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La séparation des pouvoirs : origines et théorisation : Analyse de texte

Lecture de « De la Constitution d'Angleterre » - chapitre VI du Livre XI « De l'esprit des lois » (1748) écrit par Montesquieu.

A la lecture de texte, pensez-vous que Montesquieu était un défenseur de la séparation absolue des pouvoirs ?

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A la suite de John Locke (1690 - « Essai sur le Gouvernement civil ») qui définissait trois pouvoirs dans l'Etat (pouvoirs législatif, exécutif et fédératif), Montesquieu dans ce texte affirme lui aussi qu'il existe trois pouvoirs dans l'Etat: les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire (comprendre juridictionnel).

Montesquieu pose l'exigence de séparer les pouvoirs, et identifie les trois pouvoirs (ou « fonctions ») que nous connaissons toujours :
« Il y a dans chaque État trois sortes de pouvoirs: la puissance législative, la puissance exécutrice des choses qui dépendent du droit des gens, et la puissance exécutrice de celles qui dépendent du droit civil.
Par la première, le prince ou le magistrat fait des lois pour un temps ou pour toujours, et corrige ou abroge celles qui sont faites. Par la seconde, il fait la paix ou la guerre, envoie ou reçoit des ambassades, établit la sûreté, prévient les invasions. Par la troisième, il punit les crimes, ou juge les différends des particuliers. On appellera cette dernière la puissance de juger, et l'autre simplement la puissance exécutrice de l'État.
»

Selon Montesquieu, l'existence de ces trois pouvoirs est la garantie de la liberté politique, par opposition à la monarchie absolue de l'époque dans lequel le monarque concentrait dans ses mains tous les pouvoirs, sans limite (monarchie absolue qui de plus était de droit divin, ce qui en renforçait le caractère absolu).
« La liberté politique dans un citoyen est cette tranquillité d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a de sa sûreté; et pour qu'on ait cette liberté, il faut que le gouvernement soit tel qu'un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen.
Lorsque, dans la même personne ou dans le même corps de magistrature, la puissance législative est réunie à la puissance exécutrice, il n'y a point de liberté; parce qu'on peut craindre que le même monarque ou le même sénat ne fasse des lois tyranniques pour les exécuter tyranniquement.
Il n'y a point encore de liberté si la puissance de juger n'est pas séparée de la puissance législative et de l'exécutrice. Si elle était jointe à la puissance législative, le pouvoir sur la vie et la liberté des citoyens serait arbitraire: car le juge serait législateur. Si elle était jointe à la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d'un oppresseur.
Tout serait perdu, si le même homme, ou le même corps des principaux, ou des nobles, ou du peuple, exerçaient ces trois pouvoirs: celui de faire des lois, celui d'exécuter les résolutions publiques, et celui de juger les crimes ou les différends des particuliers.
»

Pour autant, il ne se montre pas un fervent défenseur de la séparation stricte des pouvoirs, comme les premiers interprètes de sa théorie l'ont affirmé. En effet, on peut notamment trouver dans son texte

Au sein d'une même fonction, plusieurs organes peuvent intervenir, avec la « fonction de statuer » et la « fonction d'empêcher »
« J'appelle faculté de statuer, le droit d'ordonner par soi-même, ou de corriger ce qui a été ordonné par un autre. J'appelle faculté d'empêcher, le droit de rendre nulle une résolution prise par quelque autre ; ».

et aussi avec une esquisse de répartition des compétences entre plusieurs organes, par exemple:
« Quoiqu'en général la puissance de juger ne doive être unie à aucune partie de la législative, cela est sujet à trois exceptions, fondées sur l'intérêt particulier de celui qui doit être jugé.
Les grands sont toujours exposés à l'envie; (...) Il faut donc que les nobles soient appelés, non pas devant les tribunaux ordinaires de la nation, mais devant cette partie du corps législatif qui est composée de nobles.
Il pourrait arriver que la loi, qui est en même temps clairvoyante et aveugle, serait, en de certains cas, trop rigoureuse. (...) C'est donc la partie du corps législatif, que nous venons de dire être, dans une autre occasion, un tribunal nécessaire, qui l'est encore dans celle-ci; c'est à son autorité suprême à modérer la loi en faveur de la loi même, en prononçant moins rigoureusement qu'elle.
Il pourrait encore arriver que quelque citoyen, dans les affaires publiques, violerait les droits du peuple, et ferait des crimes que les magistrats établis ne sauraient ou ne voudraient pas punir. (...) il faut, pour conserver la dignité du peuple et la sûreté du particulier, que la partie législative du peuple accuse devant la partie législative des nobles, laquelle n'a ni les mêmes intérêts qu'elle, ni les mêmes passions. »


Les organes auront l'obligation de travailler en commun, ce qui va contre l'idée d'organes conduisant chacun leur action dans des sphères séparées:
« Voici donc la constitution fondamentale du gouvernement dont nous parlons. Le corps législatif y étant composé de deux parties, l'une enchaînera l'autre par sa faculté mutuelle d'empêcher. Toutes les deux seront liées par la puissance exécutrice, qui le sera elle-même par la législative.
Ces trois puissances devraient former un repos ou une inaction. Mais comme, par le mouvement nécessaire des choses, elles sont contraintes d'aller, elles seront forcées d'aller de concert
».

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