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Droit constitutionnel - Les grands concepts de la science du droit constitutionnel - Histoire constitutionnelle française (1870-1958)

Droit constitutionnel - Les grands concepts de la science du droit constitutionnel - Histoire constitutionnelle française (1870-1958) : Dissertation


Sujet de dissertation :

Dans un discours prononcé le 10 mai 1793, Maximilien de Robespierre déclarait : « Le premier objet de toute Constitution doit être de défendre la liberté publique et individuelle contre le gouvernement lui-même. ».
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Le sujet porte sur l’objet des constitutions. Robespierre a raison de considérer que la constitution a pour objet de défendre les libertés contre le gouvernement – qu’on entendra ici au sens le plus large du terme, comme désignant le « pouvoir politique ». L’objet des constitutions et la raison d’être du constitutionnalisme est bien la modération du pouvoir, avec pour objectif ultime la préservation de la liberté et des libertés publiques et individuelles.

Toute société humaine connaît le phénomène du pouvoir politique, qui est indispensable au maintien de l’ordre. Sans pouvoir, le monde est chaos. Mais si le pouvoir est nécessaire, il est aussi dangereux. C’est pourquoi il est indispensable de le modérer, afin d’éviter qu’il ne se retourne contre ceux au service desquels il avait été établi (les individus, dans la conception individualiste et moderne du pouvoir). Cette modération du pouvoir est justement l’objet (ultime) de la constitution.

Les éléments de contextualisation ne sont pas absolument nécessaires – il s’agit d’une dissertation, et non d’un commentaire de texte – mais il n’est pas inintéressant de souligner que cette phrase est prononcée au moment de la Révolution française c’est-à-dire à une période où, officiellement, la France embrasse le mouvement du constitutionnalisme. Rappelons que l’une des toutes premières décisions des États généraux autoproclamés Assemblée nationale fut de s’arroger le pouvoir constituant (par le serment du jeu de paume, le 20 juin 1789 : l’Assemblée nationale « […] arrête que tous les membres de cette assemblée prêteront, à l’instant, serment solennel de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la Constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides […] »).
On peut également noter que, contemporain de la citation de Robespierre, l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 proclamait : « toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée ni la séparation des pouvoirs déterminée n’a pas de Constitution ».

I. La modération du pouvoir
  • A - Constitution et constitutionnalisme
    • Le constitutionnalisme est un mouvement historique, qui apparaît en Europe et aux États-Unis à la fin du XVIIIe siècle, et qui va progressivement gagner la plupart des États du monde. Il s’agit, comme l’écrit C. J. Friedrich, d’une « technique consistant à établir et à maintenir des freins effectifs à l’action politique et étatique » (cité par O. Beaud, « Constitution et constitutionnalisme », in Philippe Raynaud et Stéphane Rials (dir.), Dictionnaire de philosophie politique, Paris, PUF, 1996).
    • Son objet (ultime) peut être défini ainsi : il vise à défendre la liberté des individus au moyen de la constitution. Il participe, en ce sens, de la philosophie libérale qui est une philosophie de la préservation de la liberté dans l’État, préservation qui passe notamment par la modération du pouvoir étatique.
    • La modération est obtenue par la fixation de règles juridiques intangibles, auxquelles les gouvernants sont eux-mêmes soumis et qui sont soustraites à leur emprise. Elle contraint de la sorte ceux qui exercent le pouvoir au respect de normes qui sont impératives à leur égard.
    • Les premières constitutions écrites des temps modernes apparaissent en Amérique du Nord à la fin du XVIIIe siècle, dans les États américains devenus indépendants par rapport à Couronne anglaise, puis aux États-Unis (avec la Constitution fédérale de 1787).
  • B - Obéir à la « loi » plutôt qu’aux hommes
    • Le mouvement du constitutionnalisme est fondé sur une anthropologie pessimiste. Le gouvernant, naturellement corrompu (comme l’homme en général), aura tendance à abuser de son pouvoir (« C’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser » écrivait Montesquieu). Benjamin Constant pouvait ainsi écrire qu’une constitution est un « acte de défiance » (sous-entendu : à l’égard du pouvoir politique et de ceux qui l’exercent).
    • La constitution, en institutionnalisant le pouvoir, c’est-à-dire en le confiant à des institutions, le dé-personnifie. Telle décision n’est ainsi pas juridiquement imputée à M. Gabriel Attal, mais au Premier ministre, non pas à M. Emmanuel Macron, mais au président de la République.
    • Le phénomène d’institutionnalisation du pouvoir conduit (c’est bien entendu une fiction) les individus à obéir à des volontés médiatisées par le droit, qui n’ont pas le caractère passionnel et discrétionnaire (et donc potentiellement liberticide) de la volonté humaine.

II. Les moyens de la modération du pouvoir
  • A - La séparation des pouvoirs
    • L’objet premier des constitutions est de définir un « plan de gouvernement », c’est-à-dire de créer des organes constitués, de répartir les différentes fonctions étatiques entre eux et de régler leur fonctionnement et leurs rapports, en fixant notamment des règles procédurales impératives.
    • En cela, la constitution procède à une « séparation des pouvoirs » (distribution des fonctions entre différents organes), de façon à permettre, selon la formule de Montesquieu que « le pouvoir arrête le pouvoir ».
    • Sur le plan institutionnel, la séparation des pouvoirs au sens de Montesquieu est un principe de non-cumul, d’après lequel il ne faut pas que les fonctions étatiques (législative, exécutive, juridictionnelle) soient confondues entre les mêmes mains – qu’il s’agisse des mains d’une autorité individuelle ou collective (un gouvernement, une assemblée).
    • L’objectif de la « séparation des pouvoirs », c’est-à-dire de la sage distribution des différentes fonctions étatiques entre différents organes, est la modération du pouvoir, avec pour horizon ultime la préservation de la liberté.
    Tel est également l’objet de l’affirmation de droits et libertés par les constitutions formelles.

  • B - L’affirmation et la garantie des droits et libertés
    • Statut du pouvoir et statut des gouvernants, la constitution comprend également, très souvent, des dispositions dont l’objet exprès est de proclamer et garantir des droits et libertés au profit des individus.
    • On comprend évidemment qu’en énonçant des droits au profit des individus, la constitution limite le pouvoir. Elle le limite dans la mesure où énoncer des droits c’est, dans le même temps, énoncer des obligations à l’égard de l’État (au premier rang desquelles celle de respecter ces droits, mais aussi, en conséquence, d’en assurer l’effectivité).
    • L’histoire des droits constitutionnels débute à la fin du XVIIIe siècle, avec les déclarations des États américains émancipés par rapport à la Couronne d’Angleterre.
    • Aujourd’hui, de nombreuses constitutions comprennent une section consacrée à la proclamation de droits et libertés. C’est par exemple le cas de la loi fondamentale allemande de 1949, qui comprend un premier titre intitulé « Les droits fondamentaux », dont les dispositions ne peuvent d’ailleurs faire l’objet d’une révision (art. 79 al. 3 de la loi fondamentale).
    • Contrairement à de nombreux textes constitutionnels de l’histoire constitutionnelle française (constitutions révolutionnaires, Chartes de 1814 et 1830, constitutions de 1848 et de 1946), la Constitution de la Ve République ne contient pas de déclaration des droits, ce qui est peu commun dans les constitutions démocratiques et libérales de l’après seconde guerre mondiale. La lacune initiale de la Constitution de 1958 a été partiellement comblée par la jurisprudence (CC, n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association).
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