La question de la titularité des droits
Conscient de l'étendue et de la variété des droits d'auteurs, le praticien du droit, auteur de contenus protégés doit régler la question de la titularité pour concrètement exercer ses prérogatives morales et patrimoniales sans méconnaître le droit des tiers. Autrement dit, il doit déterminer si son processus de création relève de la catégorie des œuvres simples ou des œuvres plurales, car, selon ces différents types de processus de création, la loi prévoit des modalités d'exercice des droits différentes. Détaillons donc la typologie légale des œuvres et son impact pratique sur la gestion par le ou les auteur(s).
1. Le cas de l'œuvre simple
Pour l'auteur qui crée seul un contenu, le code de la propriété intellectuelle n'édicte aucune règle particulière. Seul s'applique le principe de la présomption simple de paternité énoncé par l'article L113-1 du CPI : « La qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée »
.
Celui qui appose son nom sur l'œuvre ou qui mentionne son nom dans les métadonnées du fichier numérique de l'œuvre et qui par la suite est le premier à diffuser ou à communiquer au public le contenu numérique est considéré légalement comme l'auteur. A ce titre, il exerce seul les droits d'auteur sur son œuvre, libre à lui, dans le temps de céder en tout ou partie ses prérogatives patrimoniales.
Aucun dépôt n'est donc requis, mais la présomption simple de paternité est susceptible d'être renversée par la preuve contraire. Et cette preuve est libre. La contestation de paternité relève de la compétence des juges du fond qui peuvent être saisis sans ce soit opposé une quelconque prescription extinctive, en vertu du caractère perpétuel et imprescriptible du droit de paternité.
: Jurisprudence
A l'issue du procès, le juge du fond a le pouvoir de requalifier l'œuvre simple en œuvre de collaboration ou collective et reconnaître ainsi un processus collectif de création, en écartant même des dispositions contractuelles librement acceptées par les parties (CA, Paris, 4ème Ch., 12 décembre 1989, Cah. dr. Auteur 1990, n° 25, p. 15).
Ceci dit, sans même aller jusqu'au procès, il est aussi possible qu'un professionnel du droit débute seul la création d'un contenu et que pour sa mise à jour ou pour la réalisation d'une nouvelle version, il s'adjoigne, dans un contexte professionnel, le concours d'un coauteur et d'un assistant. L'œuvre initialement simple peut ainsi dans le temps devenir une œuvre de collaboration ou collective. L'inverse peut aussi être envisagé.
2. Le cas de l'œuvre plurale
Si la création du contenu protégé est l'œuvre de plusieurs personnes, l'article L113-2 du CPI prévoit 3 cas de figure :
a. L'œuvre de collaboration
b. L'œuvre collective
c. L'œuvre seconde ou composite
a. L'œuvre de collaboration
Selon l'article L113-2, alinéa 1 du CPI, « est dite de collaboration l'œuvre à la création de laquelle ont concouru plusieurs personnes physiques »
. Il s'agit donc d'un processus de création horizontal où, en vertu de l'article L113-3 du CPI, « « les coauteurs doivent exercer leurs droits d'un commun accord »
» suivant les principes de l'indivision et de l'unanimité. De ce fait, « « l'œuvre de collaboration est la propriété commune des coauteurs »
» et en cas de litige, le recours au juge civil s'impose.
En d'autres termes, l'exercice des prérogatives tant patrimoniales que morales sur l'œuvre de collaboration exige un accord unanime et permanent entre les co-auteurs, pouvant le cas échéant conduire l'un des co-auteurs à céder contractuellement ses prérogatives patrimoniales à l'autre co-auteur et finalement mettre fin au processus collectif de création...
Bien que cela ne concerne qu'à la marge le thème de notre module de formation, il faut savoir que la loi admet « lorsque la participation de chacun des coauteurs relève de genres différents, (que) chacun peut, sauf convention contraire, exploiter séparément sa contribution personnelle, sans toutefois porter préjudice à l'exploitation de l'œuvre commune »
.
Exemple :
Cette situation peut se présenter si, par exemple, un professionnel du droit et un infographiste créent, en commun, une ressource numérique multimédia.
b. L'œuvre collective
Selon l'article L113-2, alinéa 3 du CPI, « est dite collective l'œuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé. »
. Il s'agit donc d'un processus de création vertical où, en vertu de l'article L113-5 du CPI « L'œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée »
.
Concrètement, un contenu numérique sera donc qualifié d'œuvre collective seulement si son processus de création réunit ces trois conditions suivantes :
- la création du contenu est à l'initiative d'une personne physique ou morale qui coordonne l'élaboration collective de l'œuvre ;
- les contributions individuelles des participants se fondent dans l'ensemble en vue duquel elles sont réalisées ;
- enfin, le contenu est diffusé ou divulgué sous le nom de l'initiateur.
: Jurisprudence
Ainsi, à l'exemple de l'élaboration d'un site internet (CA Versailles, 25 mars 2004[1][2]), la qualification d'œuvre collective sera retenue, du fait que la société est la personne morale à l'initiative du processus collectif du site, même s'il n'avait aucune concertation entre les contributeurs. Et comme le confirme la Cour de cassation, les personnes morales, en l'occurrence concernant ce module, l'ensemble des professionnels du droit constitués en sociétés civiles ou commerciales, reconnues « à l'initiative d'une œuvre collective »
sont « investie des droits de l'auteur sur cette œuvre et, notamment, des prérogatives du droit moral »
. (Civ. 1ère, 22 mars 2012, pourvoi n° 11-10132[3]).
c. L'œuvre seconde ou composite, sous ensemble de l'œuvre dérivée
Selon l'article L113-2, alinéa 2 du CPI, « est dite composite l'œuvre nouvelle à laquelle est incorporée une œuvre préexistante sans la collaboration de l'auteur de cette dernière »
. Il s'agit donc d'un processus de création discontinu dans le temps où, en vertu de l'article L113-4 du CPI, « l'œuvre composite est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée, sous réserve des droits de l'auteur de l'œuvre préexistante »
. Stricto sensu, la qualification d'œuvre composite ne devrait donc être retenue que dans les situations où l'auteur de l'œuvre seconde intègre sans modification ou arrangement et dans sa totalité l'œuvre préexistante ou première. Il en est ainsi, lorsque le professionnel du droit, auteur d'un contenu protégé intègre, dans son œuvre seconde, une photographie, une carte, voire même l'article de doctrine d'un confrère reproduit in extenso.
: Jurisprudence
Ceci dit, la jurisprudence adopte quelquefois des positions moins strictes en admettant la qualification d'œuvre composite pour le cas de l'œuvre remaniée pour une nouvelle édition sans la collaboration de l'auteur de l'édition initiale (Civ. 1ère, 24 octobre 1995, pourvoi n°93-16850[4]).
En effet, souvent la notion d'œuvre composite est confondue avec la notion d'œuvre dérivée issue de l'article 2 de la Convention de Berne, alors que l'œuvre composite n'est qu'un sous-ensemble particulier de la catégorie « œuvre dérivée ». Plus précisément, l'œuvre dérivée ou de seconde main se caractérise par son processus de création incorporant une œuvre première totalement ou partiellement. Si l'intégration est totale et fidèle à l'œuvre initiale, l'œuvre dérivée peut être qualifiée d'œuvre composite. Mais, la notion d'œuvres dérivées comprend également d'autres cas d'intégration partielle ou « transformatrice ». Sont aussi qualifiés d'œuvres dérivés, les contenus créés suite à un travail intellectuel de traduction, de synthèse (abrégés et résumés), d'adaptation, d'arrangement ou de compilation (anthologies, recueils ou bases de données), à partir d'une ou plusieurs œuvres préexistantes. Ce type d'œuvres dérivées est visé par l'article L112-3 du CPI qui reconnaît à leurs auteurs la jouissance « de la protection instituée par le présent code (CPI) sans préjudice des droits de l'auteur de l'œuvre originale »
.
En pratique, par l'utilisation aisée des fonctionnalités logicielles du copier/coller, le professionnel du droit, auteur de contenus protégés, est donc plus souvent créateur de contenus qui peuvent qualifiés d'œuvres dérivées que d'œuvres composite.
Attention :
Pour conclure, sur cette confusion de qualification, ses conséquences pratiques sont mineures, car dans les deux cas, le droit exige l'autorisation préalable du titulaire des droits de l'œuvre préexistante pour son incorporation ou sa transformation. Et concernant l'œuvre première tombée dans le domaine public, l'autorisation préalable est toujours requise, dans la mesure où il y a atteinte du droit à l'intégrité de l'œuvre.
3. Le cas de l'œuvre créée par un salarié
Si le professionnel du droit crée le contenu numérique dans le cadre d'un contrat de travail de droit privé, le lien de subordination qui le lie à son employeur contrarie, en pratique, l'exercice normal de ses prérogatives tant patrimoniales que morales.
L'article L111-1 du CPI en son alinéa 3 édicte comme principe que « l'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de service par l'auteur d'une œuvre de l'esprit n'emporte pas dérogation à la jouissance du droit reconnu par le premier alinéa (droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous), sous réserve des exceptions prévues par le présent code »
.
Malgré l'énoncé clair de l‘article L111-1 du CPI, la difficulté spécifique au statut des créations salariées persiste, surtout depuis l'intégration des TIC[5] qui a entrainé une multiplication de situations de création de contenus protégés dans le contexte professionnel (explosion de la littérature grise, plus grande diffusion des contenus sur les réseaux, valorisation des contenus par la commercialisation via des banques de données payantes, etc.).
La seule exception légale qui prend en compte la spécificité de la création salariée concerne le logiciel. Selon l'article L113-9 du CPI, « sauf dispositions statutaires ou stipulations contraires, les droits patrimoniaux sur les logiciels et leur documentation créés par un ou plusieurs employés dans l'exercice de leurs fonctions ou d'après les instructions de leur employeur sont dévolus à l'employeur qui est seul habilité à les exercer »
.
Pour les autres genres d'œuvres, il faut malheureusement s'en remettre à une jurisprudence insusceptible de garantir la prévisibilité et la sécurité juridique nécessaire en la matière. Les positions jurisprudentielles contradictoires dans le temps ont finalement abouti à des divergences doctrinales et à des pratiques contractuelles qui s'avèrent parfois contra legem (voir sur ce point la synthèse dans le Lamy Droit des médias et de la communication 2012, étude n°118-14).
Conscient du problème posé par la création salariée, les trois ministères de la culture, de la justice et de l'industrie commandèrent, en octobre 1999, un rapport « sur les conditions de dévolution des droits de propriété intellectuelle dans un cadre contractuelle, telles qu'elles résultent du code de la propriété intellectuelle, ce qui englobe la notion d'œuvre collective et sur le statut de la création salariée »
. Malheureusement, les recommandations préconisées par MM. Gaudrat et Massé, auteurs du rapport, ne furent suivies d'aucune réforme législative sur le sujet.
Compte tenu du contexte actuel, la raison exige, tout de même, de respecter ces quelques principes pour éviter la censure des juges et l'incertitude quant à la dévolution des droits sur les contenus créées dans un contexte professionnel.
: Jurisprudence
Une jurisprudence, aujourd'hui dominante, réfute que le seul fait de l'existence d'un contrat de travail liant un salarié/auteur puisse avoir pour effet le transfert automatique ou la cession tacite et implicite des droits patrimoniaux de ses œuvres au profit de l'employeur. Depuis ces vingt dernières années, faute d'évolution législative, la Cour de cassation se contente donc d'appliquer strictement les dispositions des articles L111-1 et L131-3 du CPI. C'est ainsi que dans un arrêt de principe (jurisprudence Nortène) en date du 16 décembre 1992, la première chambre civile de la Cour de cassation affirme que « l'existence d'un contrat de travail conclu par l'auteur d'une œuvre de l'esprit n'emporte aucune dérogation à la jouissance de ses droits de propriété incorporelle, dont la transmission est subordonnée à la condition que le domaine d'exploitation des droits cédés, soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée »
(Civ. 1ère , 16 décembre 1992, pourvoi n° 91-11480[6]). Cette position a été, par la suite, confirmée par des arrêts plus récents (CA Paris, 18 février 2000, RIDA n°186, octobre 2000, p.292 ; CA Paris 29 septembre 2004, Prop. Intell., n°17, octobre 2005, p.450 ; Com. 28 avril 2004, pourvoi n° 02-14220, Juris-Data n°023567[2]).
Les métiers du droit doivent donc prendre acte de la position jurisprudentielle en faveur uniquement de la cession expresse des droits patrimoniaux de la création salariée. Afin de garantir un minimum de prévisibilité quant à la dévolution des droits patrimoniaux, les employeurs doivent mettre en place un dispositif contractuel conforme à l'interprétation stricte de la Cour de cassation. Ce dispositif sera flexible pour s'adapter à la variété des situations possibles.
Tout d'abord, des clauses spécifiques doivent être intégrées au contrat de travail pour encadrer les prérogatives morales. Ainsi, le droit au nom et à la paternité doit être garanti de manière absolue au bénéfice du salarié créateur. Par contre, le droit de divulgation et le droit à l'intégrité de l'œuvre sont certes reconnu au bénéfice du salarié, mais l'employeur peut utilement rappeler dans le contrat de travail, les contraintes techniques et matérielles inhérentes au poste occupé par le salarié comme limites objectives de l'exercice de ces droits moraux sur les contenus dont l'élaboration relève de l'activité normale du salarié.
Exemple :
Le responsable du service juridique d'une société tenu, contractuellement, de mettre en ligne une newsletter interne sur l'actualité du droit social.
Concernant la cession contractuelle des droits patrimoniaux au bénéfice de l'employeur, l'enjeu des clauses spécifiques insérées dans le contrat de travail est de définir, avec la plus grande précision possible, les différentes situations pratiques de création salariée et leurs régimes spécifiques.
Le premier cas de création salarié est celui où le professionnel du droit, dans un contexte professionnel, participe à l'élaboration d'un contenu numérique, sous les instructions de l'employeur. Dans ce cas, le contrat de travail doit rappeler qu'un tel processus de création relève de l'œuvre collective, qui légalement dévolue l'ensemble des droits de l'œuvre finale à l'employeur.
Exemple :
La rédaction par le professionnel du droit d'une rubrique du site web institutionnel de l'entreprise.
Le second cas de création salarié est celui où le professionnel du droit produit des contenus numériques relevant de la littérature grise. Dans ce cas, l'employeur n'envisage aucune exploitation commerciale du contenu et souhaite juste que le contenu puisse être diffusé efficacement au sein du système d'information de l'entreprise. C'est pourquoi, une clause du contrat de travail rappellera que la production de cette littérature grise relève de l'activité normale du salarié, et que celui-ci ne pourrait faire obstacle à sa diffusion interne au sein du système d'information sans remettre en cause son engagement contractuel vis-à-vis de son employeur.
Enfin, le troisième cas de création salarié est celui où le professionnel du droit produit des contenus numériques relavant de la littérature blanche. Dans ce cas, l'employeur est susceptible d'envisager une exploitation commerciale du contenu. Le contrat de travail doit donc, pour ce type de contenu, rappeler l'exigence de cession expresse et inviter le salarié à conclure avec son employeur, pour chaque contenu exploité, un contrat d'édition ou de représentation conforme au formalisme de l'article L 131-2 du CPI.
Remarque :
Pour illustrer les pratiques contractuelles procédant de cet enjeu du transfert des droits des créations salariées, dans la troisième partie du module, des modèles de clauses seront proposées.
Le régime dérogatoire des fonctionnaires et des salariés
Selon l'article L111-1 du CPI alinéa 3 modifié par la loi n° 2006-961 du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, « la titularité des droits reste au bénéfice de l'agent public sous certaines conditions »
. Ceci dit, cette titularité reste, en grande partie, virtuelle, dans la mesure où l'article L131-3-1 du CPI prévoit que « dans la mesure strictement nécessaire à l'accomplissement d'une mission de service public, le droit d'exploitation d'une œuvre créée par un agent de l'Etat dans l'exercice de ses fonctions ou d'après les instructions reçues est, dès la création, cédé de plein droit à l'Etat »
. En d'autres termes, comme le synthétise le schéma ci-dessous, la loi du 1er août 2006 octroie au service public, à savoir l'administration d'état, les collectivités territoriales, les EPA[7], les AAI[8] et la Banque de France, une cession légale des droits patrimoniaux. Ce régime exorbitant ne s'impose qu'aux fonctionnaires, dans l'exercice de leurs fonctions qui doit relever de la mission de service public de leur établissement ou de leur service de rattachement.

S'il est envisagé une exploitation commerciale de la création d'un fonctionnaire, son administration bénéficie alors d'un droit de préférence. Concrètement, cela signifie par exemple que pour publier un rapport élaboré par un fonctionnaire du ministère de la justice, avant de proposer la publication à une maison d'édition privée, le fonctionnaire-auteur doit le proposer à la documentation française.
De plus, pour permettre à l'administration d'exercer pleinement les droits patrimoniaux sur l'œuvre de son agent, l'article L121-7-1 du CPI suspend l'exercice du droit de divulgation et de retrait du fonctionnaire en ces termes :
« L'agent ne peut : »
« 1° S'opposer à la modification de l'œuvre décidée dans l'intérêt du service par l'autorité investie du pouvoir hiérarchique, lorsque cette modification ne porte pas atteinte à son honneur ou à sa réputation ; »
« 2° Exercer son droit de repentir et de retrait, sauf accord de l'autorité investie du pouvoir hiérarchique »
.

Par contre, le droit au nom et à la paternité au bénéfice de l'agent/auteur doit, en toute circonstance être respectés tant par l'administration que par les tiers.