Les caractéristiques du droit moral
Important :
Les différentes prérogatives du droit moral sur l'œuvre n'ont pas de limite dans le temps et survivent à la mort de l'auteur de l'œuvre. Par contre, les héritiers de l'auteur ne peuvent pas les céder à un tiers.
Vu le schéma ci-dessous, le droit français semble consacrer une approche absolutiste en affirmant pour les deux droits moraux majeurs (droit au nom et droit au respect de l'œuvre) qu'ils sont « perpétuels, inaliénables et imprescriptibles »
(article L121-1 CPI).

Faut-il, pour autant, à la lecture de l'article L121-1 du CPI, conclure que l'exercice de ces droits moraux « absolus » par leurs titulaires (auteurs ou ayants-droits) est discrétionnaire, c'est-à-dire insusceptible d'abus.
: Jurisprudence
Un courant constant de la jurisprudence française semble confirmer cette interprétation absolue des caractères des droits moraux. C'est ainsi, bien qu'admise légalement dans son pays d'origine, la colorisation d'un film américain en noir et blanc, « Quand la ville dort » de John Huston, en vue d'une diffusion sur une chaîne de télévision française, sans l'autorisation du réalisateur, a été civilement condamnée au titre de l'atteinte à l'intégrité de l'œuvre (Civ. 1ère, 28 mai 1991, pourvoi n ° 89-19522, Bull civ. I, n° 172)[1].
Dans un cas d'espèce similaire (adaptation d'une chanson en vue de l'accompagnement musical d'un film publicitaire), bien que l'auteur est préalablement cédé les droits d'exploitation de son œuvre pour ce type d'utilisation secondaire, et sans même exigé de la part des auteurs une quelconque démonstration matérielle de l'atteinte à leur droit moral, la Cour de cassation a tout de même conclu à une violation de l'article L121-1 du CPI, en affirmant que « toute modification, quelle qu'en soit l'importance, apportée à une œuvre de l'esprit, porte atteinte au droit de son auteur au respect de celle-ci »
(Civ. 1ère, 5 décembre 2006, pourvoi n° 05-11789)[2].
Rappel :
Ceci dit, rappelons que ce courant jurisprudentiel se focalise uniquement sur des cas d'espèce relatifs à l'industrie culturelle (production cinématographique ou musicale...) et que, malgré tout, la sécurité juridique nous invite à adopter une interprétation relativiste des droits moraux.
Autrement dit, dans un contexte globalisé tel que celui des TIC[3], il semble sage d'appliquer l'article L121-1 du CPI en le mettant nécessairement en perspective avec l'article 6b de la convention de Berne, qui consacre au niveau international, la notion de droits moraux sur l'œuvre.
Aux termes de l'article 6b, les droits moraux permettent à l'auteur de « revendiquer la paternité de son œuvre »
et « de s'opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de son œuvre »
dans la mesure où l'auteur ou ses ayants-droits motive et justifie l'atteinte « préjudiciable à son honneur ou sa réputation »
.
Important :
L'avantage de la convention de Berne est de mieux encadrer les modalités d'exercice des droits moraux et de prévenir, par l'admission de l'abus de droit, toute tentative soit d'usage à des fins vexatoires soit de détournement d'objet ou de finalité.
Dans un contexte professionnel, les enjeux de la confiance et de la sécurité juridique sont capitaux. C'est pourquoi il est important d'user des droits moraux de manière raisonnable en permettant au juriste-créateur de défendre efficacement ses prérogatives morales sur ses contenus protégés, tout en condamnant l'exercice abusif de ces mêmes droits à des fins vexatoires ou mercantiles.
Remarque :
Comme le fait remarquer André Bertrand, l'usage des droits moraux doit être « plus strictement contrôlé dès lors qu'ils interférèrent avec l'exercice légitime des droits patrimoniaux de tiers et notamment avec le domaine public »
, l'abus de droit devant sanctionner l'auteur ou ses ayants-droit qui les exercent comme « un droit patrimonial bis »
(BERTRAND, 2010, p. 221).
Attention :
Pour conclure sur les droits moraux, l'approche relativiste semble la plus adaptée pour protéger efficacement les contenus numériques créés par les professionnels du droit et protégées par le droit d'auteur, d'autant plus que cette approche est partagée par une majorité d'états, notamment européens, signataires de la convention de Berne.
