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L’État (III. L’État et le droit international)

Cette leçon a un double objet : d’une part, évoquer les relations entre le droit interne et le droit international général ; d’autre part, évoquer au sein de ce droit international la place spécifique du droit de l’Union européenne. La souveraineté, dont on a vu dans la leçon 2 qu’elle était la caractéristique de l’État, sera au cœur de ces propos, dans la mesure où la primauté du droit international sur les normes internes (infra-constitutionnelles) peut interroger : cette primauté n’est-elle pas une négation du caractère suprême de la souveraineté de l’État ?

Section 1. Droit international et souveraineté de l’État


La souveraineté, comme cela vient d’être rappelé, est la caractéristique de l’État. Elle implique, du fait de son caractère absolu et suprême, que l’État n’a pas de supérieur ou d’égal à l’intérieur de ses frontières (face interne de la souveraineté). Mais l’État souverain, qui appartient à une « société » internationale, est contraint de cohabiter avec d’autres États, également souverains.

Contrairement à ce qui se produit dans l’ordre interne, les collectivités étatiques membres de la société internationale ne sont les sujets d’aucune puissance (dans l’ordre interne, les individus sont les sujets de l’État sur le territoire duquel ils se trouvent). Il n’y a donc pas, dans l’ordre international, de puissance suprême qui serait susceptible de soumettre les États à sa domination, de leur imposer l’ordre et de régler leurs litiges (nombreux).

Rq.On pourrait objecter l’existence de juridictions internationales, comme la Cour pénale internationale – chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou d’agression – ou la Cour internationale de justice. Mais ces juridictions sont la création d’États qui acceptent librement de se soumettre à la juridiction de ces instances (ce qui n’est pas le cas des individus placés sous la domination d’un État, dont le consentement n’est pas exigé pour assoir cette domination). Ainsi, les États-Unis d’Amérique n’ont pas ratifié la convention créant (en 1998) la Cour pénale internationale.

Siège de la Cour pénale internationale à La Haye (Pays-Bas). Source : https://www.icc-cpi.int/fr
Palais de la Paix, siège de la Cour internationale de justice à La Haye (Pays-Bas). Source : https://www.icj-cij.org/


En l’absence de normes contraignantes élaborées par une autorité qui leur soit supérieure, ce sont les États eux-mêmes qui, pour faire en sorte que la société internationale ne soit pas anomique, pour éviter que, faute de droit, les différends soit réglés par la force, organisent leurs relations en s’engageant mutuellement par voie « conventionnelle ». Dit autrement, les États concluent des conventions internationales (des traités), qui sont la source principale du droit international.

La création des normes de droit international conventionnel est ainsi placée sous le signe du consentement, alors que celle des normes de droit interne est, au contraire, marquée par l’unilatéralité. L’État qui souhaite conclure une convention internationale avec d’autres États doit obtenir leur accord ; en revanche, il peut, dans son ordre interne, imposer unilatéralement sa volonté à ses sujets.

La souveraineté de l’État étant suprême (et, par voie de conséquence, indépendante), l’État est toujours libre de s’engager (ou de ne pas s’engager) par voie conventionnelle. Mais, une fois qu’il s’est engagé – et tant qu’il n’a pas dénoncé le traité qu’il a accepté de ratifier – il est lié par l’engagement qu’il a pris de respecter l’accord auquel il est partie. En droit privé français, on dirait que cet accord est « la loi des parties » (cf. l’article 1103 du Code civil : « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits »). Cette règle est transposable aux relations internationales. Mais dire que l’État est lié, c’est-à-dire contraint, n’est-ce pas en contradiction avec le caractère absolu, suprême et indépendant de la puissance souveraine ? Il y a là une difficulté dans la mesure où le droit international (conventionnel), alors qu’il existe par la souveraineté librement manifestée des États, constitue dans le même temps une limitation de cette souveraineté.

Cette difficulté apparaît de façon plus accrue encore dès lors que l’on envisage l’articulation entre les normes de droit interne et les normes de droit international (conventionnel). En effet, le conflit survient en cas de contrariété, qui est possible. Comment le résoudre ? Dit autrement, en cas de conflit entre une norme internationale et une norme de droit interne, laquelle des deux doit prévaloir ?

Section 2. L’articulation entre normes de droit interne et normes de droit international


Nous avons vu dans la leçon 2, consacrée aux éléments constitutifs de l’État, que la souveraineté, telle qu’elle est conçue depuis Jean Bodin, signifie la maîtrise du droit positif. S’agissant du droit international conventionnel, dont la production relève de la compétence libre des États, la question de l’articulation entre normes internes et normes conventionnelles ne pose pas de difficultés théoriques insurmontables – ce qui ne signifie pas qu’elle n’est pas source de tensions en pratique. En revanche, dès lors que des normes de droit international sont produites par des instances supranationales, l’État n’en n’a plus la maîtrise. On pourrait alors considérer que sa souveraineté s’en trouve menacée surtout que, comme nous allons le voir à présent, le droit international « émet […] une prétention à la primauté » (Denis Baranger, Le droit constitutionnel, Paris, PUF, coll. QSJ).

La façon d’envisager les rapports entre droit interne et droit international diffère partiellement selon que l’on se situe du point de vue du droit international, ou du point de vue interne, c’est-à-dire du point de vue des États souverains.


Siège de la CJUE au Luxembourg. Source : https://curia.europa.eu

Comme l’écrit fort bien Denis Baranger, « la première prétention du droit international, c’est d’exister. Exister, pour le droit international, c’est s’imposer aux États, qui sont, en tant qu’unités de base de la société internationale, ses principaux sujets » (Le droit constitutionnel, op. cit.).

L’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969) stipule ainsi qu’un État « ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité » : c’est une autre façon de dire qu’en cas de conflit entre une norme conventionnelle et une norme interne, la norme conventionnelle doit prévaloir. De la même façon, les juridictions internationales (Cour internationale de justice, Cour de justice de l’Union européenne) ont toujours affirmé le principe de la primauté du droit international sur le droit interne, même constitutionnel. Dans un avis du 26 avril 1988 (Applicabilité de l’obligation d’arbitrage), la Cour internationale de justice a ainsi rappelé « le principe fondamental en droit international de la prééminence de ce droit sur le droit interne ».

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Très tôt, la CJCE (désormais CJUE) a rendu une solution de la même portée concernant les relations entre les normes internes des États membres des communautés européennes et le droit communautaire.

« Attendu qu'à la différence des traités internationaux ordinaires, le traité de la CEE a institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres lors de l'entrée en vigueur du traité et qui s'impose à leurs juridictions ;

Qu'en effet, en instituant une Communauté de durée illimitée, dotée d'institutions propres, de la personnalité, de la capacité juridique, d'une capacité de représentation internationale et plus particulièrement de pouvoirs réels issus d'une limitation de la compétence ou d'un transfert d'attribution des États à la Communauté, ceux-ci ont limité, bien que dans des domaines restreints, leurs droits souverains et créé ainsi un corps de droit applicable à leurs ressortissants et à eux-mêmes ;

Attendu que cette intégration au droit de chaque pays membre de dispositions qui proviennent de source communautaire, et plus généralement les termes et l'esprit du traité, ont pour corollaire l'impossibilité pour les États de faire prévaloir, contre un ordre juridique accepté par eux sur une base de réciprocité, une mesure unilatérale ultérieure qui ne saurait ainsi lui être opposable ; [...]

Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments, qu'issu d'une source autonome, le droit du traité ne pourrait donc, en raison de sa nature spécifique originale, se voir judiciairement opposer un texte interne quel qu'il soit, sans perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause la base juridique de la communauté elle-même ;

Que le transfert opéré par les États, de leur ordre juridique interne au profit de l'ordre juridique communautaire, des droits et obligations correspondant aux dispositions du traité, entraîne donc une limitation définitive de leurs droits souverains contre laquelle ne saurait prévaloir un acte unilatéral ultérieur incompatible avec la notion de Communauté [...]
»


Si la normativité du droit international est depuis longtemps reconnue en droit français, son effectivité était toutefois limitée avant 1946, dans la mesure où la violation par l’État d’une norme de droit international conventionnel par une norme de droit interne n’était pas sanctionnée par le juge interne. La Constitution de 1946 devait pour la première fois affirmer expressément l’effectivité du droit international en droit interne, dans son préambule et dans son article 26.

Tx. (IVe République)

Préambule, alinéa 14 : « La République française, fidèle à ses traditions, se conforme aux règles du droit public international. »

Préambule, alinéa 15 : « Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de la paix. »

Article 26 : « Les traités diplomatiques régulièrement ratifiés et publiés ont force de loi dans le cas même où ils seraient contraires à des lois françaises […] »

La fait également une place au droit international conventionnel et à sa portée dans l’ordre interne.
Tx.Ainsi, aux termes de son article 55 :

« Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie. »

A la question de savoir quelle est la place, dans la hiérarchie des normes, des normes internationales conventionnelles par rapport aux lois, la réponse est donc fixée de manière claire par la Constitution elle-même : les traités ont une valeur supérieure aux lois et, par voie de conséquence, aux normes infralégislatives (principes généraux du droit, actes administratifs réglementaires, actes administratifs individuels).

La réponse à la question de savoir quelle est la place respective, au sein de la hiérarchie des normes, des traités et de la Constitution est en revanche plus ambiguë si on se contente de lire les dispositions de cette dernière. On a vu, plus haut, que l’approche internationaliste était celle de la primauté du droit international sur toutes les normes de droit interne, y compris constitutionnelles. Qu’en est-il du point de vue du droit interne ?

Tx.Aux termes de l’article 54 de la Constitution, « si le Conseil constitutionnel, saisi par le Président de la République, par le Premier ministre, par le président de l'une ou l'autre assemblée ou par soixante députés ou soixante sénateurs, a déclaré qu'un engagement international comporte une clause contraire à la Constitution, l'autorisation de ratifier ou d'approuver l'engagement international en cause ne peut intervenir qu'après révision de la Constitution ».

Il est difficile de déduire de ces dispositions un quelconque diagnostic sur la hiérarchie respective des normes conventionnelles et des normes constitutionnelles, pour plusieurs raisons : d’abord parce que le contrôle du Conseil constitutionnel étant facultatif, il n’est pas possible de prévenir systématiquement qu’un traité inconstitutionnel intègre l’ordre juridique et produise des effets dans l’ordre interne ; ensuite parce que la décision de non-conformité empêchant la ratification ou l’approbation de la convention internationale il serait possible d’affirmer la suprématie de la Constitution ; enfin (et cette affirmation est incompatible avec la précédente) la non-conformité ne pouvant être surmontée que par une révision de la Constitution, on pourrait considérer que c’est à cette dernière de « s’incliner » face au traité. Ne serait-ce pas là la preuve de la supériorité du traité sur la Constitution ?

Comme la Constitution ne règle pas de façon définitive le problème des rapports hiérarchiques entre les normes conventionnelles et la Constitution, c’est au juge qu’est revenu l’obligation de résoudre cette difficulté. Cette situation s’est notamment présentée lorsque, dans le cadre d’un litige, un justiciable soulevait le moyen de la non-conformité d’une norme constitutionnelle avec une norme de droit international dont il souhaitait se prévaloir. A ce problème, la réponse du juge français, tant administratif que judiciaire, est très différente de celle défendue par les juridictions internationales.

Le Conseil d’État, soucieux de la préservation de la souveraineté de l’État, s’est prononcé le premier dans son arrêt d’assemblée du 30 octobre 1998, Sarran et Levacher . Il a alors jugé que « si l'article 55 de la Constitution dispose que "les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie", la suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux ne s'applique pas, dans l'ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle ». Trois ans plus tard, dans son arrêt Syndicat national de l’industrie pharmaceutique du 3 décembre 2001 le Conseil d’État a plus explicitement encore affirmé que le « principe de primauté, […] ne saurait conduire, dans l'ordre interne, à remettre en cause la suprématie de la Constitution ». Il fut rapidement suivi par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation qui, dans son arrêt du 2 juin 2000, Mme Fraisse, a affirmé que « la suprématie conférée aux engagements internationaux [par l’article 55 de la Constitution] ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de valeur constitutionnelle ».

Section 3. État et construction européenne : la souveraineté menacée ?


L’impact de la construction européenne sur le droit national et donc sur la souveraineté des États est très importante dans la mesure où, dès sa genèse, l’Union européenne affichait clairement sa prétention à l’unification politique. Dès lors, cette construction n’affecte-t-elle pas le pouvoir souverain des États, et donc la qualité d’État elle-même ?


La naissance des communautés européennes, après la fin de la seconde guerre mondiale, résulte de la volonté de mettre fin aux conflits qui ont opposé, régulièrement, les États du continent européen (au premier rang desquels l’Allemagne et la France). L’idée (déjà formulée en termes approchants, au XVIIIe siècle, par Montesquieu) était alors de tenter de maintenir la paix en créant une forme de solidarité entre les États, par la formation de communautés économiques.

Cette création a été le fait d’une série de traités, que l’on appelle des traités constitutifs. En 1950, la première communauté européenne, la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) a été créée par la France, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg. En 1957, deux autres traités ont instauré la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA), et la Communauté économique européenne (CEE). De nombreux traités sont venus modifier les traités initiaux (parmi eux nous pouvons notamment citer le traité de Maastricht (1992), le traité d’Amsterdam (1997) ou, plus récemment, le traité de Lisbonne (2007)), afin de renforcer la coopération entre les Etats-membres, aujourd’hui au nombre de 27 – depuis le « Brexit » de 2020.

Rq.Le « Brexit » désigne le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne.

La réalisation de cette union sans cesse plus étroite s’est notamment faite par le transfert à l’Union européenne de compétences de plus en plus nombreuses (y compris dans des matières non économiques), et par la transformation des procédures pour permettre l’adoption dans plusieurs domaines de décisions non plus à l’unanimité des États membres, mais à la majorité qualifiée.

Le droit de l’Union n’est qu’un sous-ensemble (comportant certes de fortes spécificités), de la catégorie plus vaste qu’est le droit international. Pour appréhender la question des rapports entre normes internes et normes européennes, il suffit de se reporter à ce qui a déjà été dit plus haut. On ne sera donc pas surpris d’apprendre que la façon d’envisager la résolution des conflits entres normes internes et droit de l’Union diffère selon que l’on se place du côté des États ou de celui des institutions européennes.

Dans la décision précitée Costa c/ ENEL du 15 juillet 1964 (aff. 6/64), la Cour de justice des communautés européennes a jugé que les engagements contractés par les États membres avaient conduit à une limitation de leurs droits souverains. De ce fait, considérait la CJCE (devenue depuis la CJUE – Cour de justice de l'Union européenne), les États se trouvent dans l’impossibilité « de faire prévaloir, contre un ordre juridique accepté par eux sur une base de réciprocité, une mesure unilatérale [c’est-à-dire de droit interne] qui ne saurait ainsi lui être opposable » ; ainsi le droit communautaire ne peut se voir « opposer un texte interne quel qu’il soit », autrement dit même de valeur constitutionnelle. Six ans plus tard, dans un arrêt du 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft, la CJCE devait affirmer – cette fois de façon explicite – que « l’invocation d’atteintes portées, soit aux droits fondamentaux tels qu’ils sont formulés par la Constitution d’un État membre, soit aux principes d’une structure constitutionnelle, ne saurait affecter la validité d’un acte communautaire ou son effet sur le territoire de cet État ». La jurisprudence du juge communautaire et européen est sur ce point constante : le droit de l’Union européenne prime, en cas de contradiction, sur toute norme de droit interne.

Enfin, dans son arrêt Simmenthal du 9 mars 1978 (aff. 106/77), la CJCE a contraint le juge national « chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire », à « assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu'il y ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci par voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel ».

Pendant très longtemps, ce juge national (ici français) n’a pas accordé de place spécifique au droit européen. Cela signifie tout simplement que le traitement du droit communautaire puis du droit de l’Union était similaire au traitement réservé au droit international général. Il faut dire que la Constitution elle-même, avant la révision de l’été 1992 qui avait pour objet d’introduire en son sein un titre relatif aux « Communautés et à l’Union européenne » (loi constitutionnelle n° 92-554 du 25 juin 1992) ne réservait pas de traitement spécifique au droit communautaire et au droit de l’Union.

La règle qui prévalait (et qui prévaut toujours) en cas de conflit entre une norme de droit interne et une norme européenne (traité ou droit dérivé) était celle de la seule supériorité à l’égard des lois (et, en conséquence, à l’égard des normes infralégislatives), en vertu de l’article 54 de la Constitution.

Rq.Depuis la révision de 1992, la Constitution, dans son titre XV, accorde une place à part à l’Union européenne. Partant du constat que la construction européenne nécessitait des révisions successives pour surmonter l’obstacle des transferts de compétences interdits (en application de la jurisprudence du Conseil constitutionnel), ses partisans de la construction européenne ont suggéré la constitutionnalisation des transferts de compétence, qui signifiait l’habilitation constitutionnelle, pour le futur, à opérer ces transferts de compétence. Tel fut l’objet du nouvel article 88-1 de la Constitution.

Article 88-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 :

« La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007. »

La révision de 1992 est consécutive à célèbre décision Maastricht (I) du Conseil constitutionnel. Dans cette décision du 9 avril 1992, le Conseil, saisi sur le fondement de l’article 54 pour se prononcer sur la conformité du traité de Maastricht à la Constitution, avait déclaré non-conformes de nombreuses stipulations de la convention, en raison notamment de l’atteinte aux « conditions essentielles d’exercice de la souveraineté nationale ».

Interprétant les dispositions de l’article 88-1 de la Constitution dans une décision de 2012 (n° 2012-653 DC du 9 août 2012, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire), le Conseil constitutionnel a jugé que le pouvoir de révision avait « ainsi consacré l'existence d'un ordre juridique de l'Union européenne intégré à l'ordre juridique interne et distinct de l'ordre juridique international » et que « tout en confirmant la place de la Constitution au sommet de l'ordre juridique interne, ces dispositions constitutionnelles permettent à la France de participer à la création et au développement d'une organisation européenne permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts de compétences consentis par les États membres » (nous soulignons).

En revanche, en cas de conflit entre une norme de droit de l’Union et une disposition constitutionnelle, c’est cette dernière qui devra prévaloir. Le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État ont développé à cet égard et à propos du droit originaire comme du droit dérivé, une jurisprudence dont la portée est similaire : elle les conduit dans certains cas à écarter, en cas de contrariété, l’application de la norme européenne au profit de la norme interne.

Rq.Il existe deux types, deux catégories de normes de droit de l’Union : d’une part le droit originaire, qui désigne le droit des traités constitutifs (ou de révision de ces traités) ; d’autre part le droit dérivé. Ce dernier désigne les normes prises en application des traités constitutifs, par les institutions de l’Union (et plus par les États, qui eux sont compétents pour l’élaboration des traités) : Conseil, Commission…. Le droit dérivé est principalement composé des règlements et des directives européennes.

Df.Aux termes de l’article 288 du , le règlement « a une portée générale. Il est obligatoire dans tous ses éléments et il est directement applicable dans tout État membre. ». Le même texte définit également la directive, qui « lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. ». Pour produire pleinement ses effets dans l’ordre interne, la directive doit donc être transposée, c’est-à-dire faire l’objet d’une mesure de réception (loi, règlement…).

Dans plusieurs décisions successives rendues à partir de 2004, le Conseil constitutionnel a affirmé la supériorité de la Constitution française sur les normes de droit de l’Union, tant originaire que dérivé.

S’agissant d’abord du droit originaire, le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision n° 2012-653 DC du 9 août 2012, Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance au sein de l'Union économique et monétaire (précitée) que si la Constitution permet à la France de participer à la construction européenne par l’effet de « transferts de compétences », « lorsque des engagements souscrits à cette fin ou en étroite coordination avec cette fin contiennent une clause contraire à la Constitution, remettent en cause les droits et libertés constitutionnellement garantis ou portent atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, l'autorisation de les ratifier appelle une révision constitutionnelle ».

Concernant le droit dérivé, le Conseil constitutionnel avait été saisi, en 2004, pour examiner la conformité à la Constitution d’une loi assurant la transposition d’une directive. La confrontation de la loi de transposition à la Constitution devait naturellement conduire à la confrontation de la directive à la Constitution. Pour procéder à l’examen de conformité dans sa décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique, le Conseil constitutionnel a tenu un raisonnement en plusieurs temps. Il a d’abord considéré que l’article 88-1 de la Constitution (précité) impose aux autorités françaises de procéder à la transposition des directives de l’Union, afin de ne pas tenir le droit de l’Union en échec. La transposition de ces directives dans l’ordre juridique interne « résulte » ainsi, d’après le Conseil constitutionnel, « d’une exigence constitutionnelle ».

Rq.Cette obligation de transposition résulte aussi (et avant tout) d’une exigence conventionnelle, énoncée par le droit originaire et la jurisprudence de la CJUE. Faire résulter, comme le fait ici le Conseil, la transposition en droit interne des directives d’une exigence constitutionnelle est une façon de souligner la souveraineté de l’État français.

Pour autant (et c’est la deuxième étape du raisonnement du Conseil constitutionnel), les directives ne sauraient être régulièrement transposées en droit interne qu’en l’absence de contrariété avec « une disposition expresse » de la Constitution.

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«  […] Considérant qu'aux termes de l'article 88-1 de la Constitution : « La République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences » ; qu'ainsi, la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle à laquelle il ne pourrait être fait obstacle qu'en raison d'une disposition expresse contraire de la Constitution […] ».


A contrario, cela signifie que si une disposition de la Constitution est contraire à une directive (cette règle s’applique désormais à toutes les normes de droit dérivé), cette dernière ne pourra pas produire ses effets dans l’ordre interne.

A partir de 2006, le Conseil constitutionnel devait préciser sa jurisprudence en faisant évoluer (et en restreignant le champ) de la « réserve de constitutionnalité » qu’il avait énoncée en 2004. Il résulte du dernier état de la jurisprudence (cf. par exemple CC, n° 2010-605 DC du 12 mai 2010, Loi relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne) que « la transposition d’une directive ne saurait aller à l’encontre d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti » (c’est-à-dire sauf révision de la Constitution ayant pour objet de surmonter la contrariété).

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«  […] Quant à l'exigence de transposition des directives européennes : 

17. Considérant qu'aux termes de l'article 88-1 de la Constitution : « La République participe à l'Union européenne constituée d'États qui ont choisi librement d'exercer en commun certaines de leurs compétences en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, tels qu'ils résultent du traité signé à Lisbonne le 13 décembre 2007 » ; qu'ainsi, la transposition en droit interne d'une directive communautaire résulte d'une exigence constitutionnelle ; 

18. Considérant qu'il appartient au Conseil constitutionnel, saisi dans les conditions prévues par l'article 61 de la Constitution d'une loi ayant pour objet de transposer en droit interne une directive communautaire, de veiller au respect de cette exigence ; que, toutefois, le contrôle qu'il exerce à cet effet est soumis à une double limite ; qu'en premier lieu, la transposition d'une directive ne saurait aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti ; qu'en second lieu, devant statuer avant la promulgation de la loi dans le délai prévu par l'article 61 de la Constitution, le Conseil constitutionnel ne peut saisir la Cour de justice de l'Union européenne sur le fondement de l'article 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; qu'en conséquence, il ne saurait déclarer non conforme à l'article 88-1 de la Constitution qu'une disposition législative manifestement incompatible avec la directive qu'elle a pour objet de transposer […] 
»


Contrairement à l’hypothèse d’une contrariété avec « une disposition contraire expresse de la Constitution » (formulation retenue en 2004), la formulation de 2006 et 2010, évoquant les « règles ou principes inhérent[s] à l’identité constitutionnelle de la France », est plus floue. Elle permet surtout au Conseil de remplir cette catégorie comme il l’entend, en ayant recours à des arguments d’opportunité tant juridique que politique. Ce que l’on comprend malgré tout, à la lecture cette nouvelle jurisprudence, c’est que le Conseil n’accepterait de faire échec à la transposition d’une directive européenne que dans l’hypothèse où serait menacé un principe constitutionnel fondamental.

Rq.Dans sa décision n° 2021-940 QPC du 15 octobre 2021, Société Air France, le Conseil constitutionnel a consacré le premier principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France, avec « l'interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l'exercice de la "force publique" nécessaire à la garantie des droits ».

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« […] La transposition d'une directive ou l'adaptation du droit interne à un règlement ne sauraient aller à l'encontre d'une règle ou d'un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, sauf à ce que le constituant y ait consenti. […] le Conseil constitutionnel n'est compétent pour contrôler la conformité des dispositions contestées aux droits et libertés que la Constitution garantit que dans la mesure où elles mettent en cause une règle ou un principe qui, ne trouvant pas de protection équivalente dans le droit de l'Union européenne, est inhérent à l'identité constitutionnelle de la France. […]

- Sur le fond :

14. En premier lieu, le droit à la sûreté, le principe de responsabilité personnelle et l'égalité devant les charges publiques, qui sont protégés par le droit de l'Union européenne, ne constituent pas des règles ou principes inhérents à l'identité constitutionnelle de la France. Il n'appartient donc pas au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces griefs.

15. En second lieu, selon l'article 12 de la Déclaration de 1789 : « La garantie des droits de l'Homme et du Citoyen nécessite une force publique : cette force est donc instituée pour l'avantage de tous, et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée ». Il en résulte l'interdiction de déléguer à des personnes privées des compétences de police administrative générale inhérentes à l'exercice de la « force publique » nécessaire à la garantie des droits. Cette exigence constitue un principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France.

16. La décision de mettre en œuvre le réacheminement d'une personne non admise sur le territoire français relève de la compétence exclusive des autorités chargées du contrôle des personnes à la frontière. En application des dispositions contestées, les entreprises de transport aérien ne sont tenues, à la requête de ces autorités, que de prendre en charge ces personnes et d'assurer leur transport.

17. Ainsi, les dispositions contestées n'ont ni pour objet ni pour effet de mettre à la charge de ces entreprises une obligation de surveiller la personne devant être réacheminée ou d'exercer sur elle une contrainte, de telles mesures relevant des seules compétences des autorités de police. Elles ne privent pas non plus le commandant de bord de sa faculté de débarquer une personne présentant un danger pour la sécurité, la santé, la salubrité ou le bon ordre de l'aéronef, en application de l'article L. 6522-3 du code des transports.

18. Le grief tiré de la méconnaissance des exigences résultant de l'article 12 de la Déclaration de 1789 doit donc être écarté [...]
»

Le Conseil d’État, quant à lui, s’inspirant de la décision n° 2004-496 DC du 10 juin 2004, Loi pour la confiance dans l'économie numérique précitée, fait désormais une place à part au droit communautaire au sein de sa jurisprudence sur les conflits entre normes de droit interne et normes de droit international. Saisi par un requérant qui contestait la légalité d’un acte administratif réglementaire de transposition d’une directive qui, d’après lui, heurtait des normes constitutionnelles, il a jugé, dans son arrêt d’assemblée Société Arcelor (8 février 2007) et après rappel de sa jurisprudence Sarran et des dispositions de l’article 88-1 de la Constitution, qu’« il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance d'une disposition ou d'un principe de valeur constitutionnelle, de rechercher s'il existe une règle ou un principe général du droit communautaire qui , eu égard à sa nature et à sa portée, tel qu'il est interprété en l'état actuel de la jurisprudence du juge communautaire, garantit par son application l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué ; que, dans l'affirmative, il y a lieu pour le juge administratif, afin de s'assurer de la constitutionnalité du décret, de rechercher si la directive que ce décret transpose est conforme à cette règle ou à ce principe général du droit communautaire […] ; qu'en revanche, s'il n'existe pas de règle ou de principe général du droit communautaire garantissant l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué, il revient au juge administratif d'examiner directement la constitutionnalité des dispositions réglementaires contestées » (nous soulignons).

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«  […] Considérant que si, aux termes de l'article 55 de la Constitution, "les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie", la suprématie ainsi conférée aux engagements internationaux ne saurait s'imposer, dans l'ordre interne, aux principes et dispositions à valeur constitutionnelle ; qu'eu égard aux dispositions de l'article 88-1 de la Constitution, selon lesquelles "la République participe aux Communautés européennes et à l'Union européenne, constituées d'Etats qui ont choisi librement, en vertu des traités qui les ont instituées, d'exercer en commun certaines de leurs compétences", dont découle une obligation constitutionnelle de transposition des directives, le contrôle de constitutionnalité des actes réglementaires assurant directement cette transposition est appelé à s'exercer selon des modalités particulières dans le cas où sont transposées des dispositions précises et inconditionnelles ; qu'alors, si le contrôle des règles de compétence et de procédure ne se trouve pas affecté, il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance d'une disposition ou d'un principe de valeur constitutionnelle, de rechercher s'il existe une règle ou un principe général du droit communautaire qui, eu égard à sa nature et à sa portée, tel qu'il est interprété en l'état actuel de la jurisprudence du juge communautaire, garantit par son application l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué ; que, dans l'affirmative, il y a lieu pour le juge administratif, afin de s'assurer de la constitutionnalité du décret, de rechercher si la directive que ce décret transpose est conforme à cette règle ou à ce principe général du droit communautaire ; qu'il lui revient, en l'absence de difficulté sérieuse, d'écarter le moyen invoqué, ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice des Communautés européennes d'une question préjudicielle, dans les conditions prévues par l'article 234 du Traité instituant la Communauté européenne ; qu'en revanche, s'il n'existe pas de règle ou de principe général du droit communautaire garantissant l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué, il revient au juge administratif d'examiner directement la constitutionnalité des dispositions réglementaires contestées […] ».

En d’autres termes, le Conseil d’État décide de vérifier si le principe constitutionnel invoqué par le requérant bénéficie d’une protection équivalente en droit communautaire. Si ce n’était pas le cas, il serait conduit à examiner « la constitutionnalité des dispositions » de la norme interne contestée (et donc, par ricochet, de la directive dont la transposition était l’objet de la norme interne contestée). Il s’agit là d’une affirmation sans ambiguïté de la primauté de la Constitution sur les actes de droit dérivé.

Très récemment, par une importante décision French Data Network (assemblée, 21 avril 2021), le Conseil d’État, tout en opérant une « synthèse de sa jurisprudence antérieure » sur les conflits de normes de droit interne et de droit de l’Union, a également procédé à « une remarquable extension de celle-ci » (Thibault Larrouturou, « Le Conseil d’État réaffirme la suprématie de la norme constitutionnelle face au droit de l’Union européenne », Blog de Jus Politicum, juin 2021). En effet, après avoir rappelé (dans la lignée de sa propre jurisprudence et de celle du Conseil constitutionnel) que « le respect du droit de l'Union constitue une obligation tant en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qu'en application de l'article 88-1 de la Constitution », il devait confirmer la suprématie de cette dernière dans l’ordre juridique interne.

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«  […] 4. Le respect du droit de l'Union constitue une obligation tant en vertu du traité sur l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne qu'en application de l'article 88-1 de la Constitution. Il emporte l'obligation de transposer les directives et d'adapter le droit interne aux règlements européens. En vertu des principes de primauté, d'unité et d'effectivité issus des traités, tels qu'ils ont été interprétés par la Cour de justice de l'Union européenne, le juge national, chargé d'appliquer les dispositions et principes généraux du droit de l'Union, a l'obligation d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire, qu'elle résulte d'un engagement international de la France, d'une loi ou d'un acte administratif.

5. Toutefois, tout en consacrant l'existence d'un ordre juridique de l'Union européenne intégré à l'ordre juridique interne, dans les conditions mentionnées au point précédent, l'article 88-1 confirme la place de la Constitution au sommet de ce dernier. Il appartient au juge administratif, s'il y a lieu, de retenir de l'interprétation que la Cour de justice de l'Union européenne a donnée des obligations résultant du droit de l'Union la lecture la plus conforme aux exigences constitutionnelles autres que celles qui découlent de l'article 88-1, dans la mesure où les énonciations des arrêts de la Cour le permettent. Dans le cas où l'application d'une directive ou d'un règlement européen, tel qu'interprété par la Cour de justice de l'Union européenne, aurait pour effet de priver de garanties effectives l'une de ces exigences constitutionnelles, qui ne bénéficierait pas, en droit de l'Union, d'une protection équivalente, le juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, doit l'écarter dans la stricte mesure où le respect de la Constitution l'exige.

6. Il en résulte, d'une part, que, dans le cadre du contrôle de la légalité et de la constitutionnalité des actes réglementaires assurant directement la transposition d'une directive européenne ou l'adaptation du droit interne à un règlement et dont le contenu découle nécessairement des obligations prévues par la directive ou le règlement, il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen tiré de la méconnaissance d'une disposition ou d'un principe de valeur constitutionnelle, de rechercher s'il existe une règle ou un principe général du droit de l'Union européenne qui, eu égard à sa nature et à sa portée, tel qu'il est interprété en l'état actuel de la jurisprudence du juge de l'Union, garantit par son application l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué. Dans l'affirmative, il y a lieu pour le juge administratif, afin de s'assurer de la constitutionnalité de l'acte réglementaire contesté, de rechercher si la directive que cet acte transpose ou le règlement auquel cet acte adapte le droit interne est conforme à cette règle ou à ce principe général du droit de l'Union. Il lui revient, en l'absence de difficulté sérieuse, d'écarter le moyen invoqué, ou, dans le cas contraire, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, dans les conditions prévues par l'article 167 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. En revanche, s'il n'existe pas de règle ou de principe général du droit de l'Union garantissant l'effectivité du respect de la disposition ou du principe constitutionnel invoqué, il revient au juge administratif d'examiner directement la constitutionnalité des dispositions réglementaires contestées.

7. D'autre part, lorsqu'il est saisi d'un recours contre un acte administratif relevant du champ d'application du droit de l'Union et qu'est invoqué devant lui le moyen tiré de ce que cet acte, ou les dispositions législatives qui en constituent la base légale ou pour l'application desquelles il a été pris, sont contraires à une directive ou un règlement européen, il appartient au juge administratif, après avoir saisi le cas échéant la Cour de justice d'une question préjudicielle portant sur l'interprétation ou la validité de la disposition du droit de l'Union invoquée, d'écarter ce moyen ou d'annuler l'acte attaqué, selon le cas. Toutefois, s'il est saisi par le défendeur d'un moyen, assorti des précisions nécessaires pour en apprécier le bien-fondé, tiré de ce qu'une règle de droit national, alors même qu'elle est contraire à la disposition du droit de l'Union européenne invoquée dans le litige, ne saurait être écartée sans priver de garanties effectives une exigence constitutionnelle, il appartient au juge administratif de rechercher s'il existe une règle ou un principe général du droit de l'Union européenne qui, eu égard à sa nature et à sa portée, tel qu'il est interprété en l'état actuel de la jurisprudence du juge de l'Union, garantit par son application l'effectivité de l'exigence constitutionnelle invoquée. Dans l'affirmative, il lui revient, en l'absence de difficulté sérieuse justifiant une question préjudicielle à la Cour de justice, d'écarter cette argumentation avant de faire droit au moyen du requérant, le cas échéant. Si, à l'inverse, une telle disposition ou un tel principe général du droit de l'Union n'existe pas ou que la portée qui lui est reconnue dans l'ordre juridique européen n'est pas équivalente à celle que la Constitution garantit, il revient au juge administratif d'examiner si, en écartant la règle de droit national au motif de sa contrariété avec le droit de l'Union européenne, il priverait de garanties effectives l'exigence constitutionnelle dont le défendeur se prévaut et, le cas échéant, d'écarter le moyen dont le requérant l'a saisi. […]
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La jurisprudence – parfois très subtile – élaborée par les juges français permet ainsi de sauvegarder la maîtrise, par l’État, des normes les plus élevées dans la hiérarchie des normes, à savoir des normes constitutionnelles.
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