L’observation des structures étatiques à travers le monde permet de constater qu’il existe, comme le dit souvent la doctrine constitutionnaliste, plusieurs formes « d’État », ou formes politiques. Georg Jellinek (1851-1911) évoquait quant à lui les « structures » de l’État dans son ouvrage, déjà cité, L’État moderne et son droit. La doctrine constitutionnaliste a pour habitude de dresser une typologie de ces formes politiques, comprenant – en général – deux catégories : l’État « unitaire », d’une part ; les États composés ou unions (plus ou moins intégrées) d’États, de l’autre (ces derniers peuvent être désignés par des termes ou expressions variables).
Sans entrer dans le détail d’un débat doctrinal fort complexe, plutôt inadapté à un cours adressé à de très jeunes juristes en formation, il faut toutefois reconnaître que, sur le plan juridique, dès lors que l’on a admis que la souveraineté était la caractéristique, le critère ultime de l’État (cf. la leçon 2), il est difficile – à moins de pécher par incohérence – de considérer que des entités politiques non souveraines puissent être qualifiées d’État. Or, la division binaire sus-évoquée conduit à classer dans la catégorie des États des entités qui ne sont pas souveraines au sens précédemment étudié : on songe notamment à l’« État » fédéral et aux « États » fédérés, composant « l'État » fédéral.
C’est pourquoi nous préférerons, dans la continuité des travaux d’Olivier Beaud (Théorie de la Fédération, Paris, PUF, Léviathan, 2007) réserver la qualification d’État à l’État « unitaire » et utiliser la notion de Fédération pour désigner l’autre forme politique habituellement pratiquée dans le monde.
Section 1. L’État « unitaire »
Après avoir présenté la structure de l’État unitaire (§1), nous en donnerons une illustration avec la France (§2).
§1. La structure de l’État « unitaire »
Dans cette configuration, l’unité de la puissance publique et du pouvoir politique est le fondement de la structure étatique. La souveraineté appartient à un unique détenteur et il n’y a qu’un seul centre d’impulsion du pouvoir politique. L’État unitaire se caractérise ainsi par la concentration et l’indivisibilité du pouvoir politique ce qui, comme l’explique Jacques Chevallier (L’État, Paris, Dalloz, 1999), implique trois choses :
- d’abord, un ordre constitutionnel unique, autrement dit, « l’unité des règles juridiques définissant [l]es conditions d’exercice » du pouvoir. Cela signifie que dans l’État « unitaire », il n’y a qu’une seule constitution, située au sommet de la hiérarchie des normes et dont dépend la validité de l’ensemble des normes infra-constitutionnelles ;
- ensuite, l’unité des normes étatiques, les normes de l’État s’appliquant à l’ensemble du territoire national et des individus qui s’y trouvent ;
- enfin, l’« unité de l’appareil » chargé de mettre en œuvre la puissance de l’État. L’État va placer, sur l’ensemble de son territoire, des autorités qui le représentent et agissent en son nom, afin d’exercer sa puissance souveraine sur tous les points de ce territoire.
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« Si diligents que soient les agents du Pouvoir, ils ne peuvent, à partir d'un centre unique, pourvoir à toutes les tâches qui leur incombent. C'est pourquoi il existe toujours des relais de la puissance. [...] Rome eut ses proconsuls, Charlemagne ses missi dominici, la monarchie ses intendants, Napoléon ses préfets. Dans ce système d'administration, certains fonctionnaires reçoivent du Pouvoir central, une délégation d'autorité qui leur permet de l'exercer localement ou pour la gestion d'un service déterminé. Le Pouvoir demeure unitaire, c'est son exercice seulement qui est démultiplié par la présence d'un agent qu'il dépêche au point où il y a lieu de décider. Il y a ce que l'on appelle déconcentration.
Toute autre est l'idée qui préside à la décentralisation. Une activité est dite décentralisée lorsque les règles qui la commandent sont édictées par des autorités émanant du groupe qu'elle concerne. Ce qui caractérise donc un groupement [...] lorsqu'il est décentralisé, c'est son affranchissement, quant à l'activité visée, à l'égard du pouvoir central. A l'origine de la décentralisation il y a ainsi une reconnaissance de la liberté de l'organisme qui en bénéficie, liberté qui s'analyse juridiquement dans la faculté dont il jouit de se donner à soi-même les normes qui le régissent. »
Les collectivités décentralisées ne sont pas des entités politiques souveraines. Elles n'exercent que de simples prérogatives administratives ; elles reçoivent de l'État leurs règles d'organisation et de fonctionnement. Dans la , un titre entier (le titre XII) est consacré aux « collectivités territoriales ». Dans les articles 72 et suivants de la Constitution, l'État souverain définit le statut et les prérogatives des collectivités qui n'ont pas, contrairement à lui, « la compétence de leur compétence ».
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« Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place d'une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa.
Les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon.
Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. [...]
Dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l'État, représentant de chacun des membres du Gouvernement, a la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois.»
§2. Un exemple d’État « unitaire » : la France
On présente souvent la France comme un modèle d’État « unitaire ». Cette affirmation est assez largement vraie, même si elle peut, à certains égards, être nuancée.
A - Une République indivisible
Le 25 septembre 1792, trois jours après avoir aboli la royauté, la Convention nationale déclarait « la République française une et indivisible ».
La tradition de l’État « unitaire » (de la République « indivisible ») est solidement ancrée dans l’histoire constitutionnelle française (au-delà de la Révolution, elle remonte d’ailleurs à l’Ancien régime et à la monarchie absolue qui s’est justement édifiée à travers le processus de concentration du pouvoir). Pour ne citer que les constitutions républicaines de notre histoire, on la trouve affirmée à nouveau dans la (IIe République, préambule), dans (IVe République, article 1er) et dans la Constitution de notre Ve République :
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »
Le caractère « unitaire » de l’État est souvent traduit par son indivisibilité, indivisibilité qui se décline en trois aspects :
- L’indivisibilité du pouvoir souverain, d’abord. Cette indivisibilité implique l’unité du pouvoir politique, constituant et législatif, c’est-à-dire du pouvoir de faire la loi, dont on a vu qu’il constitue, depuis Jean Bodin, la marque, le sens profond de la souveraineté. A la différence de ce qui se produit dans les fédérations, le pouvoir législatif (comme le pouvoir constituant) est concentré et centralisé ; il n’est pas partagé entre plusieurs entités politiques ; les lois s’appliquent uniformément à l’ensemble du territoire national (sauf évidemment lorsque le législateur en décide autrement).Rq.Pour exercer leurs missions administratives, les collectivités territoriales bénéficient également d’un pouvoir normatif (art. 72 de la Constitution : « Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences. » (nous soulignons)). Ce pouvoir réglementaire permet aux organes des collectivités territoriales d’élaborer des règlements, qui sont des normes générales et impersonnelles. Mais ce pouvoir règlementaire est un pouvoir d’exécution de la loi, bien entendu inférieur à la loi en termes de hiérarchie.
L’indivisibilité du pouvoir souverain explique également l’interdiction qui est faite, par le second alinéa de l’article 3 de la Constitution, « à aucune section du peuple […] [de] s’en attribuer l’exercice. »
- L’indivisibilité du territoire, ensuite. Celle-ci est protégée par plusieurs dispositions constitutionnelles : alinéa 2 de l’article 5 (le président de la République « est le garant » de « l’intégrité du territoire ») ; article 16 (« Lorsque les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire […] sont menacées d'une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures exigées par ces circonstances […] »). L’indivisibilité du territoire n’emporte pas pour autant son caractère immuable : l’article 53 de la Constitution encadre ainsi la « cession », l’« échange » ou l’« adjonction » de territoire (les traités portant modification de l’étendue du territoire « ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi » ; ces modifications ne sont pas « valable[s] » « sans le consentement des populations intéressées »).
- L’indivisibilité du peuple français, enfin. Ce dernier principe résulte de l’interprétation faite de plusieurs dispositions constitutionnelles par le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991, Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse. Pour comprendre la décision du Conseil, il faut dire quelques mots du texte qui était soumis à son examen. La Corse, qui est française depuis son annexion par une conquête militaire qui a mis fin, en 1769, a son indépendance, fait partie, au même titre par exemple que les collectivités d’outre-mer, de ces collectivités territoriales de la République bénéficiant d’un statut spécifique et dérogatoire au droit commun. Plus précisément, elle appartient à la catégorie juridique des « collectivités à statut particulier », visée à l’alinéa 1er de l’article 72 de la Constitution (pour rappel : « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74 » (nous soulignons)). Le traitement spécifique réservé à certaines collectivités territoriales peut s’expliquer par des raisons historiques (par exemple, lorsque telle collectivité est une ancienne colonie), géographiques (par exemple l’insularité ou l’éloignement de la métropole) ou encore démographiques (par exemple l’importance de la population). Envisagée du point des autorités étatiques françaises, l’histoire de la Corse est celle d’une hésitation permanente entre assimilation et reconnaissance de la particularité corse (v. le récent Rapport sur l’évolution institutionnelle de la Corse, rédigé par le professeur Wanda Mastor à l’attention du président du Conseil exécutif de la Collectivité de Corse). La loi portant statut particulier de la Corse soumise, au printemps 1991, à l’examen du Conseil constitutionnel comportait un article 1er ainsi rédigé : « La République française garantit à la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques. Ces droits liés à l'insularité s'exercent dans le respect de l'unité nationale, dans le cadre de la Constitution, des lois de la République et du présent statut ». Les auteurs de la saisine reprochaient – notamment – à la loi de reconnaître ainsi, juridiquement, l’existence au sein du peuple français d’un « peuple corse », ce qui d’après eux était contraire à « l’unicité » du peuple français, unicité qui aurait pour conséquence son indivisibilité. Au terme de son raisonnement, le Conseil constitutionnel a jugé d’une part, que « le concept juridique de "peuple français" » avait « valeur constitutionnelle », ce qui signifie qu’il est susceptible de produire des effets juridiques (le Gouvernement, dans sa défense, faisait valoir que le concept de « peuple français » avait une portée plus politique que juridique) ; d’autre part que l’indivisibilité de la République et « l’égalité devant la loi de tous les citoyens quelle que soit leur origine », proclamées à l’article 1er de la Constitution, emportaient l’indivisibilité du peuple français (l’expression n’est toutefois pas utilisée par le Conseil). En conséquence, d’après le Conseil, « la mention faite par le législateur du « peuple corse, composante du peuple français » est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion ». Il faut dès lors comprendre le peuple français comme un ensemble d’individus égaux devant la loi, et non comme un agrégat de « peuples » divers, cette diversité étant susceptible de fonder une différenciation (c’est-à-dire une discrimination) juridique. D’ailleurs, les membres du Conseil constitutionnel se sont à juste titre inquiétés des conséquences de la reconnaissance juridique de l’existence d’un peuple corse. Comme le soulignait le rapporteur, « si l’on s’engage à voir dans le peuple corse une composante du peuple français, on s’expose dans l’avenir à des conséquences redoutables : le législateur ne jugera-t-il pas à propos de consacrer un peuple breton, un peuple basque, un peuple auvergnat, un peuple lorrain… et pourquoi pas un peuple juif, qui n’aurait pas de territoire. » (PV de la séance du Conseil constitutionnel du 7 mail 1991, p. 12).
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« […] 10. Considérant que l'article 1er de la loi est ainsi rédigé : « La République française garantit à la communauté historique et culturelle vivante que constitue le peuple corse, composante du peuple français, les droits à la préservation de son identité culturelle et à la défense de ses intérêts économiques et sociaux spécifiques. Ces droits liés à l'insularité s'exercent dans le respect de l'unité nationale, dans le cadre de la Constitution, des lois de la République et du présent statut » ;
11. Considérant que cet article est critiqué en ce qu'il consacre juridiquement l'existence au sein du peuple français d'une composante « le peuple corse » ; qu'il est soutenu par les auteurs de la première saisine que cette reconnaissance n'est conforme ni au préambule de la Constitution de 1958 qui postule l'unicité du « peuple français », ni à son article 2 qui consacre l'indivisibilité de la République, ni à son article 3 qui désigne le peuple comme seul détenteur de la souveraineté nationale ; qu'au demeurant, l'article 53 de la Constitution se réfère aux « populations intéressées » d'un territoire et non pas au concept de peuple ; que les sénateurs auteurs de la troisième saisine font valoir qu'il résulte des dispositions de la Déclaration des droits de 1789, de plusieurs alinéas du préambule de la Constitution de 1946, de la loi constitutionnelle du 3 juin 1958, du préambule de la Constitution de 1958 comme de ses articles 2, 3 et 91, que l'expression « le peuple », lorsqu'elle s'applique au peuple français, doit être considérée comme une catégorie unitaire insusceptible de toute subdivision en vertu de la loi ;
12. Considérant qu'aux termes du premier alinéa du préambule de la Constitution de 1958 « le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l'homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu'ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946 » ; que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen à laquelle il est ainsi fait référence émanait des représentants « du peuple français » ; que le préambule de la Constitution de 1946, réaffirmé par le préambule de la Constitution de 1958, énonce que « le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés » ; que la Constitution de 1958 distingue le peuple français des peuples d'outre-mer auxquels est reconnu le droit à la libre détermination ; que la référence faite au « peuple français » figure d'ailleurs depuis deux siècles dans de nombreux textes constitutionnels ; qu'ainsi le concept juridique de « peuple français » a valeur constitutionnelle ;
13. Considérant que la France est, ainsi que le proclame l'article 2 de la Constitution de 1958, une République indivisible, laïque, démocratique et sociale qui assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens quelle que soit leur origine ; que dès lors la mention faite par le législateur du « peuple corse, composante du peuple français » est contraire à la Constitution, laquelle ne connaît que le peuple français, composé de tous les citoyens français sans distinction d'origine, de race ou de religion ;
14. Considérant en conséquence que l'article 1er de la loi n'est pas conforme à la Constitution ; que toutefois il ne ressort pas du texte de cet article, tel qu'il a été rédigé et adopté, que ses dispositions soient inséparables de l'ensemble du texte de la loi soumise au Conseil constitutionnel […] »
Comme cela a été rappelé plus haut, le caractère unitaire de l’État n’est incompatible ni avec la déconcentration, ni avec la décentralisation. La tendance actuelle, en France, est d’ailleurs au renforcement de cette dernière, comme le reflète la révision du 28 mars 2003, qui a notamment introduit à l’article 1er de la Constitution une référence à « l’organisation décentralisée » de la République.
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée. […] » (nous soulignons)
Désormais, les caractères indivisible et décentralisé de la République française ont donc tous deux valeur constitutionnelle.
B - Le statut juridique de la Nouvelle-Calédonie : une exception au principe d’indivisibilité de la République ?
Nous avons vu plus haut que la première caractéristique de la République indivisible consiste en l’indivisibilité du pouvoir souverain, qui implique l’unité du pouvoir législatif et politique. Cette unité du pouvoir législatif signifie que la compétence d’élaboration de normes (de valeur) législative est un monopole exclusif du pouvoir central. Il a également été précisé que les collectivités territoriales disposent aussi d’une compétence normative : mais elles ne peuvent élaborer que des normes d’exécution de la loi, qui lui sont strictement subordonnées, et dont l’application est strictement locale.
Nous avons vu également qu’il existe plusieurs catégories de collectivités territoriales, qui ne sont pas toutes soumises au même régime juridique. En dehors du régime de droit commun, applicable à la majorité des communes, des départements et des régions, il existe des régimes spécifiques qui régissent notamment l’organisation et le fonctionnement de certaines collectivités ultramarines.
La France a été, comme d’autres États européens, un empire colonial qui, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, était encore très étendu. Les colonies étaient des territoires occupés, situés en dehors des frontières métropolitaines, sur lesquels la France exerçait sa souveraineté.
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La Seconde Guerre mondiale a conduit à l’ébranlement du système colonial, les peuples colonisés réclamant, après 1945, le retrait des puissances coloniales et leur indépendance. De nombreuses anciennes colonies françaises se sont alors émancipées (ainsi des colonies du nord et de l’ouest de l’Afrique), pour devenir des États autonomes. Mais il reste, encore aujourd’hui, des survivances de cet empire colonial. La Nouvelle-Calédonie en est une illustration.
La Nouvelle-Calédonie est un archipel situé dans l’océan Pacifique, à 17 000 kms de la métropole. Sa population est d’environ 300 000 habitants. Elle fut découverte à la fin du XVIIIe siècle, et devint définitivement une possession française en 1853. Les historiens considèrent qu’en 1914, les populations autochtones, largement spoliées par les colons, avaient vu leurs territoires réduits à 8% de la superficie totale de l’île.
Avec la disparition de l’Empire (remplacé, en 1946, par « l’Union française »), la Nouvelle-Calédonie perdit son statut de colonie pour devenir un « territoire d’outre-mer » (TOM).
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« Titre VIII - De l'Union française
Section I. - Principes.
Article 60. - L'Union française est formée, d'une part, de la République française qui comprend la France métropolitaine, les départements et territoires d'outre-mer, d'autre part, des territoires et États associés. […] »
Après la prise d’otage d’Ouvéa, à la veille du premier tour de l’élection présidentielle de 1988, des représentants du FLNKS et du RPCR ont conclu, avec le Gouvernement français, les accords de Matignon (26 juin 1988).
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L’échéance du référendum d’autodétermination fut finalement repoussée, par l’accord de Nouméa, signé le 5 mai 1998 par les trois partenaires des accords de Matignon (État, FLNKS et RPCR). L’objet de cet accord était de définir un statut transitoire (et sui generis) pour la Nouvelle-Calédonie afin de l’accompagner, pendant une période de vingt ans, vers l’émancipation et l’indépendance, en lui « apprenant », en quelque sorte, l’autonomie.
Pour les constitutionnalistes, le cas de la Nouvelle-Calédonie présente un double intérêt. D’une part, à travers le processus d’émancipation et d’autonomisation de l’archipel, il illustre le phénomène de la formation (potentielle) d’un nouvel État ; d’autre part, et c’est ce second point qui va nous occuper, il révèle une organisation bilatérale originale entre l’État et cette collectivité, qui constitue une exception au principe d’indivisibilité de la République et du caractère unitaire de l’État français. Les très graves tensions qui ont secoué l'archipel depuis que l'État a déclaré souhaiter réformer le corps électoral (en 2024) témoignent de l'actualité de la question calédonienne.
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« […] Le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L'avenir doit être le temps de l'identité, dans un destin commun.
La France est prête à accompagner la Nouvelle-Calédonie dans cette voie.
5. Les signataires des accords de Matignon ont donc décidé d'arrêter ensemble une solution négociée, de nature consensuelle, pour laquelle ils appelleront ensemble les habitants de Nouvelle-Calédonie à se prononcer.
Cette solution définit pour vingt années l'organisation politique de la Nouvelle-Calédonie et les modalités de son émancipation.
Sa mise en œuvre suppose une loi constitutionnelle que le Gouvernement s'engage à préparer en vue de son adoption au Parlement. […]
Les institutions de la Nouvelle-Calédonie traduiront la nouvelle étape vers la souveraineté : certaines des délibérations du Congrès du territoire auront valeur législative et un Exécutif élu les préparera et les mettra en œuvre.
Au cours de cette période, des signes seront donnés de la reconnaissance progressive d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, celle-ci devant traduire la communauté de destin choisie et pouvant se transformer, après la fin de la période, en nationalité, s'il en était décidé ainsi.
Le corps électoral pour les élections aux assemblées locales propres à la Nouvelle-Calédonie sera restreint aux personnes établies depuis une certaine durée.
Afin de tenir compte de l'étroitesse du marché du travail, des dispositions seront définies pour favoriser l'accès à l'emploi local des personnes durablement établies en Nouvelle-Calédonie.
Le partage des compétences entre l'État et la Nouvelle-Calédonie signifiera la souveraineté partagée. Il sera progressif. Des compétences seront transférées dès la mise en œuvre de la nouvelle organisation. D'autres le seront selon un calendrier défini, modulable par le Congrès, selon le principe d'auto-organisation. Les compétences transférées ne pourront revenir à l'Etat, ce qui traduira le principe d'irréversibilité de cette organisation.
La Nouvelle-Calédonie bénéficiera pendant toute la durée de mise en œuvre de la nouvelle organisation de l'aide de l'État, en termes d'assistance technique et de formation et des financements nécessaires, pour l'exercice des compétences transférées et pour le développement économique et social. ]…]
Au terme d'une période de vingt années, le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes, l'accès à un statut international de pleine responsabilité et l'organisation de la citoyenneté en nationalité seront proposés au vote des populations intéressées.
Leur approbation équivaudrait à la pleine souveraineté de la Nouvelle-Calédonie. »
Deux mois et demi après l’accord de Nouméa, la loi constitutionnelle du 20 juillet 1988 relative à la Nouvelle-Calédonie devait esquisser le nouveau statut de l’archipel, qui allait désormais bénéficier d’une autonomie renforcée définie dans le nouveau titre XIII de la Constitution (« Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie »). Ce statut est fixé par la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.
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« ARTICLE 76.
Les populations de la Nouvelle-Calédonie sont appelées à se prononcer avant le 31 décembre 1998 sur les dispositions de l'accord signé à Nouméa le 5 mai 1998 et publié le 27 mai 1998 au Journal officiel de la République française.
Sont admises à participer au scrutin les personnes remplissant les conditions fixées à l'article 2 de la loi n° 88-1028 du 9 novembre 1988.
Les mesures nécessaires à l'organisation du scrutin sont prises par décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres.
ARTICLE 77.
Après approbation de l'accord lors de la consultation prévue à l'article 76, la loi organique, prise après avis de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie, détermine, pour assurer l'évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies par cet accord et selon les modalités nécessaires à sa mise en œuvre :
- les compétences de l'État qui seront transférées, de façon définitive, aux institutions de la Nouvelle-Calédonie, l'échelonnement et les modalités de ces transferts, ainsi que la répartition des charges résultant de ceux-ci ;
- les règles d'organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie et notamment les conditions dans lesquelles certaines catégories d'actes de l'assemblée délibérante de la Nouvelle-Calédonie pourront être soumises avant publication au contrôle du Conseil constitutionnel ;
- les règles relatives à la citoyenneté, au régime électoral, à l'emploi et au statut civil coutumier ;
- les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l'accession à la pleine souveraineté.
Pour la définition du corps électoral appelé à élire les membres des assemblées délibérantes de la Nouvelle-Calédonie et des provinces, le tableau auquel se réfèrent l'accord mentionné à l'article 76 et les articles 188 et 189 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie est le tableau dressé à l'occasion du scrutin prévu audit article 76 et comprenant les personnes non admises à y participer. »
Aux termes du préambule de l’accord de Nouméa, précité, « Les institutions de la Nouvelle-Calédonie traduiront la nouvelle étape vers la souveraineté : certaines des délibérations du Congrès du territoire auront valeur législative et un Exécutif élu les préparera et les mettra en œuvre. ». Ces institutions sont le Congrès, le Gouvernement, le Sénat coutumier, le Conseil économique et social et les conseils coutumiers.
L’institution la plus importante de la Nouvelle-Calédonie est assurément le Congrès. Il est une assemblée délibérante qui comprend 54 membres élus pour 5 ans.
Le Congrès est notamment habilité à voter des normes de valeur législative appelées les « lois du pays ». Les projets et propositions de lois du pays sont soumis pour avis au Conseil d’État. Une fois adoptée par le Congrès, la loi du pays peut être déférée au Conseil constitutionnel, qui examinera dans ce cas sa conformité à la Constitution.
Le domaine des « lois du pays » est défini par l’article 22 de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie. Il comprend, notamment, les règles relatives à l’assiette et au recouvrement des impôts, le droit du travail et le droit syndical, la protection sociale et de la santé publique ou encore le droit de la fonction publique de la Nouvelle-Calédonie et des communes. Ce champ relève, au moins pour partie, du domaine de la loi (et donc en principe de la compétence du Parlement français) en vertu des dispositions de la Constitution de 1958.
Le Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie est quant à lui une autorité collégiale, dont les membres sont élus par le Congrès. Il est solidairement responsable devant ce dernier. Il exerce la fonction exécutive en préparant et en exécutant les décisions du Congrès.
Comme l’écrit Guy Carcassonne dans son commentaire de l’article 77 de la Constitution (La Constitution, Paris, Le Seuil), « Ce n’est plus un régime dérogatoire. C’est un régime d’exception ». En effet, par dérogation au principe d’indivisibilité de la République et d’indivisibilité de la souveraineté, une partie des compétences de l’État français ont fait l’objet d’un transfert au profit des institutions calédoniennes, conformément au 1er alinéa de l’article 77 de la Constitution qui évoque « les compétences de l'État qui seront transférées, de façon définitive, aux institutions de la Nouvelle-Calédonie ». Il résulte (notamment) de ces transferts que, sur l’archipel, le pouvoir législatif est désormais partagé (le préambule de l’accord de Nouméa évoque expressément la « souveraineté partagée », cf. plus haut) entre l’État français (qui demeure compétent pour les matières énumérées à l’article 21 de la loi organique du 19 mars 1999 précitée) et la Nouvelle-Calédonie. Dans ces circonstances, il semble que la qualification d’État « unitaire » est inadéquate dès lors que l’on appréhende les relations entretenues entre la République et cette collectivité. Selon le professeur Valérie Goesel-Le Bihan, celles-ci s’apparenteraient à un « quasi-fédéralisme temporaire à une seule unité » (« La Nouvelle-Calédonie et l’Accord de Nouméa, un processus inédit de décolonisation », Annuaire français de droit international, 1998).
Observons toutefois que, d’une part, la Nouvelle-Calédonie ne dispose pas du pouvoir de définir, par elle-même, son organisation institutionnelle (contrairement aux collectivités membres d’une fédération, par exemple) et, d’autre part et surtout, que contrairement à la philosophie de la fédération, qui est celle d’une union d’entités politiques fondée pour durer, la volonté qui sous-tend l’union spécifique entre la République et la Nouvelle-Calédonie est celle d’une prochaine séparation. Comme l’écrit Olivier Beaud, « si fédéralisme il y avait, il serait uniquement de dissociation et non d’agrégation » (« Libres propos sur le 3e référendum en Nouvelle-Calédonie », Blog de Jus politicum, novembre 2021). Le dispositif résultant de l’accord de Nouméa est donc tout à fait original, ce qui explique qu’on lui ait consacré ces quelques lignes.
Trois référendums d’auto-détermination ont été, à ce jour, organisés, en application des dispositions précitées. La question posée au corps électoral était la suivante : « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et à l’indépendance ? ». A trois reprises, en novembre 2018, octobre 2020 et décembre 2021, le « Non » l’a emporté (avec 96,50 % des voix en 2021, en raison du refus de la participation des indépendantistes).
L’échec de ces référendums laisse l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie en suspens. Le Gouvernement français a engagé une série de négociations visant à élaborer un statut nouveau pour l’archipel. Un projet d’accord entre les différents partenaires (État, indépendantistes et anti-indépendantistes) est actuellement en cours de gestation, dans un climat extrêmement tendu.