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Droit constitutionnel 1 : Théorie générale de l’Etat - Histoire constitutionnelle de la France

La démocratie parlementaire sous la IIIème République

Les dates marquant le début et la fin de ce régime sont parfois l'objet de discussions, de nature autant politique que constitutionnelle : faut-il prendre en compte 1870 ou 1875 pour l'acte de naissance, ou même une date intermédiaire et, pour l'acte de décès, faut-il considérer 1940 ou 1946 ? En tout état de cause, pour retracer les événements, il est nécessaire de partir de 1870 et de respecter la chronologie.






Les dates marquant le début et la fin de ce régime sont parfois l'objet de discussions, de nature autant politique que constitutionnelle : faut-il prendre en compte 1870 ou 1875 pour l'acte de naissance, ou même une date intermédiaire et, pour l'acte de décès, faut-il considérer 1940 ou 1946 ? En tout état de cause, pour retracer les événements, il est nécessaire de partir de 1870 et de respecter la chronologie.

Section 1. La difficile installation de la IIIème République


L'installation de la IIIème République est un exemple intéressant de naissance de régime politique et constitutionnel, période au cours de laquelle s'affrontent notamment la République et la monarchie et où se dessinent les traits principaux du futur régime et des régimes suivants. Ces cinq années ont également été riches en événements de toute nature comme la guerre avec la Prusse et ses conséquences, dont la Commune de Paris.

La Constitution de 1875 se présente sous la forme particulière de trois lois constitutionnelles qui témoignent précisément de la période d'incertitude et illustrent les faiblesses d'un texte constitutionnel qui est bref et technique.

Cette « Constitution » va connaître une application coutumière particulière différente du texte, à la suite de différents phénomènes politiques et de l'installation politique, et pas seulement juridique, de la IIIème République. Ces événements vont se produire peu après l'entrée en vigueur de la Constitution qui va pourtant connaître la plus longue durée d'application en France, jusqu'à présent tout au moins. Elle va avoir une durée de vie de soixante-cinq ans, alors que la France avait connu de nombreuses Constitutions entre 1789 et 1870.


La défaite militaire du Second Empire à Sedan, le 2 septembre 1870, marque la naissance du régime, puisque Napoléon III capitule. Dès le 4 septembre, un gouvernement provisoire se constitue autour de députés parisiens, contre le régime qu'essaie d'instaurer l'impératrice Eugénie. Ce gouvernement provisoire, présidé par le Général Trochu et qui comprend Gambetta et les trois « Jules », Ferry, Simon et Favre, proclame la République au balcon de l'Hôtel de Ville de Paris, comme en 1848 : c'est un gouvernement de défense nationale, censé faire la guerre à l'Allemagne, et un gouvernement de fait qui s'est autoproclamé. Mais ce gouvernement ne pouvait signer la paix avec l'ennemi, ni donner une nouvelle Constitution, faute d'une légitimité nécessaire. Le chancelier allemand Bismarck ne voulait signer qu'avec des interlocuteurs réguliers et les hommes du 4 septembre ne lui inspiraient pas confiance.

Il fallait donc organiser des élections pour élire une Assemblée Constituante. Ces élections, du fait des revers militaires, ne purent avoir lieu qu'après l'armistice du 28 janvier 1871, le 8 février 1871. L'Assemblée nationale se réunit à Bordeaux, puis à Versailles à partir du 20 mars 1871.

Elle avait été élue sur la base de la question de la continuation de la guerre ou de la paix. Les Français se prononcèrent pour la paix et donc pour la monarchie, sous l'influence de la France de province, parce que les monarchistes étaient favorables à la paix alors que les républicains étaient bellicistes. Elle compte 400 monarchistes sur plus de 650 membres.

La situation politique est paradoxale : la République est proclamée mais l'Assemblée est dominée par des monarchistes, eux-mêmes divisés entre légitimistes et orléanistes, c'est-à-dire partisans de deux branches de la même famille des Bourbons, mais opposées quant à la conception de la future monarchie souhaitée.

Les Républicains, eux-mêmes divisés entre une gauche modérée et une gauche radicale, refusaient quant à eux que l'Assemblée soit constituante, car l'Assemblée était majoritairement monarchiste. L'Assemblée se consacre essentiellement à la paix et signe le traité de Francfort du 10 mai 1871, qui entraîne notamment la perte de l'Alsace-Moselle.

Adolphe Thiers photographié par Nadar. Domaine public

Dès le 17 février 1871, l'Assemblée avait nommé Adolphe Thiers chef du pouvoir exécutif, chargé de gouverner sous l'autorité de l'Assemblée, mais avec des ministres qu'il choisit et qu'il dirige sur la base d'une "résolution" adoptée par l'Assemblée. Bien que républicain, Thiers bénéficie d'un grand prestige politique, ce qui explique son choix en tant que « chef de l'Exécutif de la République française », ce qui évitait ainsi à un monarque d'endosser la responsabilité d'une paix humiliante.

C'est à cette époque que se situe le phénomène politique et militaire de la Commune de Paris, à partir du 18 mars 1871 jusqu'au 28 mai 1871, mouvement insurrectionnel, social, politique, et militaire.

Craignant Thiers et voulant sauvegarder les chances de la monarchie, l'Assemblée fit voter trois lois « matériellement » constitutionnelles provisoires, puis fit adopter les trois lois constitutionnelles définitives. Les trois premières seront riches de conséquences sur les trois secondes.

Il y en a eu quatre, dont l'une est restée de droit positif, au moins en théorie.


Elle avait pour objet de diminuer l'influence de Thiers sur l'Assemblée, car son éloquence exerçait une forte influence sur elle.

Le titre de Président de la République lui est conféré en guise de récompense car la paix est faite avec l'Allemagne et la Commune est réprimée, mais ce titre est sans conséquence sur l'évolution du régime. La loi décide que « Le chef de l'Exécutif prendra le titre de Président de la République », mais ses pouvoirs prendront fin en même temps que ceux de l'Assemblée.

déclare les ministres également responsables devant l'Assemblée, ce qui fait évoluer le régime vers un régime de type parlementaire avec un « gouvernement » responsable et un chef de l'Etat dont on souhaitait un rôle moins direct.


Il s'agit d'un texte qui est encore de droit positif, car il n'a pas été abrogé.organise la suppléance de l'Assemblée nationale, ou de celles qui lui succéderont, par une assemblée des délégués des conseils généraux, au cas où elle serait illégalement dissoute ou empêchée de se réunir. Cette loi organise l'avenir en cas de coup de force, toujours craint, de la part de Thiers.


cherche à obtenir ce que la loi Rivet n'a pu réussir, c'est-à-dire diminuer l'ascendance de Thiers sur l'Assemblée.

Elle met en place un système compliqué de communication entre le chef de l'Exécutif et l'Assemblée, qualifié de « cérémonial chinois » par Thiers, et destiné par des mécanismes procéduraux à empêcher l'influence concrète et personnelle de Thiers.

Le Président ne peut plus communiquer avec l'Assemblée que par ses ministres soit,
  • dans un sens, par des messages lus par eux, soit,
  • dans l'autre, par des interpellations adressées par les députés.

Thiers ne peut prendre la parole devant l'Assemblée que dans trois hypothèses organisées et aucun débat ne peut avoir lieu après ces messages.

Interpellé le 24 mai 1873 par le duc de Broglie, il est mis en minorité et il démissionne. Il est remplacé par le Maréchal de Mac Mahon dès le soir même. Le changement d'homme est capital alors que les textes ne sont pas modifiés. Ce dernier n'est pas un orateur, ni député mais il est partisan du comte de Chambord, c'est-à-dire légitimiste. Les différentes élections partielles depuis 1871 avaient vu la victoire des républicains et les monarchistes souhaitaient restaurer la monarchie au plus vite. Mais la "querelle du drapeau" va empêcher celle-ci.
Le maréchal de Mac Mahon dans les années 1870. Domaine public


Les monarchistes étaient partagés entre
  • les partisans du Comte de Chambord, petit-fils de Charles X et favorable au retour à l'ordre ancien et au drapeau à fleur de lys,
  • et ceux du comte de Paris, petit-fils de Louis Philippe, et orléaniste, puisque issu de la branche cadette de la famille des Bourbons, et partisan du drapeau tricolore, c'est-à-dire d'une certaine monarchie constitutionnelle proche de la Monarchie de Juillet.

Il fallait organiser le provisoire en attendant que ces deux prétendants s'entendent ou
  • que le comte de Chambord meure sans enfant, ou,
  • comme il est dit lors des débats de la loi sur le septennat, en attendant "que la Providence veuille bien fermer les yeux de M. le Comte de Chambord, à défaut d'avoir pu les lui ouvrir à temps".

Le Comte de Chambord n'acceptait pas en effet de recevoir la couronne d'une Assemblée, ni une Constitution rédigée par elle, ce qui explique le refus du drapeau tricolore, symbole d'un régime qu'il refusait. Il fallait donc attendre qu'il meure...

organise ce provisoire en prévoyant une présidence personnelle, une sorte de régence, au profit du maréchal de Mac Mahon en disposant que « Le pouvoir exécutif est confié pour sept ans au maréchal de Mac Mahon », consacrant ainsi le septennat.

La situation est gelée en attendant que la monarchie ou la République triomphe. La République, conçue comme provisoire par l'Assemblée monarchiste, pouvait être transformée facilement en monarchie, car le pouvoir était confié « intuitu personae » et non pas de façon institutionnelle.

Ce chef du pouvoir exécutif n'était pas responsable devant l'Assemblée et celle-ci ne pouvait le révoquer, et il gouvernait par l'intermédiaire de ministres responsables devant elle : le régime parlementaire était prêt, ce que les lois constitutionnelles de 1875 n'ont eu qu'à consacrer.

La loi du 20 novembre 1873 avait aussi décidé la nomination d'une commission de trente membres pour rédiger les lois constitutionnelles, appelée précisément « Commission des Trente ». Les débats se sont éternisés et l'Assemblée s'est lassée. Le 30 janvier 1875, un amendement fut déposé par Henri Wallon qui transformait le septennat personnel du maréchal en septennat impersonnel et ainsi rédigé : « Le Président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée Nationale. Il est nommé pour 7 ans ».

Cet amendement fut adopté à une voix de majorité par 353 voix contre 352, après que Henri Wallon eut déclaré « Si la République ne convient pas à la France, la plus sûre manière d'en finir avec elle, c'est de la faire » ! Cet amendement est sans conteste le plus célèbre de l'histoire républicaine.

Cet amendement a été voté grâce à la conjonction des centres, par un accord tacite des membres de l'Assemblée sur le caractère provisoire des textes adoptés : le centre droit a accepté le principe de la République en échange de la possibilité de réviser la Constitution dans un sens monarchique, tandis que le centre gauche se satisfaisait de la victoire de la République. La seconde lecture du texte donna une majorité d'ailleurs bien plus large à l'amendement.

L'ensemble du texte dans lequel s'insérait cet amendement fut voté le 25 févier 1875.

En réalité, il y eut trois lois constitutionnelles qui fondent la IIIème République, la dernière loi étant postérieure à février car il fallut aménager ensuite les rapports entre les pouvoirs publics qui avaient été définis en février.
  • Il s'agit de larelative à l'organisation des pouvoirs publics, qui est la première loi constitutionnelle.
  • La, relative à l'organisation du Sénat, est la seconde. L'antériorité s'explique par la décision de l'Assemblée de subordonner l'acceptation de la République à l'institution d'une seconde chambre conservatrice, ce qui était la condition mise par les monarchistes à l'acceptation de la République. La loi sur le Sénat fut donc votée avant celle relative aux pouvoirs publics mais fut promulguée après elle. Ces lois sont toujours présentées dans cet ordre, malgré la chronologie des dates.
  • Lasur les rapports entre les pouvoirs publics constitue la troisième loi constitutionnelle.

Par la suite, l'Assemblée vota la loi organique du 2 août 1875 sur l'élection des sénateurs et la loi organique du 30 novembre 1875 sur l'élection des députés. Le caractère organique de ces lois souligne leur importance, mais ce sont des lois ordinaires quant à leur valeur juridique.

Trois lois constitutionnelles, modestes par leur taille et leur objet, sans Déclaration, ni Préambule, fondent donc la IIIème République pour soixante-cinq ans. Elles comprenaient 34 articles à l'origine mais, au terme des révisions, il ne restait plus que 25 articles applicables en 1940, limités au strict minimum indispensable. C'est la première fois en France qu'un texte constitutionnel est aussi laconique et aussi peu solennel : ces caractéristiques vont avoir des conséquences juridiques insoupçonnées en 1875.

Section 2. Le régime constitutionnel instauré par les lois constitutionnelles de 1875

Le régime né des lois constitutionnelles instaurait un parlementarisme dualiste. Si ces lois n'ont connu que peu de révisions, le régime a subi une évolution coutumière qui l'a profondément transformé en une forme de régime parlementaire déséquilibré donnant l'essentiel des pouvoirs au Parlement


Ces lois mettent en place un régime parlementaire dualiste, susceptible de fonctionner aussi bien dans le cadre d'une République que sous une monarchie modérée, du fait du compromis originel entre les forces politiques.

Ces lois n'ont subi qu'un très faible nombre de révisions, dont l'une a consacré symboliquement l'installation de la République.

Les lois de 1875 ne constituent pas un ensemble de textes organisés de manière cohérente et dogmatique. Le silence des lois constitutionnelles contribua à leur longévité car la pratique a pu les appliquer au gré des circonstances.

Ces lois appliquent l'essentiel des principes du régime parlementaire mais elles confient des pouvoirs très importants au Président de la République, car certains avaient imaginé qu'un roi aurait pu succéder à ce Président.


Il est élu par les deux chambres réunies en Assemblée nationale à la majorité absolue, à la différence de ce qui était prévu en 1848. Un élu au suffrage universel a en effet tendance, croyait-on, à détruire le régime républicain. Le vote se fait au scrutin secret, ce qui évite les pressions de l'Assemblée, et interdit la discipline des partis.

Il est rééligible sans limite, mais seuls deux Présidents de la République seront élus deux fois, le premier et le dernier de la IIIème République, Jules Grévy et Albert Lebrun.
Jules Grévy dans les années 1870. Domaine public
Portrait officiel d’Albert Lebrun (1932). Domaine public


Il est irresponsable, sauf crime de « haute trahison », ce qui est un élément du régime parlementaire. De ce fait, chacun de ses actes doit être contresigné par un ministre.

Mais il dispose de pouvoirs importants, toujours à cause de cette idée d'une transformation éventuelle de la République en monarchie et du précédent des Chartes : on avait ainsi une monarchie constitutionnelle sans roi.

Ces pouvoirs sont énumérés aux articles 3 et 5 de la loi du 25 février 1875 et aux articles 2, 6, 7 et 8 de la loi du 16 juillet 1875.

A ce titre, il possède le droit
  • de convoquer les chambres,
  • d'adresser des messages,
  • de dissoudre la chambre des députés.
  • Il a également l'initiative des lois.

Il dispose du pouvoir réglementaire et de celui d'exiger une nouvelle délibération de la loi.

Commandant de la force armée, il a le pouvoir de négociation et de ratification des traités, et il a la faculté d'utiliser le droit de grâce.

Il nomme et il révoque les ministres, apparemment sans contrainte.

Leur réunion forme le « Cabinet », qui constitue l'élément plus instable du pouvoir exécutif. Rien n'empêche dans la Constitution qu'ils ne soient que les collaborateurs directs du Président. La réalité sera autre.

Le « Cabinet » n'est pas prévu par la Constitution et le mot n'existe pas. Mais l'article 6 de la loi du 25 février 1875 prévoit que « les ministres sont solidairement responsables devant les Chambres de la politique générale du gouvernement, et individuellement de leurs actes personnels ». L'élément essentiel de définition du régime parlementaire est prévu, avec la solidarité associée à la responsabilité.

Le choix du chef du gouvernement sera, après 1879, le seul acte politique du Président de la République. Le chef du gouvernement soumettra à la signature du Président de la République la nomination des autres membres du gouvernement. Quant à la révocation, elle n'a pratiquement jamais été utilisée, puisque les ministres démissionnent lorsqu'ils sont mis en minorité.

La fonction du Président du Conseil n'est cependant pas prévue par la Constitution, mais le principe d'un chef du gouvernement existait depuis la Restauration. Le Président du Conseil est une nécessité dans un régime parlementaire afin d'assurer la direction des affaires publiques tant en matière politique que pour l'administration, mais aussi pour représenter le gouvernement devant l'opinion et le Parlement.

Le Conseil des ministres est prévu, incidemment, dans la Constitution, à propos de la nomination des Conseillers d'Etat (art 4 de la loi du 25 février 1875), et il est présidé par le Président de la République, le chef du gouvernement ne présidant que les Conseils de Cabinet, en dehors de la présence du Président de la République. En cela, le droit et la pratique français se distinguent radicalement de la situation prévalant en Grande-Bretagne.

L'Assemblée nationale est, sous la IIIème République, la réunion de la Chambre des députés et du Sénat
.

Le bicaméralisme était, en 1875, la condition du ralliement des monarchistes car le Sénat représentait l'élément stabilisateur et conservateur du régime qu'ils souhaitaient. C'est un bicaméralisme presque égalitaire.


Elle est élue au suffrage universel direct masculin, qui est acquis depuis 1848, mais les militaires en activité sont privés du droit de vote.

Elue pour 4 ans, la Chambre des députés est renouvelée intégralement dans les 617 circonscriptions que compte la France à la fin de la IIIème République. Les députés sont élus au scrutin uninominal d'arrondissement.

La Chambre des députés possède deux missions essentielles :
  • elle vote la loi et,
  • elle peut mettre en cause la responsabilité du gouvernement.


C'est l'assemblée susceptible de modérer les excès présumés de la Chambre élue au suffrage universel direct. Elle est composée de trois cents membres, dont soixante-quinze étaient, en 1875, inamovibles, âgés de 40 ans minimum, alors qu'il fallait avoir 25 ans pour être élu à la Chambre des députés. C'est un âge censé garantir une certaine sérénité et éviter les emballements.

Ils sont élus pour neuf ans, renouvelables par tiers tous les trois ans, afin d'empêcher les changements brusques de majorité. Ils ne sont pas élus au suffrage universel direct, mais par un collège électoral de grands électeurs, composé des députés, des conseillers généraux et de représentants des conseils municipaux. Chaque commune, quelle que soit la taille, n'élisait qu'un délégué sénatorial : comme la France possède de nombreuses communes, petites et rurales, la représentation des campagnes, traditionnellement plus conservatrices, est assurée et renforce le caractère « modérateur » du Sénat. Gambetta désignait le Sénat de « Grand conseil des communes françaises ».

Les attributions du Sénat sont également nombreuses, ce qui illustre le bicaméralisme égalitaire :
  • le Sénat vote la loi, tant constitutionnelle que la loi ordinaire et,
  • il peut mettre en cause la responsabilité du gouvernement.

Le Président de la République, en outre, doit obtenir l'autorisation du Sénat, pour dissoudre la Chambre des députés, ce qui constitue une spécificité de la IIIème République dans l'histoire constitutionnelle française (art 5 de la loi du 25 février 1875).

Du fait de sa brièveté et du fait de la lecture coutumière qui en a été faite, après 1879, la Constitution de 1875 a fait l'objet d'un nombre réduit de révisions : l'une d'entre elles a même un caractère constitutionnel discutable, du moins sur le plan matériel.

Il y eut essentiellement deux révisions, dont l'une est symbolique.


Cette révision est symbolique. Paris redevient symboliquement le siège des pouvoirs publics, à la place de Versailles choisi en 1871 (art. 9 de la loi du 25 février 1875). La République a enterré la Commune et peut retrouver sa capitale « naturelle ».

Elle se fait en deux temps et elle possède un double objet.

Il est tout d'abord décidé que la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une proposition de révision et que les membres des familles ayant régné sur la France sont inéligibles à la présidence de la République, en souvenir notamment de 1848 et de l'élection de Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République.

Mais c'est un obstacle fragile car il suffit de « réviser » cette révision pour que les membres de ces familles soient de nouveau éligibles.

Il s'agit cependant d'une étape intéressante historiquement parce qu'elle consacre la victoire complète de la République et l'installation des républicains sous la IIIème République. Elle limite néanmoins l'idée de République en faisant de celle-ci le simple contraire de la monarchie, alors qu'elle peut aussi être synonyme de « principes républicains ». La même loi constitutionnelle opère aussi la déconstitutionnalisation des articles 1 à 7 de la loi du 24 février 1875 relatifs à l'organisation du Sénat, qui concernaient le mode de désignation des sénateurs, notamment ceux élus par l'Assemblée nationale et inamovibles.

Le second acte est alors réalisé par une loi ordinaire. Les articles de la loi constitutionnelle furent modifiés par la loi ordinaire du 9 décembre 1884 qui supprime les sénateurs inamovibles, au nom d'une exigence démocratique. Les soixante-quinze sénateurs inamovibles resteront en fonction jusqu'à leur mort et seront progressivement remplacés par des sénateurs élus dans les départements.

Le principe du délégué unique par commune pour le collège sénatorial est supprimé. Le nombre de délégués est variable selon la taille de la commune, sans qu'il y ait néanmoins de proportionnalité. Avec ce nouveau principe, au lieu des petites communes, ce sont les gros bourgs et les chefs lieux de cantons qui sont ainsi favorisés.


Elle porte sur la Caisse de gestion des bons de la Défense nationale et d'amortissement de la dette publique dont l'autonomie « a le caractère constitutionnel ». Mais on peut s'interroger sur le contenu constitutionnel de cette révision qui a été insérée dans un texte constitutionnel afin de lui donner une plus grande solennité et ainsi rassurer les épargnants en pleine crise financière. Cette révision illustre parfois la différence qui peut exister entre la forme et le contenu des Constitutions.

Indépendamment des révisions, le système mis en place en 1875 ne va fonctionner tel quel qu'à peine deux ans. Il va connaître une crise majeure qui va orienter le fonctionnement du régime dans un sens différent et vers un déséquilibre du régime parlementaire.

La pratique de la IIIème République a modifié l'équilibré né des textes de 1875. Pour autant, le régime a enraciné la République et la démocratie libérale. C'est aussi l'époque du parlementarisme absolu.


Le régime parlementaire instauré en 1875, qui se caractérisait par une certaine forme de dualisme, va connaître un déséquilibre au profit de l'Assemblée. La crise a opposé le Président de la République et la majorité parlementaire qui relevaient de deux majorités politiques différentes.

Ce conflit juridique se double d'un conflit de légitimité entre
  • la monarchie en perte de vitesse et,
  • la République ascendante qui correspond à l'émergence d'une nouvelle classe sociale, la bourgeoisie moyenne autour des notables.

Cette époque est d'ailleurs souvent qualifiée de « République des notables ».

La crise du 16 mai 1877 va entraîner une pratique politique et institutionnelle différente de ce que les lois constitutionnelles de 1875 avaient prévu. Cette crise est importante, car elle va conditionner le fonctionnement des institutions françaises jusqu'en 1958.


La présentation chronologique des différentes phases de cette crise qui va durer deux ans est importante pour en comprendre les enjeux.

  • Le 16 mai 1877, le Maréchal de Mac Mahon, Président de la République s'adresse au Président du Conseil J. Simon, qui est un républicain modéré, une lettre désapprouvant sa politique. Celui-ci démissionne alors, et est remplacé par de Broglie (monarchiste orléaniste). La Chambre des députés et le Sénat sont ajournés. La Chambre des députés, républicaine à une majorité des trois cinquièmes, s'élève contre ce qu'elle considère être un coup de force et vote, le 21 juin, un ordre du jour déclarant que le gouvernement n'a pas la confiance des représentants de la Nation.
  • Le 25 juin, le Président de la République, après avis conforme du Sénat, prononce la dissolution de la Chambre. La crise est nouée, chacun des pouvoirs a utilisé les moyens de pression dont il disposait à l'égard de l'autre, le gouvernement est renversé, l'Assemblée est dissoute. C'est alors au peuple de trancher le litige. La campagne électorale oppose, d'une part,
    • le Président de la République qui s'engage personnellement dans la campagne, et d'autre part,
    • les républicains autour de Gambetta, qui déclare qu'en cas de victoire, le Président de la République devra « se soumettre ou se démettre ».

Les élections donnent la victoire aux républicains.

Le gouvernement de Broglie est remplacé par un gouvernement dont les membres sont pris en dehors du Parlement. Le Président de la République ne se soumet pas.

  • Mais le 24 novembre, la Chambre déclare qu'elle ne veut pas entrer en rapport avec ce ministère et Mac-Mahon, qui se soumet, constitue un gouvernement Dufaure (républicain modéré) qui applique une politique différente de celle voulue par le Président.
  • En janvier 1879, les républicains obtiennent la majorité au Sénat. Mac-Mahon perd son dernier appui et démissionne. Il se démet. Les deux chambres réunies élisent un nouveau Président, Jules Grévy, qui déclare qu'il n'entrera « jamais en lutte contre la volonté nationale exprimée par ces organes constitutionnels », ce qui implique que le Président de la République n'est pas l'expression de la volonté nationale. On a parlé, à propos de cette déclaration de '', car il s'est agi d'un véritable renversement des équilibres institutionnels prévus par les lois de 1875 et d'une interprétation tout à fait particulière de celles-ci.


La conséquence essentielle des conditions dans lesquelles cette crise a été dénouée, est le déséquilibre apporté au fonctionnement du régime parlementaire.

D'abord, le caractère dualiste du régime est abandonné. Les ministres ne sont plus responsables que devant les chambres et non devant le Président de la République, ce dernier perd ainsi un moyen essentiel d'intervention dans la conduite des affaires du pays. En effet, le chef de l'Etat étant irresponsable, ses attributions sont exercées par le gouvernement sur lequel il n'a plus de moyen d'action. C'est l'effacement du chef de l'Etat, et la procédure de dissolution, qui tombe en désuétude, ne sera plus jamais utilisée sous la IIIème République.

La disparition de ces deux éléments que sont le dualisme et la dissolution déséquilibre le régime parlementaire au profit des assemblées. Le gouvernement est entièrement entre les mains des chambres.

Plus largement, cette crise structure le régime institutionnel français jusqu'en 1958. L'effacement politique et juridique du chef de l'Etat renforce la puissance politique des assemblées, puissance qui ne rencontre aucune limite juridique. La Constitution de 1875 est l'oeuvre d'une assemblée parlementaire, qui n'a prévu aucune distinction entre le pouvoir constituant et le pouvoir constitué. La loi, expression de la volonté générale, est l'Ĺ“uvre du Parlement, son domaine est fixé par le seul Parlement qui détermine lui-même la limite entre la loi qu'il édicte, et le règlement qui relève de la compétence de l'exécutif. Un certain nombre de désordres politiques seront la conséquence de cette situation.

Rq.Si cette pratique est marquée par un grand déséquilibre institutionnel, il ne faut pas oublier les acquis importants de ce régime, notamment en matière de libertés fondamentales et en matière d'organisation administrative de la France. La souveraineté du Parlement est aussi celle de la loi qui atteint ses limites.

Le Président de la République est dessaisi de ses responsabilités depuis la « Constitution Grévy ».

Face à cette situation, et malgré quelques titulaires d'envergure, la présidence du Conseil n'arriva pas véritablement à s'imposer face aux chambres, ce qui constitue une différence de ce régime avec la Grande Bretagne. L'effacement du Chef de l'Etat ne profite pas ainsi au Gouvernement et la IIIème République présente un bicéphalisme dont les deux têtes sont affaiblies.

Cette situation explique que cent quatre gouvernements se sont succédé en 70 ans de 1871 à 1940.

La Constitution n'ayant prévu aucune procédure particulière pour la mise en jeu de la responsabilité du gouvernement, celui-ci prend l'habitude de se retirer dès lors qu'il est mis en minorité par l'une ou l'autre des chambres, même s'il s'agit d'une question d'importance mineure.

Le gouvernement démissionne parfois aussi à la suite de dissensions internes ou de scandales. De nombreuses crises politiques secouent le régime comme par exemple le « boulangisme » en 1887 du nom du général Boulanger qui fut fortement incité à prendre le pouvoir mais finit par y renoncer, l'Affaire Dreyfus en 1898, ou les Ligues factieuses qui s'en prenaient à la République qualifiée de « gueuse » en 1934.

Cette situation fut facilitée par les raisons institutionnelles qui sont la conséquence de la crise du 16 mai 1877. Le Parlement disposait en fait de pouvoirs législatifs étendus et d'un pouvoir de contrôle très développé. En ce qui concerne l'exercice du pouvoir législatif, la définition formelle de la loi, qui veut qu'est loi tout acte voté par le Parlement, fait que son domaine est illimité. L'organe, qui représente à lui seul la souveraineté nationale, donne aux actes qu'il édicte la force de cette souveraineté. Mais les chambres, qui empêchent souvent le gouvernement de décider, ne gouvernent pas à sa place, refusant d'endosser des mesures impopulaires. Les chambres ne pouvant faire face à l'étendue de leur pouvoir législatif et disposant de la « compétence de la compétence » s'en dessaisissent souvent au profit du gouvernement en l'habilitant à prendre, par des décrets-lois, des mesures relevant du domaine de la loi, c'est-à-dire des mesures qui ne sont pas seulement des mesures d'application d'une loi préexistante mais sont destinées à remplacer la loi.

Mais cette situation a des causes essentiellement politiques. La IIIème République voit la naissance des grands partis comme
  • en 1901, pour le Parti radical et radical-socialiste,
  • en 1905 pour la SFIO (Section Française de l'Internationale Ouvrière) et,
  • en 1920, pour le Parti communiste à l'occasion du Congrès de Tours.

Mais il existe également beaucoup de petits partis qui constituent des combinaisons ministérielles fragiles. Les partis sont peu structurés et peu disciplinés. Les petits partis du centre basculent d'un côté ou de l'autre. En revanche, il existe une grande stabilité du personnel politique à tel point qu'un ministre d'un gouvernement orienté à gauche, peut se retrouver, le lendemain, ministre d'un gouvernement orienté à droite, et inversement.

Des tentatives de réforme constitutionnelle sont entreprises, à l'instar du projet du Président Doumergue en 1934, du projet de l'ancien Président du Conseil Tardieu, qui insiste sur la nécessité de distinguer pouvoir constituant et pouvoir constitué, en tant que seul moyen de limiter les pouvoirs des assemblées. Ces projets cherchent surtout à renforcer le rôle du Président du Conseil et à permettre un exercice effectif du droit de dissolution. Ces tentatives échouent.

La présidence de la République aurait pu aussi être restaurée : ce fut l'ambition, notamment, d'Alexandre Millerand. Elu en 1920, il a revendiqué un rôle actif pour le chef de l'Etat, souhaitant appliquer la Constitution de 1875 dans son esprit originel. Mais il fut conduit à démissionner en 1924, au terme d'une crise qui l'opposa aux assemblées. Les voies de la réforme paraissaient impraticables.
Portrait officiel d'Alexandre Millerand (1920). Domaine public


  • D'une part, des lois importantes mettent en application des principes posés par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen comme par exemple la loi de 1881 sur la presse, celle de 1884 sur le droit syndical, de 1901 sur la liberté d'association, de 1905 sur la séparation de l'église et de l'Etat.
  • D'autre part, la décentralisation administrative, qui permet la participation des citoyens à la vie de leur collectivité, résulte notamment de la charte départementale de 1871 et de la charte communale de 1884. C'est, par ailleurs, de 1872, que date la véritable naissance de juridictions administratives.

On peut considérer que de cette époque date la véritable tradition républicaine qui ne sera interrompue que par le régime de Vichy
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La Constitution de 1875 ne fait aucune distinction quant au contenu des lois. La définition de la loi est formelle : est loi tout acte voté par le Parlement quel que soit son objet.

L'initiative appartient concurremment aux membres du Parlement et au Président de la République. Mais, en réalité, ce sont les ministres et le Gouvernement qui chargent le Président de la République de déposer des projets de loi qui se distinguent des propositions des parlementaires.

Les projets peuvent être déposés indifféremment devant l'une ou l'autre assemblée, sauf en matière financière, où la Chambre des députés dispose d'une priorité. Ce sont toutes les lois qui ont pour objet principal les finances, en matière d'impôts, de douanes, et les lois monétaires. Le Sénat avait peu de temps pour examiner le projet dont la Chambre avait été saisie.

Cette loi doit être complétée par des actes de détail ou de précision qui sont qualifiés, depuis la Constitution de l'an VIII, de règlements. La Constitution consacre aussi ce pouvoir à l'article 3 de la loi du 25 février 1875, mais n'utilise pas le mot de « règlement » : « Le Président de la République...[à propos des lois] surveille et en assure l'exécution ». Derrière cette formule vague, se cache le pouvoir réglementaire d'exécution des lois. Celles-ci pouvaient confier au règlement le pouvoir de les compléter, ou indépendamment de cette initiative législative, le Président de la République trouvait un fondement constitutionnel à son pouvoir dans la loi du 25 février 1875.

Ces règlements sont des actes généraux et impersonnels, qui contiennent des « règles » comme les lois, mais ce sont des actes seconds ou d'exécution, subordonnés à l'exécution d'une loi préexistante.

Compte tenu de l'équilibre institutionnel, ces règlements sont proposés par les ministres au Président de la République qui se contente de les signer. Ces règlements prennent la forme de décrets qui désignent les actes du Président de la République : ce sont donc des décrets réglementaires.

Mais pendant et après la Ière Guerre Mondiale, le législateur n'a pu faire face à toutes ses missions, pour des raisons de temps, de technicité des mesures à prendre, du fait aussi de problèmes politiques liés à l'absence de majorité, et des risques d'impopularité.

Le Parlement a donc pris l'habitude d'autoriser l'Exécutif à édicter des règlements à sa place, c'est-à-dire à la place des lois, ce qui explique le nom hybride de décrets-lois.

Le contenu de ces décrets-lois est fixé à l'avance par le législateur et pour un temps déterminé, mais il est parfois très étendu, avec des formules très larges comme celle selon laquelle le gouvernement peut prendre « toutes mesures nécessaires pour parvenir à l'équilibre du budget ». Ces décrets devaient être ensuite soumis à la ratification du Parlement, ce qui entraînait un changement de leur valeur : de « simples » décrets, ils acquéraient une valeur législative, d'où leur nom. Cette ratification pouvait être expresse ou explicite, ou purement implicite, lorsqu'une loi postérieure visait ou modifiait un décret-loi antérieur.

La majeure partie de la législation de cette époque était prise sous forme de décrets-lois. La IIIème République connut de nombreuses discussions autour de cette technique et de sa constitutionnalité, mais le législateur pouvant tout faire, il pouvait aussi déléguer ce pouvoir.

Les premières lois d'autorisation sont votées en 1924 et 1926 et donnent naissance aux décrets-lois Poincaré. Les Gouvernements Doumergue (1934), Laval (1935), Chautemps et Daladier (1937 et 1938), vont aussi utiliser la technique des décrets-lois.

Sy.

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