Les institutions de la IIIe République furent balayées au début de la Seconde Guerre mondiale, en 1940. La IVe République naît quant à elle avec l’entrée en vigueur de la . Six années séparent donc le moment où les lois constitutionnelles de 1875 cessent de s’appliquer du moment où le peuple français adopte la Constitution de la IVe République.
Que s’est-il passé pendant cette période dramatique et transitoire ? Un bref rappel historique s’impose, avant l’étude des institutions mises en place en 1946.
Section préliminaire. Des lois constitutionnelles de 1875 à la Constitution de 1946
Au mois de mai 1940, la France est engagée dans le deuxième conflit mondial ; elle vit alors sous l’empire des lois constitutionnelles de 1875.
Albert Lebrun (1871-1950) est président de la République.
Paul Reynaud est président du Conseil, c’est-à-dire chef du Gouvernement. Sur le front, l’armée française subit des défaites importantes. Le 18 mai, Reynaud fait entrer le Maréchal Pétain au Gouvernement, en qualité de vice-président du Conseil. Artisan et grand vainqueur de la bataille de Verdun qui fut, en 1916, une victoire défensive de l’armée française, le Maréchal jouit alors d’un grand prestige dans l’opinion publique française.
L'armée allemande envahit le territoire national ; au mois de juin, Paul Reynaud fait entrer le général de Gaulle au Gouvernement, comme sous-secrétaire d'État à la guerre et là défense nationale. À la mi-juin, les Allemands envahissent Paris.
Le 18 juin, l'armée allemande défile triomphalement sur les Champs-Élysées.
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Le Gouvernement, qui a fui hors de la capitale, se réunit à Bordeaux, et il est alors divisé : faut-il signer un armistice avec Hitler, ou bien poursuivre la lutte armée ? Paul Reynaud était favorable à la poursuite des hostilités, Pétain à l'armistice ; il fut suivi par la majorité des ministres du Gouvernement. Mis en minorité, Paul Reynaud décide de présenter sa démission au président de la République, qui charge (le 16 juin 1940) Pétain de lui succéder et de constituer un nouveau Gouvernement, qui sera le dernier de la IIIe République. L'armistice est signé le 22 juin 1940.
Le régime de la IIIe République, qui n'avait pas pu empêcher la défaite face à l'Allemagne et qui avait connu les difficultés que l'on sait (cf. le chapitre précédent), est alors discrédité. Afin de rétablir l'autorité de l'État, le Maréchal Pétain décide de fonder un régime nouveau : l'État français, également connu sous l'appellation de « régime de Vichy » (les pouvoirs publics s'étaient alors installés à Vichy, du fait de l'occupation de Paris), dont il devait prendre la tête.
Pendant la période trouble qui sépare l'effondrement de la Constitution de 1875 de l'entrée en vigueur de la Constitution de 1946, un autre régime devait contester à l'État français sa légitimité à exercer le pouvoir : par un appel radiodiffusé émis depuis Londres le 18 juin 1940, le général de Gaulle (qui, souvenons-nous, venait d'entrer dans le Gouvernement Reynaud comme sous-secrétaire d'État à la guerre et à la défense nationale et qui était alors en mission en Angleterre) appelait les Français à refuser la capitulation synonyme d'asservissement de la Patrie et à poursuivre la lutte contre l'Allemagne. Pour mener ce combat, De Gaulle devait fonder le régime de la « France libre ».
Pendant quatre ans (le gouvernement de Vichy s'effondre en 1944), se sont ainsi deux gouvernements qui vont s'opposer pour l'exercice effectif du pouvoir politique. D'un côté, un gouvernement de droit (ou légal), c'est-à-dire disposant d'une assise constitutionnelle (« l'État français », dirigé par le Maréchal Pétain) ; de l'autre, un gouvernement de fait, c'est-à-dire sans assise juridique, le gouvernement de la « France libre », dirigé par Charles De Gaulle.
Comment ces Gouvernements étaient-ils organisés ? L'intérêt, de ce point de vue, est principalement historique. Car sur le plan constitutionnel, les deux Gouvernements de l'État français et de la France libre se caractérisent par la très forte centralisation du pouvoir, que révèle leur « pauvreté » institutionnelle.
§1. L'organisation du Gouvernement de Vichy
Après la signature de l'armistice (le 22 juin), le Gouvernement dirigé par Pétain s'est attelé à instaurer de nouvelles institutions pour la France en raison du discrédit frappant les institutions de la IIIe République, auxquelles est imputée la défaite face à l'Allemagne. Ce régime nouveau était fondé sur la doctrine de la Révolution nationale.
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Juridiquement, le régime de Vichy naît de la loi du 10 juillet 1940, votée en application de la procédure de révision prévue par l’article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875, relatif à la révision de la Constitution. Le Maréchal Pétain souhaitait en effet donner une assise juridique solide au nouveau régime qu’il allait fonder, en l’inscrivant dans une sorte de continuité juridique.
La procédure de révision réglementée par cet article 8 était articulée en deux phases : lors d’une première étape, les deux chambres du Parlement (la Chambre des députés et le Sénat) devaient adopter, par deux délibérations séparées, une résolution tendant à la révision de la Constitution ; lors d’une seconde étape, les deux chambres réunies en Assemblée nationale devaient adopter la révision (à la majorité absolue de ses membres).
Les deux chambres furent réunies à Vichy le 9 juillet 1940 pour voter le projet de loi constitutionnelle rédigé par le Gouvernement Pétain. Le projet fut adopté par 569 voix contre 80 (et 18 abstentions).
« L'Assemblée nationale a adopté,Le Président de la République promulgue la loi constitutionnelle dont la teneur suit :
Article unique.
L'Assemblée nationale donne tout pouvoir au gouvernement de la République, sous l'autorité et la signature du maréchal Pétain, à l'effet de promulguer par un ou plusieurs actes une nouvelle constitution de l'État français. Cette constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie.Elle sera ratifiée par la Nation et appliquée par les Assemblées qu'elle aura créées.
La présente loi constitutionnelle, délibérée et adoptée par l'Assemblée nationale, sera exécutée comme loi de l'État.
Fait à Vichy, le 10 juillet 1940
Albert Lebrun
Par le président de la République,Le maréchal de France, président du conseil,
Philippe Pétain »
Ce texte procédait – c’est en tout cas comme cela que les juristes qui soutenaient Pétain ont présenté les choses – à une modification de la procédure de révision précédemment décrite et réglementée par l’article 8 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875. Dit autrement, il instaurait un nouveau mode de révision, en attribuant au Gouvernement (dirigé par le Maréchal Pétain) le pouvoir de révision.
En réalité, pour des raisons similaires à celles qui affectent la conformité au droit de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958 (voir la leçon consacrée à la naissance de la Constitution de 1958), quelle que soit la façon d’appréhender ce texte, sa « légalité » (au sens le plus large du terme, c’est-à-dire de conformité au droit) peut être questionnée. D’abord, parce que l’établissement d’une nouvelle constitution ne peut être analysée comme une « révision » : la thèse de la révision « totale » de la constitution n’est juridiquement pas valide, dans la mesure où une constitution intégralement modifiée (ou fondamentalement bouleversée dans ses éléments structurants) n’est plus la même, elle est une autre. Elle ne peut donc pas être l’œuvre d’un organe de révision ; elle doit être l’œuvre du pouvoir constituant. On sait que les questions de compétence sont fondamentales en droit public. Ensuite, et à supposer que le pouvoir délégué par l’Assemblée nationale ait été le pouvoir constituant, une telle délégation n’était juridiquement pas possible. En effet, il n’était pas possible pour l’Assemblée nationale de « déléguer » une compétence (celle de rédiger une nouvelle constitution, c’est-à-dire le pouvoir constituant) alors qu’elle n’en disposait pas (le pouvoir constituant appartenant au peuple souverain).
On constate à la lecture du texte de la loi du 10 juillet 1940 qu’il entoure le processus constituant de diverses précautions, tant substantielles que formelles. Sur le fond, la loi prévoit la garantie de certains droits (certes en accord avec l’idéologie du nouveau régime : travail, famille, patrie) et l’établissement « d’assemblées », laissant entrevoir une distribution des fonctions étatiques entre différents organes. Sur le plan procédural, elle prévoit l’approbation du futur projet de Constitution par la Nation.
En définitive, ces précautions furent vaines. Rien ne s’est passé comme prévu, tant en raison du contexte trouble (la guerre, l’occupation du territoire) que de la personnalité du Maréchal Pétain, qui a profité des circonstances pour mettre en place une dictature. Le Gouvernement n’a jamais rédigé de constitution ; il n’y a donc pas eu de garantie des droits, de ratification populaire, ni même d’assemblées pour l’appliquer.
Pour organiser l’État français, le Maréchal rédigea une série « d’actes constitutionnels » (une vingtaine au total), qui mirent en place un régime d’extrême concentration des pouvoirs, entre les mains d’abord de Pétain (le chef de l’État) puis, dans un second temps (à compter du printemps 1942) de Pierre Laval (comme chef de gouvernement). Le régime de Vichy n’était pas fondé sur la séparation des pouvoirs, les autorités investies du pouvoir exécutif exerçant également la fonction législative « jusqu’à la formation de nouvelles assemblées » (acte constitutionnel n° 2 du 11 juillet 1940), assemblées dont on vient de préciser qu’elles ne virent jamais le jour. Le chef de l’État intervenait même dans l’exercice de la fonction juridictionnelle puisqu’il disposait du droit de faire grâce et d’amnistier ; il était également habilité à juger civilement et pénalement les hauts fonctionnaires et les ministres. Ces derniers, dont le collège ne formait pas à proprement parler à un « gouvernement », étaient nommés et librement révoqués par lui, devant lequel ils étaient politiquement responsables. Notons enfin que Pétain s’entoura de divers conseils (le Conseil national, le Comité budgétaire) qui, dépourvus de tout pouvoir de décision, étaient habilités à exercer des prérogatives purement consultatives.
« Nous, Philippe Pétain, maréchal de France,
Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,
Déclarons assumer les fonctions de chef de l'État français.
En conséquence, nous décrétons :
L'art. 2 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 est abrogé. »
Acte constitutionnel n° 2 du 11 juillet 1940, fixant les pouvoirs du chef de l'État français :
« Nous, maréchal de France, chef de l'État français; Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,
Décrétons:
Article premier.
§ premier. Le chef de l'État français a la plénitude du pouvoir gouvernemental, il nomme et révoque les ministres et secrétaires d'État, qui ne sont responsables que devant lui.
§ 2. Il exerce le pouvoir législatif, en conseil des ministres : 1° Jusqu'à la formation de nouvelles Assemblées ;2° Après cette formation, en cas de tension extérieure ou de crise intérieure grave, sur sa seule décision et dans la même forme. Dans les mêmes circonstances, il peut édicter toutes dispositions d'ordre budgétaire et fiscal.
§ 3. Il promulgue les lois et assure leur exécution.
§ 4. Il nomme à tous les emplois civils et militaires pour lesquels la loi n'a pas prévu d'autre mode de désignation.
§ 5. Il dispose de la force armée.
§ 6. Il a le droit de grâce et d'amnistie.
§ 7. Les envoyés et ambassadeurs des puissances étrangères sont accrédités auprès de lui. Il négocie et ratifie les traités.
§ 8: Il peut déclarer l'état de siège dans une ou plusieurs portions du territoire.
§ 9. Il ne peut déclarer la guerre sans l'assentiment préalable des Assemblées législatives.
Article 2.
Sont abrogées toutes dispositions des lois constitutionnelles des 24 février 1875, 25 février 1875 et l6 juillet 1875, incompatibles avec le présent acte. »
Acte constitutionnel n° 3 du 11 juillet 1940, prorogeant et ajournant les chambres :
« Nous, maréchal de France, chef de l'État français; Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940,
Décrétons :
Article premier. Le Sénat et la Chambre des députés subsisteront jusqu'à ce que soient formées les Assemblées prévues par la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940.
Article 2. Le Sénat et la Chambre des députés sont ajournés jusqu'à nouvel ordre. Ils ne pourront désormais se réunir que sur convocation du chef de l'État
Article 3. L'art. 1er de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 est abrogé. »
Acte constitutionnel n° 7 du 27 janvier 1941 :
« Nous, maréchal de France, chef de l'État français, Vu la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940. Décrétons :
Article premier. Les secrétaires d'État, hauts dignitaires et hauts fonctionnaires de l'État prêtent serment devant le chef de l'État. Ils jurent fidélité à sa personne et s'engagent à exercer leur charge pour le bien de l'État, selon les lois de l'honneur et de la probité.
Article 2. Les secrétaires d'État, hauts dignitaires et hauts fonctionnaires de l'État sont personnellement responsables devant le chef de l'État. Cette responsabilité engage leur personne et leurs biens.
Article 3. Dans le cas où l'un d'eux viendrait à trahir les devoirs de sa charge, le chef de l'État, après enquête dont il arrêtera la procédure, peut prononcer toute réparation civile, toutes amendes et appliquer les peines suivantes à titre temporaire ou définitif : - privation des droits politiques ; - mise en résidence surveillée en France ou aux colonies ; - internement administratif ; - détention dans une enceinte fortifiée. [...] »
Cette organisation institutionnelle devait évoluer à partir du mois d’avril 1942. Pierre Laval (qui exerça entre juillet et décembre 1940 les fonctions de vice-président du Conseil avant d’être congédié par Pétain), revint au pouvoir en 1942, à la demande des Allemands, avec lesquels il avait toujours souhaité une collaboration renforcée. Du point de vue institutionnel, le retour au pouvoir de Laval s’est principalement manifesté par la création d’une fonction de chef du gouvernement (acte constitutionnel n° 11 du 18 avril 1942), chargé désormais de la direction de la politique nationale. Ses pouvoirs furent étendus en novembre 1942.
Le Gouvernement de Vichy prit fin avec la libération progressive du territoire consécutive au débarquement allié sur les plages normandes du 6 juin 1944.
Pendant la même période (juin 1940-juin 1944), sous la direction de Charles De Gaulle, les institutions de la « France libre » ont tenté d’assurer la continuité républicaine en exerçant le pouvoir depuis l’étranger.
§2. Les institutions de la « France libre »
Il faut rappeler qu’au moment de la démission du Gouvernement Paul Reynaud (mis en minorité sur la question de la poursuite du conflit armé en juin 1940), Charles De Gaulle, qui en était membre, se trouvait en mission à Londres. Lorsqu’il décide, le 18 juin, de lancer son fameux appel « du 18 juin », il n’exerce donc plus aucune fonction gouvernementale.
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Dans ce message, Charles De Gaulle appelait les Français à résister et à poursuivre la lutte contre l'Allemagne nazie. Il invitait l'armée à se rallier à lui pour poursuivre les combats. Le « mouvement » à la tête duquel il se trouve, et dont l'appel du 18 juin marque la naissance, est celui de la « France libre ». A l'origine, ce mouvement a un objet principalement militaire ; mais il va progressivement acquérir une dimension politique, dès lors que De Gaulle procèdera à une critique en règle du Gouvernement de Vichy, dont il considérait qu'il avait réduit la Patrie à l'esclavage et qu'il ne pouvait, dans cette mesure, prétendre légitimement à représenter le peuple français.
La « France libre » et l'État français vont se livrer une bataille politique et juridique au sujet de leur légitimité (ou illégitimité) respective. A la fin de la guerre, ce différend sera tranché par les vainqueurs (c'est-à-dire par le camp de De Gaulle, comme nous le verrons plus loin).
Entre juin 1940 et juin 1944, le général va s'atteler à organiser la continuité républicaine à l'extérieur du sol métropolitain. Sa rhétorique constituera à affirmer, face au Gouvernement de Vichy aux mains de l'ennemi (et donc non indépendant), la légitimité de la République libérale et démocratique qui s'incarnait en lui et dans les institutions provisoires qu'il avait créées. C'est exactement la thèse qui sera soutenue à l'été 1944 : la République n'avait pas cessé d'exister malgré sa mise à mort par le régime de Vichy, et c'est lui, assisté des institutions de la France libre, qui l'avait incarnée.
Toutes les institutions créées à l'époque par le général, qui n'avaient aucune assise constitutionnelle, appartenaient évidemment à la catégorie des « gouvernements » de fait, dont les décisions étaient dépourvues d'effectivité sur le territoire français : cela signifie qu'elles ne produisaient pas d'effets de droit.
Quelles étaient ces institutions ? Au départ, De Gaulle, autoproclamé « chef des Français libres », décidait seul. Très vite, il s'entoura d'organes divers pour l'aider dans cette tâche, qu'il affirmait, dès le départ, provisoire et transitoire.
Le premier de ces organes fut le Conseil de défense de l'Empire (rappelons que la France était à l'époque un Empire colonial), organisme consultatif créé le 27 octobre 1940 par une ordonnance signée à Brazzaville (Congo) qui était depuis la fin août 1940 la capitale de la France libre. Comme le révèle clairement le manifeste de Brazzaville, cet organe n'a pas seulement une vocation militaire. Face à l'absence de gouvernement français légitime, « considérant que la Constitution et les lois de la République française ont été et demeurent violées sur tout le territoire métropolitain et dans l'Empire, tant par l'action de l'ennemi que par l'usurpation des autorités qui collaborent avec lui » (ordonnance du 24 septembre 1941 créant le Comité national français, cf. ci-après) il faut, affirme De Gaulle, qu'un « pouvoir nouveau assume la charge de diriger l'effort français dans la guerre ».
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« La France traverse la plus terrible crise de son Histoire. Ses frontières, son Empire, son indépendance et jusqu'à son âme sont menacés de destruction.
Cédant à une panique inexcusable, des dirigeants de rencontre ont accepté et subissent la loi de l'ennemi. Cependant, d'innombrables preuves montrent que le peuple et l'Empire n'acceptent pas l'horrible servitude. Des milliers de Français ou de sujets français ont décidé de continuer la guerre jusqu'à la libération. Des millions et des millions d'autres n'attendent, pour le faire, que de trouver des chefs dignes de ce nom.
Or, il n'existe plus de Gouvernement proprement français. En effet, l'organisme sis à Vichy et qui prétend porter ce nom est inconstitutionnel et soumis à l'envahisseur. Dans son état de servitude, cet organisme ne peut être et n'est, en effet, qu'un instrument utilisé par les ennemis de la France contre l'honneur et l'intérêt du pays.
Il faut donc qu'un pouvoir nouveau assume la charge de diriger l'effort français dans la guerre. Les événements m'imposent ce devoir sacré, je n'y faillirai pas.
J'exercerai mes pouvoirs au nom de la France et uniquement pour la défendre, et je prends l'engagement solennel de rendre compte de mes actes aux représentants du peuple français dès qu'il lui aura été possible d'en désigner librement.
Pour m'assister dans ma tâche, je constitue, à la date d'aujourd'hui, un Conseil de Défense de l'Empire. Ce Conseil, composé d'hommes qui exercent déjà leur autorité sur des terres françaises ou qui synthétisent les plus hautes valeurs intellectuelles et morales de la Nation, représente auprès de moi le pays et l'Empire qui se battent pour leur existence.
J'appelle à la guerre, c'est-à-dire au combat ou au sacrifice, tous les hommes et toutes les femmes des terres françaises qui sont ralliées à moi. En union étroite avec nos Alliés, qui proclament leur volonté de contribuer à restaurer l'indépendance et la grandeur de la France, il s'agit de défendre contre l'ennemi ou contre ses auxiliaires la partie du patrimoine national que nous détenons, d'attaquer l'ennemi partout où cela sera possible, et de mettre en œuvre toutes nos ressources militaires, économiques, morales, de maintenir l'ordre public et de faire régner la justice.
Cette grande tâche, nous l'accomplirons pour la France, dans la conscience de la bien servir et dans la certitude de vaincre. »
Charles de Gaulle
Cette organisation institutionnelle primaire va ensuite évoluer, avec l'ordonnance du 24 septembre 1941 portant organisation nouvelle des pouvoirs publics de la France libre et créant le Comité national français. Ce Comité, présidé par De Gaulle, était habilité à exercer la fonction « législative » par voie d'ordonnances, qui donnaient naissance à des dispositions de nature législative. Ces ordonnances étaient promulguées par le chef des Français libres. Le Comité était composé de commissaires nommés par son président et librement révocables par lui, qui « exercent toutes les attributions, individuelles ou collégiales, normalement dévolues aux ministres français ». Chacun d'entre eux devait assurer la direction d'un « département ministériel » (économie, finances, guerre, etc.).
Quant au général, outre ses prérogatives attachées à sa présidence du Comité national français, il assurait l'exercice de la fonction exécutive, et notamment d'exécution des ordonnances.
Sur le plan strictement formel, l'observation de ce « régime » ne permet pas de le distinguer fondamentalement du régime de Vichy. Les chefs des deux Gouvernements exercent des prérogatives similaires, et surtout très étendues. L'organisation institutionnelle est pauvre, et ne comprend notamment pas d'assemblées parlementaires. Les deux régimes fonctionnent en réalité comme des dictatures même si l'horizon (affiché) de la France libre est de rendre, dès que possible, le pouvoir au peuple français. En effet, l'article premier de l'ordonnance du 24 septembre 1941 affirme le caractère temporaire des institutions de la France libre, qui n'existent qu'en raison du contexte de guerre, de « l'action de l'ennemi » et de « l'usurpation des autorités qui collaborent avec lui » : « En raison des circonstances de la guerre et jusqu'à ce qu'ait pu être constituée une représentation du peuple français en mesure d'exprimer la volonté nationale d'une manière indépendante de l'ennemi, l'exercice provisoire des pouvoirs publics sera assuré dans les conditions fixées par la présente ordonnance. [...] ».
Le 3 juin 1943, une ordonnance instaure le Comité français de Libération Nationale (CFLN), qui remplace le Comité national français dans l'exercice du pouvoir. Organe collégial présidé alternativement par les généraux De Gaulle et Giraud, le CFLN est chargé d'exercer « la souveraineté française sur tous les territoires en dehors du pouvoir de l'ennemi ». Une ordonnance du 17 septembre 1943 créait, auprès du CFLN, une Assemblée consultative provisoire. Ses membres étaient désignés par divers groupements représentant la résistance.
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Pendant cette courte période de quatre ans qui court de l'été 1940 à l'été 1944 (de la nomination de Pétain à la tête du Gouvernement au débarquement allié en Normandie), ce sont donc (au moins) deux gouvernements qui prétendent incarner la voix de la France (ce qui n'est évidemment juridiquement pas possible). Sans chercher à apporter une réponse définitive à des problèmes juridiques complexes (et qui ne peuvent probablement pas être résolus exclusivement juridiquement), pointons quelques-unes des difficultés auxquelles ont été confrontés les juristes et les acteurs politiques de l'époque.
Nous avons vu que la stratégie du général De Gaulle a consisté, pendant toute la période, à nier l'assise juridique du Gouvernement de Vichy, comme sa légitimité (celle-ci dépendant pour une large part, quoi que non exclusivement, de sa « légalité »). S'il ne fait guère de doute que l'arrivée au pouvoir du Maréchal Pétain est parfaitement conforme au droit, en revanche, les conditions dans lesquelles son Gouvernement a été investi, sous sa signature et son autorité, du pouvoir constituant, posent problème (comme nous l'avons évoqué plus haut). Surtout, la loi du 10 juillet 1940, à supposer même qu'elle fût régulière, ne fut pas respectée par le Gouvernement de Vichy puisque, comme nous l'avons déjà noté, il n'y a eu ni rédaction d'un projet de Constitution, ni soumission de ce projet à la ratification populaire, ni création d'assemblées (comme la loi de juillet 1940 le prescrivait). Au contraire, sous prétexte du contexte de la guerre, le Maréchal Pétain s'est installé dans le provisoire, sans jamais donner l'impression de vouloir en sortir. Par là-même, il a violé le mandat qui avait été confié à son Gouvernement par l'Assemblée nationale le 10 juillet 1940.
La prise de pouvoir par le général de général De Gaulle ne trouve, en revanche, aucun fondement juridique. Mais, l'histoire étant écrite par les vainqueurs, ce sont eux qui se sont politiquement habilités à trancher la question de la légalité et de la légitimité respective des deux Gouvernements concurrents. Ce fut chose faite par l'ordonnance du 9 août 1944 portant rétablissement de la légalité républicaine sur le territoire continental.
Après le débarquement des forces alliées en Normandie en juin 1944 et la libération progressive du territoire national, les institutions de la France libre (devenue en juillet 1942 la « France combattante ») souhaitaient restaurer la République.
A cet effet, l'ordonnance du 9 août 1944 proclame l'inexistence juridique du Gouvernement de Vichy (« La forme du gouvernement de la France est et demeure la République. En droit, celle-ci n'a pas cessé d'exister » (art. 1er)). Le texte va même plus loin puisque, dans les faits, il nie également l'existence juridique du Gouvernement Pétain, nommé régulièrement le 16 juin 1940, et qui fut le dernier Gouvernement de la IIIe République (« Sont, en conséquence, nuls et de nul effet tous les actes constitutionnels, législatifs ou réglementaires [...] promulgués sur le territoire continental postérieurement au 16 juin 1940 et jusqu'au rétablissement du gouvernement provisoire de la République française... » (art. 2)).
Après le débarquement allié en Normandie qui marque le début de la libération du territoire national, alors occupé par les Allemands, et l'effondrement consécutif du régime de Vichy, le général De Gaulle va installer de nouvelles institutions, en France métropolitaine, qui seront chargées d'exercer le pouvoir de façon provisoire.
§3. Les gouvernements provisoires de la République et la rédaction de la nouvelle Constitution
A - Les gouvernements provisoires
Il ne peut y avoir d'intermittence dans l'exercice du pouvoir politique : pendant la période qui sépare la libération du territoire de l'adoption de la Constitution d'octobre 1946, il était indispensable que le pouvoir soit exercé.
En simplifiant un peu les choses, il est possible de considérer que cette période transitoire fut structurée en deux phases consécutives.
La première est celle du « Gouvernement provisoire de la République française » (GPRF), chargé d'exercer le pouvoir temporairement, tant que la France est en guerre (pour rappel la capitulation de l'Allemagne ne se produit que le 8 mai 1945). Ce GPRF est composé de deux organes. Un « Gouvernement », présidé par le général De Gaulle et composé de ministres, nommés par le président et responsables devant lui, et chargé d'exercer tant la fonction législative que la fonction exécutive. Le Gouvernement est assisté d'une Assemblée consultative provisoire, que nous avons déjà croisée en évoquant les institutions de la « France libre », devenue « combattante », dans l'après septembre 1943. Cette Assemblée consultative, élargie, est composée d'environ 300 membres, parmi lesquels 60 anciens membres des assemblées parlementaires de la IIIe République. Les autres membres sont des représentants de « l'opinion publique », principalement choisis parmi les mouvements de la résistance. En raison de la faiblesse de sa légitimité démocratique, l'Assemblée n'exerce que des fonctions consultatives, et ne détient pas de pouvoir décisionnel.
Selon l'expression d'un professeur de droit de l'époque, Georges Burdeau, ces institutions provisoires étaient de structure autoritaire mais d'esprit démocratique. De structure autoritaire parce qu'en l'absence d'instances élues (des élections étaient impossibles à organiser dans un pays encore en guerre et complètement désorganisé), l'intégralité du pouvoir (c'est-à-dire la fonction exécutive et la fonction législative) est, dans les faits, exercé par le GPRF, présidé par le général De Gaulle. Mais il est d'esprit démocratique parce que le but essentiel du GPRF est le rétablissement des institutions républicaines qui doit être réalisé dès que possible, par la remise du pouvoir aux représentants élus de la Nation. Le nom officiel du régime en témoigne : il s'agit d'un Gouvernement « provisoire » et transitoire.
La seconde phase du provisoire s'ouvre avec les premières élections nationales suivant la Libération, qui se déroulent en octobre 1945, quelques mois après la capitulation de l'Allemagne.
Une question de toute première importance s'est alors posée aux titulaires provisoires du pouvoir. Les Français (et les Françaises, pour la première fois dans l'histoire nationale, le droit de vote et d'éligibilité ayant été accordé aux femmes en avril 1944) allaient être appelés à élire des représentants. Mais ces représentants, dans quel type d'assemblée allaient-ils siéger ? Fallait-il, en considérant que les lois constitutionnelles de 1875 étaient toujours en vigueur (après tout, le droit positif – l'ordonnance du 9 août 1944 précitée – ne proclamait-il pas l'inexistence de Vichy et la nullité de tous les actes constitutionnels postérieurs au 16 juin 1940 et antérieurs au rétablissement de la légalité républicaine ?), restaurer les institutions de la IIIe République, c'est-à-dire la Chambre des députés, puis le Sénat ? Fallait-il, au contraire, compte tenu de la rupture institutionnelle ayant affecté le gouvernement de la France entre 1940 et 1945, fonder un régime nouveau, et donc une IVe République ?
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Il est prévu par l'article 17 de l'ordonnance du Comité français de la libération nationale du 21 avril 1944, portant organisation des pouvoirs publics en France après la libération.
« Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ».
Si au contraire on optait pour la seconde option, les Français auraient été convoqués pour élire des représentants siégeant dans une assemblée constituante.
Pour choisir entre ces deux options, les institutions du GPRF ont préféré donner directement la parole aux Français. Le peuple a donc été appelé, le 21 octobre 1945, à participer à deux votations. D'une part, un référendum, dans le cadre duquel il lui était demandé de choisir entre le retour à la IIIe République ou l'instauration d'un nouveau régime ; d'autre part, l'élection de représentants, dont les électeurs ne savaient pas, au moment de déposer leur bulletin dans l'urne, s'ils allaient siéger à la Chambre des députés de la IIIe République restaurée, ou dans une Assemblée constituante chargée d'élaborer une nouvelle Constitution (cela dépendant des résultats du référendum organisé le même jour).
Le référendum organisé le 21 octobre 1945 comportait deux questions :
- « Voulez-vous que l’Assemblée élue ce jour soit constituante ? » Si l’électeur répondait oui, cela signifiait qu’il était partisan du changement de régime, et souhaitait attribuer à la nouvelle assemblée le pouvoir constituant afin qu’elle élabore une nouvelle Constitution ; si au contraire il répondait non, cela signifiait qu’il souhaitait la restauration des institutions de la IIIe République et dans ce cas, l’assemblée élue aurait constitué la Chambre des députés prévue par les lois constitutionnelles de 1875.
- En cas de réponse affirmative à la première question, « approuvez-vous que les pouvoirs publics soient jusqu’à la mise en vigueur de la nouvelle Constitution, organisés conformément au projet de loi ci-joint ? ». Ce projet de loi avait pour objet de régler le fonctionnement des pouvoirs publics le temps que l’assemblée (si elle était constituante) élabore la nouvelle Constitution. Il prévoyait notamment un délai pour la rédaction de ce projet de Constitution (7 mois), une procédure d’adoption du projet (ratification par référendum populaire), et une organisation provisoire des pouvoirs publics pendant cette période transitoire. Une réponse affirmative à la première question impliquait un encadrement du pouvoir de l’assemblée (constituante) élue ; une réponse négative signifiait au contraire que l’assemblée élue serait entièrement maîtresse de l’organisation de ses travaux, et du fonctionnement des pouvoirs publics pendant la période de transition.
96 % des 20 millions de votants répondirent oui à la première question ; 65 % d’entre eux répondirent oui à la seconde question. Discréditées en raison de leur incapacité à faire face à la guerre, à prévenir la défaite et la dictature de Pétain, les institutions de la IIIe République sombrèrent alors pour laisser place aux institutions de la IVe République.
L’Assemblée élue le 21 octobre 1945 fut donc constituante. Le projet de loi relatif à l’organisation provisoire des pouvoirs publics, joint au bulletin, devint la . Le temps de l’adoption et de l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, cette loi devenait la Constitution provisoire de la France. Celle-ci prévoyait qu’outre le pouvoir constituant, l’Assemblée exerçait le pouvoir législatif. Elle élisait le président du Gouvernement provisoire de la République, et contrôlait ce Gouvernement, politiquement responsable devant elle.
B - Le projet de Constitution du 19 avril 1946
L’Assemblée constituante nouvellement élue s’est immédiatement attelée à la rédaction de la nouvelle Constitution. Six mois plus tard, le 19 avril 1946, elle adoptait son projet par 309 voix contre 249. Avant de devenir la nouvelle Constitution de la France, ce texte devait encore être soumis à la ratification populaire, en application de la loi constitutionnelle du 2 novembre 1945, précitée (article 3). Les points de désaccord entre la gauche (majoritaire) et le reste de l’Assemblée étaient nombreux et, surtout, ils traduisaient des conceptions très différentes de la République et du régime parlementaire. A gauche, le Parti communiste et les socialistes de la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière) étaient favorables à un régime dominé par le Parlement, qui devait être monocaméral et disposer de pouvoirs très importants, sans véritables contre-poids. Le reste de l’Assemblée souhaitait au contraire un régime moins « déséquilibré » en faveur du Parlement. Le projet de Constitution adopté révèle ces divisions et témoigne, comme l’écrivait le doyen Vedel, d’une « tentative manquée de transaction ».
Pour le présenter succinctement, on pourrait d’abord dire qu’il comporte, contrairement aux lois constitutionnelles de 1875, une déclaration des droits. Sur le plan institutionnel, le projet prévoyait que le pouvoir législatif serait exercé par une assemblée unique, l’Assemblée nationale, élue pour cinq ans au suffrage universel direct. Cette Assemblée, d’après la Constitution, exerçait seule la souveraineté nationale. Le pouvoir exécutif comprenait quant à lui deux organes : le Conseil des ministres et le président de la République. L’Assemblée nationale élisait à la fois le chef de l’État et le chef du Gouvernement (Président du Conseil des ministres). Le projet de Constitution organisait en réalité la prépondérance de l’Assemblée nationale parmi les institutions. L’exécutif était placé dans une situation de stricte dépendance organique (il procédait de l’Assemblée qui en plus pouvait renverser le Gouvernement, politiquement responsable devant elle), sans pouvoir quant à lui agir sur l’Assemblée (le recours au droit de dissolution était pratiquement impossible en raison des conditions entourant son utilisation). Les opposants au texte (parmi lesquels il faut compter le général De Gaulle) lui reprochaient de mettre en place une sorte de dictature de l’Assemblée, dans la pure tradition révolutionnaire, alors que ses partisans insistaient sur son caractère démocratique dans la mesure où il assurait la souveraineté de la majorité parlementaire issue des urnes.
Soumis au référendum le 5 mai 1946, le projet de Constitution fut rejeté par 53 % des électeurs.
C - La seconde assemblée constituante et le second projet de Constitution
Le projet de Constitution du 19 avril ayant été rejeté par le peuple, il fallait se reporter à la loi constitutionnelle du 2 novembre 1945 pour envisager la suite des événements. Conformément à ses dispositions, une nouvelle assemblée constituante devait être élue ; cette assemblée disposerait d’un nouveau délai de 7 mois pour rédiger un nouveau projet de Constitution, qui devait être à nouveau soumis au référendum.
Cette seconde Assemblée conduisit ses travaux plus rapidement, chacun étant lassé du provisoire et cherchant à en sortir. Le second projet fut définitivement adopté par l’Assemblée le 28 septembre 1946, par 440 voix contre 106. Le référendum pour l’approbation du texte fut organisé le 13 octobre 1946. Le « oui » l’emporta par 53 % des voix (mais l’abstention fut tellement forte que le nombre de « oui » comptabilisés en septembre fut moindre que celui des « oui » comptabilisés en mai…)
Quoi qu’il en soit, ayant été approuvé par la majorité des votants, le projet de septembre 1946 devenait la Constitution de la IVe République. Promulguée par le président du Gouvernement provisoire de la République française (le général De Gaulle), elle est entrée en vigueur le 27 octobre 1946.