
Le Parlement suit des procédures ritualisées qui ont attiré le 7ème art, mais le cinéma a également su inspirer le Parlement. On se souvient ainsi que B. Johnson a fait entrer Tony Montana et Terminator à la Chambre des Communes. Le 31 octobre 2019, saluant le départ de J. Bercow, il estima que le Speaker avait manié le règlement avec son « fameux air renfrogné à la Tony Montana ». Plus tard, lors de son départ, il salua ses collègues d’un « hasta la vista baby ». Ces citations, autant que la participation de Bruno Le Maire dans son propre rôle dans Quai d'Orsay, permettent de montrer que les liens entre cinéma et Parlement ne sont pas univoques.
Si le visionnage d'un film peut conduire les parlementaires à modifier l’état du droit, la plupart des lois manifestant les liens entre Parlement et cinéma réglementent cette activité artistique. Il existe ainsi un Code du cinéma et de l'image animée, et le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour protéger le 7ème art. La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création a ainsi tenu à affirmer que « la création artistique est libre », celle du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, sujet pourtant éloigné du cinéma, a reconnu le statut particulier des intermittents du spectacle et préservé, tout comme les règles de financement, l'exception cinématographique française.
Mais les lois n'ont pas toujours été aussi libérales, le film Gorge profonde a ainsi entraîné la création de la classification X, dédiée aux « films pornographiques et d'incitation à la violence », le Parlement saisissant l'opportunité de la loi de finances 1976 pour aggraver le régime fiscal de telles productions. Les parlementaires s’emparent alors d’un film pour alourdir la législation ou rendre sa diffusion plus difficile. Ainsi, en janvier 2022, des députés conservateurs égyptiens ont réclamé une session extraordinaire du Parlement pour interdire la diffusion du film Ashab wala Aaz, qui raconte un dîner au cours duquel liaisons et homosexualité sont dévoilées.
Le cinéma inspire le législateur et le Parlement intrigue les scénaristes. Certes, il existe davantage de films mettant en scène les exécutifs nationaux, mais le Parlement est également une source d’inspiration pour le cinéma et rétrospectivement ces œuvres artistiques nous révèlent notre vision du Parlement. Ainsi, le Parlement n'est souvent qu'un figurant qui se laisse deviner (couloirs, bruits, rumeurs) plus qu'il ne se dévoile. En France, hormis Le Président, d’Henri Verneuil et avec Jean Gabin, le Parlement est peu représenté. À l'inverse, aux États-Unis, le Parlement est le cadre de nombreux films entre le début du 20e siècle (1939 pour Monsieur Smith au Sénat et 1962 pour Advice and Consent) et le début du 21e (2003 pour Legally blonde 2, The Campaign et Lincoln en 2012). Mais cette représentation est-elle conforme à la réalité institutionnelle ou conforte-t-elle une perception biaisée d'un Parlement mal aimé ? Aucune réponse tranchée ne peut être apportée à cette question. Certaines scènes ou certains films développent une vision pédagogique, quasi documentaire du Parlement (Section 1), quand d'autres, mettent en avant, jusqu'à l'excès, les travers de l'institution déformant la représentation de celui-ci (Section 2).
Section 1. La dimension pédagogique des films traitant du Parlement
Certains films s'approchent du documentaire, voire du contenu d'un MOOC, lorsqu'ils traitent du Parlement. Le fonctionnement de celui-ci est alors dépeint de manière très réaliste. Les ressorts scénaristiques peuvent même conduire les spectateurs à découvrir des procédures inusitées dans la connaissance échappait parfois aux spécialistes.
§1. Une représentation didactique du fonctionnement du Parlement
La plupart des films se déroulant au Parlement mettent en scène un nouvel arrivant qui doit se faire expliquer le fonctionnement du Parlement. Ces leçons parlementaires, proches des informations figurant sur les sites des assemblées, sont données par des habitués non élus.
Dans Monsieur Smith au Sénat, c'est un enfant qui joue le rôle de guide. Il place le sénateur à son siège, lui explique que dans le pupitre il y a l'ordre du jour et le Règlement du Sénat. De ce point de vue, l'explication s'arrête là. Soit que tout un chacun est censé connaître le règlement du Sénat, soit plus certainement que l'on commence à toucher à la tactique institutionnelle qui sera expliquée de manière moins neutre par un autre personnage. Puis à la demande de Smith, le page identifie le leader de la majorité et celui de l'opposition, et détaille les tribunes. Cette présentation des rapports de force politique propre à l’assemblée est également mise en scène dans Advice and Consent.
- « Quoi, il y a tellement de gens de gauche ?! »
- « Non pas de communistes ni autre chose approchant, mais des libéraux dans les deux camps »
Les femmes qui voient ainsi leur rôle dans la démocratie vivifiée : elles ne sont plus de simples spectatrices, elles deviennent actrices- certes de second plan- et démontrant à une étrangère leur maîtrise de la vie institutionnelle. C’est encore le cas lorsqu’elles expliquent que la séance est présidée par le Vice-Président des Etats-Unis. Nuance que l’observatrice étrangère ne comprend pas : comment peut-t-il présider le Sénat sans être sénateur ? On lui explique alors qu'il ne vote qu'en cas de partage des voix. Précision sibylline, qui a l’air de n’apporter que des détails à la peinture des institutions, mais qui se révélera fondamentale puisque le vice-président sera sous peu appelé à départager une égalité des voix.
« Des gens m'ont dit avant que j'aie commencé mon film (...) qu'on ne le comprendrait pas facilement dans d'autres pays.
Je ne vois pas pourquoi les gens ne comprendraient pas.
Après tout, les Américains eux-mêmes ne sont pas très au courant des complications de la politique américaine » (Visages du cinéma, n° 2, mars 1963).
Ces scènes établissent un contraste entre l'ingénu qui doit assimiler de nouveaux codes et l'étrangère non avertie ou l'enfant innocent qui apportent l'information neutre sans arrière-pensée politique ou politicienne, à l'inverse de tous les autres protagonistes du film qui chercheront à satisfaire leur intérêt. Ainsi lorsque l’assistante de Smith lui explique la procédure législative, elle oriente l’information afin de satisfaire son intérêt : ne pas rédiger de proposition de loi. Elle met ainsi en avant toutes les difficultés de la procédure parlementaire. Rédiger le texte, le présenter au Sénat « sans réveiller ceux qui veulent finir leur nuit ». Obtenir son envoi en commission. La procédure déroute le nouveau venu, naïveté brocardée par le personnage qui maîtrise les codes de l’institution et les présente comme une banalité. Ainsi, sa secrétaire lui explique que la commission permet un examen en détail du texte : « ce qui ne peut se faire dans l'assemblée au complet ». Ce à quoi l’ingénu ne peut répondre qu’en soulignant : « oui c'est évident ! ». La description de la procédure se poursuit : « il se passe plusieurs semaines et enfin ils jugent le projet présentable. Il est inscrit, mais doit trouver sa place dans l'agenda de la chambre, sauf si le Haut comité décide de l'inscrire plus tôt ». Nouvelle interruption de Smith : « le Haut comité ? ». L'assistante désespère de devoir expliquer une fois encore son quotidien, alors que le spectateur découvre avec Smith les sinuosités de la procédure législative : « Composé des chefs du parti majoritaire qui décident si un projet est suffisamment important pour être examiner en priorité ».
Il lui faut ensuite expliquer la navette et les amendements, le risque d'impasse si les chambres ne se mettent pas d'accord et la procédure de conciliation si les chambres le souhaitent. « Enfin on décide d'un jour pour le vote ! ». Alors que l’on croit le cheminement terminé, l’assistante dévoile la vanité de tous ces efforts : « ... mais c'est l'ajournement du Congrès ».
Cette présentation est orientée, elle ne cherche pas seulement à informer le spectateur, elle vise à dissuader le parlementaire de se lancer dans le dépôt d’une proposition de loi. A cette fin, commence l’entreprise de déconsidération de l’élu, chargé de faire la loi, mais sans connaître les étapes nécessaires, alors que l’on pensait qu’il s’agissait d’un préalable à toute entrée au Congrès.
§2. La mise en lumière de procédures rigoureuses
Les scénaristes savent utiliser les dispositions constitutionnelles ou réglementaires afin de créer un suspens ou un arc scénaristique. Parfois, tout le film repose sur une procédure. C’est le cas de Lincoln qui montre la procédure de révision, enfin une partie de celle-ci, l’appel à la révision. C’est également le cas de Advice and consent qui décrit la procédure d’accord du Sénat, préalable nécessaire à toute nomination au cabinet du Président. Une petite phrase suffit habituellement à soulever la spécificité de la procédure qui explique l’intérêt scénaristique.
Celle-ci nécessite en effet à ce stade le vote favorable de 2/3 de chaque chambre.
La rapidité de l’explication se justifie par le fait que la procédure n’est pas complexe à appréhender et qu’elle demeure connue du grand public. On rencontre la même facilité scénaristique lorsque les films rendent compte des auditions menées par des commissions d’enquêtes aux USA où elles sont habituellement diffusées sur les chaînes nationales, acclimatant les citoyens aux procédures parlementaires. Aussi celles-ci font rarement l’objet d’une telle explication pédagogique. Celle-ci n’est pas nécessaire, tant chacune des représentations fictionnelles nous renvoie aux images réelles des auditions, et notamment celle de Zuckerberg après le scandale de Cambridge Analytics ou en janvier 2024 devant le Sénat. En France, les commissions d’enquêtes ne sont pas représentées, sans doute parce que le quidam ne parvient pas à identifier leur importance et qu’il y aurait trop à expliquer (… au risque de perdre le spectateur qui aura tôt fait de changer de chaîne, ce que craignaient peu les producteurs dans les années 1930).
Constat conforté par la mise en scène de l’obstruction et de la discipline dans Monsieur Smith au Sénat. Si les détails procéduraux ne sont pas connus avec précision par les spectateurs, tous disposent du minimum de culture institutionnelle leur permettant de comprendre l’importance de l’octroi et du retrait de la parole au sein du Parlement. La mise en scène met en exergue ce qui oppose Smith à ses nouveaux collègues. Le premier est ignorant des us et coutumes parlementaires, alors que les sénateurs habituellement réélus les maîtrisent parfaitement. Que cela passe par la cordialité de façade qui impose de s’adresser à un autre sénateur avec le courtois « l’honorable élu de … », par la nécessité d’avoir prêté serment pour devenir membre à part entière et pouvoir prendre la parole, ou de ne pouvoir le faire que lorsque le président vous y invite. Le rôle du président est alors décrit avec précision et permet de découvrir une institution dans l’institution.
L’explication doit ensuite être plus précise lorsqu’il s’agit d’exploiter la vérification ou du quorum ou la possibilité pour la chambre d’exclure un de ses membres et pour celui-ci de se défendre en conservant la parole tant qu’il pourra tenir debout. On dépasse la peinture cinématographique pour entrer dans la création d’un scénario et les tenants et les aboutissants de la procédure doivent être expliqués.
En savoir plus
Cela est encore plus vrai lorsque les scénaristes dépoussièrent des procédures inusitées. C’est le cas de la pétition de décharge dans Legally blonde 2. Cette procédure permet de faire examiner un texte directement en séance, sans passer par la commission, étape difficile pour les textes de la minorité de la chambre ou au sein du parti majoritaire à la chambre. Le succès de sa proposition de loi passe par cette procédure et contre l’establishment du Congrès. Le scénario a pris soin de dépeindre la procédure habituelle, les retournements d’alliance qui peuvent enterrer une proposition de loi avant même son examen en commission pour présenter l’intérêt de cette procédure dont G. Toulemonde a soulevé qu'elle n'avait été utilisée qu’à 3 reprises depuis sa création en 1910 (Toulemonde G., « Le Parlement dans les comédies », Festival CinéComédies, Lille, 2019).
Hormis cette illustration, la représentation cinématographique du Parlement cherche à être la plus juste et la plus complète possible. Les scénaristes ne font pas l’impasse sur des procédures exigeantes, au contraire, ils les mettent en valeur en expliquant patiemment le fonctionnement des institutions. Souci du détail qui s’étend jusqu’à la pratique politique. Là encore il s’agit de permettre au spectateur de comprendre l’intrigue en la replaçant dans son contexte juridico-politique. Mais cet attachement à la réalité institutionnelle est rarement neutre, l’accent mis sur la pratique politique visant à développer une critique du Parlement qui peut dépasser la réalité.