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Droit et représentations : iconologie juridique

Introduction

Ce cours se propose, à partir de l’iconographie, d’investir l’histoire des représentations du pouvoir et de la justice, ainsi que des rapports juridiques qui s’établissent entre les hommes à une époque et sur un territoire donné. Il permet d’investir les symboles, les codes et les signes destinés à signifier les hiérarchies et les règles.

La première portera sur les récits mythologiques du pouvoir et de la justice de manière à envisager la construction et les enjeux d’un mythe à travers l’image. La seconde envisagera la mise en scène du pouvoir et de ses rituels à travers la figure du roi réinvestie par la communication politique contemporaine. La troisième sera relative à la violence et au pouvoir et visera à s’emparer des scènes et des habits de justice et, à travers eux, analyser l’importance des décors et des lieux, du jugement de Cambyse aux exécutions en effigie. Enfin, la quatrième portera sur les usages et le sens des miroirs du politique et de la justice, de la célébration à la caricature, du point de vue du commanditaire et du spectateur de manière à en tirer des leçons contemporaines.

Chacune d’entre elles s’organisera sur un plan méthodologique autour de l’étude d’une œuvre principale, autour de laquelle s’organise une analyse et l’examen d’autres documents iconographiques, à titre de comparaison, de l’enluminure médiévale à la bande dessinée, et le cas échéant d’extraits littéraires complémentaires.

Il s’enrichira chaque année d’œuvres nouvelles, de manière à proposer un contenu évolutif, dans chacune des six leçons.



Tx.« Je vais vous mener dans un petit bouchon de la rue Vavin, Chez Clémence, qui ne fait qu’un plat : mais un plat prodigieux : le cassoulet de Castelnaudary. Qu’il ne faut pas confondre avec le cassoulet à la mode de Carcassonne, simple gigot de mouton avec des haricots. Le cassoulet de Castelnaudary contient des cuisses d’oie confite, des haricots préalablement blanchis, du lard et un petit saucisson. Pour être bon, il faut qu’il ait cuit longtemps sur un feu doux. Le cassoulet de Clémence cuit depuis vingt ans. Elle remet dans le poêlon tantôt de l’oie ou du lard, tantôt un saucisson ou des haricots, mais c’est toujours le même cassoulet. Le fond reste ; et ce fond antique et précieux lui donne la saveur que, dans les tableaux des vieux maîtres vénitiens, on trouve aux chairs ambrées des femmes. Venez, je veux vous faire goûter le cassoulet de Clémence. »

A. France, Histoire comique (1903), Œuvres complètes, vol. 13, Paris, 1927, p. 265.

Cette métaphore culinaire, développée par l’écrivain Anatole France dans son Histoire comique propose, outre une évocation singulière de ce qu’est pour le juriste la culture juridique, d’exciter les sens que sont le goût et la vue afin de démultiplier nos perceptions. C’est en grande partie l’aventure que propose cet enseignement, qui entend lier l’univers du droit pour en apprécier saveur et couleur, l’iconologie, elle-même liée à l’histoire mêlant contexte historique, beauté artistique et contenu ou arrière-pensées juridiques.

Dans L'œil écoute, essai publié en 1954, Paul Claudel insiste sur l'importance de l'image, impression de la mémoire qui sollicite l'intelligence et ouvre l'homme au symbole et à l'analyse.
Tx.« Ces fleurs et ces fruits sur une table, cette carafe et ce verre à côté à moitié plein, ce jambon et ce pain sur une serviette, ce malade dont on nous fait tâter le pouls, cet homme et cette femme associés par la conversation et par la musique, ces convives autour de la bouteille et de la soupière, ils attaquent directement à travers la rétine de l’intelligence et la mémoire, ils prennent l’importance solennelle d’une chose impuissante à s’effacer, ils sont l’enseigne allégorique de notre échoppe intellectuelle, ils blasonnent au cours de notre durée un moment d’arrêt, ils éclairent par le moyen de l’allusion les mystères de notre cuisine psychologique. Ces chambres en enfilade, ces ruelles et ces corridors de Pieter de Hooch et de Vermeer, ce rayon intravasé, ce miroir comme un œil secret où se peint quelque chose d’extérieur et d’exclu, ils nous invitent, mieux qu’un traité d’ascétisme, au recueillement, à l’exploration de nos profondeurs et à l’inventaire de nos arrière-boutiques, à la conscience de notre intimité […] »

P. Claudel, L'œil écoute, Paris, Gallimard, Folio essais, 1954.
Programmatique, ce focus porté sur la perception des sens susceptible de porter à une réflexion innovante et renouvelée concerne également le juriste contemporain en quête de s'élever au-dessus des pures considérations techniques du droit et de la justice. En son principe, l'histoire des représentations se propose de partir de l'iconographie en envisageant l'image comme miroir. Appliquée au droit, l'étude des représentations permet à travers des sources diverses de souligner l'image renvoyée de la justice et du droit, mais également des rapports juridiques qui s'établissent entre les hommes à une époque et dans un territoire ou une population donnée, en se concentrant sur des sources qui projettent une réalité socio-politique mise en scène, volontairement ou non. Pour l'historien du droit, le tableau s'affirme résolument, selon l'expression de Leon Battista Alberti (1404-1470) dans son De Pictura de 1435, « qu'une fenêtre ouverte par laquelle on puisse regarder l'histoire ».

Plusieurs ouvrages récents n’ont cessé de souligner l’importance de l’image, notamment rapportée au pouvoir (L. Marin, Des pouvoirs de l'image, Paris, Le Seuil, 1993), et ainsi porté les juristes à renouveler une approche du droit via l’iconographie (R. Debray, Vie et mort de l'image, une histoire du regard en Occident, Gallimard, 1992). A l’hiver 2016, une exposition organisée à Bruges, à destination d’un large public, intitulée L’art du droit, trois siècles de justice en images (The Art of Law, Three centuries of justice depicted, Tielt, Lannoo, 2016) a largement contribué à mettre en relief les relations fructueuses entretenues entre les figurations artistiques et la question du droit largement entendue, de même qu'au Musée Hof van Busleyden Mechelen en 2018 sur l'art et la justice aux Pays-Bas (Call for Justice. Art and Law in the Low Countries, 1450-1650, S. Mareel (dir.), Museum Hof van Busleyden, Malines, 2018). La bibliographie récente atteste du reste de l’impériosité de renouveler la réflexion comme l’illustrent deux récents numéros thématiques des Cahiers de la Justice sur « Séduction et peur des images » (Séduction et peur des images, in Les cahiers de la justice, Revue trimestrielle de l'Ecole nationale de la magistrature, 2019/1), et sur « La symbolique judiciaire en mutation » (La symbolique judiciaire en mutation, in Les cahiers de la justice, Revue trimestrielle de l'Ecole nationale de la magistrature, 2018/4) collectant des communications soulignant l’importance des images de justice sur la perception de l’institution.

Les innovations récentes de l'édition juridique poussent à un questionnement renouvelé sur l'importance de l'image qu'elle ait une vertu mémorielle ou pédagogique. En ce sens, les études se multiplient, qui soulignent la porosité entre image et pédagogie, dans le prolongement de l'intérêt des juristes humanistes pour l'emblématique ou l'illustration liés à l'essor et à l'ingéniosité de l'imprimerie. L'attrait des auteurs pour les schémas, sous la forme de l'arbor juris, arbre de parenté ou de consanguinité qui apparaît au VIIIème siècle à partir de l'arbre de Jessé, de manière à ancrer le lignage dans une représentation généalogique concrète, constitue l'aboutissement de ces premières esquisses.

Voir l'arbre de consanguité sur le site de la BNF.

Représentation d’un arbre de consanguinité, in Isidore de Séville, Operia omnia quae extant, Cologne, Hierat, 1612, p. 82, Lyon, Bibliothèque Diderot, Cote réserve 2 1297.


Représentation d’un arbre de consanguinité, in Isidore de Séville, Operia omnia quae extant, Cologne, Hierat, 1612, p. 84, Lyon, Bibliothèque Diderot, Cote réserve 2 1297.



ou de l'arbre de Charles de Figon publié pour la première fois en 1579.
Arbre des Estats et Offices de France, Charles de Figon, in Discours des Estats et Offices tant du gouvernement que de la justice et des finances de France, contenant une brève description de la juridiction et connaissance et de la charge particulière de chacun, Paris, chez Guillaume d’Avray, 1579.



L'engouement se mesure à l'attractivité des figures destinées à la mémorisation du fonctionnement des institutions ou des passions humaines et pèse sur l'architecture des ouvrages juridiques. L'intérêt remarquable de grands juristes humanistes pour l'emblème ou la fable (G. Cazals, « Mens emblematica, mens juridica, mens anthropologica. Réflexions autour de la contribution des jurisconsultes humanistes auteurs d'emblèmes à l'anthropologie, (premier XVIème siècle) », Clio@Themis, 16|2019) converge dans cette recherche de cumuler image texte et maxime. De ce point de vue témoigne le travail effectué par plusieurs jurisconsultes étrangers ou français, parmi lesquels on peut isoler :
  • le jurisconsulte milanais André Alciat (1492-1550) dans son Emblematica publié en 1534 [A. Alciat, Emblèmes, Paris, C. Wechel, 1534]
  • Pierre Pithou (1539-1596) s'attachant à la redécouverte et à la publication d'un manuscrit des fables de Phèdre [Phèdre, Fables, éd. P. Pithou, Troyes, chez Jean Oudot, 1596].
  • le juriste Jean Buno (1617-1697), auteur de deux ouvrages, le Memoriale juris civilis romani et le Memoriale codicis justinianei publiés en 1673/1674.
L'univers imagé du système de répression criminelle favorise également le déploiement dans les ouvrages de procédure pénale de gravures destinées à frapper l'imagination du lecteur tout en renvoyant à la mise en image de certains évènements traumatiques pour les dépasser (M. Porret, Mise en images de la procédure inquisitoire, Sociétés & Représentation, 2004/2, p. 37-62). Autant d'exemples qui soulignent la place de l'iconographie juridique, de même qu'ils invitent à explorer la représentation du droit, de ses phénomènes les plus saillants et de la justice dans le fonds culturel artistique. La pertinence de cette démarche et sa relativité a parfois été mise en doute (M. Deguergue, « La représentation du droit dans l'art », in L'art et le droit, Mélanges Pierre-Laurent Frier, M. Deguergue (dir.), Publications de la Sorbonne, 2010, p. 134-135, pour qui « la représentation du lit de justice, tenu à la majorité de Louis XV au Parlement de Paris en 1723, par Nicolas Lancret (1690-1743) ne fait que rendre compte d'un évènement politique (...) mais n'est nullement représentatif de ce qu'est le droit. » ou selon qui « les portraits des souverains, magistrats ou légistes [...] ne traduisent aucunement ce qu'est le droit. »), mais l'iconologie juridique gagne du terrain et la réception favorable d'un certain nombre de thèses récentes prouvent que ce domaine de la recherche ouvre des horizons tant aux juristes de droit positif qu'aux historiens du droit.
Ex.Pour un exemple récent : A. Crestini, La géométrie et le mythe. Étude d'histoire européenne des institutions sur une convergence entre art et droit à la Renaissance. Les exemples de Florence et Mantoue, soutenue en 2021 sous la direction du professeur Jacques Bouineau et du professeur Paolo Alvazzi del Frate.
Ce mouvement gagne du terrain et engage une percée remarquable de l'iconographie appliquée au droit, mais également à la justice dans un contexte de crise de légitimité adossée à une perte des rituels pluriséculaires.

Définitions. Appliquer l’histoire des représentations au droit apparaît aujourd’hui un angle d’attaque propice au renouvellement de la réflexion autour des phénomènes collectifs, des rapports juridiques entre les individus et du langage juridique.
Df.A s’en tenir aux définitions données par le Dictionnaire de Furetière de 1690, la représentation est d’abord « l’image qui nous remet en idée et en mémoire les objets absents […] » mais Représenter signifie également dans un sens politique le fait de « tenir la place de quelqu’un, avoir en main son autorité ». En droit successoral, représenter signifie cette fois se substituer à une personne.
Toutes ces définitions convergent pour faire de la représentation un contournement de l’absence par un signe ou une personne de substitution visible. L’illustration la plus parfaite est celle du Roi mort qui est montré au travers de son effigie. Mais le sens du terme postule paradoxalement, notamment dans le vocabulaire juridique, une présence, lorsqu’il est appliqué au Palais. Dans cette acception, représenter est le fait de comparaître en personne, et consiste justement dans l’exhibition, c’est-à-dire dans la présentation publique d’une chose ou d’une personne. Le portrait du roi apparaît ici comme l’exemple le plus remarquable de cette exposition. Comme l’étymologie le met en relief, étudier la représentation du droit et de la justice est d’autant plus pertinent que l’objet juridique est en lui-même étroitement lié avec l’idée même d’exhibition et de publicité.


Règles juridiques et mentalités. Toute société est en effet appelée à développer des signes, des codes et des symboles destinés à signifier un acte juridique ou à rendre visible un contenu juridique. A cet égard, l’image permet également de diffuser des règles, d’en affirmer le caractère contraignant et de marquer les mentalités et les mémoires de manière à structurer les modes de pensée et d’agir afin de peser sur les comportements. De même ces représentations permettent d’intégrer un corps, figuré par une succession d’images oniriques, qu’il s’agisse d’un corps politique, de la société ou du corps des juristes (R. Girardet, Mythes et mythologies politiques, Le Seuil, 1984, p. 15), de communier à des mœurs partagées et à une identité. Enfin, il est nécessaire à nourrir son imaginaire en cobligeant le juriste à se confronter à un domaine qui semble, de par les qualités de rigueur, devoir lui échapper naturellement, alors que la logique juridique, aujourd’hui particulièrement, commande le cas échéant de s’échapper des catégories anciennes ou des schémas habituels pour faire preuve d’inventivité.


Actualité de la discipline. Il est donc absolument nécessaire d’inclure dans la formation du juriste une initiation du regard, au langage des couleurs (sur ce point, renvoyons aux travaux de M. Pastoureau) et des formes, là où l’éloquence et l’ouïe sont plus souvent privilégiés, ou évidemment associés comme des disciplines inhérentes à la formation juridique. Le droit et les grands juristes appelés à soutenir le politique se sont toujours intéressés aux représentations visuelles et/ou artistiques de manière à souligner la structure de la société, et les enjeux juridiques qui s’y attachent. Au sujet de la justice, Blaise Pascal y insistait déjà dans Les Pensées (B. Pascal, Pensées, éd. Lafuma, 44ème éd. Brunschvicg, 82), particulièrement soulignant l’importance de l’ « appareil » de représentation, nécessaire à son crédit :
Tx.« Nos magistrats ont bien connu ce mystère, leurs robes rouges, leurs hermines, dont ils s’emmaillotent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil auguste était fort nécessaire ; »

Le visuel est instrumentalisé depuis toujours par le langage juridique, comme en témoigne les manuels juridiques de droit criminel illustrés (M. Porret, « Mise en images de la procédure inquisitoire », in Sociétés et représentations 2004/2, p. 37-62), les symboles ou les métaphores utilisées de manière à frapper l’imagination et la mémoire de celui qui est appelé à en retenir la substance :
Ex.c’est le cas par exemple de la métaphore de l’arbre du grand juriste du XVIIème siècle Figon, arbre qui propose sous forme schématique de représenter l’organisation administrative de la France d’Ancien régime à destination des étudiants en droit.

Si l’histoire des représentations est une branche récente de l’historiographie, issue de la réflexion impulsée par le courant de la Nouvelle histoire, qui s’est imposée progressivement dans la seconde moitié du XXème siècle sous l’influence de l’Ecole des Annales, portée par la Revue de synthèse et les Annales, ou en Grande Bretagne, Past and Present, elle n’a que très peu pénétré les facultés de droit. Pour n’être qu’embryonnaire, cette intégration de l’iconographie a connu des figures pionnières, à l’instar de Hans Fehr qui, en 1923 se préoccupe d’iconographie juridique - au sens d’une discipline recherchant la reconnaissance des formes ayant une signification juridique, dans Das Recht im Bilde ([Kunst im Recht 1], Munich-Leipzig, 1923). Les Allemands se distinguent du reste par leurs recherches prolifiques sur le sujet, bénéficiant de prédécesseurs illustres comme Jacob Grimm sur la symbolique juridique à la recherche de la poésie du droit germanique, à la demande de Savigny au siècle précédent.
Ex.Citons par exemple au début du siècle, E. von Moeller, « Die Augenbinde der Justitia », Zeitschrift für Christlische Kunst, 1905, n° 4, pp. 107-152 ; G. Frommhold, Die Idee der Gerechtigkeit in der bildenden Kunst, Greifswald, 1925 ; U. Lederle, Gerechtigkeitsdarstellungen in deutschen und niederländischen Rathäusern, Kruse, Philippsburg, 1936 ; G. Troeschler, « Weltgerichtbilder in Rathäusern und Gerichtsstäten », Wallraf-Richartz Jahrbuch, 1939, vol. XI, pp. 139-214 ; C. von Schwerin, Rechtsarchäologie, Ahnenerbe Stiftung, Berlin, 1943 ; P.-E. Schramm, Herrschaftszeichen und Staatsymbolik, Stuttgart, 1954-55 ; L. Carlen (s.d.), Forschungen zur Rechtsarchäologie une Rechtlichen Volkskunde, Schulthess, Zurich ; W. Schild, Alte Gerichtsbarkeit, Callwey, Munich, 1980 ; O.R. Kissel, Die Justitia, Beck, Munich, 1984 ; G. Köbler, Bilder aus der deutschen Rechtsgeschichte : von den Anfängen bis zur Gegenwart, Beck, Munich, 1988 ; W. Pleister et W Schild, Recht und Gerechtigkeit, DuMont, Cologne, 1988 ; G. Kocher, Zeichen, und Symbole des Rechts. Eine historische Iconographie, Beck, Munich, 1992 ; W. Sellert, Recht und Gerechtigkeit in der Kunst, Wallstein, Göttingen, 1993 ; S. Tipton, Regentenspiegel und Bilder vom guten Regiment, Olms, Hildesheim, 1996.

Plus récemment, cette discipline a été à nouveau sollicitée par des juristes de renom, à l’instar du privatiste Jean Carbonnier ou des historiens du droit Jean Hilaire (J. Hilaire, « Quelques aspects iconographiques du Vieux Coustumier de Poictou, (Niort, bm, 18) », in J. Hoareau-Dodineau et P. Texier (dir.) C.I.A.J., n° 7, Résolutions des conflits. Jalons pour une anthropologie historique du droit, p. 293-312), Pascal Texier (P. Texier, « Enoncer le droit en système coutumier, A propos du traitement iconologique du juge dans le Vieux coutumier de Poictou », in Le Droit en représentation, N. Goedret, N. Maillard (dir.), Mare et Martin, 2017, pp. 77-90) ou Yvon Le Gall (Y. Le Gall, « La Justice dans le Buon Governo d'Ambrogio Lorenzetti », Revue d'Histoire de la Justice, 1998, 199-223) mais de manière encore confidentielle, là où l’historien du droit est bien placé pour savoir que le pouvoir politique est toujours passé par le vecteur du rituel, de la cérémonie, et donc par l’aspect visuel pour communiquer, qui plus est à une population peu maîtresse de concepts abstraits. Intitulé Images de la justice : essai sur l'iconographie judiciaire du Moyen Age à l'âge classique, le maître ouvrage de Robert Jacob publié en 1994 au Léopard d’Or a cependant ouvert un cycle nouveau dans l’étude des images et représentations du droit, à tel point qu’un certain nombre de thèses viennent aujourd’hui consacrer un domaine en expansion de la recherche juridique : ainsi de la thèse sur la reine mérovingienne (2017) d’Agathe Baroin qui articule institution et représentations, de celle de Virginie Lefebvre sur la justice dans les journaux illustrés (2017), de celle de Samuel Devisme sur Les représentations de la Justice en France (1715-1799) : pour une iconologie globale soutenue en 2014.

Si le courant des historiens attachés à l’histoire des représentations en France est assez récent, son dynamisme et les interrogations méthodologiques qu’il suscite en vient aujourd’hui à insuffler un vent nouveau stimulé par l’incessante production d’images et les moteurs de recherches innovants qui en facilitent l’accès ajouté au fait que le droit s’étant toujours exprimé au travers d’images, de gestes et de symboles depuis les époques les plus reculées, il se prête particulièrement au développement d’une analyse renouvelée. Un historien aussi original que l’était Ernst Kantorowicz avait, bien avant son étude sur Les deux corps du Roi, saisi l’importance de l’art sous toutes ses formes pour étudier certains phénomènes historiques et singulièrement ceux relevant de l’histoire du droit. Du fait de son fort intérêt pour un droit symbolique, il a prêté une attention particulière aux représentations juridiques, jusqu’à rechercher dans ses Laudate reges l’apport de la liturgie à l’histoire et à la compréhension d’un phénomène clef qu’est le sacre pour l’histoire institutionnelle.

Loin d’une recherche d’exhaustivité, un tel sujet commande de faire des choix, dans les thèmes abordés d’une part, mais aussi dans l’iconographie traitée de manière à privilégier la qualité et la mise en contexte plutôt que l’accumulation qui en elle-même cependant a une valeur intrinsèque. Ici, notre méthode nous conduira à une sélection de cinq œuvres, une par leçon, mises en écho par d'autres permettant un point de vue comparatif, par des détails favorisant l’étude d’un point plus précis, ou par des textes littéraires ou juridiques aptes à nourrir ou à compléter la réflexion. En effet, il y a lieu sur ce point de souligner la complémentarité du discours et de ce qui est donné à voir, le terme de lecture s’appliquant à l’œuvre littéraire comme aux représentations artistiques, appelées toutes deux à s’enrichir mutuellement (à cet égard on lira avec profit R. Chartier, « Pouvoirs et limites de la représentation, Sur l'œuvre de Louis Marin », Annales, 1994, p. 407), ce que Claudel soulignait lui aussi par son expression d’œil « qui écoute » dans ses écrits sur l’art (P. Claudel, L'œil écoute, Folio essais, Paris, Gallimard, 1946).


Méthode. L’analyse d’une œuvre au service de la compréhension des phénomènes et des représentations appelle plusieurs niveaux de lectures (renvoyons sur cet aspect à la préface de B. Teyssèdre du maître-ouvrage d'E. Panofsky, Essais d'iconologie, Les thèmes humanistes dans l'art de la Renaissance, Paris, Gallimard, Nrf, p. 11). Le premier relève de la description de l’œuvre, picturale ou non et de l’identification de ses motifs propres. Le second est celui de l’interprétation qui suppose une analyse iconographique, permettant ainsi d’accéder à la compréhension finale de l’œuvre mise en rapport avec les données historiques et juridiques que l’œuvre met en relief. A la frontière entre droit, histoire du droit et histoire de l’art, l’iconologie juridique permet de toucher du doigt la richesse de l’héritage dont bénéficie les juristes et qui constitue une forme de musée imaginaire, en forme de « cosmos culturel » pour reprendre l’expression de l’historien de l’art Bernard Teyssèdre (B. Teyssèdre, op. cit., p. 10).

Le défi n’est pas sans soulever plusieurs problèmes de méthodes. La formation de l’historien du droit ne le destine pas a priori à l’iconographie, ni même à l’iconologie. Rares sont encore les thèses qui sollicitent de manière principale l’iconographie. Certains articles ont permis de renouveler le regard porté sur une institution à partir de la représentation qui en est faite : c’est le cas notamment pour le Parlement de Paris, à partir du tableau de Nicolas Lancret, Lit de justice tenu au parlement à la majorité de Louis XV, qui a donné lieu à une étude sur « Le lit de justice en image et en décor, un peintre galant pour un règne majeur » (F. Bidouze et C. Mengès-Mironneau, Parlement [s], Revue d'Histoire politique, 2011/1 (n° 15), pp. 136-143). Ceci étant dit, l’apport de l’historien peut permettre de résoudre ou de soulever des interprétations jusque-là ignorées de l’historien de l’art expert qui lui-même peut manquer des détails faute de formation juridique. Par ailleurs, parce que cette discipline exige de celui qui veut s’y confronter, et par ce qu’elle lui apporte, les erreurs d’interprétation, lorsqu’elles ne sont pas grossières, peuvent apparaître finalement secondaires. L’analyse des Ménines de Vélasquez par Michel Foucault en ouverture de son ouvrage sur Les Mots et les Choses publié en 1966 (M. Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966) n’a ainsi pas manqué de nourrir des critiques mais en lui-même, et malgré les erreurs ou les anachronismes, l’exercice intellectuel qu’elle suppose fascine, démocratise l’œuvre et projette une interprétation de la représentation politique réellement stimulante, à l’instar de ce que Daniel Arasse démontre, en dépit des réserves que lui inspire l’analyse du philosophe (D. Arasse, Histoire des peintures, Paris, Gallimard, Folio essais, 2004).

Rq.A lire : M. Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, chapitre 1, p. 19-31.

A écouter : Eloge paradoxal de Michel Foucault à travers Les Ménines de Vélasquez, Les Nuits de France Culture, Épisode du dimanche 7 janvier 2018 par Philippe Garbit.


Sur un plan méthodologique, chaque leçon s'organisera autour d'un tableau principal autour duquel s'articuleront d'autres documents iconographiques qui lui font écho, le tout bénéficiant d'une courte notice permettant de situer les œuvres et leur objet, et le cas échéant, de textes importants d'auteurs ou d'écrivains de nature à éclairer le sens de l'œuvre ou du concept juridique qu'il est appelé à illustrer, ainsi qu'une bibliographie.

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