux (CNB) au bénéfice des avocats effectuant des missions d'aide juridictionnelle. Elle devait être payée par l'avocat ou la partie demanderesse (par voie électronique ou timbre) lors de l'introduction de l'instance, à peine d'irrecevabilité de la demande constatée d'office (art 62-5 CPC).
- D'autre part, le décret du 28 sept. 2011 a introduit à compter du 1er janvier 2012 et en principe jusqu'à la fin 2018, une taxe de 150 euros imposée aux justiciables agissant en matière civile devant les Cours d'appel lorsque la constitution d'avocat est obligatoire. Le produit de ce droit est affecté au fonds d'indemnisation de la profession d'avoué près les cours d'appel.
Mais, comme s'y était engagé le nouveau gouvernement, la contribution de 35 euros a été supprimée à compter du 1er janvier 2014 (L n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 et D n° 2013-1280 du 29 décembre 2013).
En revanche, le produit de la taxe due pour les procédures d'appel s'étant révélé insuffisant, la loi de finances pour 2015 en a porté le montant à 225 € et l'a prolongée jusqu'en 2026 (M. Attal, Le prix de l'accès à la justice en appel, JCP 2014 Fasc. 46 n° 1167).
D. Principe de collégialité des juridictions
La collégialité est considérée comme une garantie de meilleure justice et d'impartialité.
Cependant on a assisté progressivement à une multiplication des juges uniques, qui a pu susciter des controverses au regard de la Convention EDH (RTDC 00 619).
Par ailleurs, le Code de procédure civile ménage dans la plupart des hypothèses la faculté de faire trancher une affaire par un juge unique (pour le TGI : art 801s. CPC - Villacèque: le TGI statuant au fond en matière civile: la collégialité menacée par les juges uniques, D 95 chr 317).
En faveur du juge unique, on fait valoir que cette situation développe le sens de la responsabilité, permet une spécialisation, est source de simplification des procédures et rend la Justice plus proche des justiciables. Cela étant, le système présente sans nul doute une rentabilité accrue pour l'Etat.
Toutefois, quand des textes imposent un recours au juge unique, est souvent prévue une possibilité de renvoi à la formation collégiale : de telles dispositions existent pour le JAF, le JEX, le juge chargé des accidents de la circulation terrestre.
E. Principe de permanence des juridictions
Le fonctionnement de la Justice ne connaît pas d'interruption (totale) de fonctionnement sauf pour les juridictions fonctionnant par sessions et pour les audiences foraines.
F. Principe de célérité
Un manquement à l'exigence de délai raisonnable est susceptible d'être assimilé à un déni de justice (TGI Paris, 5 nov 97, D 98 9 - contra Civ I, 25/5/04, Bull 04 I n° 150) ou à une faute lourde (Civ. I, 20/2/08, JCP 08 IV 1556), et peut justifier une condamnation de l'Etat au titre de l'art L 141-1 COJ pour fonctionnement défectueux du service public de la Justice (V. aussi CE 28/6/03, D. 03 23, se fondant sur les art. 6 et 13 de la Convention EDH et leçon 3). Toutefois, la Cour EDH déclare désormais irrecevable toute requête fondée sur la violation du délai raisonnable si l'intéressé n'a pas épuisé le recours interne utile, en l'occurrence en France l'article L 141-1 COJ (Cour EDH, Kudla/Pologne, 26 oct. 2000, RT 01 442 obs. Marguénaud ; Giummarra/France, 12 juin 01, RT 02 395, obs. Marguénaud ; D. 03 som. com. 592 obs. Fricero).
Dans un arrêt du 30 juin 2008 (JCP 08 II 10153), le Tribunal des conflits a décidé qu'une demande d'indemnisation pour durée excessive de la procédure, en cas d'instances introduites successivement devant les deux ordres de juridiction, en raison des difficultés de détermination de la juridiction compétente, que le tribunal des conflits ait été amené à statuer ou non, doit être portée devant l'ordre compétent pour connaître du fond du litige. La juridiction concernée est alors compétente pour porter une appréciation globale sur la durée de la procédure devant les deux ordres de juridiction et, le cas échéant, devant le Tribunal des conflits.
La Cour de cassation a repris cette approche globale de la procédure pour apprécier la durée d'affaires comportant une phase pénale et une phase civile ayant le même objet (Cass. Civ. I, 25 mars 2009, (2 arrêts), JCP 09 actu n° 197 obs. L. Milano).
Par ailleurs, dans un arrêt du 3 février 2009, la Cour EDH a précisé que même lorsqu'une procédure est régie par le principe dispositif, qui consiste à donner aux parties des pouvoirs d'initiative et d'impulsion, il incombe aux Etats contractants d'organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d'obtenir une décision définitive sur les contestations relatives à ses droits et obligations de caractère civil dans un délai raisonnable (Cour EDH, 3/2/09, Poelmans/Belgique, JCP 09 II 10070 note N. Fricero, Proc 09 n° 81).
Bouclant en quelque sorte la boucle, la Cour EDH a quant à elle précisé que la procédure d'indemnisation de la durée excessive des procédures administratives est aussi soumise aux exigences du procès équitable et doit conduire à une réparation d'un montant suffisant, effectivement versée dans un délai raisonnable (CEDH, 24 sept. 2009, Sartory c/ France, Proc 09 n°).
G. Classification des juridictions
Les juridictions de droit commun sont habilitées à connaître de tout litige dont la compétence n'a pas été attribuée par la loi à une autre juridiction. C'est le cas du TGI et de la Cour d'appel, qui jouissent d'une plénitude de juridiction.
La compétence des juridictions spécialisées est au contraire cantonnée aux affaires qui leur ont été expressément dévolues par la loi. Ces juridictions font souvent intervenir des magistrats non professionnels et n'ont pas nécessairement une composition homogène. Leurs formations de jugement peuvent en effet comporter des magistrats appartenant à des catégories socioprofessionnelles distinctes ou faire siéger ensemble des magistrats professionnels et non-professionnels.
H. Hiérarchie des juridictions
1. Principe du double degré de juridiction
On a fait valoir que les magistrats d'appel étaient plus expérimentés mais il est aussi parfois plus aisé de se livrer au réexamen d'affaires déjà expurgées.
Le principe du double degré reçoit toutefois des dérogations.
Il n'a pas valeur constitutionnelle et ne figure pas dans la liste des droits garantis en matière civile par la Convention EDH.
L'appel est ainsi exclu pour les petits litiges :
- les décisions du juge de proximité ne peuvent en être frappées, sauf si elles statuent sur des demandes de nature indéterminée ;
- devant les autres juridictions, existe un taux de ressort (voir leçon 4).
Ensuite si l'appel est un droit, il est aussi parfois possible d'y renoncer.
Enfin les textes légitiment parfois de fait la perte du premier degré de juridiction. Il en est ainsi en cas d'interventions de tiers, de demandes nouvelles en appel ou d'évocation par la Cour d'appel. Dans ce cas, l'appel n'est plus seulement une voie de réformation, il devient une voie d'achèvement des procès. Les juges s'attachent toutefois à éviter qu'il ne se transforme en voie de commencement des procès, en veillant à une interprétation stricte des exceptions au principe d'interdiction des demandes nouvelles.
2. Rôle de la Cour de cassation
Il s'agit d'une voie de recours extraordinaire, ouverte seulement dans les cas prévus par la loi, à l'encontre des jugements rendus en dernier ressort. Mais certains considèrent qu'un pourvoi minimum pour excès de pouvoir est ouvert même quand les textes interdisent tout recours : cela justifie la création du pourvoi-nullité en matière de procédures collectives.
La Cour de cassation, n'étant pas un troisième degré de juridiction, n'examine pas le fond des affaires, même en cas de cassation sans renvoi. L'affirmation pourrait être un peu nuancée dans le cas de la cassation sans renvoi visée par l'art 627 al 2 CPC.