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Droit et culture cinématographique

Colloque « Filmer le droit, le droit filmé » : Montrer le droit : Depardon, Rouch, Verdier et Nabede

Raymond Depardon, avec 10e chambre, instants d'audiences (2004), Jean Rouch, Jaguar (1967), Raymond Verdier et Banimeleleng Nabede, La Justice divine chez les Kabyè du Togo (1998) ont produit des images et des récits qui permettent d’interroger la présence du droit et la notion de véracité dans le cinéma documentaire.
Des extraits ont été choisis pour mettre en évidence ces témoignages sociologiques, ethnographiques contextualisés, où, dans le cas de Jaguar, fiction et documentaire sont étroitement liés.


En 2009, le metteur en scène et documentariste Didier Martiny (1951), donnait ce conseil à un jeune réalisateur : « Travailler d’abord avec son regard, c’est d’abord son regard personnel qui est le plus important ».

Les trois films suivants témoignent d’un regard personnel sur les sociétés la justice et le droit : Raymond Depardon, 10ème chambre, instants d'audiences (2004), Jean Rouch, Jaguar (1967), Raymond Verdier et Banimeleleng Nabede, La Justice divine chez les Kabyè du Togo (1998) permettent d’interroger la présence du droit, les notions de preuve, d’enquête et de véracité dans le cinéma documentaire.

Dans les trois extraits choisis dans ces trois films, les témoignages sociologiques et ethnographiques sont inscrits dans leur contexte avec une certaine intensité. Ils sont saisissants par instants (Depardon, Verdier et Nabede), comiques aussi (Depardon, Rouch). L’articulation des récits, le cadrage, les plans, les éléments significatifs, le son, les voix, l’éclairage, le mouvement, les images, le vocabulaire, les détails, les relations entre les personnes et les personnages sont singuliers et significatifs.

Section 1. Raymond Depardon, 10ème chambre, instants d'audiences (2004)


10ème chambre, instants d'audiences (2004) de Raymond Depardon
10ème chambre, instants d'audiences (2004) de Raymond Depardon
10ème chambre, instants d'audiences (2004) de Raylond Depardon


- Distribution.

Palmeraie et désert/France 2 Cinéma/ CNC/ Canal+ ; sélection officielle Cannes 2004. Ce documentaire (105 min) a été réalisé par Depardon, produit par Claude Morice, Claudine Nougaret, Adrien Roche. La photographie est assurée par Justine Bourgade, Raymond Depardon, Fabienne Octobre, le montage par Simon Jacquet et Lucile Sautarel, le son par Sophie Chiabaut, Claudine Nougaret, Jean-Alexandre Villemer, Dominique Hennequin.

Le tournage de Délits flagrants (1994), film pédagogique réalisé dans un Palais de Justice avait duré 7 ans. Grâce à Jean-Marie Coulon, premier président de la cour d’appel, le tournage de 10ème Chambre, qui est la suite de Délits flagrants, a été plus court. C’est une « avancée citoyenne très importante », dit la présidente Michèle Bernard-Requin.

Les documentaires Faits divers (1983), Délits flagrants (1994, César du meilleur documentaire), 10ème chambre, instants d’audience (2004, César du meilleur documentaire) sont le fruit de l’enquête de Depardon sur la justice en France.

La pratique photographique et cinématographique subjective, indépendante, sociologique, sensible, de Depardon, grand voyageur, consiste à mettre en valeur des sujets dans la lignée de Walker Evans et de Paul Strand, entre autres. L’humain, la parole, l’authenticité, sont au cœur de son œuvre.

Rq.Dans le film, le déroulement des audiences au tribunal correctionnel n’est pas intégral et les personnes filmées sont anonymisées.

En savoir plus : Biographies

Raymond Depardon. Source : Palmeraieetdesert / CC BY-SA 4.0


Raymond Depardon (né en 1942) est photographe, réalisateur de documentaires, journaliste, reporter et scénariste. En 1966, il a créé l'agence photographique Gamma avec Gilles Caron. Depardon est membre de Magnum Photos depuis 1979, et a reçu de nombreux prix.

Dès l'âge de 12 ans, il réalise ses premières photos dans la ferme familiale du Garet (Monts du Lyonnais), avec un appareil 6 x 6 offert par son père. Apprenti dans un magasin de photographie à Villefranche-sur-Mer, il prend des cours de photo par correspondance et installe son laboratoire dans la ferme du Garet. En 1958, il travaille auprès de Louis Foucherand à Paris. Il effectue un reportage au Sahara en 1960 commandité par l'agence Dalmas. Quelques jeunes appelés du contingent se sont perdus dans le désert et les membres de l'expédition partent à leur recherche, trois sur sept sont sauvés. Ce reportage de Depardon fait la une de France-Soir et Paris-Match et il intègre l'agence Dalmas. C'est à ce moment-là qu'il commence sa pratique des films documentaires. En 1969, il filme la cérémonie en l'honneur de Jan Palach, jeune Tchèque qui s'est immolé par le feu pour protester contre l'invasion de son pays. Valéry Giscard d'Estaing lui commande en 1974 un film sur sa campagne électorale, mais ce n'est qu'en février 2002 que 1974, une partie de campagne est diffusé à la télévision (Arte) et au cinéma, car le président n'avait pas apprécié sa manière de le représenter « au naturel ». Le titre initial était 50,81 % (pourcentage des voix obtenues par Giscard d'Estaing). Dans Numéros zéros (1977) Depardon filme sans preneur de son la genèse du premier numéro du Matin de Paris (dirigé par Claude Perdriel), et le documentaire ne sort qu'en 1980 (prix Georges-Sadoul en 1979), Perdriel ayant enfin donné son autorisation. Depardon quitte l'agence Gamma en 1979 et va en Afghanistan filmer des maquisards (Notes, photos et textes). Il réalise Reporters (1981) qui montre le travail de ses collègues de l'agence Gamma. Directeur de la photographie de Pékin central (Camille de Casabianca), il participe ainsi à l'un des premiers films occidentaux tournés en Chine. Depuis les années 1980, Depardon travaille avec son épouse Claudine Nougaret, productrice, réalisatrice et ingénieure du son (ils ont fondé la maison de production Palmeraie et Désert en 1992 pour réaliser Afriques : comment ça va avec la douleur ?, 1996) ainsi qu'avec Jean-Pierre Beauviala. La Captive du désert (1990) est une fiction à partir de l'histoire de Françoise Claustre, prise en otage au Tibesti par des rebelles tchadiens.

Le grand prix national de la photographie lui est décerné en 1991. En 2006, la Maison européenne de la photographie expose ses portraits de célébrités politiques.

Depardon s'est également intéressé au monde rural avec Profils paysans (L'Approche, 2001 ; Le Quotidien, 2005 ; La Vie moderne, 2008, prix Louis-Delluc, César du meilleur documentaire).

En 2006, il est commissaire des Rencontres internationales de la photographie d'Arles. Il fonde avec Diane Dufour « Le Bal », à Paris, lieu d'art contemporain. La BnF présente en 2011 « La France de Raymond Depardon » et le Grand Palais, puis le Mucem (Marseille), exposent (2013-2014) « Un moment si doux » (photographies). Il est l'auteur du portrait officiel du Président de la République française François Hollande en 2012. La même année, Depardon et Nougaret réalisent Journal de France (César du meilleur documentaire). Les Habitants (2016) ont été tournés dans une caravane-studio dans différentes villes en France. 12 jours (2017) (César du meilleur documentaire) montre des audiences entre des patients internés sous contrainte en hôpital psychiatrique et un juge des libertés et de la détention. En 2017, la Fondation Henri-Cartier-Bresson présente une rétrospective de ses œuvres et Les Rencontres internationales de la photographie d'Arles en 2018 accueillent l'exposition « Depardon USA 1968-1999 ». L'Institut du Monde arabe montre en 2022 « Son œil dans ma main » (Algérie, 1961, 2019).
Michèle Bernard-Requi. Source : Capture d'écran duy film 10ème chambre, instants d'audiences


Michèle Bernard-Requin est avocate, magistrate, substitut du procureur de la République (Rouen, Nanterre, Paris), premier substitut à Paris, vice-présidente du tribunal de grande instance de Paris, vice-présidente de l'Institut national d'aide aux victimes et de médiation, présidente de l'association de Paris Aide aux Victimes, conseillère à la cour d'appel de Paris, présidente de la cour d'assises de Paris, avocate générale près la cour d'appel de Fort-de-France, Michèle Bernard-Requin prend sa retraite en tant que magistrate honoraire en 2009. Elle a défendu le système judiciaire français dans les écoles et les médias. Parmi ses écrits, citons Juges accusés, levez-vous, Paris, 2006 ; Chroniques de prétoire : Histoires drôles et moins drôles, Paris, Scrineo, 2011.

Elle est filmée dans le documentaire de Raymond Depardon Délits flagrants (1994) et dans 10ème chambre, instants d'audience (2004), chambre du tribunal correctionnel de Paris qu'elle a présidé. Elle joue le rôle de la présidente du tribunal dans 9 mois ferme (2013) d'Albert Dupontel.


- Tournage.

Depardon filme des audiences au tribunal correctionnel et aux assises. Il décrit dans le making-of du DVD, croquis à l’appui, la configuration rectangulaire de ce lieu, avec une baie vitrée, une porte pour le public, une petite porte pour le tribunal, derrière celui-ci ; la présidente est au centre du tribunal, avec les deux assesseurs ; le procureur est à gauche du tribunal, à « la meilleure place ». En face, à droite du tribunal, la greffière, munie de son ordinateur, « assiste à tout, regarde tout » ; devant le bureau de la greffière, il y a le box des personnes qui arrivent de prison par une petite porte, accompagnées de gendarmes. Quand ils passent, ils sont tout près de la greffière ; en face du tribunal, on voit, centré, le petit bureau de l’huissier ; du côté du bureau du procureur, un espace est prévu pour la presse, avec des bancs. C’est là que Claudine Nougaret (son) et Sophie Chiabaut (son) sont installées avec leurs micros et enregistreurs, car la juge n’a pas voulu de perches et Depardon non plus. La partie civile portant plainte est aussi installée là, et, côté box, on voit des bancs pour les personnes convoquées (par lettre recommandée pour présentation au tribunal). Dans le cas d’une conduite en état d’ivresse, par exemple, on reçoit une convocation. On attend, un gendarme est là. À l’ouverture de l’audience, les gens s’inscrivent. Les audiences ont lieu en matinée, en après-midi, le soir, la nuit. Et devant le bureau de l’huissier (côté salle), on voit la barre, de forme arrondie. Du côté des prévenus, se tiennent les avocats de la défense, près des déférés qui arrivent menottés.

Depardon n’a pas eu beaucoup de choix pour filmer les audiences. « J’ai regardé, j’ai écouté », dit-il. Il fallait installer une caméra orientée sur la juge, le meilleur axe étant depuis le deuxième banc dans la partie de la salle destinée au public. La caméra fixe était tenue par Fabienne Octobre, une jeune cameraman. Le pied était assez haut et filmait la présidente en permanence. Les assesseurs ne pouvaient pas tellement « rentrer » dans le champ de la caméra. L’idée était de ne pas bouger et de filmer la présidente, et éventuellement le procureur au moment de ses réquisitions.

Après réflexion, Depardon, pour des raisons cinématographiques, a décidé de rester dans la partie procureur, la meilleure place étant derrière le bureau de l’huissier, sans être vu par la caméra de Fabienne Octobre. Il pouvait donc filmer les personnes qui venaient à la barre, les avocats, qui bougeaient peu pendant leur plaidoirie, bien sûr les déférés, et, éventuellement, la partie civile. Donc, parfois, Depardon déplaçait un peu le pied de sa caméra. Ce qui se voyait le plus et qui était le plus agressif pour l’œil du spectateur, était le pied de la caméra, donc il était habillé de noir, comme Depardon lui-même. Les deux caméras Super 16 avaient une autonomie de 22 minutes, avec toujours deux magasins d’avance. Quand Depardon était en grand angle, il se perdait dans le décor, donc il cadrait serré sur les personnes à la barre, pas trop haut pour ne pas gêner la présidente et les assesseurs, donc un peu penché, mais pas trop en contre-plongée, parfois un peu gêné par le micro du greffier. Il a filmé la sentence, le délibéré, quand tout le monde est debout. Depardon aurait aimé avoir un axe côté procureur, peut-être en 70 mm, avec un scope, pour avoir dans le champ le déféré et la présidente, placés cependant très loin l’un de l’autre. Claudine Octobre, en mettant des micros un peu partout (2 micros pour la présidente, 13 en tout), dissimulés, a accompli un exploit, note Depardon. Il y a des plans sur une famille qui attend. Lors des séances de nuit, les deux lustres éclairent mal. Et, lorsqu’à deux heures du matin, les déférés menottés arrivent, c’est terrifiant, confie Depardon. Certaines personnes n’avaient pas donné leur autorisation pour ce film, aussi a-t-il travaillé au petit téléobjectif. Il a fallu être patient, le délai étant de 3 mois pour obtenir l’acceptation d’être filmé. Les acceptations ont été variables. Depardon ne voulait pas gêner le déroulement des audiences. En regardant d’autres films, il s’est aperçu que son positionnement était très nouveau, en contre-plongée. On se trouve, dit-il, dans « la fosse aux serpents ». Son documentaire est très fort « parce qu’on est avec les gens ». S’il avait utilisé un téléobjectif, la présence n’aurait pas été aussi intense. Dans ce contexte très particulier, Depardon a été obligé de filmer de façon inédite. Les gens qui entrent dans le cadre, bougent, l’obligent à filmer d’une manière novatrice. Le grand angle n’est pas requis et il ne faut pas bouger.

Depardon a attendu dix ans après Délits flagrants pour travailler dans de meilleures conditions, avec un bon matériel pour ne pas « ajouter de la misère à la misère ». Il a peu échangé avec la présidente pour qu’elle soit la plus naturelle possible, pour ne pas l’angoisser, car, dit-il, le micro et la caméra étaient des mouchards ! La procédure judiciaire est très technique. L’attitude de la présidente est remarquable. Au début, elle faisait très attention, était très pédagogique. Mais elle a oublié rapidement la caméra. Le dispositif de la justice est tellement fort, dissuasif, judéo-chrétien, note Depardon, que les prévenus sont tendus et oublient la caméra.

Le film s’est construit avec deux caméras, qui ne devaient pas se déclencher au même moment, car la panne bobine aurait eu lieu en même temps. Souvent Fabienne Octobre démarrait la première. Au bout d’une minute, Depardon déclenchait la sienne, puisque la personne écoutait et la présidente commençait l’audience. Fabienne Octobre rechargeait sa caméra en 35 secondes, puis Depardon rechargeait la sienne. Il n’y a pas eu beaucoup de rushs, pour une trentaine d’heures de tournage. Cent soixante-cinq personnes ont accepté d’être filmées et une centaine de déférés a été présentée, une douzaine d’entre eux a été retenue pour le documentaire.

Ex.Deux audiences filmées (avec le monteur Simon Jacquet).

Togolais, mal logé, le déféré souffre d’un problème de santé, d’un handicap. Il n’en peut plus que l’électricité de son logement soit coupée. Il s’est senti menacé, ne pouvait plus prendre ses médicaments. Il a eu affaire à une femme très désagréable, le propriétaire ne bronchant pas. Le prévenu est souvent hospitalisé en psychiatrie. On entend la présidente en voix off. Le prévenu touche ses papiers. Depardon ne bouge pas pour filmer au petit téléobjectif. La juge ne se rend pas compte du handicap, dit Depardon, pourtant, elle a l’habitude de ce type de situation. « On déverse un peu tout dans la salle ». Elle laisse le prévenu expliquer, montre une grande capacité d’écoute. Depardon évoque la « tendresse africaine » du déféré, constate le trafic ignoble de taudis sans électricité. Considérant qu’il s’agit d’un problème d’ordre administratif, on renvoie une fois de plus le dossier à un expert, car il faut davantage d’informations. Le visage du déféré est net, le fond est flou, ses gestes sont mis en valeur. Il n’a pas encore son billet d’avion pour aller au Togo. On lui demande d’attendre un peu. Depardon ne bouge pas, il cadre très serré, le déféré montre son crâne, formidable, il bouge dans le cadre, tandis qu’il cite tous les hôpitaux de Paris où il est allé. On devrait le libérer, dit Depardon, mais voilà, on lui impose encore un rapport, une attente. En fait, on a provoqué sa violence. La déviance n’est pas loin de nous, ajoute Depardon, quand on s’énerve dans la vie… Il ne voulait pas mettre dans le documentaire trop de cas psychiatriques, puisqu’il avait déjà fait un film sur cette question (San Clemente, 1982).

Autre cas, le déféré est accusé de détention de cocaïne, il a déjà fait l’objet de deux interdictions de territoire non-respectées. Il a été condamné à deux reprises pour détention de crack. Sorti de prison, il récidive, ce qui se solde par un an de prison et une incarcération immédiate. Un appel est possible pendant 10 jours. La mesure de sûreté est requise.

Depardon utilise un cadre fixe et serré. On est vraiment avec la personne, sans plan sur la juge, on n’entend que sa voix et cela suffit, estime Depardon. Une personne arrêtée à l’audience constitue le seul cas dans le film. On ne montre pas les menottes. Tout passe par le son, ce qui est encore plus intense

En savoir plus : Autres affaires

  • Conduite en état d’ivresse.
    Délit reconnu. 500 euros d’amende, suspension de permis 4 mois.
  • Outrage.
    Le déféré est artisan du bâtiment, dans le cadre de son travail, il n’y a pas de stationnement possible dans la rue, mais il est obligé d’enfreindre l’interdiction pour gagner sa vie… Il est donc verbalisé par des « dames », sans dialogue, il les traite de « salopes ». La policière présente demande des excuses, qui sont acceptées.
    Délibéré : 300 euros d’amende, suspension de permis (4 mois), conduite autorisée de 8-20h dans l’exercice du travail. La condamnation figure dans le casier. 200 euros dus à la policière.
  • Conduite en état d’ivresse.
    Délit. La prévenue, artiste peintre, reconnaît les faits, dit boire du bon vin avec ses amis de temps en temps. N’a jamais eu de problème depuis 45 ans.
    Selon le procureur, elle rejette la faute sur autrui. 1 200 euros d’amende et 4 mois de suspension de permis.
  • Tir de carabine.
    Le prévenu a acheté une carabine et a tiré sur une canette de bière. Il prend du Tranxene. Commerçant, il ne travaille plus. Il a déjà été arrêté pour héroïne il y a 8 ans.
    Confiscation de l’arme demandée.
  • Appels téléphoniques malveillants.
    La prévenue est victime de harcèlement téléphonique de la part de son ex-compagnon, qui l’a torturée durant leur vie commune. L’existence de la jeune femme est détruite. Depardon fait un gros plan sur son visage. 18 mois de prison sont demandés avec sursis pour son harceleur.
    Délibéré : 50 jours d’amende à 8 euros chaque jour = 400 euros. 16 mois de prison avec sursis. Interdiction de relations avec la victime.
  • Détenu. Vols à la tire. Outrage et résistance à la police.
    Le déféré demande sa mise en liberté, il est asthmatique, fait une grève de la faim, avec une tentative de suicide. Il a un problème de titre de séjour, est accusé de recel, de trafic de stupéfiants, fait l’objet d’une interdiction de territoire. Il a agressé un personnel de la RATP.
    Le fonctionnaire raconte le vol, l’agression, explique que le prévenu s’est tapé la tête contre le mur, à la suite de l’agression, lui, a eu un jour d’ITT et demande 500 euros pour réparation de son préjudice.
    Il y a demande de relaxe pour doute. Le déféré est jugé coupable, avec 12 mois fermes. L’appel est possible. « J’espère que vous dormez bien, vous condamnez un innocent, c’est ça la justice française » ! Interdiction sur le territoire français et 500 euros d’amende.
  • Comparution immédiate. Accepte d’être jugé ce jour.
    Le prévenu consomme du cannabis, pour son usage personnel. Il vit au-dessus de ses moyens. 15 mois d’emprisonnement avec sursis et 1 500 euros d’amende sont demandés.
    Délibéré : Condamné à 12 mois de prison dont 6 mois fermes et 6 mois avec sursis, avec obligation de soins. Il s’agit de la 4e comparution. L’appel est possible. La détention est immédiate.
  • Vol et violences.
    Le prévenu sort de prison. Il est illettré, a eu des problèmes avec deux hommes.
    Il n’y a pas de victime à la barre, pas de préjudice corporel. L’avocat de la défense plaide la relaxe. Relaxe accordée.
  • Arme de 6ème catégorie (Opinel avec cran de sûreté porté dans le métro).
    Le déféré est sociologue. Absence de prise d’empreintes. Il n’est pas au courant de l’interdiction de port d’un Opinel dans le métro, outil qui devient une arme par destination. Lors d’un contrôle d’identité, le prévenu a été violemment poussé par un policier. Il estime qu’il y a eu interpellation abusive. Le procureur demande 1 mois de prison avec sursis, une amende de 800 euros. Accordé.
  • Refus d’obtempérer, conduite sans permis valable.
    Le déféré est un livreur qui travaille sans permis de conduire et affirme ne pas pouvoir s’arrêter de travailler. La situation semble bloquée.

Claudine Nougaret, productrice, ingénieur du son, devait capter la parole, ce qui n’était pas toujours évident. Un casting de voix, de sons, a été organisé.

Michèle Bernard-Requin se trouve dans une situation d’autorité obligatoire, en utilisant la procédure d’audience française, dans laquelle la présidente n’est pas silencieuse et est investie d’un triple rôle : faire émerger une vérité, vérifier que la sanction est adaptée à la personne qui comparaît ; prononcer la sanction. Depardon porte un regard sur cette fonction : « On la voit bien, l’autorité ! ». Il a su mettre en évidence la toute-puissance institutionnelle !
Depardon veut montrer qui sont les gens. Il y a une grande liberté de parole dans ces audiences. Le procureur n’est pas là pour être sympathique, il doit faire comprendre que la loi est la loi. Certains prévenus n’étaient pas obligés de comparaître, certains étaient très provocateurs. Dans le cas du sans-papier, on est désarmé, mais la présidente n’est pas sûre d’avoir tous les éléments. Les Nomades prévenus ne savent pas quelle est leur nationalité, aux prises avec plusieurs frontières. Selon Depardon, dans ces situations de tension la caméra nous renvoie une sorte de dérision. Selon la présidente, le cérémonial judiciaire est nécessaire, c’est un instrument de prévention, de rétablissement de la loi solennelle.

Section 2. Jean Rouch, Jaguar (1954-1967)

Jaguar de Jean Rouch
Jaguar de Jean Rouch
Jaguar de Jean Rouch


« N’oubliez pas qu’un film c’est une œuvre d’art : ça se pense d’abord, ça se réalise après. Repos ! » ( La Saga de Jean Rouch, l'éthnologue cinéaste, CNRS).


Le cinéma documentaire de l’ethnologue Jean Rouch (1917-2004) est célèbre pour être un cinéma direct (un temps appelé « cinéma-vérité » dans les années 1960). Il utilisait des caméras légères (à l’épaule, pour les reportages et pour ses films ethnographiques en Afrique, chez les Dogons). Et dans un film comme Chronique d’un été (1961) avec Edgar Morin, il relie le romanesque et le sociologique. Rouch pratiquait l’ethno-fiction, l’anthropologie visuelle.
En savoir plus : Biographie

Ingénieur des travaux publics au Niger, il a rencontré les pratiques rituelles songhaï, et est devenu ethnographe. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il est expulsé du Niger, va à Dakar et rejoint la 2ème division du général Leclerc à Berlin en 1945. Après la guerre, il a suivi les cours de Marcel Mauss, de Marcel Griaule et est reparti en Afrique avec Jean Sauvy et Pierre Ponty. Ils ont descendu en pirogue le Niger jusqu’à l’Atlantique. En 1951, il a dirigé l’IFAN (Institut français d’Afrique noire, au Niger). Rouch a soutenu sa thèse d’État en ethnographie en 1952 sur le culte des génies chez les Songhay et sa thèse complémentaire sur les pêcheurs du Niger. Il a effectué en 1948-1949 une mission scientifique en pays songhay sur la religion et la magie, les traditions, les gravures rupestres, les migrations, l’islam, l’histoire coloniale. Dès 1953, de grands mouvements migratoires ont été observés par Rouch en Afrique occidentale (Ghana, Togo, Côte d’Ivoire), il a décrit les grands changements qui s’amorçaient (urbanisation, industrialisation). Au CNRS, avec Henri Langlois, Marcel Griaule, André Leroi-Gourhan et Claude Lévi-Strauss, Enrico Fulchignoni, il a fondé le Comité du film ethnographique au Musée de l’Homme à Paris. En 1969, Rouch a créé le GREC (groupe de recherches et d’essais cinématographiques) avec Pierre Braunberger et Anatole Dauman, soutenu par le CNC (courts métrages) et en 1978, avec Jean-Michel Arnold, le festival « Cinéma du réel ». La même année, le Mozambique ont demandé à Rouch et d’autres, dont Jean-Luc Godard, de concevoir une nouvelle politique cinématographique et télévisuelle. Rouch a proposé alors de former sur place les jeunes cinéastes. Le documentaire (pellicule super 8, lancé par Kodak en 1965 pour les cinéastes amateurs) est tourné le matin, développé à midi, monté l’après-midi et projeté le soir, racontait Rouch, qui a ouvert en 1980 les Ateliers Varan à Paris. Il animait le séminaire « Cinéma et Sciences humaines » à la Cinémathèque française qu’il a présidé de 1986 à 1991. Rouch a rencontré Nelson Mandela en Afrique du Sud en 1996. Il a reçu en 1993 le prix international de la paix pour Madame l’eau. Sa seconde épouse Jocelyne Rouch-Lamothe a créé la Fondation Jean Rouch en 2006. Dziga Vertov et Robert Flaherty sont d’importantes références du cinéma de Rouch.
Homme de terrain, il pratiquait une ethnographie qui relève de l’observation participante, et il tournait ses fictions avec des acteurs non-professionnels, qui participaient au montage, connaissaient les effets de la caméra. Le cinéma ethnologique de Rouch a voulu inventer d’autres rapports au monde, aux gens, à soi-même.

Jaguar est un documentaire-fiction, qui raconte le voyage de trois amis. Damouré, Lam et Illo ont quitté leur village du Niger pour aller faire fortune (croient-ils) sur la Gold Coast, colonie britannique, devenue le Ghana en 1957.
Jean Rouch a inauguré une nouvelle façon de tourner, comme on le constate dans ce film en 35 mm couleur, de 91 minutes (photographie de Rouch, montage de Josée Matarosso, Liliane Krob - plus tard romancière sous le nom de Claude Izner, auteure des Enquêtes du commissaire Legris, 2003 - Jean-Pierre Lacam, son Damouré Zika, musique Enos Amelodon, Tallou Mouzourane, Amisata Gaoudelize, production Les Films de la Pléiade de Pierre Braunberger qui a lancé la Nouvelle Vague).

En savoir plus : La méthode de Jean Rouch

Rouch a travaillé avec Damouré Zika (1924-2009), son ami rencontré en 1940, guérisseur nigérien du peuple Sorko (Bozo de l’Afrique de l’Ouest, peuple de pêcheurs, près du fleuve Niger). Zika était technicien, acteur, a joué dans plus de cent films de Rouch dont le dernier en 2002, Le Rêve plus fort que la mort. Au moment de La Chasse à l’Hippopotame (1950), Damouré Zika, après la projection, a demandé à Rouch de faire d’ores et déjà un vrai film de cinéma avec lui. Tous les matins, les acteurs et Jean Rouch décidaient des scènes à tourner pendant la journée. Rouch filmait avec une caméra très légère à l'épaule (sans prise de son des dialogues), puis à la fin Jaguar était projeté et les acteurs dialoguaient, commentaient les images, pour en reconstituer la bande son. Ce film a beaucoup influencé les débuts de la Nouvelle Vague. Damouré Zika, Illo Gauoudel et Lam Ibrahima Dia jouent aussi dans Petit à petit (1971) : sur le modèle des Lettres persanes, Damouré vient à Paris pour affiner son projet de construire des immeubles de grande hauteur, Lam, l’un de ses deux associés, pensant qu’il est devenu fou, le rejoint à Paris. C’est la suite de Jaguar. Rouch a nommé cette anthropologie « partagée », il a réalisé ses films (plus de 170 dont un tiers inachevé) avec ses acteurs, avec les moyens du bord et les technologies dont il disposait. Il travaillait toujours sur plusieurs projets en même temps et ses films sont liés les uns aux autres, manifestent un mouvement constant, dans une découverte permanente. Rouch était attentif au processus créatif du film et prospectait en permanence hors champ. Les conditions du tournage, souvent difficiles, stimulaient son travail et son imaginaire, son processus créatif. Il était obligé de tourner et de monter dans le même temps. Rouch était un conteur, utilisant peu de musique dans ses films.

Dès les années 1950, il a utilisé un magnétophone à bande magnétique lisse. Le son n’est pas synchrone, c’est un « son témoin » ; filmer et enregistrer le son, c’était à ce moment-là un exploit (Cimetières dans la falaise). Avant 1960, Rouch utilisait des caméras Bell & Howell (caméras à ressort, avec une autonomie de 20 secondes, sans son, avec un changement de bobine toutes les 2 minutes 40). L’élaboration du film se faisait pendant la prise de vue. Ce « bricolage du réel » lui permettait de penser au fur et à mesure la succession des plans. Rouch a tourné ses premiers films en noir & blanc, puis en couleur, toujours avec une petite équipe et une caméra à l’épaule, une « caméra participante ». La « méthode Rouch » est caractérisée par la conjonction entre innovation et expérimentation. Le développement de la caméra synchrone dès les années 1960 a offert à Rouch une liberté de tournage et de montage accrue. Sa voix est prédominante, commentant, interprétant les situations qu’il filmait. Rouch n’a pas apprécié la vidéo qui émerge dans les années 1970 et qui ne correspondait pas à ce qu’il voulait transmettre.

Dans l’extrait choisi de Jaguar, Damouré, Illo et Lam, veulent passer la frontière de la Gold Coast, sans cartes d’identité ni passeports. Désappointés par le refus des douaniers, ils inventent une ruse très simple, mais qui marche ! Pour aller de l’autre côté et donc transgresser la loi.

On n’entend pas la voix off de Rouch commentant la scène, mais celles des trois compères qui échangent sur la situation. On est au bord de la mer, le poste de douane est décrit avec humour. La scène est pleine de mouvement, de passages, le montage met l’accent sur les relations entre les personnages (les trois amis et les douaniers, et d’autres personnages qui passent), des détails sont mis en évidence (l’uniforme d’un douanier, son casque en particulier), les ombres et les lumières permettent de rythmer les étapes de la scène. Simplicité apparente, fluidité, plans généraux, les moments s’enchaînent et sont portés par les commentaires des personnages, leurs dialogues.

Le récit (dialogues et voix off) est imbriqué dans le paysage, la vie quotidienne, c’est à la fois le témoignage d’une époque (coloniale), une histoire picaresque, où la ruse et l’humour triomphent. Les représentants de la loi (les douaniers) et qui sont tenus de la faire respecter, sont en fait bloqués par leur système. La scène où les trois personnages passent derrière la guérite du douanier est rapide, le contraste est fort entre la mobilité des trois amis et l’immobilité du douanier, tranquillement installé (position du bras gauche) et qui ne voit pas les trois personnages franchir cette frontière matérialisée seulement à cet endroit-là par la guérite plantée sur la plage.
En savoir plus : Moro Naba (1957)

Ce film qui décrit l’investiture d’un nouvel empereur en Afrique (Haute-Volta, aujourd’hui Burkina Faso) est aussi un exemple du cinéma anthropologique et humaniste de Rouch.

Section 3. Raymond Verdier et Banimeleleng Nabede, La Justice divine chez les Kabyè du Togo (1998)

La Justice divine chez les Kabyè du Togo (1998) de Raymond Verdier et Banimeleleng Nabede

La Justice divine chez les Kabyè du Togo (1998) de Raymond Verdier et Banimeleleng Nabede
La Justice divine chez les Kabyè du Togo (1998) de Raymond Verdier et Banimeleleng Nabede


Ce film ethnographique de 51 minutes est une production CNRS Audiovisuel, 1998, collection « Carnets de recherche » (vidéo Hi8). Les prises de vues réelles ont été filmées le 15 juillet 1995 à Nyangbade (canton de Lama, préfecture de la Kozah, à 400 km de Lomé capitale du Togo), montage de Didier Boclet et Christian Bonnin. 
Dans le film, des remerciements sont adressés aux « maîtres de vérité » et autorités traditionnelles de l'université du Bénin, au ministère de l'Intérieur, de l'Éducation nationale et de la Recherche scientifique du Togo.
En savoir plus : Biographies

Raymond Verdier. Source : https://chad.parisnanterre.fr





Directeur de recherche honoraire au CNRS, Raymond Verdier a été chargé d'enseignement à l'Université Panthéon-Assas en anthropologie du droit en Master 2. Docteur en Droit, (lauréat de la Faculté de droit de Paris, Prix H. Capitant) et docteur en sciences religieuses (EPHE), il a effectué de nombreuses missions en Afrique subsaharienne (26 missions d'ethnographie au Togo - missions d'enseignement au Burundi, Cameroun, Gabon, Congo ...). Il a fondé le Centre Droit et Cultures, Université Paris Nanterre, en 1979 et les Cahiers en 1981, puis en 1983 la revue Droit et Cultures.
Concernant Banimeleleng Nabede, les seules informations disponibles à ce jour sont le titre de sa thèse de sociologie intitulée Les groupements villageois de production, une dynamique au service du développement rural : le cas de la région de la Kara au Togo.

Dans la présentation du documentaire, on apprend que chez les « maîtres de vérité » des Kabyè, des ordalies par le feu permettent de régler des « affaires de sorcellerie qui ne relèvent pas de la justice des hommes. ». Deux cas sont montrés, un affrontement entre deux frères et entre deux coépouses. On assiste au rituel de l’épreuve de l’anneau (plongé dans l’huile bouillante, s’il est retiré sans brûlure, la preuve de l’innocence est irréfutable).
Trois « instances d’autorité » doivent être consultées : « les Anciens, les Ancêtres, le Dieu du ciel ». Il y a donc trois temps et trois lieux distincts pour que le rituel puisse s’accomplir. On entre dans la maison, où accusateur et accusé exposent l’objet du litige. Puis les instruments cérémoniels de l’ordalie sont sortis de la « grande maison du lignage ». Enfin, les plaignants doivent confirmer leur plainte. Dans « le champ du foyer » l’épreuve a lieu. Et le « policier du chef » dresse le procès-verbal.

L’extrait choisi montre le troisième temps du rituel de l’ordalie (étymologiquement « supplice », épreuve », « jugement de Dieu »).
Cette épreuve douloureuse voire mortelle qui détermine l’innocence (Dieu aide la personne à surmonter cette violence) ou la culpabilité de celui qui y est soumis est un procès de type religieux, mais non pratiqué clairement par les autorités ecclésiastiques. En Occident, son origine est franque, l’ordalie est pratiquée au début du Moyen Âge. L’Église finira par condamner cette forme de justice.
Tout au long du film, on note un décalage entre les sous-titres et les dialogues, les bruits environnants (chèvres, oiseaux, poules, voix d’enfants, etc.), les discussions, parfois véhémentes. Il y a des silences. « Sachez que Dieu vous observe. ». Souvent, les images des corps sont coupées, des gens passent, d’autres sont assis, regardent. Des gros plans sont faits sur les objets décrits par la voix off de l’ethnologue, sur le foyer, l’allumage du feu (par les hommes préposés à ce dispositif). « Vous êtes venus ici chercher la vérité. » On a assisté à la préparation du feu (sur 3 pierres du foyer), dans un milieu où la nature est présente. Personne ne regarde l’objectif, les gens sont filmés à une certaine distance. On entend en permanence des voix, des discussions, des bruits, des frottements, les invocations, on voit l’entretien du feu, l’élévation de la marmite, la pose sur le feu, l’huile versée dans un bol, puis dans la marmite. La caméra se déplace d’un point à l’autre de la scène, les pieds des protagonistes ne sont pas toujours visibles. On voit le nettoyage de l’anneau déposé dans l’huile bouillante, avec un crépitement sensible, la baguette jetée dans la marmite qui reçoit par 5 fois le jus macéré dans la bouche. La personne mise à l’épreuve doit être pieds nus, ôter chapeau et chemise. L’accusation est prononcée pour la troisième fois. « Plonge ta main, secoue-la », « Ne mouille plus ta main. » Le premier accusateur est brûlé, il a jeté l’anneau par terre et non pas dans la calebasse. Il a donc proféré une fausse accusation, mais l’accusé doit réussir l’épreuve. Ce dernier enlève son chapeau, sa chemise, ses chaussures. Il attend. Pour la troisième fois, il nie être un sorcier. Il prend l’anneau sans se brûler, le met dans la calebasse. On l’applaudit. Sa main est indemne. Le procès-verbal est dressé. Toutes les paroles ne sont pas traduites dans le documentaire. Souvent on filme en plongée, pas toujours à hauteur des personnes. On est à distance. Les visages sont un peu flous. La gestuelle reste un élément important, les discussions fusent. « Arrête de te plaindre, d’autres ont été bien plus brûlés que toi ! ». À la fin, le doyen invite les plaignants à se réconcilier. « Ne laissez pas les devins semer la discorde entre vous. » On applique une pommade cicatrisante sur la plaie de l’accusateur pour éviter l’infection.


Sy.Qu’est-ce qui réunit ces trois manières de parler du droit et de la loi ?

Dans les trois cas présentés (Depardon, Rouch, Verdier et Nabede), la forme documentaire est à l’œuvre, mais dans le cas de Rouch, il s’agit de tresser ethnographie et fiction. Les deux autres exemples montrent comment le droit, la loi, s’exercent dans des contextes très précis, avec des protagonistes et des commentaires.

En examinant la manière dont le spectateur néophyte peut recevoir ces témoignages, dans les trois cas, il s’agit de montrer comment, dans une société donnée, on rend la justice (Depardon, Verdier et Nabede), comment on montre ces moments intenses, où la vérité est recherchée. On interroge et on juge.

Dans l’exemple de Rouch, la loi est contournée avec humour, logique et simplicité (les douaniers regardent toujours devant, et ignorent volontairement ou pas ce qui se passe derrière eux, et tant pis !). Dans les trois cas les notions de frontière, de limite, d’écart, de justice sont mises en exergue. Ce sont des images, des mises en scène, où l’authenticité d’une démarche est un élément important, tant dans le travail du réalisateur, qui apporte son regard personnel sur la situation, que dans ce qui est montré. On administre la preuve, et l’utilisation de la fiction renforce peut-être la manière de montrer la nature des relations entre les individus, leurs parcours, leurs désirs.
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