Prévenir des actes de cybercriminalité dans un contexte professionnel

La compétence des juridictions

La plupart des systèmes juridiques sont fondés sur la notion de souveraineté, reposant sur les frontières territoriales des Etats, mais le phénomène de cybercriminalité bouleverse ce principe classique, les infractions pouvant être commises simultanément dans plusieurs pays.

La dimension internationale d'internet rend souvent complexe l'application des règles de compétence en matière pénale. Les juridictions françaises pourront être reconnues compétentes dans un certain nombre de contentieux relatifs à internet en application des règles prévues par le Code pénal. Les règles de compétence se fondent sur deux critères combinés : d'une part, le lieu de commission de l'infraction, et d'autre part, la nationalité de l'auteur ou de la victime.

1. Compétence rationae loci

En application du principe de territorialité, l'article 113-2 du Code pénal dispose que « la loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République. L'infraction est réputée commise sur le territoire de la République lorsqu'un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ». Cette compétence des juridictions françaises peut être retenue dès lors que les contenus illicites diffusés sur internet sont accessibles depuis la France, puisqu'il suffit qu'un élément constitutif de l'infraction ait eu lieu en France ; la seule réception par l'utilisateur est considérée comme un élément constitutif de l'infraction. La loi pénale française s'applique dans le cas d'un message litigieux disponible sur le réseau internet, quelle que soit sa source dans le monde, dès lors que la réception par l'utilisateur sur le territoire français constitue un élément constitutif de l'infraction.

En savoir plus : Diffusion sur internet depuis un site étranger

Le fait de diffuser sur internet, depuis un site étranger, des propos révisionnistes, constitue un délit relevant de la compétence des tribunaux français (TGI Paris, 13 novembre 1998).

Cette compétence des juridictions françaises a été retenue à propos du délit de diffamation publique commis par la voie d'internet, le site étant situé aux Etats-Unis, dès lors que la mise à disposition du public des informations prétendues diffamatoires s'est produite dans un lieu relevant de la compétence des juridictions françaises (CA Limoges, 8 juin 2000).

La chambre criminelle de la cour de cassation a rappelé que l'exploitation directe par la police d'un site litigieux sur le réseau mondial d'internet où il est librement et gratuitement accessible à tous, est caractéristique d'une provocation policière commise en France par le seul fait de la connexion offerte à partir du territoire français, et relève donc de la compétence française (Crim. 7 février 2007[1]).

Le tribunal de grande instance de Paris (TGI Paris, 26 février 2002), confirmé par la cour d'appel de Paris (CA Paris, 17 mars 2004), a rappelé que l'article 113-2 du Code pénal est applicable en matière de délit de presse commis à partir ou grâce à internet, notamment dès lors que la publicité, qui est un élément constitutif de l'infraction, a été faite via internet et est accessible depuis la France. Dans cette affaire, « la mise à disposition du public d'un site de vente aux enchères d'objets nazis, qui peut être vu et reçu sur le territoire français et auquel l'internaute peut accéder, du fait de la simple existence d'un lien informatique search qui l'y invite, caractérise l'élément de publicité constitutif de l'infraction de délit d'apologie de crime de guerre, et sans qu'il soit besoin que l'internaute ait été démarché par le propriétaire du site ».

L'élément de publicité sur le territoire français, an matière de délit de presse, est suffisant pour entraîner la compétence des juridictions françaises.

Dans le même sens, et dans un but évident d'étendre la compétence des juridictions françaises, le lieu d'émission des sites litigieux qui peut correspondre au domicile de l'internaute signalant, est un critère qui peut être retenu, de même que le lieu de localisation du serveur véhiculant le site litigieux.

En principe, la compétence des juridictions françaises est retenue lorsque le site est accessible sur le territoire national, quel que soit l'endroit, ce qui génère quelques difficultés pour définir la juridiction territorialement compétente. La question devient plus délicate en matière de site étranger accessible en France. En matière de contrefaçon, la difficulté résulte de la nécessité d'un fait dommageable commis en France, le site étant par nature consultable depuis n'importe quel pays relié au réseau.

Pendant longtemps, en matière de contrefaçon de marque sur internet, il était admis que les juridictions françaises étaient territorialement compétentes pour connaître d'un litige, dès lors qu'il était prouvé que ce site était accessible en France. Mais la cour d'appel de Paris est revenu sur cette solution, indiquant que la compétence des juridictions françaises n'est pas systématique, que l'accessibilité du site de langue anglaise dans l'hexagone est insuffisante, et qu'il convient de rechercher et de caractériser, dans chaque cas particulier, un lien suffisant, substantiel ou significatif, entre les faits ou actes et le dommage allégué.

En savoir plus : Compétence des juridictions françaises

La Cour de cassation a eu à trancher dans de nombreuses affaires la question de la compétence des juridictions françaises en matière de contrefaçon sur internet. Elle a admis, en se fondant sur les règles du droit international privé, la compétence du tribunal français en vue de la réparation de dommages causés par une contrefaçon de marque sur un site internet espagnol mais accessible en France (Civ. 1re, 9 décembre 2003[2]). Elle considère, dans cette affaire, que « la cour d'appel qui a constaté que ce site, fût-il passif, était accessible sur le territoire français, de sorte que le préjudice allégué du seul fait de cette diffusion n'était ni virtuel ni éventuel, a légalement justifié sa décision ».

À l'inverse, la cour d'appel de Paris a déclaré le tribunal de grande instance de Paris incompétent pour connaître de l'action en contrefaçon d'une marque par un site internet d'une société libanaise, alors que le site était accessible depuis la France, notamment parce que le site était rédigé en anglais et ne s'adressait donc pas, de manière directe ou indirecte, à l'internaute français (CA Paris, 26 avril 2006[3]).

Ce refus de systématiser la compétence des juridictions françaises en se fondant sur le critère de l'accessibilité du site a profité à Google, puisque la cour d'appel de Paris pose un nouveau critère à la compétence territoriale, à savoir la caractérisation d'un lien suffisant, substantiel ou significatif, entre ces faits ou actes et le dommage allégué (CA Paris, 6 juin 2007).

Dans deux ordonnances, le tribunal de grande instance de Paris a retenu la compétence du juge français en matière de contrefaçon de marque sur internet en se fondant sur le fait que les faits incriminés sont susceptibles d'avoir un impact économique sur le public français, « peu importe que ce site soit rédigé en espagnol et difficilement accessible par les moteurs de recherche depuis la France » (TGI Paris, ordonnances du 16 mai 2008[4]), confirmées par la Cour d'appel de paris (CA Paris, 19 décembre 2008[5])

Enfin, l'article 113-5 du Code pénal prévoit que « la loi pénale française est applicable à quiconque s'est rendu coupable sur le territoire de la République, comme complice, d'un crime ou d'un délit commis à l'étranger si le crime ou le délit est puni à la fois par la loi française et par la loi étrangère et s'il a été constaté par une décision définitive de la juridiction étrangère ». Cette disposition concerne les infractions de cybercriminalité commises à la fois sur le territoire français et à l'étranger.

2. Compétence rationae personae

En ce qui concerne les infractions commises hors le territoire de la République, il faut distinguer selon la qualification criminelle ou délictuelle des faits.

En matière criminelle d'abord, la loi pénale française est applicable à tout crime commis par un français hors du territoire de la République.

En matière délictuelle ensuite, la loi pénale française n'est applicable aux délits commis par les Français hors du territoire de la République que « si les faits sont punis par la législation du pays où ils ont été commis » (Art. 113-6, al. 2 du CP).

Si l'on se réfère non plus à la nature de l'infraction, mais à la victime, l'article 113-7 du Code pénal rend « la loi pénale française applicable à tout crime ainsi qu'à tout délit puni d'emprisonnement, commis par un Français ou par un étranger hors du territoire de la République lorsque la victime est de nationalité française au moment des faits ». Cette disposition serait susceptible de s'appliquer notamment aux victimes d'actes de pédophilie dont les images seraient diffusées sur internet. Cette compétence des juridictions françaises est renforcée par l'article 689 du Code de procédure pénale qui permet également aux juridictions françaises de juger les auteurs d'infractions commises hors du territoire de la République lorsqu'une convention internationale donne compétence aux juridictions françaises pour connaître de l'infraction. Dans les cas prévus par les articles 113-6 et 113-7 du Code pénal, la poursuite des délits ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public. Elle doit être précédée d'une plainte de la victime ou de ses ayants droit, ou d'une dénonciation officielle par l'autorité du pays où les faits ont été commis (Art. 113-8 du CP). Cependant, par dérogation aux dispositions de l'article 113-6, alinéa 2, du Code pénal, les infractions prévues par les articles 227-22, 227-23, 227-25 à 227-27 du même Code commises à l'étranger par un Français ou une personne résidant habituellement sur le territoire français, relèvent de la loi française sans qu'une double incrimination ne soit nécessaire et sans que le ministère public ait le monopole des poursuites. L'article 227-27-1 du Code pénal vise notamment ici, à simplifier la répression des délits de diffusion de contenus illicites sur internet (corruption de mineur, enregistrement ou transmission, en vue de sa diffusion, de l'image pornographique d'un mineur, atteintes sexuelles sur mineur).

  1. Date07/02/2007
    JuridictionCour de cassation
    Pourvoi06-87753
    TypeNationale
    Résumé

    Porte atteinte, notamment, au principe de la loyauté des preuves, la provocation à la commission d'une infraction par un agent public étranger, en l'espèce un service de police new-yorkais, réalisée par un site pédophile crée et exploité par ce dernier aux fins de découvrir tous internautes pédophiles, dès lors qu'un individu, inconnu des services de police français, a fait l'objet de poursuites en France du chef d'importation, détention et diffusion d'images pornographiques de mineurs après que les autorités américaines eussent informé les autorités françaises de ce que l'intéressé s'était connecté sur le site

    Mots clésÉquité, Officier de police judiciaire, Constatation des infractions, Provocation à la commission d'une infraction, Provocation réalisée à l'étranger par un agent public étranger, Compatibilité, PREUVE, Libre administration, Étendue, Limites, Atteinte au principe de la loyauté des preuves, Cas, Provocation à la commission d'une infraction par un agent public étranger, MINEUR, Mise en péril, Détention d'images ou de représentations de mineurs à caractère pornographique, Constatation, Pouvoirs, Agent public étranger, Portée, Atteinte au principe de la loyauté des preuves, Provocation à la commission d'une infraction
    PublicationBulletin criminel 2007 N° 37 p. 241
    Numéro d'affaire06-87753
    Textes Appliqués

    CONVENTION EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME - Article 6 § 1

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  2. Date09/12/2003
    JuridictionCour de cassation
    Pourvoi01-03225
    TypeNationale
    PublicationBulletin 2003 I N° 245 p. 195
    Numéro d'affaire01-03225
    Textes Appliqués

    1° :2° :Convention de Saint-Sébastien 1989-05-26 art. 5.3°Nouveau Code de procédure civile 87

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  3. Date26/04/2006
    JuridictionCour d'appel de Paris 4ème chambre
    TypeNationale
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  4. Date16/05/2008
    JuridictionTribunal de grande instance de Paris 3ème chambre, 2ème section Ordonnance du juge de la mise en état 16 mai 2008
    TypeNationale
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  5. Date19/12/2008
    JuridictionCour d'appel de Paris 4ème chambre
    TypeNationale
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