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Droit constitutionnel 1 : Théorie générale de l’Etat - Histoire constitutionnelle de la France

Les applications possibles de la théorie de la séparation des pouvoirs

La théorie de la séparation des pouvoirs peut trouver naissance dans différents régimes, que ce soit au sein du régime présidentiel ou du régime parlementaire ou encore au sein de régime privilégiant la hiérarchisation des pouvoirs. L'application de cette théorie et ses conséquences seront donc différentes.


La théorie de Montesquieu peut être lue de diverses façons. Elle a été comprise différemment, soit peut-être par incompréhension du texte, mais il est difficile de savoir où est la vérité et ce qu'a voulu vraiment dire Montesquieu à partir du moment où on sait qu'il ne décrit pas réellement la Constitution de Grande-Bretagne, soit pour tenir compte des besoins des différents pays qui ont cherché à mettre en pratique la séparation des pouvoirs, sans être conscients qu'ils appliquaient la théorie de la séparation développée par Montesquieu.

Les deux pays principalement intéressés se trouvent être des pays anglo-saxons qui ont donné naissance à deux types de régimes de séparation des pouvoirs.

  • Les Etats-Unis ont voulu séparer de façon tranchée les pouvoirs ou les fonctions étatiques, en inventant le régime présidentiel.
  • Tandis que la Grande-Bretagne a institué une séparation souple ou collaboration des pouvoirs qui est recherchée au sein d'un régime parlementaire ou gouvernement de cabinet.


La séparation des pouvoirs peut également n'exister que de façon théorique dans un régime de confusion des pouvoirs ou régime d'assemblée.

Section 1. Le régime présidentiel et l'exemple du régime américain


Le régime présidentiel américain
Michel Verpeaux09/09/2009


Ce terme est un faux-ami car il ne désigne pas un régime dans lequel le président est tout-puissant. Il existe au contraire une concurrence entre le Président et le Congrès.

L'expression n'est pas utilisée aux Etats-Unis mais elle a été forgée par un Anglais, Walter Bagehot qui, en 1867, a été frappé par le rôle exceptionnel joué à cette époque par le président Lincoln.

Les Américains pensaient aménager, sans un Roi, le système de monarchie limitée qu'ils avaient observé en Grande-Bretagne, mais entre temps, le régime anglais avait évolué sans que les Américains le sachent ou le comprennent.

Il est né aux Etats-Unis et s'y est développé mais il n'a pas connu beaucoup d'applications, en dehors de l'Amérique latine et de la France en 1848, parce qu'il n'a pas toujours fonctionné correctement en dehors des Etats-Unis. Le régime russe actuel est aussi présenté comme un régime présidentiel, mais avec un certain nombre de particularités.

C'est le régime qui applique strictement la séparation des pouvoirs, où l'organisation et les relations entre les pouvoirs publics reposent sur cette séparation de pouvoirs qui trouvent chacun, de façon séparée, leur légitimité dans le peuple.

L'un ne trouve pas sa légitimité dans l'autre et réciproquement, il n'y a pas « d'investiture » d'un pouvoir par un autre, ce qui assure une totale liberté de chacun.

Dans le régime présidentiel, chacun des pouvoirs a une fonction spécifique, réalisée sous forme de spécialisation fonctionnelle, et les pouvoirs n'ont pas de moyens d'actions réciproques.


Ce régime est né de la lutte contre les colons britanniques, à partir de 1763 qui marque la fin de la guerre contre la France menée en commun avec les Britanniques mais les exigences de ces derniers vont provoquer la révolte des colonies.
  • Le conflit ne s'acheva qu'en 1783, avec l'aide de quelques Français, dont La Fayette et Rochambeau, ce qui ne fut pas sans importance pour l'histoire de la Révolution française.

Le conflit avec le Royaume-Uni est marqué par des textes :
  • Le premier est la, dont l'auteur est Thomas Jefferson, assisté de John Adams et de Benjamin Franklin.
    John Trumbull (US-americain, 1756-1843) : Déclaration d'indépendance des Etats-Unis figurant la Commission des Cinq déposant le texte de la déclaration d'indépendance. De gauche à droite, John Adams, Roger Sherman, Robert Livingston, Thomas Jefferson et Benjamin Franklin. Domaine public.


Ce texte est très imprégné à la fois de l'esprit américain imprégné de religiosité et de la philosophie des Lumières. Il proclame l'égalité des hommes et l'existence de droits inaliénables conférés par Dieu que sont « la vie, la liberté et la recherche du bonheur. Les gouvernements sont établis par les hommes pour garantir ces droits et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés ; toutes les fois qu'une forme de gouvernement devient destructrice de ce but, le peuple a le droit de la changer ou de l'abolir » (début du deuxième paragraphe).

En même temps que ce texte, les colonies, devenues indépendantes, ont rédigé de véritables constitutions écrites, qui sont les premières dans l'histoire du droit constitutionnel, à la place des chartes octroyées par la Couronne britannique.
  • La première est celle du New-Hampshire en date du 5 janvier 1776, suivie par le New Jersey le 2 juillet 1776 et la Virginie le 5 juillet 1776. Cette dernière a été rédigée par Thomas Jefferson et elle est précédée d'une Déclaration des droits, en date du 12 juin 1776, qui proclame dans son article 5 : « Le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif de l'État doivent être distincts et séparés de l'autorité judiciaire; et, afin que les membres des deux premiers soient détournés de devenir des oppresseurs (...) ils devraient, au terme de périodes fixes, être réduits au statut de particulier privé : ils devraient retourner dans le corps social dont ils provenaient à l'origine, et les postes ainsi vacants devraient être pourvus par des élections fréquentes, certaines et régulières ».


On y lit, outre la référence à Montesquieu et à la séparation des pouvoirs, la méfiance à l'égard de tout pouvoir, qui doit être renouvelé fréquemment par des mandats courts, qui constitue une constante de la vie politique américaine.

Les indépendances dispersées des treize anciennes colonies pouvaient affaiblir ces nouveaux États qui est alors établi, par un traité, une Confédération dans laquelle chacun des États est placé sur un pied d'égalité et dispose d'un droit de veto car chaque décision nécessite l'unanimité. Le seul organe créé est un Congrès où chaque État dispose d'une voix et est représenté par un diplomate. Ce système très souple montra assez vite ses limites et son inefficacité pour prendre la moindre décision. Après de nombreuses tentatives, il fut décidé de convoquer une nouvelle assemblée, qualifiée de « convention » chargée de rédiger un nouveau texte relatif aux rapports entre les Etats.

Elle siégea de mai à septembre 1787 à Philadelphie.

Les 55 membres de cette assemblée, présidée par Georges Washington, furent qualifiés de « demi-dieux » par Jefferson, alors ambassadeur à Paris, et sont appelés par les Américains les « Pères fondateurs ».

Tx. repensa complètement les relations entre les Etats et ne garda de l'ancienne Confédération que le nom de « Etats-Unis d'Amérique ». Cette Constitution est toujours en vigueur, même si elle a été amendée vingt-sept fois.


Tout le régime américain, y compris dans ses aspects « présidentiels » ne se comprennent que par rapport à cette histoire et au caractère fédéral du pays.


Jefferson pensait que « le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins ». Mais cette maxime peut s'appliquer aussi bien au principe du fédéralisme qu'à la définition du régime présidentiel.La Constitution a cherché, dans ce but, à construire un système d'équilibre dans lequel chacun des pouvoirs peut paralyser l'autre, en multipliant la « faculté d'empêcher » qu'avait théorisée Montesquieu, avec l'idée qu'un pouvoir est aussi un contre-pouvoir. Cette séparation des pouvoirs ainsi conçue condamne les pouvoirs à s'entendre, donc à négocier.


Le régime présidentiel est un mariage sans divorce possible, dans lequel chacun des pouvoirs est condamné à supporter les autres. L'Exécutif et le Législatif et le Judiciaire sont bien séparés, autant par leur origine que dans leurs compétences.


Le pouvoir exécutif est confié en entier à une seule et même personne.

L'article II (consacré au pouvoir exécutif) section 1 de la Constitution de 1787 prévoit : « Le pouvoir exécutif sera dévolu à un Président des Etats-Unis d'Amérique ».
  • Le chef de l'Etat exerce en même temps les fonctions de chef du gouvernement. Il est à la tête des services administratifs fédéraux et, à ce titre, il dispose d'un pouvoir général de nomination à tous les emplois fédéraux.
  • Il est le chef des armées et possède des pouvoirs exceptionnels en temps de guerre.
  • Il négocie les traités et dirige la politique extérieure.
  • Il fait exécuter les lois fédérales et dispose du droit de grâce au niveau fédéral.

Mais le Président est entouré de collaborateurs directs qu'il nomme et révoque « ad nutum » :
  • Le Président les nomme librement, son choix n'est pas guidé par des contraintes politiques d'une « majorité parlementaire » et ils n'appartiennent pas au Congrès.

Le Président peut les désigner dans la « société civile », dans l'industrie, ou dans la haute fonction publique. On les appelle aux Etats-Unis des secrétaires, et ce nom est symbolique de la dépendance dans laquelle ils se trouvent, au premier rang desquels figure le Secrétaire d'État, équivalent d'un ministre des affaires étrangères.

  • Ils ne sont pas distincts du Président et décident essentiellement par l'intermédiaire du Président. Il n'y a pas de « gouvernement » américain, au sens parlementaire du mot, ou alors celui-ci s'incarne dans la personne du Président.

Le Président ne dispose pas de l'initiative des lois, au nom d'une conception rigide de la séparation des pouvoirs.

Son indépendance à l'égard du Parlement est assurée par une élection au suffrage universel indirect, à deux degrés, par la majorité des électeurs présidentiels, eux-mêmes désignés, dans les États, par les électeurs au suffrage universel.

Le Président des Etats-Unis n'est pas responsable politiquement et il n'encourt qu'une responsabilité pénale par la procédure d' « impeachment » pour « trahison, concussion ou autres crimes et délits » (art. II Section IV).

Mais cette procédure est susceptible de s'appliquer aussi au Vice-président et à tous les fonctionnaires civils (ibidem).


Il est confié au Congrès qui se compose de deux assemblées et est donc bicaméral, du fait de la structure fédérale aux Etats-Unis.
Mais en France en 1848, il était monocaméral et, toutes proportions gardées, il l'était aussi en 1791 en France.
Le Sénat, qui représente les États sur une base égalitaire (deux sénateurs par État, quelle que soit la taille de l'État) est élu pour six ans (c'est le mandat le plus long) mais il est renouvelé par tiers tous les deux ans.

La Chambre des représentants comprend 435 membres et représente la population, chaque État désignant un nombre différent de représentants : la Californie en désigne ainsi 52 tandis que le Vermont en désigne 1 seul. Cette assemblée se renouvelle intégralement tous les deux ans.

Le Congrès est un organe réellement et totalement délibérant : il est maître du pouvoir législatif dans sa totalité et apparaît comme un réel contre-pouvoir au président.Il est seul à l'initiative des lois et les pouvoirs des deux assemblées sont pratiquement égaux. Il ne peut en effet être dissout par le Président.


Il existe un véritable pouvoir judiciaire, illustré aux Etats-Unis par le rôle de la Cour suprême et qui témoigne aussi de la place du droit aux Etats-Unis.
  • Le pouvoir judiciaire est aussi un pouvoir légitime aux Etats-Unis car, du fait du fédéralisme, beaucoup de juges sont élus et il n'y a pas un corps national de magistrats professionnels.

De même il n'existe pas de ministère de la justice, mais un "Attorney général", sorte de procureur au plus haut niveau et qui ne gère en rien la carrière des magistrats.
  • C'est la Cour suprême qui couronne l'édifice et c'est à elle que la Constitution remet le pouvoir judiciaire (art. III, Section 1). Son statut garantit son indépendance car elle est composée de neuf membres ou « Justices » nommés par le Président à vie, donc inamovibles, et présidés par un « Chief Justice » nommé aussi à ce titre par le Président des États-Unis. Un adage assure qu' « ils ne démissionnent jamais et meurent rarement ».
Rq.Le record est détenu par le juge Douglas avec un mandat de 36 ans. Cette longueur cadre avec la brièveté de tous les autres mandats américains mais cette inamovibilité est le prix de l'indépendance qui ne fait craindre personne, et surtout pas celui qui vous a nommé.

S'ils sont proposés par le Président, le Sénat doit confirmer leur nomination, ce qui n'est pas toujours acquis.

En tant que deuxième personnage de l'État, le Président de la Cour suprême reçoit le serment du nouveau Président des Etats-Unis de respecter la Constitution.

Le régime présidentiel se caractérise ainsi par la volonté de faire correspondre une fonction à un organe : tout le pouvoir exécutif au président, tout le pouvoir législatif et budgétaire au parlement. Il faut bien, malgré tout, instaurer une collaboration entre les pouvoirs ou du moins des relations entre eux.



Le régime présidentiel consacre l'autonomie de chacun des pouvoirs dans ses relations avec l'autre, car la séparation ne signifie pas, aux Etats-Unis du moins, que des cloisons totalement étanches soient dressées entre les pouvoirs, à la différence peut-être des expériences françaises qui s'en sont rapprochés.

Rq.Il s'agit plus de la recherche d'un équilibre que d'un isolement, en application de la formule de Montesquieu : « il faut que par la disposition des choses le pouvoir arrête le pouvoir ». La Constitution américaine contient de nombreuses « facultés d'empêcher » que les Américains appellent « checks and balances » traduits en français par « freins et contrepoids » mais qui signifient littéralement « dispositifs et équilibres ».

Si la séparation existe, il y a malgré tout des formes de collaboration politique entre les pouvoirs qui sont ainsi contraints de s'entendre entre eux.

Chaque autorité, indépendante de l'autre dans sa nomination, est assurée de la durée et d'une garantie d'existence, due à des élections, qui se déroulent à des dates fixes et à l'absence de responsabilité politique de l'une envers l'autre.

Il n'y a pas de dissolution de l'une ou l'autre des assemblées. Il n'y a pas non plus de procédure de renversement de l'Exécutif, ni du Président ni de ses « ministres ».

La procédure de l'impeachment sanctionne une responsabilité pénale du président et des secrétaires. Les deux pouvoirs sont condamnés à vivre ensemble, à cohabiter, quelles que soient les tendances politiques, comme le montre la vie politique américaine.

La séparation des pouvoirs n'est pas absolue pour autant : chacun des pouvoirs a la faculté d'empêcher l'autre, de le neutraliser, en refusant ce que propose l'autre et il peut y avoir des blocages, sans que la dissolution ou le renversement d'un gouvernement puissent résoudre les conflits.


Le Président ne peut pas obliger le Congrès à voter une loi et le Congrès a en quelque sorte un pouvoir législatif à l'envers.

  • Le Congrès détient les moyens budgétaires. En votant le budget, ou en ne le votant pas, le Congrès peut paralyser la politique du Président, comme lors de la guerre du Vietnam, et le Président a dû négocier pied-à-pied.
Ex.En décembre 1995, le Président Clinton ayant opposé son veto à des propositions du Congrès républicain, l'administration fédérale a été en cessation de paiement et a dû renvoyer des fonctionnaires dans leurs foyers. C'est ce que les Américains appellent le « shut down » c'est-à-dire l'arrêt des activités gouvernementales fédérales. Un compromis politique a finalement été trouvé. Le même phénomène s'est produit avec le président Obama en octobre 2013 en butte au Congrès à propos de sa réforme de l'assurance-maladie. Là encore, un compromis politiques entre les deux pouvoirs a été nécessaire. Le président Trump a provoqué le plus long "shutdown" (ou fermeture) de l'histoire des Etats-Unis en janvier 2019 à propos de la construction du mur entre le Mexique et les Etats-Unis que souhaite faire construire le président auquel s'oppose la majorité démocrate de la Chambre des représentants élue en novembre 2018. 

Le Congrès dispose de procédures de contrôle sur l'administration, par des commissions d'enquête très efficaces.

  • Le Sénat possède un pouvoir d'approbation de certains actes du Président et il doit autoriser la ratification des traités à la majorité des deux tiers des présents (art. II, Section 2).
Ex.C'est ainsi que le Sénat refusa au Président Wilson la ratification du Traité de Versailles en 1919. En octobre 1999, le Sénat a refusé d'autoriser la ratification du traité sur l'interdiction totale des essais nucléaires.

  • Le Sénat doit approuver aussi la nomination des ambassadeurs, des hauts fonctionnaires comme le directeur de la CIA ou les ministres.

En tout, ce sont plusieurs dizaines milliers de personnes qui sont concernées.

Ex.C'est ainsi que le Sénat a refusé à B. Clinton la nomination de deux femmes comme Attorney général en 1993 parce qu'elles avaient employé des employées de maison mexicaines non déclarées.

  • le Président ne dispose pas du pouvoir d'initiative des lois, il peut émettre des suggestions et communiquer par le message annuel sur l'état de l'Union prévu à l'article II, Section 3.
Il s'agit principalement du « veto » présidentiel sur les lois votées.

  • Le Président peut refuser d'apposer sa signature à une loi et celle-ci ne peut être exécutée.
Mais le terme de veto est mal choisi : en effet, le Président ne peut s'opposer de manière définitive à une loi puisque son opposition peut être surmontée par le Congrès.

De cette façon, le Président participe au pouvoir législatif.

Mais le Congrès peut briser le veto, à la majorité des deux-tiers dans chacune des chambres, ce qui constitue une condition volontairement difficile à remplir.

  • Le Président peut disposer d'une autre forme de veto.
Ex.En fin de session parlementaire, il suffit au Président de s'abstenir de signer la loi sans explication et sans renvoyer le texte au Congrès. C'est la technique du veto de poche ou « pocket veto ».

Ainsi ce veto est encore plus efficace que le précédent, en cours de session, car il ne peut être surmonté. Si le Congrès veut faire aboutir son projet, il devra reprendre la procédure depuis le début, lors de la session suivante.

Rq.Les présidents américains ont usé de ce droit de veto, de façon différente selon leur tempérament.

Ex.
  • Roosevelt a opposé 631 fois son veto dont 260 veto de poche et neuf d'entre eux seulement furent surmontés par le Congrès (1933-1945)
  • Cleveland (1885-1889 et 1893-1897) l'a utilisé 684 fois en huit ans, ce qui lui valut d'être surnommé "M. Veto", ce qui fut aussi le nom donné à Louis XVI entre 1789 et 1791. Mais Kennedy n'en usa 21 fois, Reagan 78 fois et Bush père 27 fois.

En outre, à côté de ces moyens de blocage qui font que la séparation des pouvoirs n'est en rien absolue, la pratique permet une collaboration de fait.

Celle-ci est indispensable pour que la démocratie fonctionne aux Etats-Unis. Il faut que chacun des pouvoirs soit persuadé que ses intentions politiques ne seront pas totalement réalisées. Il faut donc une certaine dose de consensus, un accord sur le modèle de société et pas de divergence profonde entre les forces politiques.

Rq.Le bipartisme américain, où les deux partis ne sont pas toujours éloignés, comme le montrent les campagnes présidentielles, facilite cette forme de démocratie douce. C'est une des raisons qui font peut-être que le régime présidentiel serait inadapté en France, du moins aux yeux de certains. L'élection de Donald Trump, en novembre 2016, a bouleversé le paysage politique américain. Elu sous l'étiquette républicaine, après avoir éliminé lors des primaires tous les autres représentants du parti républicain, il a affronté et battu la candidate du parti démocrate, Madame Hillary Clinton, femme de l'ancien président des Etats-Unis Bill Clinton et elle-même ancienne secrétaire d'Etat du président Obama entre 2009 et 2013, sur le thème de la priorité à l'Amérique et à une forme d'isolationnisme aussi bien économique que politique avec le slogan "America first". Issu du monde des affaires et peut-être peu ou mal préparé à la fonction, M. Trump a voulu appliquer un certain nombre de ses engagements, parfois de manière surprenante ou brutale et aidé par un Congrès où les Républicains dominent les deux chambres après les élections à la Chambre et au Sénat de novembre 2016.

Section 2. Le régime parlementaire et l'exemple du régime britannique

Le régime britannique
Michel Verpeaux09/09/2009


Celui-ci ne désigne pas un régime dans lequel il existe un Parlement. Il ne se caractérise pas non plus vraiment par la prééminence du Parlement. Ce n'est du moins pas obligatoire.

Ce régime est un régime complexe, de collaboration des pouvoirs dans lequel il y a un bicéphalisme de l'Exécutif.

Cette collaboration des pouvoirs passe par une procédure d'engagement de responsabilité d'une partie de l'Exécutif et par une procédure de dissolution de l'une des assemblées, en cas de bicaméralisme, ou de l'assemblée dans le cas contraire.

L'absence de constitution formelle au Royaume-Uni n'empêche pas l'existence de règles encadrant le pouvoir qui peuvent être assimilées à des règles constitutionnelles. Beaucoup de celles-ci sont de nature coutumière et s'expliquent par l'histoire britannique. Celle-ci est d'autant plus importante que c'est dans ce pays qu'est né le régime parlementaire. Il est souvent dit que l'Angleterre est la mère des parlements mais elle est aussi la mère du parlementarisme.

Le régime parlementaire peut connaître des modalités différentes, sous la forme du monisme et du dualisme, car le parlementarisme est né de l'histoire plus que de la théorie.



Celui-ci est né en Grande-Bretagne dans le contexte de la lutte entre le Parlement et le pouvoir royal (cf. leçon 4). Ces deux pouvoirs se sont trouvés équilibrés à un moment donné puis le pouvoir du roi a décliné sans doute parce qu'il ne correspondait plus à l'état de la société et aux progrès de la démocratie.

Le régime parlementaire se définit principalement par l'existence d'un organe assurant la liaison entre ces deux pouvoirs, le gouvernement appelé aussi le cabinet ou le ministère, d'où l'expression de « gouvernement de cabinet » pour désigner le régime parlementaire.

Il s'agit donc d'assurer la coopération des pouvoirs plus que la séparation des pouvoirs, même conçue de façon souple, d'où la qualification de régime de collaboration des pouvoirs.


Rq.En Grande-Bretagne, le cabinet devait bénéficier de la double confiance du Monarque et du Parlement en tant que point d'équilibre entre les deux pouvoirs. Les ministres devaient être de simples conseillers du roi, nommés et révoqués par le roi, selon le bon plaisir ou « ad nutum ». Comme les ministres sont réunis par le roi dans son cabinet de travail, l'institution va tirer son nom de l'endroit où elle se réunit. Ils servaient ainsi de « fusibles » ou de « paratonnerres » chargés de « sauter » quand les tensions entre les deux pouvoirs étaient trop fortes, ou de protéger le roi quand les parlementaires étaient opposés à ce dernier. Comme il n'était guère possible de critiquer le roi et encore moins de le mettre en cause, en le renversant ou en votant une motion de défiance, ce sont les ministres qui assument la responsabilité du roi.

Ex.La famille de Hanovre, lointaine cousine de la famille d'Orange, dont les représentants meurent sans héritier montre sur le trône à partir de Georges Ier en 1714, et la monarchie anglaise va perdre de sa vigueur : médiocres, ne parlant pas anglais, les rois vont se désintéresser petit à petit de la vie publique au profit du cabinet et de son chef. De la même manière, la responsabilité pénale des ministres, qui est une responsabilité individuelle, devint une responsabilité politique et collective. Les gouvernements de Lord Walpole en 1742 et de Lord North en 1782 démissionnèrent avant d'être mis en accusation par la procédure d'impeachment. De ce fait, la procédure pénale va perdre de sa crédibilité et de son intérêt. La démission de Walpole en 1742 n'avait pas entraîné celle des autres membres du gouvernement car la primauté du Premier ministre n'allait pas jusqu'à entraîner le départ des ministres en même temps que celui du chef du cabinet : il n'y eut pas de solidarité.Le chef du cabinet était celui auquel les rois, Georges Ier et Georges II son fils (qui a régné de 1727 à 1760), qui ne souhaitaient ni l'un ni l'autre parler anglais, s'adressaient pour avoir un résumé succinct et traduit des délibérations du cabinet et il était celui auquel ils communiquaient éventuellement leurs instructions. Ce ministre, intermédiaire entre le roi et le cabinet, acquit une influence considérable qui lui vaut le titre officieux de Premier ministre, avant que ce nom devienne officiel. La fonction de Premier ministre apparaît avec Walpole qui reste en place de 1721 à 1742.Mais le roi est un peu obligé de choisir ses ministres dans une mouvance générale qui partage les mêmes idées que son Premier ministre et qui adhère à une politique d'ensemble. Il est aussi conduit à choisir ses ministres sur proposition du Premier ministre. Ces ministres deviennent ainsi peu à peu solidaires de cette politique. Lord North en 1782, devant l'hostilité de la Chambre des communes, démissionne et cette fois tous les ministres l'accompagnent. Ainsi naît le principe de la solidarité du Cabinet, qui repose sur la collégialité des décisions, c'est-à-dire la participation de chacun à l'élaboration des décisions importantes qui pourront leur être reprochées ensuite.


Pour comprendre l'importance de ces événements, il faut se rappeler que la France, en 1782, connaît encore la monarchie absolue.

Le parlementarisme est une construction coutumière, fondée sur la répétition de précédents et non sur l'application d'un texte, du fait, au départ, du pragmatisme anglo-saxon.

Mais on peut faire la même constatation en France, au XIXème siècle, à partir des Chartes.


Parallèlement le droit de dissolution va évoluer aussi en Grande-Bretagne.
  • Initialement, le roi ne prononçait pas la dissolution de la Chambre des Communes élue pour trois ans à partir de 1694, puis pour 7 ans depuis 1716 et la Chambre des Lords ne pouvait être dissoute, « par principe ». Il les ajournait lorsqu'il était en désaccord avec elles, car la dissolution était réservée au cas où il existait un doute sur leur représentativité. La pratique va changer. William Pitt le jeune succède à Lord North en 1782 et rencontre l'hostilité des Communes. Il refuse cependant de démissionner malgré seize votes le mettant en minorité. Mais sentant que l'opinion soutenait son programme de réformes, il demanda au roi Georges III de prononcer en 1784 la dissolution des Communes afin que le pays soit l'arbitre du conflit entre le « gouvernement » et le Parlement. Les élections sont un triomphe pour W. Pitt et le nouveau Parlement est acquis à la cause du gouvernement.
  • Désormais, le droit de dissolution est un moyen pour le gouvernement de demander au roi de faire du pays l'arbitre des conflits entre le gouvernement et le Parlement.

A la fin du XVIIIème, les éléments du régime parlementaire sont en place en Grande-Bretagne :
  • le Gouvernement doit se retirer s'il fait l'objet d'une motion de défiance votée par les Communes, ou du moins la majorité de celle-ci, ou s'il a engagé formellement sa responsabilité politique sur un texte qu'il juge essentiel et que ce texte n'est pas adopté. Mais, pour contourner cette difficulté, le Cabinet peut demander au Roi de prononcer la dissolution pour que l'électeur puisse choisir entre la politique défendue par le Gouvernement et celle proposée par les Communes c'est-à-dire l'opposition au Gouvernement.
Rq.Cette présentation du régime parlementaire en Grande-Bretagne ne doit pas faire oublier que le Roi dispose encore de prérogatives importantes à ce moment car il peut encore choisir librement le Premier ministre, même à l'intérieur d'une même majorité ou tendance, les partis politiques n'étant encore ni monolithiques ni structurés.

Il ne faut cependant pas exagérer à cette époque le caractère démocratique du régime anglais.

Ex.Le découpage des circonscriptions pour l'élection des députés n'a pas été revu depuis le XVIème et de nombreux bourgs qui ont perdu la quasi-totalité de leurs habitants continuent d'élire des représentants. Ce sont les « bourgs pourris » ou « rotten boroughs ». En outre les Lords, grands propriétaires fonciers, possèdent une partie de ces bourgs et ceux-ci votent selon les instructions des Lords. Il suffit au Roi de s'appuyer sur ces Lords pour que la composition de la Chambre des Communes soit favorable au Roi.La réforme du droit de suffrage en 1832 et la suppression des bourgs pourris, vont accélérer le déclin de la monarchie et de la Chambre des Lords, qui ne peut pas renverser le Cabinet. Lord Salisbury sera en 1902 le dernier chef de gouvernement issu de la chambre des Lords. Le suffrage universel masculin est accordé aux hommes des villes en 1867, puis aux hommes des campagnes en 1884 et il faut attendre 1872 pour que le vote public remplace le vote secret. Ce n'est qu'à partir de 1918 que le droit de vote sera accordé aux femmes. À partir de 1911, la Chambre des communes est élue pour 5 ans. Le Parliament Act de 1911 empêche désormais la chambre des Lords de bloquer les projets financiers. « L'impeachment » faisait de la Chambre des Lords une Haute Cour de justice chargée de juger les ministres pénalement responsables. A partir du moment où la Chambre des Communes refuse d'utiliser cette procédure et de la mettre en Ĺ“uvre, la Chambre des Lords est privée de tout pouvoir et les ministres ne se sentent plus responsables devant elle.

Le régime parlementaire en France, avec plusieurs décennies de retard, va connaître une évolution semblable, avec des révolutions et des coups d'Etat, en cherchant parfois à imiter le régime britannique sans toujours bien le comprendre.

De ces origines britanniques, le régime parlementaire classique garde des éléments essentiels pour que ce régime soit constitué.

On y trouve des pouvoirs publics qui disposent de moyens juridiques pour collaborer. Ils sont apparus en Grande Bretagne mais on les retrouve, sous une forme ou une autre, dans tous les régimes parlementaires.


L'exécutif est nécessairement bicéphale, une sorte d'aigle à deux têtes, ce qui constitue une condition essentielle du parlementarisme, mais le Parlement n'est pas obligatoirement bicaméral.


Il se caractérise par la dissociation entre le chef de l'Etat et le gouvernement, entre l'élément fixe et l'élément mobile, entre l'élément permanent et non contingent et l'élément changeant et politique.

  • Le chef de l'Etat incarne et symbolise l'Etat, qu'il soit monarque héréditaire ou président élu. Il n'a pas besoin d'une investiture parlementaire. Il est politiquement irresponsable et les conflits entre le Parlement et le Gouvernement ne le concernent pas. Comme le dit Thiers en 1829 : « Le roi règne mais ne gouverne pas ». Mais le rôle politique du Roi peut être très variable et dépendre de nombreux paramètres.

  • Le Gouvernement ou le Cabinet est le lien entre l'Exécutif et le Parlement. Mais il ne peut agir qu'avec la confiance de la majorité parlementaire, issue des élections. La compatibilité entre les fonctions parlementaires et gouvernementales existe d'ailleurs, à la différence du régime présidentiel, et le personnel politique exerce ainsi les unes et les autres des fonctions. Le fait d'être ministre n'interdit pas de siéger au Parlement. Il peut y avoir cependant des variantes et il peut y avoir des ministres pris en dehors du Parlement.

Ce gouvernement est un organe collégial, mais aussi solidaire, puisque les décisions engagent l'ensemble de ses membres. Il est également organisé autour d'un chef dont le nom est variable selon les pays : Premier ministre, président du Conseil, chef du gouvernement, ou chancelier.


Cela signifie qu'il est composé de deux chambres mais ce n'est pas obligatoire et le bicamérisme n'existe pas partout (cf. Israël).

C'est la suite de la division dans les monarchies, en Grande-Bretagne puis en France, entre la Chambre noble et la Chambre roturière, ou la Chambre haute et la Chambre basse. Le bicamérisme peut aussi avoir comme origine le fédéralisme, comme en Allemagne.

Rq.Mais le bicamérisme, ou bicaméralisme, n'est pas une nécessité absolue du régime parlementaire, même si historiquement la Chambre haute a été souvent le soutien du monarque. Le bicamérisme présente des avantages et des inconvénients. La sagesse et le tempérament de l'autre assemblée sont présentés souvent comme des avantages, ainsi que le soulignait Boissy d'Anglas en 1795 : « l'une est l'imagination de la République, l'autre la raison ».

Ce bicamérisme peut être égalitaire comme en Italie ou en Belgique, ou inégalitaire du point de vue des pouvoirs attribués à chaque assemblée, comme en France sous la Vème République.

Le poids du suffrage universel direct peut expliquer et justifier l'importance de l'une des Chambres. La Seconde chambre sert alors d' « appoint » ou de simple contrepoids.



Léon Blum indiquait que « le régime parlementaire était comparable à la vie de ménage », ce qui implique la confiance et la collaboration entre les deux pouvoirs qui ne sont pas cloisonnés et pas réellement séparés et entraîne deux séries de conséquences.


Chacun des pouvoirs est chargé des compétences de l'autre. Il n'y a pas correspondance entre la fonction et l'organe, à la différence du régime présidentiel.

Les compétences sont ainsi ouvertes ou concurrentes :
  • la compétence législative, principalement, est le domaine privilégié de cette collaboration. En réalité, historiquement, c'est le Parlement qui a « arraché » au pouvoir royal la participation à la fonction législative (cf. supra).
  • Il en est de même de la fonction budgétaire qui est étroitement associée d'ailleurs à la fonction législative.

La fonction législative est ainsi partagée au niveau de l'initiative et de la sanction finale ou acceptation - plus ou moins formelle - de la loi par le Roi qui est votée par le Parlement. Cette acceptation ou « veto » lorsque le monarque refuse de signer la loi, a évolué peu à peu, au cours de l'histoire, vers la promulgation. La fonction législative peut même être partagée quant à l'adoption si le Gouvernement dispose de moyens puissants pour faire adopter ses projets de loi.

Il peut y avoir d'autres partages :
  • le pouvoir exécutif peut également être « mêlé » au pouvoir juridictionnel en nommant les juges ou en exerçant une autorité hiérarchique sur le Parquet. Le Parlement peut aussi empiéter sur les attributions du pouvoir juridictionnel par le biais de lois d'amnistie ou de lois de validation.


Rq.En cas de crise ou de mésentente entre les pouvoirs, il y a des solutions juridiques et politiques, alors que dans le régime présidentiel, les solutions sont surtout politiques. Ces moyens sont, autant que le bicéphalisme, la caractéristique majeure du régime parlementaire.

  • Le Parlement ou l'une des deux assemblées, peut contraindre le cabinet à la démission : c'est la responsabilité politique.
  • Le Parlement, le plus souvent l'une des chambres du Parlement, peut être dissoute par le Chef de l'Etat ou le Cabinet.
En principe, ces deux moyens, qui s'équilibrent, doivent exister totalement sinon, il y a un risque de déséquilibre au profit de l'un ou de l'autre, généralement au profit, en à cause du fait majoritaire, du Parlement qui continue de contrôler le gouvernement à travers la responsabilité, alors que le droit de dissolution est tombé en désuétude. Telle fut la situation de la France sous la IIIème et la IVème République.

La responsabilité est l'obligation de supporter les conséquences de certains actes. Cette responsabilité peut prendre des formes multiples.
  • Elle peut être civile par le biais d'une condamnation à verser une indemnité, ou pénale par une condamnation à une peine, ou politique. Dans ce dernier cas, elle conduit à un vote qui peut mettre fin aux fonctions d'un organe par l'interruption anticipée des fonctions.

La sanction est l'obligation de démissionner, ce qui est équivaut à un pouvoir de révocation. Cette responsabilité peut être individuelle et s'exercer contre un des membres du gouvernement (ou ministre), ou collective et elle s'exerce alors contre l'ensemble du gouvernement.

L'évolution anglaise a conduit de la responsabilité individuelle à la responsabilité collective, en même temps que de la responsabilité pénale à la responsabilité politique. Dans ce cas, c'est l'ensemble des ministres qui doivent présenter leur démission.

Il y a plusieurs procédés pour mettre en jeu cette responsabilité.
  • L'initiative peut provenir, par le vote d'une motion de censure, de l'une ou de l'autre des assemblées, ou des deux de façon égale, comme en France sous la IIIème République, où, de fait, le Sénat pouvait engager la responsabilité du gouvernement, ou en Italie, où le Sénat peut le faire en droit.
  • Elle peut être engagée à l'initiative du cabinet lui-même qui posera une question de confiance au Parlement, à l'une ou à l'autre des assemblées.

Rq.Cette question peut être posée librement ou spontanément, à l'occasion de la présentation du programme ou sur une question politique majeure, ou à l'occasion du vote d'une loi jugée particulièrement importante. Mais c'est le gouvernement qui en a l'initiative, afin de vérifier s'il possède toujours la confiance du Parlement, ou de la majorité de l'une des assemblées. À cette initiative, le Parlement doit répondre par le vote d'une motion de censure. L'enjeu de ce vote est le maintien ou le renvoi du gouvernement, par une forme de chantage ou de question à laquelle la majorité est obligée de répondre positivement si elle veut soutenir le gouvernement qui est issu d'elle.

On le voit, les variantes sont fort nombreuses et les choix d'un système ou d'un autre existent.

En regard, le droit de dissolution est la décision par laquelle il est mis fin aux fonctions d'une assemblée avant l'expiration du mandat de ses membres.

Pour une assemblée en effet, la durée du mandat fixée à l'avance est une condition de la démocratie. En matière de dissolution, là encore, plusieurs variantes peuvent exister.

Rq.Une ou plusieurs assemblées peuvent être dissoutes. Généralement c'est une des deux chambres, la chambre basse, c'est-à-dire la chambre populaire, élue au suffrage universel direct. Mais ce peut être les deux, comme en Italie.

Le pouvoir de dissolution appartient au chef de l'Etat en principe. Mais, dans le cas où le chef de l'Etat, Roi ou Président de la République ou autre, a perdu la réalité du pouvoir, c'est le chef du gouvernement qui exerce réellement ce pouvoir, même s'il peut être nominalement exercé par le chef d'Etat, comme en Grande-Bretagne.

La dissolution peut remplir diverses fonctions dans un régime parlementaire, même si ces fonctions peuvent être conciliables.

  • C'est un moyen pour le chef de l'Etat de se débarrasser d'une chambre hostile, en espérant que les élections apporteront une nouvelle majorité, comme en 1981 et 1988 en France, ou de rechercher une majorité élue sur d'autres bases, comme en 1997.
  • C'est aussi un moyen de faire arbitrer par le corps électoral un conflit entre le cabinet et la chambre ou la chambre et le chef de l'Etat (comme en France en 1962) : le vote des électeurs pourra confirmer l'élection de la Chambre et renvoyer les mêmes députés, ou au contraire les désavouer et confirmer le soutien au chef d'Etat ou au gouvernement (comme en 1962).
  • C'est aussi un moyen de pression sur la chambre conçu comme un élément de l'équilibre du régime parlementaire, contrepartie de la responsabilité du cabinet.

Dans tous les cas, la dissolution est suivie d'élections dites générales, c'est-à-dire de l'ensemble des membres de l'assemblée.

Elles sont multiples. Le régime parlementaire britannique a été souvent imité, jamais totalement égalé. Il s'est répandu en Europe au XIXème siècle, dans les monarchies, en France, en Belgique et aux Pays Bas. On le trouve naturellement aussi dans tous les pays dominés par le Royaume-Uni (Australie, Canada, Inde, Nouvelle-Zélande…)
  • Il s'est développé au lendemain des guerres du XXème siècle dans les pays d'Europe centrale après 1918, chez les vaincus de la seconde guerre mondiale ou dans les nouvelles démocraties des années 1970 (Portugal, Espagne).
  • Il s'est parfois implanté dans les nouveaux Etats indépendants d'Afrique, mais souvent pour une courte durée, car ces pays ont fini par adopter des régimes présidentialistes ou des dictatures.
  • Il s’est aussi développé après 1989, avec des variantes, dans les pays issus de l’ancien « bloc soviétique ».
Le régime parlementaire est sans doute plus adapté aux pays à la fois développés et en paix.


Du fait de cette multiplication des expériences, le régime parlementaire s'est acclimaté à certaines circonstances locales, de temps et de lieu et au problème du bipartisme ou du multipartisme. Mais le régime parlementaire ne se conçoit pas dans les pays à parti unique. Il y a eu néanmoins des régimes parlementaires libéraux ou démocratiques, car le suffrage universel direct n'est pas absolument obligatoire pour qu'il y ait régime parlementaire.

Il y a alors des oppositions historiques, anciennes et des oppositions ou classifications plus modernes.


Le régime parlementaire dualiste est le plus ancien, ou le plus proche des origines. Il est apparu réellement en 1782 avec la démission du gouvernement de Lord North et s'achève avec l'avènement de la reine Victoria en 1837.

En France, il porte le nom de régime parlementaire orléaniste parce qu'il s'est surtout développé sous Louis Philippe d’Orléans (1830-1848) et au tout début de la IIIème République.

Le dualisme existe lorsque le chef de l'Etat exerce des pouvoirs politiques réels et pas seulement nominaux.

Il demeure un acteur politique et le gouvernement sert de liaison entre le chef de l'Etat et le Parlement qui représentent deux légitimités concurrentes. Il est ainsi responsable devant deux autorités, le Parlement et le Chef de l'Etat.

Ex.En France, sous la Monarchie de Juillet, le roi tenait de la Charte de 1830 le droit de révoquer le gouvernement et la Chambre des députés avait peu à peu conquis ce droit. Le roi participait aussi à l'exercice du pouvoir législatif, par le pouvoir de sanction. Guizot disait en 1834 que « Le trône n'est pas un fauteuil vide, ni une machine inerte ». Le ministère ne pouvait rester en fonction que tant qu'il avait la confiance du roi et de la chambre. La politique gouvernementale était le fruit d'un compromis en vue d'un équilibre.

Rq.Le parlementarisme dualiste est un stade passager. Si le compromis cède, le ministère tombe. La dissolution n'est pas une solution car les électeurs peuvent renvoyer la même assemblée et le roi ne peut que, soit recourir à la force, comme Charles X en 1830, soit céder. Dans ce cas, si le roi garde un ministère qu'il désapprouve, celui-ci ne dépend plus alors que de la Chambre et le parlementarisme devient moniste, comme lors de la crise du 16 mai 1877 en France. Le monisme peut succéder au dualisme, sans que le texte constitutionnel soit modifié, comme cela s'est produit sous la IIIème République en 1879.

Le monisme est un système dans lequel le gouvernement ne dépend plus que d'une seule autorité, la Chambre.

La politique menée dépend de la majorité siégeant dans l'une des assemblées, ou dans les deux. Le roi ou le président de la République ne peut plus rien faire politiquement, comme l'exprime l'axiome anglais « Le roi ne peut mal faire, puisqu'il ne peut rien faire ». Au mieux il peut exercer une magistrature morale ou d'influence, ou incarner la représentation de l'Etat s'il s'agit d'une monarchie, comme au Royaume-Uni. Dans ce cas de régime parlementaire, le dialogue se fait surtout entre le Parlement et le gouvernement, au point peut-être de déformer le régime parlementaire vers un autre régime, ainsi que le montre l'évolution de la IIIème République après 1879.

Rq.Le régime parlementaire moniste domine les Etats parlementaires, sauf quelques pays, comme la Finlande, le Portugal et la France de la Vème République.

Ce sont des formes plus nouvelles du parlementarisme.
  • Le premier est lié à la volonté de mettre fin à certains excès du régime parlementaire moniste.
  • Le second est lié au poids des partis.


Rq.L'expression est doctrinale et est due à B. Mirkine-Guetzevitch pour décrire la Constitution allemande de Weimar de 1919. Il fallait protéger le gouvernement, par une série de techniques ou de mécanismes, contre l'absence probable de majorité le soutenant au Parlement et prévenir, par des moyens institutionnels, les crises ministérielles. Il s'agit de permettre au gouvernement de pouvoir gouverner ou décider, en l'absence de majorité : la stricte réglementation de la motion de censure, la fixation de l'ordre du jour des assemblées, le vote bloqué sont les techniques habituelles (cf. art. 49, art. 48, art. 44 en France sous la Vème République).

L'article 67 de la Loi fondamentale allemande prévoit la motion de défiance constructive qui organise un lien entre le renversement du gouvernement et la formation de son successeur: « Le Bundestag ne peut exprimer sa défiance envers le chancelier fédéral qu'en élisant un successeur à la majorité de ses membres ».


C'est l'hypothèse inverse de la précédente. Le gouvernement dispose, par le jeu « naturel » des partis et du mode de scrutin, d'une majorité, soit forte soit disciplinée, au sein de l'Assemblée. Le gouvernement et l'Assemblée sont alors liés entre eux, et le gouvernement domine en réalité l'Assemblée. La collaboration des pouvoirs devient une forme de confusion des pouvoirs au profit de l'Exécutif gouvernemental. Cette confusion exige une discipline des partis et des députés, comme celle exercée par les « whips » ou fouets à la Chambre des Communes, qui sont des députés chargés de rameuter les députés pour les faire voter dans le « bon sens » voulu par le Gouvernement Ce parlementarisme est surtout présent en Grande Bretagne, où le Premier ministre est le leader du parti majoritaire et où le Parlement n'est plus qu'une tribune pour l'opposition. L'existence du « Shadow Cabinet » témoigne du caractère institutionnalisé de l'opposition, mais celle-ci est réduite à s'opposer sans avoir l'espoir de renverser le gouvernement. Depuis 1895, deux gouvernements ont été renversés par la Chambre des Communes au Royaume-Uni, celui de Ramsay Mac Donald en 1924 et celui de James Callaghan en 1979, à une voix de majorité.
Ce phénomène majoritaire se rencontre plus aisément dans un système bipartisan et discipliné, et plus difficilement quand il y a des coalitions fragiles comme sous la IVème République en France.
Au Royaume-Uni les changements de politique et d'hommes peuvent intervenir à l'intérieur dune même majorité, sans avoir recours à la dissolution de la Chambre des communes, ni en attendant des élections générales. C'est ainsi que Madame Thatcher a été victime d'une sorte de coup d'Etat au sein même du parti conservateur, une majorité se dressant contre notamment sa politique hostile à l'Union européenne,  qui a lui a préféré un Premier ministre plus consensuel, en la personne de John Major . Ce changement au sein du même parti au pouvoir montre le lien nécessaire entre la fonction de chef du parti majoritaire et le poste de Premier ministre au Royaume-Uni
De même, le référendum sur le Brexit du 23 juin 2016 s'étant conclu par la victoire des partisans de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, alors que le Premier ministre David Cameron s'était engagé en faveur du maintien, ce dernier a dû annoncer sa démission et son départ de la vie politique. Mais, de fait, Theresa May est devenue la nouvelle chef du Parti conservateur, succédant à David Cameron. Dès le 13 juillet, celui-ci présenta sa démission de la fonction de Premier ministre à la reine, qui confia cette charge à Theresa May. C'est lors du Congrès des Tories (le nom du parti conservateur) en octobre 2016, que Monsieur Cameron a été remplacé par son ancienne ministre de l'Intérieur, Madame Theresa May, à la tête du parti et qui est devenue Premier ministre. Pour tenter de conforter sa majorité, Madame May a provoqué la dissolution de la Chambre des Communes en application du Fixed-term Parliaments Act du 15 septembre 2011. Cette loi pourrait se traduire par "loi sur le terme fixe des pouvoirs du Parlement".  Cette loi instaure en principe un mandat fixe de cinq ans pour la Chambre des Communes et conditionne de manière inédite l'exercice du droit de dissolution de la Chambre : des élections anticipées ne pourront désormais être décidées que par l'autodissolution votée à la majorité des deux tiers des députés ou bien tenues de manière automatique dans l'hypothèse où la Chambre, ayant officiellement retiré sa confiance à un Gouvernement ne l'accorde à aucun autre dans le délai de quatorze jours. Au-delà des difficultés pratiques qu'un tel dispositif pourrait poser, pareille rationalisation représente une rupture dans la culture constitutionnelle britannique. Les élections ont eu lieu le 8 juin 2017 ont vu le Parti conservateur perdre la majorité absolue à la Chambre et Madame May a dû négocier une alliance avec dix députés du Parti unioniste démocrate d'Irlande du Nord pour se maintenir au pouvoir. Depuis le référendum sur le Brexit, la vie politique et parlementaire britannique est dominée par la recherche de la meilleure solution (ou de la moins mauvaise...) pour organiser la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne qui doit intervenir fin mars 2019. 

Rq.Ces classifications ne sont pas exclusives l'une de l'autre et le parlementarisme rationalisé associé au parlementarisme majoritaire conduit à un Parlement privé d'une grande part de ses attributions et renforce considérablement le Gouvernement. C'est un peu le cas de la France sous la Vème République, en dehors des périodes de cohabitation, et de l'Allemagne dans une mesure moindre.

On voit que le régime parlementaire n'est pas celui dans lequel le Parlement fait tout.

Section 3. Les régimes qui privilégient la hiérarchisation des pouvoirs

Il y a une séparation des pouvoirs, au moins formelle, sans qu'il n'existe pas un équilibre entre ces pouvoirs, mais plutôt une hiérarchie entre les pouvoirs. Celle-ci peut se faire au profit du pouvoir exécutif ou du pouvoir législatif.


C'est une déformation du régime présidentiel, ou un régime mixte, cumulant les caractéristiques des régimes précédents. Le chef de l'Etat exerce la réalité du pouvoir.

Le présidentialisme est un terme forgé pour les régimes africains dans lesquels le Président est doté de pouvoirs importants : ce régime concentre les pouvoirs entre les mains du chef de l'Etat, en raison de son élection au suffrage universel direct et de l'existence d'une majorité parlementaire à sa dévotion.

Le régime français de la Vème République, en dehors des périodes de cohabitation, est une forme de présidentialisme, puisque coexistent ensemble un Président élu au suffrage universel direct et disposant d'une majorité dans le pays ou majorité présidentielle et un gouvernement issu d'une majorité parlementaire.

Rq.Si ces deux majorités coïncident, il n'y a plus véritablement de contrepoids, sauf éventuellement dans la seconde chambre, si elle est élue différemment de la première, ce qui est le cas de la France.

  • Le Parlement permet au Président de réaliser le programme pour lequel il a été élu, et sert plus le faire-valoir que de contrepoids comme dans un régime présidentiel.
Rq.Ce modèle a été exporté en partie en Europe centrale, après 1989, et dans les pays d'Afrique noire. On le rencontre aussi en Finlande, et dans l'Allemagne de Weimar.

Le présidentialisme ne glisse pas vers la dictature si existent, malgré tout, des contre-pouvoirs comme les pouvoirs décentralisés, ou le pouvoir juridictionnel, et si l'Etat de droit qui protège les libertés fondamentales est sauvegardé.

Le suffrage universel et la volonté populaire peuvent toujours congédier les uns et les autres, à la différence des régimes dominés par les coups d'Etat. Sinon, le présidentialisme se transforme en dictature, qui est la forme exacerbée de la hiérarchisation des pouvoirs au profit de l'Exécutif.

  • Dans ce cas, les autres pouvoirs que le pouvoir exécutif sont des « ombres » sur lesquelles domine le pouvoir exécutif : les régimes napoléoniens en sont de bons exemples dans l'histoire de France. L'exécutif était personnalisé lors des deux Empires, et les assemblées ne subsistaient que pour la forme. Ce type de dictature peut être populaire car la dictature et le populisme font souvent bon ménage.
Le degré ultime est alors la dictature totalitaire dans lequel l'ensemble de la société dans tous ses aspects, y compris les activités privées, est régi par le pouvoir absolu d'un homme d'un groupe, d'un parti. Comme l'écrivait le doyen Vedel, « Napoléon Bonaparte dirigeait l'Etat, Hitler la société (...) ».




La concentration ou la hiérarchisation des pouvoirs se fait au profit du pouvoir législatif, du moins au départ.

Rq.Il s'appelle conventionnel parce qu'il est né sous la Convention en France (1792-1795). Les chambres, ou plus généralement la Chambre élue au suffrage universel, désignent et contrôlent un ministère ou un gouvernement qui est une sorte de commis ou « de préposé » et elles peuvent donc le révoquer. Ce ministère est souvent un comité issu de l'assemblée. L'essentiel du pouvoir politique se situe dans l'assemblée et celle-ci ne peut être dissoute car le Parlement est le souverain par délégation du peuple. L'assemblée fait la loi et la fait exécuter. Le régime conventionnel est très différent du régime parlementaire.
Mais « le régime conventionnel » est né en 1792 dans des conditions très particulières. Il y a eu en effet une réelle confusion de pouvoirs parce que la Convention était une assemblée constituante et qu'elle a dû exercer la réalité des pouvoirs. Elle a dû aussi lutter contre une série de périls, par des moyens exceptionnels. Le décret instituant le gouvernement révolutionnaire en 1793 pose le principe selon lequel « le gouvernement sera révolutionnaire jusqu'à la paix ». La Convention a en effet exercé une réelle dictature dont le centre s'est d'ailleurs « déplacé ».
La Convention avait confié la charge du pouvoir exécutif à un conseil issu d'elle-même, le Comité de Salut Public. Celui-ci exerça assez vite la réalité du pouvoir en se détachant de la Convention, la dominant alors qu'il aurait dû être contrôlé par elle, et au sein du Comité de Salut Public, un homme finit par dominer les autres membres. Ce fut Robespierre, du moins jusqu'à sa chute, provoquée par la Convention qui, lassée de la terreur, s'est révoltée et a condamné Robespierre.

La Constitution de 1793, jamais appliquée, a mis en place un système proche du régime d'assemblée, dans la mesure où fut organisée la prééminence de l'assemblée sur les autres organes, et non véritablement un régime de confusion des pouvoirs.

Rq.La Suisse est parfois présentée comme un exemple de régime d'assemblée : l'Assemblée fédérale, composée du Conseil national, qui représente la population avec des députés élus à la représentation proportionnelle, et le Conseil des Etats, qui représente les cantons, élisent le Conseil fédéral qui constitue l'Exécutif qui doit en principe se contenter d'exécuter la politique voulue par l'Assemblée fédérale. Il n'existe pas de dissolution ni d'engagement de responsabilité pour assurer la stabilité entre les organes. Le Conseil fédéral dispose alors d'une certaine indépendance.Mais, dans la pratique, le Conseil fédéral est l'organe prépondérant par la stabilité et la permanence de ses membres. Le Conseil incarne ainsi la continuité de l'action politique, au point que le régime suisse pourrait appartenir, par un curieux paradoxe, aux régimes dominés par l'Exécutif ! Sont appelées parfois régimes d'assemblées des déviations du régime parlementaire mais, sur ce point, la doctrine diverge. Certains auteurs estiment que ces régimes dans lesquels l'Assemblée ou le Parlement exerce de fait une très grande influence, par exemple parce que le droit de dissolution a disparu, sont des régimes d'assemblée. Il n'y a plus l'équilibre qui fait la caractéristique du régime parlementaire. L'Exécutif se retrouve dans une situation d'étroite dépendance par rapport à l'Assemblée par un usage excessif de la mise en jeu de la responsabilité du gouvernement et les gouvernements ne décident plus vraiment. Tel serait le cas de la IIIème, après 1879 avec la "Constitution Grévy", et de la IVème Républiques. C'est une situation de parlementarisme absolu, selon Carré de Malberg.

Cette opinion est parfois contestée par les auteurs qui estiment qu'existent malgré tout les ingrédients du régime parlementaire comme le bicéphalisme, la présence d'un véritable gouvernement qui peut, s'il le veut, exercer un rôle politique majeur.

On voit que le régime d'assemblée, si tant est qu'il existe et qu'il réponde à une définition précise, connaît bien des diversités et des catégories. On peut retenir de ces exemples que ce type de régime est celui dans lequel un organe, législatif, domine en théorie les autres.
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