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Institutions et principes fondamentaux du procès civil

La mise en oeuvre du droit d'action et les classifications des actions en justice

La leçon comporte deux sections qui se rattachent également à la théorie de l'action. La première traite des conditions de mise en oeuvre du droit d'action ; elle présente les différentes catégories de demandes en justice et les moyens de défense susceptibles de leur être opposés. Leurs régimes respectifs sont envisagés. La deuxième section est consacrée aux classifications des actions en justice. Ces classifications ont été élaborées à partir de la classification des droits substantiels que les actions sont destinées à sanctionner : actions réelles, personnelles et mixtes, actions mobilières et immobilières...


Section 1. La mise en œuvre du droit d'action

Nous allons traiter de la mise en œuvre du droit d'action, vue sous l'angle procédural de la présentation des prétentions. Celles-ci sont qualifiées de demandes en justice ou de défenses, en fonction de la position procédurale du plaideur qui les émet.

La demande se définit comme l'acte par lequel une personne soumet au juge une prétention. Il existe plusieurs sortes de demandes en justice. Nous en examinerons la classification avant de présenter les effets spécifiques attachés à la demande initiale.

Compte tenu du moment de leur formulation, on oppose d'un point de vue chronologique la demande initiale, dite aussi demande introductive d'instance, et les demandes incidentes.


Df.Elle est définie par l'article 53 du CPC comme l'acte par lequel un plaideur prend l'initiative du procès en soumettant ses prétentions au juge.

La demande est l'acte processuel ayant pour objet la prétention (sur la nécessité de prétentions, voir RTD civ. 96 981, obs. R. Perrot) : toute demande établissant un (nouveau) lien juridique d'instance est qualifiée de « demande principale ». Nous verrons ultérieurement que les formes procédurales que peut revêtir la demande initiale sont variables, même si ces modalités se sont réduites depuis 2020.
Le demandeur a la possibilité de former plusieurs demandes initiales juxtaposées : elles ne sont alors pas soumises à la condition de lien suffisant exigée en matière de demandes incidentes.
Il existe parfois une hiérarchisation des demandes, en ce sens que l'acte introductif d'instance peut contenir des demandes subsidiaires, formulées au cas où une demande principale ne serait pas accueillie (E. Putman, « Remarques sur la demande subsidiaire », JCP G 91 I 3493). Dans ce cas, le juge doit respecter la hiérarchie proposée par les parties (Cass. Civ. 3ème, 11 mai 2011, D. 2011 1425 - Cass. Civ. 3ème, 6 mai 2015, Proc. 2015 Fasc. 7 n° 215 obs. Y. Strickler : le juge qui fait droit à la demande principale ne peut également recevoir la demande subsidiaire sans modifier l'objet du litige, en méconnaissance de l'art. 4 du CPC).

Ex.Ass. Plén., 29/5/09, JCP G 09, n° 29-30, 129 note O. Salati : ne peuvent constituer un aveu (ndlr : de non-paiement) des conclusions par lesquelles, après avoir invoqué la prescription, une partie conteste, à titre subsidiaire, l'existence ou le montant d'une créance.
Est qualifiée d'incidente toute demande formée en cours d'instance, se greffant sur la demande initiale. Il existe aussi une classification des demandes incidentes. Leur régime juridique est marqué par le lien étroit qu'elles entretiennent avec la demande introductive d'instance.

Les demandes incidentes sont regroupées en trois catégories :
  • La demande reconventionnelle
    Elle émane du défendeur, qui contre-attaque en sollicitant un avantage autre que le rejet de la prétention du demandeur initial.
    Ex.Demande en annulation d'un contrat en réaction à une demande d'exécution des obligations contractuelles, demande reconventionnelle en divorce pour faute aux torts du demandeur.
    • Ass. plén., 22 avr. 2011, JCP G 2011 Fasc. 25 n° 715 note Y-M. Serinet, D. 2011 p. 1870, note O. Deshayes et Y.-M. Laithier, RTD civ. 2011 p. 795 et 798 obs. Ph. Théry : forme une demande reconventionnelle (Ndlr : et non une défense au fond) le cessionnaire qui ne se borne pas à invoquer la nullité d’un protocole mais entend voir tirer les conséquences de cette nullité en sollicitant la remise des parties dans l'état antérieur à la signature de l'acte et la condamnation des demanderesses à lui payer une certaine somme en restitution du prix déjà payé.
    • Cass. Civ. 2ème, 10 janvier 2013, JCP G 2013 Fasc. 16 n° 436 obs. G. Guerlin, D. 213 n° 877 note P. Pailler : Les demandes reconventionnelles, en première instance comme en appel, peuvent être formées tant par le défendeur sur la demande initiale que par le demandeur initial en défense aux prétentions reconventionnelles de son adversaire. L'adage « reconvention sur reconvention ne vaut » ne fait donc pas échec à une demande reconventionnelle indemnitaire formée par une caution en réaction à une demande reconventionnelle en paiement.
    • Cass. Com., 1er fév. 2018, Proc. 2018 Fasc. 4 n° 101 obs. Y. Strickler : notion de prétention au regard d'une demande reconventionnelle (demande de compensation judiciaire dans le cadre d'une procédure orale).
    • Cass. Civ. 2ème, 1er fév. 2018, JCP G 2018 Fasc. 18 n° 530 § 8 : application de la jurisprudence Cesareo au regard de la qualification d'une défense hybride (demande reconventionnelle de résolution d'un contrat après une procédure d'injonction de payer.
    Cette forme de demande est exclue entre co-défendeurs.
  • La demande additionnelle
    Est ainsi qualifiée la demande émise par toute personne déjà partie à un litige (il s'agit souvent du demandeur ou du défendeur), ayant formulé une demande et souhaitant modifier ou faire des ajouts à ses prétentions originelles.
  • La demande en intervention
    Ce type de demande fait référence à un tiers. L'intervention est qualifiée de volontaire lorsqu'elle émane d'un tiers qui manifeste ainsi spontanément sa volonté de se joindre au litige. Elle est dite forcée quand ce sont au contraire les parties qui décident d'attraire un tiers en justice contre le gré de celui-ci (article 66 du CPC).


La recevabilité des demandes incidentes est subordonnée, d'une part, à la recevabilité de la demande principale et, d'autre part, à leur rattachement par un lien suffisant aux prétentions originaires (article 70 du CPC).
La notion de « lien suffisant », proche de la connexité, est en principe appréciée souverainement par les juges. Ce lien de connexité n'est toutefois pas exigé en cas de demande de compensation judiciaire (demande reconventionnelle).

D'un point de vue procédural, les demandes incidentes présentent un intérêt en matière de compétence et de procédure en ce qu'elles font l'objet d'un formalisme allégé.
En effet, si la demande initiale doit souvent revêtir la forme d'une assignation, les demandes incidentes peuvent être formées par acte d'avocat à avocat devant le tribunal judiciaire, ou par des conclusions à la barre devant les juridictions spécialisées, sauf en cas d'intervention forcée ou de procédure par défaut.


Il convient d'examiner les effets de la demande initiale tant à l'égard du juge que des parties.

La saisine du juge n'est pas uniquement liée à la notification de la demande dans la mesure où l'assignation est un acte ne concernant que le défendeur et le demandeur. Elle tient souvent à la remise au greffe d'une copie de l'acte d'assignation, formalité autrefois qualifiée « d'enrôlement » mais la qualification de « placement » est désormais privilégiée par les professionnels.
Ex.De nombreux arrêts ont retenu que l’instance n’est véritablement introduite qu’à la date de "l’enrôlement" (Cass. Civ. 2ème, 29 fév. 84, RTD civ. 84 559 Perrot ; Cass. Civ. 3ème, 23 mars 93, RTD civ. 93 895 obs. crit. R. Perrot). Dans un avis du 4 mai 2010, la Cour de cassation a indiqué que lorsqu'une demande est présentée par assignation, la date d'introduction de l'instance doit s'entendre de la date de cette assignation, à condition qu'elle soit remise au greffe (Cass. avis, 4 mai 2010, RTD civ. 2010 614 obs. R. Perrot).

Devant le Tribunal judiciaire (art. 754 du CPC) et le tribunal de commerce (art. 857 du CPC) [et jusqu'à leur suppression le juge de proximité, le tribunal d'instance et le TGI], le non-respect de la formalité de remise au greffe dans le délai prescrit est sanctionné par la caducité de la demande.

La demande créée pour le juge une obligation fonctionnelle en ce qu'il doit statuer sur elle.
Cette obligation correspond à l'interdiction du déni de justice (article 4 du C. civ.). Le juge a le devoir de rendre une décision, même s'il s'agit d'un constat d'incompétence. Ce faisant, il ne doit pas non plus statuer infra , extra ou ultra petita : il doit statuer sur la demande, toute la demande mais rien que la demande. Les limites de sa saisine s'apprécient en principe lors de la formation de la demande, à l'exception des dommages-intérêts pour responsabilité, appréciés au jour de la décision.
 
- Entre les parties, la demande entraîne création d'un lien juridique d'instance, dont il résulte pour elles des obligations (sur la date de création du lien d'instance, voir B.1, supra). Le défendeur a ainsi l'obligation de comparaître selon les modalités requises devant la juridiction concernée.
Les controverses antérieures quant à la nature du lien d'instance (v. par ex., Vizioz, Etudes de procédure, p. 150 ; Glasson, Tissier, Morel, Traité théorique et pratique d'organisation judiciaire, de compétence et de procédure civile, Sirey 1925-1936, t. 2 n° 453 s.) ont abouti à la conclusion qu'il présente un double caractère légal et processuel. En particulier, il n'affecte pas les rapports de droit substantiel liant les parties. Il n'y a pas novation et les parties restent par exemple bailleur et locataire, créancier et débiteur, responsable et victime, indépendamment de leurs nouvelles qualités respectives de demandeur et défendeur.


- La demande conserve les droits du demandeur. Elle entraîne interruption des délais de prescription et des délais de forclusion.
L'effet interruptif se produit à la date de la citation, quelle qu'en soit la forme, et avant même qu'elle ait été portée à la connaissance du débiteur (Cass. Civ. 2ème, 29 nov. 95 et 13 déc. 95, RTD civ. 96 466). La règle vaut aussi en cas d'assignation en référé, sauf cas particuliers.

Ex.Cass. Civ. 2ème, 22 sept. 2016, Proc. 2016 Fasc. 11 n° 321 note Y. Strickler : le dépôt d'une requête en autorisation d'une mesure conservatoire n'est pas une citation en justice et ne saurait emporter interruption de la prescription - Cass. Com., 18 mai 2022, JCP 2022 Fasc. 25 n° 778, J.-D. Pellier : au regard du caractère limitatif des causes interruptives de prescription, une mise en demeure même envoyée par LRAR n'interrompt pas le délai de prescription.

L'effet interruptif est acquis même en cas de citation devant un juge incompétent ou si l'acte introductif d'instance se trouve être annulé en raison d'un vice de procédure (art. 2241 du C. civ.). Ce dernier cas de figure, issu de la loi du 17 juin 2008, constitue une rupture par rapport à la solution antérieure où la non-validité de l'assignation rendait non avenue l'interruption de prescription. La régularisation d'un acte d'appel nul était ainsi requise avant l'expiration du délai d'appel, ce qui n'est plus le cas désormais.
Ex.
  • Cass. civ. 1ère, 25 nov. 2010, Proc. 2011 Fasc. 2, n° 50, obs. R. Perrot - Cass. civ. 2ème, 8 sept. 2011, Proc. 2011 Fasc. 12 alerte 56 par C. Bléry et L. Raschel : assignation entachée d’une irrégularité de fond.
  • Cass. Civ. 2ème, 11 mars 2015, Proc. 2015 Fasc. 5 n° 151 obs ; H. Croze : L'art. 2241 al. 2 du C. civ. ne distingue pas entre le vice de forme et l'irrégularité de fond, de sorte que l'assignation même affectée d'un vice de fond a un effet interruptif.
  • Cass. Civ. 2ème, 16 oct. 2014, JCP G 2014 Fasc. 50 n° 1271 note C. Auché, Proc. 2014 Fasc. 12 n° 312 obs. H. Croze : application à une déclaration d'appel de la règle selon laquelle l'annulation, par l'effet d'un vice de procédure, de l'acte de saisine de la juridiction interrompt les délais de prescription et de forclusion.
  • L'acte de saisine de la juridiction, même entaché d'un vice de procédure, interrompant les délais de prescription et de forclusion, donc le délai d'appel, la régularisation reste possible. tant que le juge n'a pas statué, du fait du jeu des articles 115 et 121 du CPC (Cass. Civ. 2ème, 1er juin 2017, n° 16-14.300, D. 2017 1868 §1 et Proc. 2017 F. 8 n° 178 ; Cass. Civ. 2ème, 12 oct. 2017) - Cass. Civ. 2ème, 12 avril 2018 : la déclaration d'appel, même entachée d'un vice de procédure, interrompt le délai d'appel, ce qui permet la régularisation avant que le juge ne statue sur la demande de nullité - Cass. Civ. 2ème, 28 juin 2018, Proc. 2018 com. 280 obs. H. Croze : possibilité de régularisation d'une nullité pour vice de fond (pendant le délibéré) (1ère esp. ). Il n'en va pas de même si l'annulation tient à une fin de non-recevoir non régularisée dans le délai d'appel (2ème esp.). L'article 2241 du C. civ. n'est pas non plus applicable en cas de seconde déclaration d'appel faite par voie numérique, la première déclaration ne l'ayant pas été sous la forme prescrite par l'art. 930-1 du CPC, s'agissant d'une fin de non-recevoir et non d'une nullité (Cass. Civ. 2ème, 1er juin 2017, n° 16-15.568, Proc. 2017 F. 8 n° 178 note H. Croze, JCP 2017 Fasc. 44 n° 1177 note D. Mas, D. 2017 1868 §1).

Aux termes de l'art. 2231 du C. civ., l'interruption efface le délai de prescription acquis et fait courir un nouveau délai de la même durée que l'ancien. L'interruption de la prescription dure toutefois jusqu'à l'extinction de l'instance (art. 2242, C. civ.) : en fait, l'enrôlement suspend la nouvelle prescription.

Ex.Les dispositions générales de l’ex article 2246 du C. civ. (devenu art. 2241 du C. civ.) avaient été jugées applicables à tous les délais pour agir et à tous les cas d’incompétence (Cass. Mixte, 24 nov. 2006, JCP G 07 II 10058 note Pétel-Teyssié et JCP G 07 I 139 n° 14, obs. Théry, RTD civ. 07 169 n° 2, obs. Perrot RTD civ. 07 175 n° 1, D. 07 1112 note Wintgen ; Cass. Civ. 3ème, 21 fév. 07, Proc. 07 n° 103 ; Cass. Civ. 1ère, 9 juill. 09, JCP G 09 n° 31-35, 156 - Cass. Civ. 3ème, 2 juin 2010, Proc. 2010 n° 310), mais à condition que la citation ait été délivrée dans des conditions exclusives de toute mauvaise foi du demandeur (Cass. Civ. 2ème, 16 déc. 04, JCP G 05 II 10073).

L'interruption est toutefois non avenue si le demandeur se désiste de sa demande, laisse périmer l'instance, ou si sa demande a été définitivement rejetée par une décision de rejet ayant acquis autorité de chose jugée (article 2243 du C. civ.).

Ex.En cas de désistement motivé par l'incompétence de la juridiction saisie, il semble possible d'échapper à une irrecevabilité de la demande pour tardiveté, du fait de la disparition de l'effet interruptif, en saisissant la juridiction effectivement compétente avant de se désister (Cass. Soc., 9/7/08, RTD civ. 08 721 n° 2).

Cass. Civ. 2ème, 8 oct. 2015, Proc. 2016 Fasc. 1 n° 2 note H. Croze : L'art. 2243 du C. civ. ne distinguant pas selon que la demande est définitivement rejetée par un moyen de fond ou par une fin de non-recevoir, l'effet interruptif de prescription de la demande en justice est non avenu si celle-ci est déclarée irrecevable. - J. Jourdan-Marques, « Faut-il abroger l'art. 2243 du C. civ. », Proc. 2016 Fasc. 7 n° 7.

Cass. Civ. 2ème, 5 oct. 2023, n° 21-21.007, JCP 2023 Fasc. 41 act. 1153, Proc. 2023 Fasc. 12 n° 314 note S. Amrani-Mekki : jusqu'à cette décision, une difficulté se posait lorsqu'était en cause la saisine d'une Cour d'appel incompétente. La Cour de cassation considérait qu'il s'agissait d'une fin de non-recevoir, a priori régularisable, mais elle jugeait aussi que l'interruption du délai d'appel était non avenue lorsque l'appel était définitivement rejeté par une fin de non-recevoir (art. 2243 du C. civ.). Cette solution aboutissait à faire rétroagir la décision d'irrecevabilité rendue postérieurement à un second appel formé devant la juridiction compétente. Dans cet arrêt de revirement, rendu au visa des articles 2241 du C. civ. et 6 §1 de la Convention EDH, elle retient que la régularisation de la fin de non-recevoir tirée de la saisine d'une juridiction incompétente est possible si, au jour où elle intervient, dans le délai d'appel interrompu par une première déclaration d'appel formée devant une juridiction incompétente, aucune décision définitive d'irrecevabilité n'est intervenue.
En savoir plus : Autres hypothèses d'absence d'effet interruptif de l'assignation

Il a été jugé, avant la loi du 17 juin 2008, qu'il n'y avait pas non plus d'effet interruptif en cas :
  • de défaut de pouvoir du juge des référés, saisi sur le fondement de l'article 809 al. 2 du CPC (art. 835 al. 2 nouveau), car cela constitue une fin de non-recevoir : D. 96 som. 354, Proc. 01 n° 4.
  • d'assignation devant une juridiction inexistante : Cass. Civ. 2ème, 23 mars 00, JCP G 00 II 10348, Rev. Proc. 00 n° 141 ; Ass. Plén., 3 avril 87, JCP G 87 II 20792 concl. Cabannes, RTD civ. 87 401 obs. R. Perrot.
La jurisprudence antérieure à 2008 considérait aussi l'interruption comme non avenue en cas de caducité de la citation. Cette cause d'extinction de l'instance n'est pas visée par l'article 2243 du C. civ. ce qui a suscité des commentaires doctrinaux critiques (L. Miniato, « La loi du 17 juin 2008 rend-elle caduque la jurisprudence de l'Assemblée Plénière de la Cour de cassation ? », D. 08 2952). Pour mémoire, il a été vu précédemment que devant le Tribunal judiciaire et le tribunal de commerce l'assignation est caduque de placement de l'assignation (voir supra B.1).

Cas particulier : la caducité de la déclaration d'appel.
La jurisprudence récente impose que la régularisation d'une déclaration d'appel irrégulière intervienne durant la procédure d'appel. Selon la Cour de cassation, l'acte de saisine de la juridiction, même entaché d'un vice de procédure, interrompt les délais de prescription et de forclusion, donc le délai d'appel, et la régularisation reste possible tant que le juge n'a pas statué, du fait du jeu des articles 115 et 121 du CPC (Cass. Civ., 1er juin 2017, n° 16 -14300, D. 2017 1868 §1 et Proc. 2017 F. 8 n° 178 ; Cass. Civ. 2ème, 12 oct. 2017).Mais la recevabilité et la portée d'une seconde déclaration d'appel peuvent soulever d'autres difficultés car il est désormais établi que l'effet interruptif ne saurait être détourné en formant une nouvelle déclaration d'appel pour pallier d'autres carences procédurales, telles le non-respect des délais de l'art. 908 du CPC pour conclure en appel. La Cour de cassation a en effet jugé dans un arrêt du 11 mai 2017 "qu'appel sur appel ne vaut": tant que la Cour d'appel est régulièrement saisie d'un appel dont la caducité n'a pas encore été prononcée, un second appel, est irrecevable faute d'intérêt à agir (Cass. Civ. 2ème, 11 mai 2017, Proc. 2017 Fasc. 8 n° 177 obs. H. Croze). Jusqu'à l'entrée en vigueur du D. n° 2017-891 du 6 mai 2017, la recevabilité d'une seconde déclaration après le prononcé de la caducité de la première ne posait pas problème si le délai d'appel n'était pas expiré. Cette solution n'est désormais plus autorisée par l'article 911-1 du CPC [art. 916 du CPC à compter du 1er sept. 2024].
Pour parachever le raisonnement, un autre arrêt a jugé qu'en présence d'une seconde déclaration d'appel visant à régulariser la première, le délai de l'art. 908 du CPC court à compter de la première déclaration :
  • Cass. Civ. 2ème, 16 nov. 2017, JCP G 2017 Fasc. 49 n° 1274 : inefficacité de la seconde déclaration, face au constat de caducité de la première, faute de conclusions dans le délai de 3 mois.
  • Considérant que la déclaration d'appel portant l'indication "appel total" encourt la nullité prévue par l'art. 901 du CPC, et que cette nullité peut être couverte par une nouvelle déclaration d'appel à condition que la régularisation intervienne dans le délai imparti à l'appelant pour conclure (Cass. Civ. 2ème, avis, 20 déc. 2017, D. 2018 692 § IIA obs. N. Fricero et 757 n° 2 , JCP G 2018 Fasc. 7 n° 173 note P. Gerbay, Proc. 2018 Fasc. 3 n° 69 obs. H. Croze).
En résumé : l'appelant n'a pas d'intérêt à agir tant que la caducité n'a pas été prononcée et il n'y a pas d'autonomie de la seconde déclaration à visée régularisatrice du point de vue du délai pour conclure.
- Elle vaut mise en demeure du débiteur (article 1344 du C. civ.), ce qui engendre les conséquences suivantes :
  • Elle fait courir les intérêts moratoires (article 1344-1 du C. civ.). En matière de référé-provision, ils courent même dès l'assignation (les autres assignations en référé ne produisent pas cet effet).
  • En matière contractuelle, les risques qui pesaient sur le créancier d'un corps certain passent à la charge du débiteur de la délivrance (art. 1196 et 1344-2 du C. civ.).

- Enfin, la demande rend le droit litigieux (article
1700 du C. civ.).

Pour résister à une demande, le défendeur peut se contenter de se défendre ou décider de contre-attaquer, en formant une demande reconventionnelle. Si l'on peut qualifier de « défenses » tous les moyens lui permettant de réagir contre la demande, nous ne traiterons ici que des défenses en justice stricto sensu, la demande reconventionnelle ayant été présentée auparavant.

L'évolution et la simplification annoncées sur ce point dans le cadre des Chantiers de réforme de la Justice ne s'étant pas concrétisées, les moyens de défense se divisent toujours en trois catégories : les défenses au fond (A), les exceptions de procédure (B) et les fins de non-recevoir (C) (J. Héron intégrait ces deux dernières catégories dans la notion de "défense procédurale", Héron, par T. Le Bars, op. cit.).
Nous préciserons à chaque fois en quoi consistent ces notions, avant d'en présenter le régime.


Df.La défense au fond consiste en la contestation par le défendeur du droit (subjectif) substantiel revendiqué par le demandeur : il y a négation du droit invoqué au fond.

Ex.Le débiteur affirme par exemple qu'il ne doit plus rien, parce qu'il a déjà remboursé la dette ou car il y a eu compensation avec une autre dette dont le créancier était lui-même débiteur à son égard.

Ass. plén., 22 avr. 2011, JCP G 2011 Fasc. 25 n° 715 note Y.-M. Serinet : forme une demande reconventionnelle (et non une défense au fond) le cessionnaire qui ne se borne pas à invoquer la nullité d’un protocole mais entend voir tirer les conséquences de cette nullité en sollicitant la remise des parties dans l'état antérieur à la signature de l'acte et la condamnation des demanderesses à lui payer une certaine somme en restitution du prix déjà payé.

En matière de cautionnement :
  • sur la question des voies procédurales (demande reconventionnelle ou défense au fond) ouvertes à la caution qui veut se soustraire à l'action en paiement en invoquant la faute du créancier, voir Cass. Mixte, 21 fév. 03, JCP G 03 I 128 n° 19 et II 10103.
  • la demande en nullité d'un cautionnement constitue une défense au fond qui peut être soulevée pour la première fois en appel : Cass. Civ. 2ème, 16 déc. 04, Proc. 05 n° 69.
  • Cass. Civ. 2ème, 7 juin 07, D. 08 649 : l'arrêt analyse en une défense au fond le fait de « s'en rapporter à la Justice ».
  • Cass. Com., 13 déc. 2017, RTD civ. 2018 484 obs. N. Cayrol : qualification de l'exception de compensation (la caution dispose d'une option procédurale entre défense au fond et demande reconventionnelle).
  • Cass. Civ. 1ère, 31 janv. 2018, JCP G 208 Fasc. 11 n° 275 note Y.-M. Serinet, JCP G 2018 Fasc. 18 n° 530 §5 obs. R. Libchaber : une défense au fond au sens de l'art. 71 du CPC échappe à la prescription. Constitue une telle défense en matière de cautionnement, le moyen tiré de l'art. L. 332-1 du C. conso. par lequel la caution invoque la disproportion de son engagement (nb : texte abrogé : se reporter désormais à l'art. 2300 du C. civ.).
Les défenses au fond peuvent être opposées dans un ordre quelconque et en tout état de cause (art. 72 du CPC).

En théorie, elles peuvent être soulevées jusqu'à la clôture des débats. En pratique, devant certaines juridictions, notamment devant le tribunal judiciaire en procédure contentieuse écrite, il s'agira plutôt de l'ordonnance de clôture de l'instruction.
Les défenses au fond peuvent aussi être invoquées devant la Cour de cassation si elles ne constituent pas un moyen nouveau.

Leur accueil ne permet pas de renouveler la demande car le fond du droit a déjà été examiné : il y a autorité de chose jugée (sur celle-ci et ses effets, voir leçon 6).


Df.Selon la définition donnée par l'article 73 du CPC, l'exception de procédure vise à contester la procédure suivie, soit en remettant en cause sa régularité, soit en invoquant son extinction ou sa suspension.

Elle constitue en général un obstacle temporaire à l'action, n'affectant pas le droit, même si elle traduit un refus provisoire du débat au fond.

Rq.Rappel : depuis la loi du 17 juin 2008, l'interruption de prescription est maintenue en cas de nullité de l'assignation, lorsque la nullité est due à un vice de procédure (art. 2241 du C. civ.).

Il existe cinq catégories d'exceptions de procédure :
  • l'exception d'incompétence,
  • l'exception de litispendance,
  • l'exception de connexité.
Ces trois exceptions ont été étudiées dans la leçon 5.
  • Les exceptions dilatoires, qui entraînent une suspension légale de l'instance.
Ex.Exception de garantie, exception de l'héritier, invocation du bénéfice de discussion ou de division en matière de cautionnement.
  • Les exceptions de nullité des actes de procédure, pour vice de forme ou irrégularité de fond (les exceptions de nullité seront envisagées dans la leçon 11).
Rq.Attention, certains moyens de défense qualifiés « d'exceptions » sont en réalité des fins de non-recevoir (exception de chose jugée) ou des défenses au fond (exception de compensation, visant à faire constater une compensation légale).

Ex.Cass. Civ. 3ème, 16 mars 2010, RTD civ. 2010 p. 374 obs R. Perrot : constitue une défense au fond et non une exception de procédure un moyen de défense fondé sur un vice du consentement, c'est-à-dire un vice concernant le negotium.

Rq.La demande de compensation judiciaire constitue quant à elle une demande reconventionnelle.

Attention, s'agissant de la compensation "légale" le nouvel art. 1347 du C. civ. ne permet a priori plus au juge de constater d'office qu'elle s'est opérée de plein droit (L. Andreu, « La condamnation d'une pratique judiciaire répandue : le constat par le juge de la compensation de condamnations réciproques des parties au procès », D. 2018 175).

Les exceptions de procédure font l'objet d'un régime rigoureux car elles conduisent à différer la solution du litige, et il faut donc éviter qu'elles ne soient utilisées à des fins abusives ou dilatoires. Aux termes de l'article 74 du CPC elles doivent, à peine d'irrecevabilité (prononcée d'office : Cass. Civ. 2ème, 29 oct. 86, D. 87 som. 229 Julien), être invoquées :
  • simultanément
    Ex.Cass. Civ. 1ère, 14 mai 2014, Proc. 2014 fasc. 7 n° 198, obs. R. Perrot et n° 206 obs. L. Weiller : la demande de sursis à statuer formée en défense est une exception de procédure, qui doit, à peine d'irrecevabilité, être soulevée simultanément avec les autres exceptions.
  • et « in limine litis ».
    Df.L'expression « invocation in limine litis » signifie qu'elles doivent être présentées au début du litige, ou plus précisément avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, même si elles sont d'ordre public.

    Ex.
    • Les exceptions peuvent être invoquées dans les mêmes conclusions que les défenses au fond et fins de non-recevoir mais à condition de respecter la chronologie (!) : Cass. Civ. 2ème, 8 juill. 04, D. 04 2610 note Beignier, Proc. 04 n° 199, JCP G 04 II 10176 note Croze, obs. Perrot RTD civ. 05 181.
    • Un défendeur n'engage pas un débat sur le fond s'il se borne à exposer des faits sans en tirer aucune conséquence (Cass. Civ. 1ère, 8 juill. 2010, Proc. 2010, Fasc. 10, n° 337, obs. Roger Perrot ).
    • L'invocation de l'art. 47 du CPC ne permet pas, en application de l'art. 74 du CPC, de soulever ensuite une exception d'incompétence (Cass. Civ. 2ème, 26 juin 2014, JCP G 2014 fasc. 40 n° 985 note D. Cholet, Fasc. 48 n° 1232 obs. Y.-M. Serinet).

Les exceptions à ces deux règles sont en réalité nombreuses.
  • Exceptions au principe d'invocation « in limine litis » : l'invocation des nullités pour vice de forme peut se faire au fur et à mesure de leur naissance (article 112, CPC). Les exceptions de connexité et de nullité pour irrégularité de fond peuvent être soulevées en tout état de cause. Toutefois si elles ont été soulevées tardivement dans une intention dilatoire, les premières peuvent être écartées (article 103, CPC) et les secondes justifier une condamnation à dommages-intérêts (article 118, CPC).
    Ex.
    • Une exception de nullité présentée « in limine litis » en première instance peut être reprise en appel jusqu'aux dernières conclusions (Cass. Civ. 2ème, 8 fév. 01, Rev. Proc. 01 n° 119, JCP G 01 II 10633).
    • En vertu de l'art. 74 du CPC, la demande de sursis dans l'attente de la décision de la juridiction administrative doit, à peine d'irrecevabilité, être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir, alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public. En revanche, la demande de saisine de la Cour de Justice tendant au renvoi de l'affaire pour interprétation des textes communautaires en vertu de l'article 234 du Traité CE, peut être présentée en tout état de cause et même à titre subsidiaire (Cass. Civ. 2ème, 18 déc. 2008, JCP G 08 II 10048).
  • Exception au principe de simultanéité :
    • l'héritier, qui bénéficie d'un délai de 4 mois pour faire inventaire avant d'exercer son option successorale (article 771 du Code civil), peut, dans un premier temps, se contenter d'invoquer l'exception dilatoire dont il bénéficie (article 111 du CPC).
    • Nullité pour vice de fond (Cass. Civ. 2ème, 9 juin 2022, Gaz. Pal. 25 oct. 2022 note N. Hoffschir).





Df.Les fins de non-recevoir entraînent un rejet de la demande par irrecevabilité, sans examen du fond du droit.

On dit souvent qu'elles possèdent une nature hybride : elles produisent comme les défenses au fond un effet définitif, et cela sans qu'il y ait débat au fond, comme pour les exceptions de procédure. En l'occurrence, leur accueil signifie la négation du droit d'action (Perdriau, « Une action peut-elle être déclarée à la fois irrecevable et mal fondée ? », JCP G 98 I 162). Une demande ultérieure pourrait néanmoins être intentée avec succès en cas de levée de l'obstacle (fins de non-recevoir "en l'état").
Plusieurs fins de non-recevoir sont énoncées par l'article 122 du CPC :
  • le défaut d'intérêt,
  • le défaut de qualité,
  • la prescription,
  • le délai préfix,
  • la chose jugée.
Cette liste n'a jamais été considérée comme exhaustive et d'autres exemples existent ou ont existé, notamment en droit de la famille : réconciliation en matière de divorce, fins de non-recevoir en matière de filiation.

La doctrine considère que les fins de non-recevoir peuvent constituer un instrument de politique législative : elles sanctionnent des règles dont le législateur entend faire des conditions du droit de présenter une demande (J. Héron) et traduisent parfois un refus d'accorder le droit d'agir (L. Cadiet).

Ex.Exemples de fins de non-recevoir consacrées par la jurisprudence :
  • Cass. Civ. 1ère, 13 nov. 2014, JCP G 2015, Fasc. 4 n° 49 note M. Douchy-Oudot : l'action tendant à la reconnaissance d'une ascendance génétique par voie d'expertise, lorsque celle-ci nécessite une exhumation, n'est recevable qu'en présence d'une mise en cause des ayants droit du défunt. En matière d'état des personnes, cette fin de non-recevoir est d'ordre public et doit être soulevée d'office par le juge.
  • Clause prévoyant un préalable de conciliation ou médiation :
    • Clause de conciliation : Cass. Mixte, 14 fév. 03, JCP G 03 I 128 obs. Cadiet, RTD civ. 03 349 obs. Perrot, JCP G 03 I 164 n° 3-9 obs. Seraglini, D. 03 som. com. 2480 ; Cass. Civ. 1ère, 6 mai 03, JCP G 04 II 10021 note Colson ; Cass. Com., 17 juin 03, Proc. 03 n° 213, RTD civ. 04 136.
    • Clause de médiation : Cass. Civ. 1ère, 8 avril 09, JCP G 09 F. 26 n° 43, F. 43 N° 369 § 9, F. 47 n° 462 §9 ; D. 09 1284, Proc. 09 n° 203).
    Cette clause suspend jusqu'à son issue le cours de la prescription (Cass. Civ. 1ère, 27 janv. 04, Proc. 04 n° 47).
    Cour EDH 26 mars 2015, RTD civ. 2016 698 obs. P. Théry, l'obligation préalable de médiation ou conciliation à peine d'irrecevabilité ne constitue pas une entrave disproportionnée à l'accès au juge.
    La clause peut être invoquée pour la première fois en appel (Cass. Com., 22 fév. 05, Proc. 05 n° 120, RTD civ. 05 450). En cas d'échec de la tentative postérieure de conciliation, il y a privation d'autorité de chose jugée de l'arrêt retenant la fin de non-recevoir (Cass. Civ. 2ème, 21 avril 05, JCP G 05 II 10153, Proc. 05 n° 267). La question semble posée de savoir si une clause contractuelle prévoyant une tentative de règlement amiable doit être assortie de conditions particulières de mise en œuvre pour constituer une procédure de conciliation obligatoire préalable, dont le non-respect entraîne une fin de non-recevoir s'imposant au juge (en ce sens, Cass. Com., 29 avril 2014, JCP G 2014 Fasc. 21 n° 607 note O. Sabard – Contra, exigence de caractérisation semblant remise en cause par Cass. Civ. 3ème, 19 mai 2016, D. 2016 2377 note V. Mazeaud - Sur l'opposition maintenue entre Cass. Civ. 3ème et Cass. Com. : JCP G 2018 Fasc. 49 n° 1288 § 4 obs. L. Veyre). Il a par ailleurs été jugé que la fin de non-recevoir tirée de l'absence de mise en œuvre d'une clause de conciliation n'est pas régularisable en cours d'instance (Cass. Mixte, 12 déc. 2014, JCP G 2014 Fasc. 52 n° 1328 obs. G. Deharo, ibid. 2015 Fasc. 5 n° 115 note N. Dissaux, D. 2015. 298 note C. Boillot ; ibid. 287, obs. N. Fricero, RTD civ. 2015 187 obs. P. Théry : solution constituant un revirement de jurisprudence. T. Amico et V. Mramzine, « Les conséquences pratiques de la jp visant les clauses de conciliation », JCP G 2015 Fasc. 10 n° 309).
  • Clause prévoyant un recours préalable à expertise : fin de non-recevoir pouvant être proposée en tout état de cause, y compris en appel (Cass. Com., 22 oct. 2012, Proc. 2013 Fasc. 1 n° 3 obs. R. Perrot).
  • Immunité de juridiction d'un Etat étranger (Cass. Civ. 1ère, 27 avril 04, RTD civ. 04 769 n° 2). Cass. Soc., 31 mars 09, JCP G 09 II 10097 : cette immunité n'existe qu'à condition que l'acte qui donne lieu au litige participe, par sa nature ou sa finalité, à l'exercice de la souveraineté de ces Etats et ne constitue pas un acte de gestion (cas d'un licenciement économique, suite à la fermeture d'un consulat). Dans le même sens, la Cour EDH estime que l'application du principe de l'immunité juridictionnelle de l'État viole le droit d'accès à un tribunal lorsque sont en cause des procédures relatives à des contrats de travail (Cour EDH, 18 janv. 2011, Guadagnino c/ Italie et France ; Cour EDH, 29 juin 2011, Sabeh El Leil c/ France , JCP G 2011 actu 874 obs. K. Grabarczyk, JCP G 2011 Fasc. 35, n° 940 obs. F. Sudre).
  • Invocation par les (seules) cautions de la suspension des actions à leur encontre, en cas d'ouverture d'un redressement judiciaire, et ce, jusqu'au jugement prononçant la liquidation judiciaire ou arrêtant un plan de redressement (Cass. Mixte, 16 nov. 07, Proc. 08 n° 187 obs. Rolland, D. 07 3009 obs. Lienhard ; JCP G 08 II 10019 note Salati).
  • La seule circonstance qu'une partie se contredise au détriment d'autrui (estoppel ou principe de cohérence : attitude initiale d'une partie conduisant une autre personne à modifier en conséquence sa position, la première contredisant ensuite l'apparence ou la représentation trompeuse qu'elle avait initialement créée) n'emporte pas nécessairement fin de non-recevoir (Ass. Plén, 27 fév. 09, JCP G 09 II 10073, note P. Callé, D. 09 723 obs. Delpech et 1245 note Houtcieff). A contrario, cela signifie qu'il peut y avoir fin de non-recevoir mais que la Cour entend se réserver le contrôle des conditions d'appréciation de l'estoppel. En l'occurrence, la chambre commerciale, dans un arrêt du 20 sept. 2011, a, pour la première fois, écarté une fin de non-recevoir en visant le principe général de droit selon lequel « nul ne peut se contredire au détriment d'autrui » (Cass. Com., 20 sept. 2011, D. 2011 2345, RTD civ. 2011 760 obs. B. Fages; V. aussi Cass. Com., 3 juillet 2012, note S. Pierre-Maurice, D. 2012 2942). La jurisprudence apparaît contradictoire sur la question de l'élément intentionnel (Cass. Civ. 1ère, 24 sept. 2014 Fasc. 45 n° 1141 note D. Houtcieff, JCP G 2014 fasc. 48 n° 1232 obs. Y.-M. Serinet) et, de manière générale, les conditions d'application apparaissent restrictives (Cass. Soc., 22 sept. 2015 ; Cass. Civ. 1ère, 28 oct. 2015, JCP G 2016 Fasc. 4 n° 80 note D. Cholet, « Que reste-t-il du principe selon lequel nul ne peut se contredire », Proc. 2016 Fasc. 1 n° 7 Y. Strickler). G. Bolard, Le droit de se contredire au détriment d'autrui, JCP G 2015 Fasc. 6 n° 146). La Cour semble par exemple cantonner l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui aux contradictions entre prétentions au sein du même procès : Cass. Civ. 2ème, 22 juin 2017 JCP G 2017 Fasc. 29 n° 816 obs. D. Cholet, JCP G 2017 Fasc. 51 n° 1355 §5 obs. R. Libchaber - V. déjà RTD civ. 2015, p. 452, obs. N. Cayrol).
  • Validité des clauses conventionnelles de forclusion : Cass. Com., 26 janv. 2016, JCP G 2016 Fasc. 13 n° 365 note N. Balat, D. 2016 682 note J. François.
 
En savoir plus : Fins de non-recevoir et modes alternatifs de règlement des différends

Le souhait de renforcer la place des modes alternatifs de règlement des différends s'est traduit depuis 2016 par la création de nouvelles fins de non-recevoir. L'article 4 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 a tout d'abord imposé, à peine d'irrecevabilité, de tenter une conciliation avec un conciliateur de justice avant de saisir par déclaration au greffe le juge d'instance d'une demande inférieure à 4 000 €. La fusion des TI et des TGI a donné lieu à une modification du texte et à une extension de l'obligation de tentative amiable de règlement des litiges : avant de saisir le tribunal judiciaire d'une demande tendant au paiement d'une somme n'excédant pas un montant défini par décret ou relative à un conflit de voisinage, les parties doivent désormais tenter, à leur choix mais à peine d'irrecevabilité que le juge peut prononcer d'office, une conciliation avec un conciliateur de justice, une médiation ou une procédure participative.

Le Conseil constitutionnel avait indiqué que les conflits de voisinage devaient être de difficulté limitée et il avait émis une réserve d'interprétation relative au 3°, demandant au pouvoir réglementaire de définir la notion de « motif légitime » et de préciser le « délai raisonnable » d'indisponibilité du conciliateur de justice à partir duquel le justiciable est recevable à saisir la juridiction, notamment quand le litige présente un caractère urgent (CC., 21 mars 2019, n° 2019-778).

Le décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 a précisé les modalités de mise en oeuvre de la loi (article 750-1 du CPC). Tout d'abord, le montant en-deçà duquel les litiges sont soumis à l'obligation a été fixé à 5000€, l'exigence ne s'appliquant toutefois pas aux litiges relatifs à l'application des dispositions mentionnées à l'article L. 314-26 du code de la consommation (crédit à la consommation et crédit immobilier).
S'agissant ensuite des matières entrant dans le champ des conflits de voisinage, le texte visait initialement les seules actions mentionnées aux art. R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du COJ. Le décret n° 2022-245 du 25 février 2022 y a ajouté la référence générale aux actions relatives à un trouble anormal de voisinage, elle-même introduite à l'article 4 de la loi du 18 nov. 2016 par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021.

Cinq exceptions sont prévues à l'obligation de tentative de résolution amiable par l'art. 750-1 CPC (5° ajouté par la L. n° 2021-1729 du 22 décembre 2021):Si l'une des parties au moins sollicite l'homologation d'un accord ;
Lorsque l'exercice d'un recours préalable est imposé auprès de l'auteur de la décision ;
Si l'absence de recours à l'un des modes de résolution amiable mentionnés au premier alinéa est justifiée par un motif légitime tenant soit à l'urgence manifeste, soit aux circonstances de l'espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu'une décision soit rendue non contradictoirement, soit à l'indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l'organisation de la première réunion de conciliation dans un délai supérieur à trois mois à compter de la saisine d'un conciliateur ; le demandeur justifie par tout moyen de la saisine et de ses suites ;
Si le juge ou l'autorité administrative doit, en application d'une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation.
Si le créancier a vainement engagé une procédure simplifiée de recouvrement des petites créances, conformément à l'article L. 125-1 du Code des procédures civiles d'exécution.

Pour ce qui concerne le motif légitime (3° de l'art. 4 de la loi J21), l'art. 750-1 du CPC dispose qu'il peut tenir à :
  • à l'urgence manifeste,
  • aux circonstances de l'espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu'une décision soit rendue non contradictoirement,
  • à l'indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l'organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige.
Rq.Pour ce qui concerne le motif légitime visé au 3° de l'art. 4 de la loi du 18 nov. 2016, l'article 750-1 du CPC issu du D. n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 disposait que celui-ci pouvait tenir :
  • à l'urgence manifeste,
  • aux circonstances de l'espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu'une décision soit rendue non contradictoirement,
  • à l'indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l'organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige.L'article 750-1 a été annulé en septembre 2022 par le Conseil d'état comme ne répondant pas aux réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel (CE, 22 sept. 2022, nos 436939 et 437002, JCP 2022 Fasc. 42 act. 1186, obs. S. Amrani-Mekki, ; Rev. Procédures 2022, repère 10, obs. H. Croze ; Procédures 2022, comm. 239, note R. Laffly ; Dalloz actualité, 3 et 4 oct. 2022, note M. Barba).
Les dispositions de l'article 4 de la loi J21 sont à nouveau pleinement en vigueur depuis le 1er octobre 2023, dans la version mentionnée précédemment, suite à l'adoption du D. n° 2023-357 du 11 mai 2023 (DA 23 mai 2023, « L'extraordinaire histoire de l'article 750-1 du CPC : le rétablissement ? », JCP 2023 Fasc. 20 act. 596 veille V. Egéa).
On a pu parfois constater en jurisprudence un problème de distinction entre les fins de non-recevoir et d'autres moyens de défense, notamment les nullités pour vice de fond ou de forme, difficultés engendrées par la plus ou moins grande rigueur de leurs régimes respectifs (voir la leçon 11).

Rq.Actualité 2023 : qualification de l'irrégularité liée à la saisine de juridictions non spécialement désignées en matière de pratiques restrictives de concurrence.

La Cour de cassation a rendu le 18 octobre 2023 un arrêt de revirement, dans cette situation où elle retenait auparavant une irrecevabilité, tirée d'un défaut de pouvoir juridictionnel, et non une incompétence (Cass. Com., 31 mars 2015, Proc. 2015 Fasc. 6 n° 184 obs. Y. Strickler : il appartient au juge de relever la fin de non-recevoir tirée de l'inobservation de la règle d'ordre public investissant la cour d'appel de Paris du pouvoir juridictionnel exclusif de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'art. L. 442-6 du C. Com.).

Cass. Com., 18 oct. 2023, n° 21-15.378, JCP 2023 act 1237, D. 2023 2298, Proc. 2023 Fasc. 12 n° 315 : la règle découlant de l'application combinée des art. L. 442-6, III (devenu L. 442-4 III) et D. 442-3 (devenu D. 442-2) du Code de commerce, désignant les seules juridictions indiquées par ce dernier texte pour connaître de l'application des dispositions du I et du II de l'article L. 442-6 précité (devenu l'article L. 442-1), institue une règle de compétence d'attribution exclusive et non une fin de non-recevoir. Il en résulte que, lorsqu'un défendeur à une action fondée sur le droit commun présente une demande reconventionnelle en invoquant les dispositions de l'article L. 442-6 précité, la juridiction saisie, si elle n'est pas une juridiction désignée par l'article D. 442-3 précité, doit, si son incompétence est soulevée, selon les circonstances et l'interdépendance des demandes, soit se déclarer incompétente au profit de la juridiction désignée par ce texte et surseoir à statuer dans l'attente que cette juridiction spécialisée ait statué sur la demande, soit renvoyer l'affaire pour le tout devant cette juridiction spécialisée.

Les fins de non-recevoir peuvent être invoquées :

  • En tout état de cause, à moins qu'il en soit disposé autrement.
    Rq.Incidence du pouvoir de statuer sur les fins de non-recevoir désormais dévolu devant le tribunal judiciaire au juge de la mise en état par l'art. 789 du CPC. Les parties ne sont en effet plus recevables à soulever de fins de non-recevoir au cours de la même instance, à moins qu'elles ne surviennent ou soient révélées postérieurement au dessaisissement du JME.

    Ex.Par suite, il n'est pas possible d'opposer l'interdiction de se contredire au détriment d'autrui en cas d'invocation, pour la première fois en appel, d'un défaut de qualité pour agir (Cass. Civ. 2ème, 14 nov. 2013, D. 2014 571 §9).
  • Sans avoir à justifier d'un texte, ni d'un grief.

Leur invocation tardive à des fins dilatoires peut cependant justifier une condamnation à des dommages-intérêts (article 123 du CPC - Cass. Civ. 2ème, 14 nov. 2013, Proc. 2014 n° 1 obs. R. Perrot).

Bibliographie : E. Vajou, « Fins de non-recevoir, De la première instance à l'appel... en passant par les voies de recours – Quand et comment les soulever ? », Proc. 2021 Fasc. 4 Pratique n° 4.

Le juge a l'obligation de relever d'office les fins de non-recevoir d'ordre public, à condition de respecter le contradictoire (l'obligation implique néanmoins que le plaideur ait invoqué les faits propres à caractériser la fin de non-recevoir d'ordre public : Cass. Civ. 1ère, 18 sept. 08, Proc. 08 n° 324 - N. Monachon Duchêne, « L'ordre public au risque de l'impartialité », JCP G 2015 Fasc. 28 n° 819).

Ex.Cass. Com., 31 mars 2015, Proc. 2015 Fasc. 6 n° 184 obs. Y. Strickler : il appartient au juge de relever la fin de non-recevoir tirée de l'inobservation de la règle d'ordre public investissant la cour d'appel de Paris du pouvoir juridictionnel exclusif de statuer sur les appels formés contre les décisions rendues dans les litiges relatifs à l'application de l'art. L. 442-6 du C. Com..

Cass. Civ. 2ème, 17 mai 2023, JCP 2023 Fasc. 22 act. 662 : art. 553 du CPC, obs. D. Cholet : caractère d'ordre public de la fin de non-recevoir tirée de l'absence de créanciers inscrits parmi les intimés en matière de saisie immobilière.

Dans ce cadre, le juge doit soulever d'office la fin de non recevoir tirée du non-respect du délai des voies de recours ou de l'absence de voie de recours.

Il peut aussi, mais cette fois il s'agit d'une simple faculté, relever la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir (risque de dilatoire - Cass. Civ. 2ème, 6 juin 2019, Fasc. 8 n° 224 note H. Croze) et, depuis le décret du 20/8/04, du défaut de qualité ou de la chose jugée (Cass. Civ. 2ème, 15 sept. 05, Proc. 05 n° 248, RTD civ. 05 824).

Rq.Avant 2004, le juge ne pouvait pas soulever d'office le défaut de qualité ou la chose jugée, sauf si l'ordre public était concerné ou, s'agissant de la chose jugée, à l'occasion d'une instance statuant sur les suites d'une précédente décision ayant acquis force de chose jugée. Dans ces différentes hypothèses, il ne s'agit plus alors d'une simple faculté : le juge est alors tenu de relever d'office la fin de non-recevoir.

Devant le tribunal judiciaire, comme indiqué précédemment, le juge peut relever d'office le non-respect de l'obligation de tentative de règlement amiable du litige, lorsqu'elle est imposée et que les parties ne peuvent justifier d'un cas de dispense (art. 750-1 du CPC).

Les fins de non-recevoir peuvent donner lieu à régularisation si celle-ci intervient avant que le juge ne statue (sur la controverse pour savoir s'il s'agit de la clôture des débats ou de l'instruction, voir RTD civ. 98 740 obs. R. Perrot ou, en cas de défaut de qualité, d'acquisition de celle-ci avant qu'il n'y ait forclusion). Il est logique qu'aucune régularisation ne soit envisageable quand un délai est en cause. En outre, selon l'art. 126 du CPC, la régularisation est encore possible en appel (Cass. Civ. 2ème, 9 juin 06, RTD civ. 05 632 : régularisation du défaut de qualité et incidences sur la prescription ; Cass. Civ. 2ème, 12 juin 08, Proc. 08 n° 260).

Ex.Cass. Com., 6 déc. 05, RTD civ. 06 604 n°3 : selon l'arrêt, l'existence du droit d'agir, par exemple la recevabilité d'une demande, au regard notamment de la qualité et de l'intérêt pour agir, s'apprécie à la date de la demande introductive d'instance et ne peut être remise en cause par l'effet de circonstances postérieures. En sens contraire, relevant une disparition de la qualité et de l'intérêt d'un coloti suite à la cession de son lot en cours de procédure : Cass. Civ. 3ème, 4 déc. 07, RTD civ. 08 545 n° 3.

Le juge doit logiquement examiner les fins de non-recevoir en premier, avant les exceptions de procédure et les défenses au fond. Cela expliquait selon J. Héron, l'existence de fins de non-recevoir par détermination de la loi pour des interdits relevant plus du droit substantiel (parallèle avec la défense au fond) que de la procédure.

Sy.

Section 2. Classifications des actions en justice


Bien qu'elles soient très diverses, les actions sont qualifiées d'actions réelles, personnelles ou mixtes, d'actions mobilières ou immobilières. Ces classifications constituent une transposition des classifications des droits subjectifs que les actions sont destinées à sanctionner, même si nous avons vu qu'il y a indépendance entre le droit substantiel et l'action (voir leçon 7).
La classification des actions encourt donc les mêmes reproches que la classification traditionnelle des droits : elle n'englobe pas les actions relatives à l'état des personnes et les actions extra-patrimoniales (sauf à les assimiler aux actions personnelles), ni les actions relatives aux droits intellectuels.

La distinction, qui n'intéresse que les droits patrimoniaux, est fondée sur la nature réelle, personnelle ou mixte du droit à sanctionner. Son principal intérêt touche à la détermination de la compétence territoriale.


Elles sanctionnent un droit réel, principal ou accessoire, et sont de ce fait en nombre limité, comme les droits réels.

Rappel (droit des biens) :

  • Droit réels principaux : le droit de propriété et ses démembrements.
  • Droits réells accessoires : des sûretés réelles granties d'une créance.

    Ex.Exemples : action en revendication de propriété, action confessoire ou négatoire d'une servitude, action en matière d'usufruit, d'hypothèque, de gage, action en matière de bail à construction, de concession immobilière, en bornage. A noter : le contrat de promotion immobilière et le bail rural ne confèrent pas de droit réel. Il existe par ailleurs des controverses doctrinales quant au droit de rétention et à la multipropriété.

    Ces actions peuvent être intentées contre tout détenteur de la chose par ceux qui se prétendent titulaires d'un droit sur celle-ci. En matière mobilière, le jeu de l'article 2276 du C. civ. peut faire obstacle à cette règle.
Ces actions sanctionnent un droit personnel, c'est-à-dire un droit de créance, d'origine contractuelle ou extra-contractuelle, d'où leur multiplicité, comme celle des droits personnels.

Ex.Action en paiement, action du preneur à bail, actions en nullité, rescision, résolution et révocation, action en responsabilité civile.

Elles relèvent de la compétence de la juridiction du lieu où demeure le défendeur et ne peuvent être intentées que contre les sujets passifs de l'obligation : elles sont en principe exercées par le créancier et ses ayants-cause contre le seul débiteur ou ses ayants-cause (il y a transposition de la règle de l'effet relatif des contrats).

Df.On parle d'action mixte quand, pour une même opération juridique, sont discutés à la fois un droit réel et un droit personnel, soit simultanément, soit successivement.

Constituent des actions mixtes toutes les actions visant à obtenir l'exécution, l'annulation, la résolution, la rescision... d'un acte créant ou transférant un droit réel immobilier.

Ex.Action en délivrance d'un bien dont la propriété a été transférée par contrat, demande en résolution pour non-paiement, action en partage (il existe une controverse quant à la qualification de cette action).

En matière de compétence territoriale, cette mixité a pour effet de laisser le choix au demandeur : il peut privilégier le caractère réel ou le caractère personnel de l'action.


Cette distinction s'appuie sur la nature du bien constituant l'objet du droit sanctionné par l'action, et sa nature mobilière ou immobilière.


Rq.Attention : Une obligation de faire relative à un immeuble est sanctionnée par une action mobilière car les actions immobilières assurent la protection d'un droit portant directement sur un immeuble (action en revendication d'un immeuble). En effet, le code contient une liste limitative des biens immobiliers et les obligations de faire ou de ne pas faire sont mobilières même si elles sont relatives à des immeubles, à la différence des obligations de "donner" intéressant des biens immobiliers.

Cette classification, qui ne présentait guère d'intérêt qu'en matière de compétence, d'attribution ou territoriale, des juridictions a vu sa portée restreinte davantage encore par la loi du 26 janvier 2005 : auparavant, il y avait compétence exclusive du TGI en matière pétitoire, et du TI en matière possessoire, les actions possessoires constituant une sous-catégorie des actions immobilières. La loi de 2005 avait donné compétence au seul TGI dans les deux cas.
Depuis, la loi du 16 février 2015 a supprimé les actions possessoires (voir infra) et il y a eu disparition des TI et TGI...

Cette classification peut toutefois conserver une incidence en matière de capacité et de pouvoir d'agir en justice lorsqu'est en cause la distinction entre actes d'administration et de disposition : la personne investie seulement d'un mandat d'administration doit justifier d'un pouvoir spécial pour pouvoir exercer une action immobilière.


Par ailleurs, les deux classifications fondées sur la nature et l'objet du droit à sanctionner se combinent entre elles :
  • Les actions réelles mobilières : elles visent à revendiquer un droit réel portant sur un bien meuble et relèvent de la compétence de la juridiction du lieu où demeure le défendeur. De telles actions sont rares du fait du jeu de l'article 2276 du C. civ..
  • Les actions réelles immobilières : en font notamment partie les actions en revendication d'immeubles, pour lesquelles la juridiction compétente est la juridiction du lieu de situation de l'immeuble.
  • Les actions personnelles mobilières :  elles tendent à sanctionner des actions personnelles ayant pour objet un bien meuble et ce sont les plus fréquentes. Tel est le cas des actions en paiement de créances, dans la mesure où les créances constitunt des biens de nature mobilière
  • Les actions personnelles immobilières : mettant en cause l'obligation de transférer la propriété d'un immeuble, ces actions sont rares car l'échange des consentements suffit en général à réaliser ce transfert (article 1196 du C. civ.). Cette situation pourrait toutefois se rencontrer pour des immeubles en construction, si les lots n'étaient pas individualisés à l'origine, ou encore en cas de terme suspensif lié à l'obligation de réitérer un compromis de vente par acte authentique.


 
En savoir plus : Actions réelles immobilières : disparition de la classification entre actions pétitoires et actions possessoires mais maintien d'une protection possessoire.

En 2015 a été supprimée la classification entre actions pétitoires et actions possessoires, qui constituait une subdivision des actions réelles immobilières.
  • Les actions pétitoires sanctionnent un droit réel immobilier, soit le droit de propriété et ses démembrements (action confessoire ou négatoire du droit). Elles relevaient jusqu'en 2015 de la compétence exclusive du TGI  du lieu de situation de l'immeuble mais le TI était cependant compétent en matière d'actions en bornage et pouvait aussi connaître, à l'occasion de l'examen d'exceptions ou de moyens de défense, et à charge d'appel, de questions de nature pétitoire (art. R. 221-40 ancien du COJ, Cass. Civ. 3ème, 18 déc. 02, Proc. 03 n° 92). Désormais les actions immobilières pétitoires relèvent de la compétence exclusive du tribunal judiciaire (art. R. 211-3-26 du COJ).
  • Les actions possessoires, étaient trois actions spécifiques (complainte, réintégrande et dénonciation de nouvel oeuvre) qui garantissaient les situations de possession ou de détention immobilière contre tout trouble les affectant ou les menaçant, sans avoir égard au fond du droit (article 2278 du C. civ.). Comme le fait correspond souvent au droit, la protection possessoire réalise une protection indirecte de la propriété... et de la paix publique (Ihering considérait la possession comme le bastion avancé de la propriété). Protéger le possesseur aboutit à présumer protéger un droit légitime. Les actions possessoires faisaient l'objet d'un régime particulier et il existait en particulier un principe de non cumul du pétitoire et du possessoire (voir infra : point d'histoire).

La loi n° 2015-177 du 16 février 2015 a abrogé l'article 2279 du Code civil qui constituait le fondement législatif des actions possessoires et renvoyait au Code de procédure civile quant à leurs conditions de mise en oeuvre. Ces actions, au régime complexe, étaient en pratique très peu utilisées. Les dispositions du Code de procédure civile ont quant à elles été abrogées par le D. n° 2017-892 du 6 mai 2017 (Cass. Civ. 3ème, 24 sept 2020, D. 2021 171 note S. Goudjil : l'abrogation expresse de l'art. 2279 du C. civ. a entraîné une abrogation implicite des art. 1264 à 1267 du CPC définissant le régime des actions possessoires).

En revanche la protection possessoire, prévue par l'article 2278 du C. civ., est quant à elle maintenue. Elle peut être mise en oeuvre notamment par le biais d'actions en référé, qui en pratique concurrençaient déjà certaines actions possessoires. Comme auparavant, en bénéficient tant le possesseur que le détenteur (ex : locataire, fermier) (articles 2278 du C. civ.), ce dernier ne pouvant toutefois agir contre celui de qui il tient ses droits (le locataire contre le bailleur) : dans ce cas, son action est de nature contractuelle.
La protection possessoire ne joue que pour les biens immobiliers. Il peut s'agir d'immeubles par nature, par destination ou de meubles par anticipation. En sont exclus les biens du domaine public et les servitudes discontinues ou non apparentes, qui ne peuvent s'acquérir par prescription.

Bibliographie : H. Perinet-Marquet, « La fin des actions possessoires, chronique d'une mort annoncée », JCP G 2015 Fasc. 9 n° 244.
En savoir plus : Point d'histoire : Les ex-actions possessoires

a) Typologie 

Trois actions existaient :

La complainte

La dénonciation de nouvel oeuvre

La réintégrande (ou réintégration)

Invocation d'un trouble actuel, de fait ou de droit, s'analysant comme la manifestation d'une prétention sur le fond contredisant la possession.
Ex.Venir chercher de la terre sur un terrain ou invoquer une servitude.
Invocation d'un trouble éventuel
Ex.Projet de travaux d'un voisin dont il résultera un trouble possessoire, atteinte à une servitude de vue.

Elle est en général considérée comme une action préventive mais Loïc Cadiet estime qu'elle a plutôt une nature conservatoire.
Invocation d'un trouble réalisé, constituant une dépossession brutale et violente, constitutive d'une voie de fait attentatoire à l'ordre public.




b) Régime des actions possessoires

Les actions possessoires permettaient de défendre la propriété, ses démembrements, la copropriété.
Elles pouvaient être intentées aussi bien pour des troubles de fait que de droit, mais il fallait que la possession ou la détention soient paisibles et existent depuis au moins un an. Ce délai n'était pas exigé pour la réintégrande (article 1264 du CPC).
Elles devaient être exercées dans l'année du trouble ou de la dépossession, à peine d'irrecevabilité soulevée d'office par le juge.
Il suffisait pour les exercer d'être capable et de pouvoir accomplir des actes conservatoires ou d'administration car la discussion ne s'engageait pas sur le fond du droit.
L'appel était toujours possible s'agissant d'une demande indéterminée (voir leçon 4).

Enfin, un principe de non-cumul du pétitoire et du possessoire s'imposait au juge et aux parties (article 1265 du CPC).
Les conséquences de la règle de non-cumul étaient les suivantes :
  • possessoire et pétitoire ne pouvaient être jugés au cours d'une même instance :
    • le juge du possessoire ne devait en aucun cas aborder le pétitoire, dans l'administration de la preuve, le dispositif du jugement, directement ou indirectement (article 1265 du CPC). Il pouvait toutefois examiner les titres afin de vérifier si les conditions de la protection possessoire étaient réunies (Cass. Civ. 3ème, 30 sept. 98, Proc. 99 n° 9) ;
  • la chose jugée au possessoire n'avait pas autorité au pétitoire :
    • il n'était plus possible d'agir au possessoire si l'action avait été engagée à tort au pétitoire, même en cas d'incompétence du juge saisi ou de nullité de l'assignation (article 1266 du CPC) ;
    • le défendeur au possessoire ne pouvait agir au fond qu'après avoir mis fin au trouble.
Depuis la loi du 26 janvier 2005, les actions possessoires, qui relevaient auparavant de la compétence exclusive du tribunal d’instance, avait été transférées au TGI. Par suite, la règle du non-cumul avait déjà pedu de l'intérêt, puisque le TGI étant désormais compétent à la fois au possessoire et au pétitoire. La jurisprudenceavait renforcé ces interrogations (admission du réréfé, affirmation que l'action pétitoire engagée postérieurement à l'action possessoire rendait celle-ci sans objet lorsqu'elle tendait aux mêmes fins (Cass. Civ. 3ème, 6 janv. 2010, Proc. 2010, n° 186, obs. J. Junillon). 

La suppression des actions possessoires, suggérée par le rapport Guinchard et annoncée depuis un moment, a mis un terme au débat.
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