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Colloque « Filmer le droit, le droit filmé » : Ce que le Cinéma nous apprend de notre vision du Parlement

Le Parlement suit des procédures ritualisées qui ont attiré le 7ème art, mais le cinéma a également su inspirer le Parlement. On se souvient ainsi que B. Johnson a fait entrer Tony Montana et Terminator à la Chambre des Communes. Le 31 octobre 2019, saluant le départ de J. Bercow, il estima que le Speaker avait manié le règlement avec son « fameux air renfrogné à la Tony Montana ». Plus tard, lors de son départ, il salua ses collègues d’un « hasta la vista baby ». Ces citations, autant que la participation de Bruno Le Maire dans son propre rôle dans Quai d'Orsay, permettent de montrer que les liens entre cinéma et Parlement ne sont pas univoques.
Ex.Le cinéma peut ainsi influencer le contenu de la loi. On se souvient qu’en 2007 l’émotion suscitée par le film Indigènes a permis l’adoption à l’unanimité de la revalorisation des pensions des soldats des anciennes colonies. En 2009, le film Welcome, qui fut projeté devant le groupe d’opposition « Socialiste Républicain et Citoyen », a conduit les députés à déposer une proposition de loi supprimant le délit de solidarité défendue ensuite par le groupe à l’Assemblée.

Si le visionnage d'un film peut conduire les parlementaires à modifier l’état du droit, la plupart des lois manifestant les liens entre Parlement et cinéma réglementent cette activité artistique. Il existe ainsi un Code du cinéma et de l'image animée, et le législateur est intervenu à plusieurs reprises pour protéger le 7ème art. La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création a ainsi tenu à affirmer que « la création artistique est libre », celle du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi, sujet pourtant éloigné du cinéma, a reconnu le statut particulier des intermittents du spectacle et préservé, tout comme les règles de financement, l'exception cinématographique française.

Mais les lois n'ont pas toujours été aussi libérales, le film Gorge profonde a ainsi entraîné la création de la classification X, dédiée aux « films pornographiques et d'incitation à la violence », le Parlement saisissant l'opportunité de la loi de finances 1976 pour aggraver le régime fiscal de telles productions. Les parlementaires s’emparent alors d’un film pour alourdir la législation ou rendre sa diffusion plus difficile. Ainsi, en janvier 2022, des députés conservateurs égyptiens ont réclamé une session extraordinaire du Parlement pour interdire la diffusion du film Ashab wala Aaz, qui raconte un dîner au cours duquel liaisons et homosexualité sont dévoilées.

Le cinéma inspire le législateur et le Parlement intrigue les scénaristes. Certes, il existe davantage de films mettant en scène les exécutifs nationaux, mais le Parlement est également une source d’inspiration pour le cinéma et rétrospectivement ces œuvres artistiques nous révèlent notre vision du Parlement. Ainsi, le Parlement n'est souvent qu'un figurant qui se laisse deviner (couloirs, bruits, rumeurs) plus qu'il ne se dévoile. En France, hormis Le Président, d’Henri Verneuil et avec Jean Gabin, le Parlement est peu représenté. À l'inverse, aux États-Unis, le Parlement est le cadre de nombreux films entre le début du 20e siècle (1939 pour Monsieur Smith au Sénat et 1962 pour Advice and Consent) et le début du 21e (2003 pour Legally blonde 2, The Campaign et Lincoln en 2012). Mais cette représentation est-elle conforme à la réalité institutionnelle ou conforte-t-elle une perception biaisée d'un Parlement mal aimé ? Aucune réponse tranchée ne peut être apportée à cette question. Certaines scènes ou certains films développent une vision pédagogique, quasi documentaire du Parlement (Section 1), quand d'autres, mettent en avant, jusqu'à l'excès, les travers de l'institution déformant la représentation de celui-ci (Section 2).

Section 1. La dimension pédagogique des films traitant du Parlement


Certains films s'approchent du documentaire, voire du contenu d'un MOOC, lorsqu'ils traitent du Parlement. Le fonctionnement de celui-ci est alors dépeint de manière très réaliste. Les ressorts scénaristiques peuvent même conduire les spectateurs à découvrir des procédures inusitées dans la connaissance échappait parfois aux spécialistes.


La plupart des films se déroulant au Parlement mettent en scène un nouvel arrivant qui doit se faire expliquer le fonctionnement du Parlement. Ces leçons parlementaires, proches des informations figurant sur les sites des assemblées, sont données par des habitués non élus.
Ex.Dans Legally Blond 2, c’est le concierge de l’immeuble, personnage neutre, qui joue le rôle d’initiateur. L’homme aux clés d’or, connaissant les rouages parlementaires et les secrets des membres du Congrès se révélera d’une aide précieuse quand les initiés- ses collègues assistants parlementaires- ne lui fourniront que des informations partielles ou visant à la déconsidérer aux yeux de la députée dont elle a rejoint l’équipe.

Dans Monsieur Smith au Sénat, c'est un enfant qui joue le rôle de guide. Il place le sénateur à son siège, lui explique que dans le pupitre il y a l'ordre du jour et le Règlement du Sénat. De ce point de vue, l'explication s'arrête là. Soit que tout un chacun est censé connaître le règlement du Sénat, soit plus certainement que l'on commence à toucher à la tactique institutionnelle qui sera expliquée de manière moins neutre par un autre personnage. Puis à la demande de Smith, le page identifie le leader de la majorité et celui de l'opposition, et détaille les tribunes. Cette présentation des rapports de force politique propre à l’assemblée est également mise en scène dans Advice and Consent.
Ex.C'est un cortège de femmes qui explique à l'une d'entre elles, femme de l’ambassadeur français, le fonctionnement du Sénat : « à droite l’opposition, à gauche la majorité ». L’échange que fait naître cette remarque éclaire le fonctionnement de la démocratie américaine : 
  • « Quoi, il y a tellement de gens de gauche ?! »
  • « Non pas de communistes ni autre chose approchant, mais des libéraux dans les deux camps »

Les femmes qui voient ainsi leur rôle dans la démocratie vivifiée : elles ne sont plus de simples spectatrices, elles deviennent actrices- certes de second plan- et démontrant à une étrangère leur maîtrise de la vie institutionnelle. C’est encore le cas lorsqu’elles expliquent que la séance est présidée par le Vice-Président des Etats-Unis. Nuance que l’observatrice étrangère ne comprend pas : comment peut-t-il présider le Sénat sans être sénateur ? On lui explique alors qu'il ne vote qu'en cas de partage des voix. Précision sibylline, qui a l’air de n’apporter que des détails à la peinture des institutions, mais qui se révélera fondamentale puisque le vice-président sera sous peu appelé à départager une égalité des voix.
Ex.Par ses dimensions à la fois rigoureuses et ludiques, cette scène pourrait tout à fait constituer un outil pédagogique d'explication du fonctionnement de l'institution. Une vidéo sur laquelle on pourrait s’appuyer pour illustrer un cours. Le réalisateur semblait conscient de la nécessité de développer l’aspect pédagogique de son scénario. Il affirmait ainsi :
« Des gens m'ont dit avant que j'aie commencé mon film (...) qu'on ne le comprendrait pas facilement dans d'autres pays.

Je ne vois pas pourquoi les gens ne comprendraient pas.

Après tout, les Américains eux-mêmes ne sont pas très au courant des complications de la politique américaine
 » (Visages du cinéma, n° 2, mars 1963).

Ces scènes établissent un contraste entre l'ingénu qui doit assimiler de nouveaux codes et l'étrangère non avertie ou l'enfant innocent qui apportent l'information neutre sans arrière-pensée politique ou politicienne, à l'inverse de tous les autres protagonistes du film qui chercheront à satisfaire leur intérêt. Ainsi lorsque l’assistante de Smith lui explique la procédure législative, elle oriente l’information afin de satisfaire son intérêt : ne pas rédiger de proposition de loi. Elle met ainsi en avant toutes les difficultés de la procédure parlementaire. Rédiger le texte, le présenter au Sénat « sans réveiller ceux qui veulent finir leur nuit ». Obtenir son envoi en commission. La procédure déroute le nouveau venu, naïveté brocardée par le personnage qui maîtrise les codes de l’institution et les présente comme une banalité. Ainsi, sa secrétaire lui explique que la commission permet un examen en détail du texte : « ce qui ne peut se faire dans l'assemblée au complet ». Ce à quoi l’ingénu ne peut répondre qu’en soulignant : « oui c'est évident ! ». La description de la procédure se poursuit : « il se passe plusieurs semaines et enfin ils jugent le projet présentable. Il est inscrit, mais doit trouver sa place dans l'agenda de la chambre, sauf si le Haut comité décide de l'inscrire plus tôt ». Nouvelle interruption de Smith : « le Haut comité ? ». L'assistante désespère de devoir expliquer une fois encore son quotidien, alors que le spectateur découvre avec Smith les sinuosités de la procédure législative : « Composé des chefs du parti majoritaire qui décident si un projet est suffisamment important pour être examiner en priorité ».

Il lui faut ensuite expliquer la navette et les amendements, le risque d'impasse si les chambres ne se mettent pas d'accord et la procédure de conciliation si les chambres le souhaitent. « Enfin on décide d'un jour pour le vote ! ». Alors que l’on croit le cheminement terminé, l’assistante dévoile la vanité de tous ces efforts : « ... mais c'est l'ajournement du Congrès ».

Cette présentation est orientée, elle ne cherche pas seulement à informer le spectateur, elle vise à dissuader le parlementaire de se lancer dans le dépôt d’une proposition de loi. A cette fin, commence l’entreprise de déconsidération de l’élu, chargé de faire la loi, mais sans connaître les étapes nécessaires, alors que l’on pensait qu’il s’agissait d’un préalable à toute entrée au Congrès.

Les scénaristes savent utiliser les dispositions constitutionnelles ou réglementaires afin de créer un suspens ou un arc scénaristique. Parfois, tout le film repose sur une procédure. C’est le cas de Lincoln qui montre la procédure de révision, enfin une partie de celle-ci, l’appel à la révision. C’est également le cas de Advice and consent qui décrit la procédure d’accord du Sénat, préalable nécessaire à toute nomination au cabinet du Président. Une petite phrase suffit habituellement à soulever la spécificité de la procédure qui explique l’intérêt scénaristique.
Ex.Ainsi, dans Lincoln, la question des majorités nécessaires à l’initiation de la révision est évoquée lors d’une discussion de Lincoln avec un de ses lieutenants qui s’attarde sur la composition des Chambres : « Un vrai panier de crabes... Toujours la même bande de pèquenots et de sans talents qu'il y a 10 mois. Majorité républicaine : 56 %, mais insuffisante pour une révision de la Constitution ».

Celle-ci nécessite en effet à ce stade le vote favorable de 2/3 de chaque chambre.

La rapidité de l’explication se justifie par le fait que la procédure n’est pas complexe à appréhender et qu’elle demeure connue du grand public. On rencontre la même facilité scénaristique lorsque les films rendent compte des auditions menées par des commissions d’enquêtes aux USA où elles sont habituellement diffusées sur les chaînes nationales, acclimatant les citoyens aux procédures parlementaires. Aussi celles-ci font rarement l’objet d’une telle explication pédagogique. Celle-ci n’est pas nécessaire, tant chacune des représentations fictionnelles nous renvoie aux images réelles des auditions, et notamment celle de Zuckerberg après le scandale de Cambridge Analytics ou en janvier 2024 devant le Sénat. En France, les commissions d’enquêtes ne sont pas représentées, sans doute parce que le quidam ne parvient pas à identifier leur importance et qu’il y aurait trop à expliquer (… au risque de perdre le spectateur qui aura tôt fait de changer de chaîne, ce que craignaient peu les producteurs dans les années 1930).

Sy.Cela traduit l’état de notre culture parlementaire et politique : assez faible. Cela traduit également la réalité institutionnelle : il a fallu attendre la révision de 2008 pour que les oppositions puissent créer plus facilement des commissions d’enquêtes (article 51-2 de la Constitution). L’acculturation n’a donc pas pu être aussi progressive qu’aux USA et le cinéma a plus de difficulté à représenter une procédure qui n’est pas a minima connue des spectateurs.

Constat conforté par la mise en scène de l’obstruction et de la discipline dans Monsieur Smith au Sénat. Si les détails procéduraux ne sont pas connus avec précision par les spectateurs, tous disposent du minimum de culture institutionnelle leur permettant de comprendre l’importance de l’octroi et du retrait de la parole au sein du Parlement. La mise en scène met en exergue ce qui oppose Smith à ses nouveaux collègues. Le premier est ignorant des us et coutumes parlementaires, alors que les sénateurs habituellement réélus les maîtrisent parfaitement. Que cela passe par la cordialité de façade qui impose de s’adresser à un autre sénateur avec le courtois « l’honorable élu de … », par la nécessité d’avoir prêté serment pour devenir membre à part entière et pouvoir prendre la parole, ou de ne pouvoir le faire que lorsque le président vous y invite. Le rôle du président est alors décrit avec précision et permet de découvrir une institution dans l’institution.

L’explication doit ensuite être plus précise lorsqu’il s’agit d’exploiter la vérification ou du quorum ou la possibilité pour la chambre d’exclure un de ses membres et pour celui-ci de se défendre en conservant la parole tant qu’il pourra tenir debout. On dépasse la peinture cinématographique pour entrer dans la création d’un scénario et les tenants et les aboutissants de la procédure doivent être expliqués.

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Cela est encore plus vrai lorsque les scénaristes dépoussièrent des procédures inusitées. C’est le cas de la pétition de décharge dans Legally blonde 2. Cette procédure permet de faire examiner un texte directement en séance, sans passer par la commission, étape difficile pour les textes de la minorité de la chambre ou au sein du parti majoritaire à la chambre. Le succès de sa proposition de loi passe par cette procédure et contre l’establishment du Congrès. Le scénario a pris soin de dépeindre la procédure habituelle, les retournements d’alliance qui peuvent enterrer une proposition de loi avant même son examen en commission pour présenter l’intérêt de cette procédure dont G. Toulemonde a soulevé qu'elle n'avait été utilisée qu’à 3 reprises depuis sa création en 1910 (Toulemonde G., « Le Parlement dans les comédies », Festival CinéComédies, Lille, 2019).

En France, les procédures parlementaires sont -encore- peu connues du grand public et les scénarii ne déploient pas la même ingéniosité qu’outre-Atlantique. Ils se recentrent sur la peinture du fonctionnement quotidien de l’institution, sans pousser plus loin l’analyse. Les dispositions constitutionnelles peuvent également être complexes, difficiles à mettre en scène … à moins que l’absence d’acculturation du public au rôle des institutions ne permettent une peinture trompeuse de la réalité, détournée à des fins scénaristiques.
Ex.C’est le cas dans le film Président de Lionel Delplanque. En difficulté, le chef de l’Etat, incarné par Albert Dupontel, craint que le Parlement ne cherche à le destituer. Ici le souci des scénaristes n’est pas de dépeindre rigoureusement la procédure, mais de l’utiliser afin de donner à voir un Parlement toujours prompt à profiter de la faiblesse du pouvoir.

Hormis cette illustration, la représentation cinématographique du Parlement cherche à être la plus juste et la plus complète possible. Les scénaristes ne font pas l’impasse sur des procédures exigeantes, au contraire, ils les mettent en valeur en expliquant patiemment le fonctionnement des institutions. Souci du détail qui s’étend jusqu’à la pratique politique. Là encore il s’agit de permettre au spectateur de comprendre l’intrigue en la replaçant dans son contexte juridico-politique. Mais cet attachement à la réalité institutionnelle est rarement neutre, l’accent mis sur la pratique politique visant à développer une critique du Parlement qui peut dépasser la réalité.

Section 2. La dénonciation des travers de l’institution


Les films traitant du Parlement prennent soin d'en offrir une représentation majestueuse. En France, la façade de l’Assemblée nationale qui donne sur la Seine, ressemblant à un temple grec, est utilisée pour signifier que là siège la démocratie.
Façade de l'Assemblée nationale, Palais-Bourbon, vu depuis l'autre côté de la Seine. Source : Wikipédia - domaine public.



Aux États-Unis, l’ingénu s’extasie devant le Congrès, berceau de la liberté dont les marches sont occupées par des enfants récitant la déclaration de Lincoln à Gettysburg. Il s’agit d’images d’Epinal mettant en relief le contraste entre la démocratie rêvée et la démocratie réelle dont les dysfonctionnements sont dépeints par les scénarios.
Les membres du Congrès des États-Unis siègent au Capitole, à Washington, D.C. Source : Wikipédia - Domaine public.



Les ingénus sont ainsi rapidement décillés par la confrontation aux faits et les scénaristes exploitent cette désillusion en leur montrant combien ils ont été naïfs. Ainsi, Smith doit faire face à un enfant accompagnant son grand-père et lisant la déclaration de Gettysburg dans le mémorial Lincoln alors que lui ne peut plus croire à la grandeur des institutions américaines, maintenant qu’il en connaît le fonctionnement. C’est que le Parlement est aussi le lieu du calcul politique et qu’il ne peut être montré sans cette réalité.
Abraham Lincoln prononçant son célèbre discours le 19 novembre 1863 lors de l’inauguration du cimetière national des soldats à Gettysburg. Source : France Iner, AFP.





Le titre même du film Advice and Consent rappelle que le Président des Etats-Unis ne peut nommer un nouveau juge à la Cour Suprême ou un membre de son cabinet que s’il obtient l’accord du Sénat. La procédure constitutionnelle est entourée de pratiques visant à faciliter le vote des sénateurs. Il est ainsi habituel que des listes circulent, comportant les noms que les sénateurs pourraient soutenir et parmi lesquels le Président devrait choisir son nominee. Le film se construit autour du refus du Président de se soumettre à cet usage et de la difficulté que rencontrent les leaders du parti majoritaire à constituer une majorité de soutiens autour du choix présidentiel. La procédure constitutionnelle n’est qu’un prétexte pour mettre à jour les tractations politiques qui se noueront au Parlement.

Sy.Le film est ainsi l’occasion de montrer que le choix de celui qui sera appelé à présider la commission chargée d’examiner la candidature est éminemment politique et que tout est œuvre de négociation et de marchandages entre le Président et ses émissaires et les parlementaires. Le film illustre ainsi le parlementarisme de couloirs qui caractérise la démocratie américaine.

Lincoln est quant à lui construit autour de la figure du président Chief legislator qui mène les négociations avec les parlementaires afin d'obtenir le vote du 13e amendement. L'exposé du rapport de force est l'occasion de souligner l'absence de discipline de vote des élus du Congrès, habituellement plus pragmatiques que dogmatiques et de rappeler une des caractéristiques de la procédure de révision : dans ce cas la majorité ne suffit pas à initier la révision, il faut une majorité qualifiée des 2/3 de chaque Chambre du Congrès. Comment atteindre cette majorité ? En recourant au spoil system.

Df.L'intrigue se situe entre les élections fédérales à la présidence et au Congrès et l'investiture des nouveaux élus. Certains des représentants et sénateurs qui se prononcent sur le texte ne seront donc plus parlementaires lors du mandat suivant, mais leur soutien à la réforme constitutionnelle pourrait leur permettre d'occuper un poste dans l'administration fédérale à la disposition du président et de compenser matériellement les conséquences de leur échec électoral : « Les 64 démocrates qui ont perdu leur siège pourraient voter l'amendement... Et il y aura beaucoup de postes dans notre administration avec ce nouveau mandat ».

Même dans le régime présidentiel américain, caractérisé par une séparation stricte des pouvoirs législatif et exécutif, le Parlement demeure un point de contact nécessaire au bon fonctionnement de l’Etat. C’est également dans son enceinte que les citoyens sont amenés à partager leurs revendications avec leurs représentants… dans les limites définies par ces derniers. Ainsi Les Suffragettes démontre que si les femmes sont libres de s'exprimer dans les Communes à l'invitation des députés qui réfléchissent à leur accorder le droit de vote, leur expression devant Westminster est réprimée. De même, l’exploitation des auditions menées par les parlementaires dans le cadre des commissions d’enquêtes révèlent la place laissée par le Parlement aux citoyens.

Sy.Si les chambres sont montrées comme le lieu de la démocratie vivante, c’est une démocratie représentative et le peuple n’est accepté que dans certains rôles : spectateur comme dans Monsieur Smith au Sénat ou Advise and Consent, acteur dans les conditions définies par les élus… un acteur de second plan. La critique se fait parfois plus incisive et directe, les scénarii dénonçant un parlement sous influence et une façade démocratique.


Certains films dénoncent une institution parlementaire dévoyée.
Ex.C'est le parti pris de Le Président d’Henri Verneuil qui décrit des parlementaires soucieux de satisfaire leur intérêt avant l'intérêt général. Aux États-Unis, le héros est confronté aux arrangements qui éloignent le Parlement de l'image d’Épinal dépeinte plus haut : « tout se passe par des accords, des transactions, des secrets… ce n'est pas ce que les gens veulent » (Elle Woods/R. Witherspoon, Legally blonde 2).

Les films insistent sur une écriture de la loi sous influence, les élus étant sélectionnés en raison de leur aptitude à soutenir les grands intérêts. Jean Gabin livre ainsi un moment d'éloquence digne des IIIe et IVe Républiques :
Ex.« Une campagne électorale coûte cher, mais pour certaines sociétés c'est un placement amortissable en 4 ans. Et pour peu que le protégé se hisse à la présidence du Conseil alors là le placement devient inespéré. Les financiers d'autrefois achetaient les mines à Djelidzere ou à Zoah. Eh bien ceux d'aujourd'hui ont compris qu'il valait mieux régner à Matignon que dans l'Ougandi et que fabriquer un député coûtait moins cher que de dédommager un rwanais ».

Aux États-Unis, la dénonciation est tout aussi mordante. Ainsi, The Campaign montre comment les Frères Motch, pendants fictionnels des frères Koch financiers du parti républicain et du Tea party, « fabrique[nt] aussi des candidats », qu'ils réussissent à faire élire, aux besoins en truquant les résultats grâce à leur machine à voter. Le film dénonce ainsi le poids de l’argent dans les élections et les conséquences sur l’exercice du mandat. Ainsi, lorsque le candidat démocrate cherche de l'argent pour ses publicités électorales, une institution bancaire accepte de le financer à condition qu’il s’engage à voter les textes qui lui seront indiqués et inversement. Le candidat atteste de sa fidélité en rappelant qu’il a toujours refusé les textes réglementant le financement des campagnes.
Ex.Déjà le sénateur Paine dans Monsieur Smith au Sénat avouait devoir son élection à J. Taylor, capitaine d’industrie et patron de presse, qui dispose ainsi des moyens de manipuler les élections. Qualifiés de « bénis oui-oui » dans ce même film, les élus de fiction ont perdu toute indépendance et se doivent de satisfaire ceux qui les ont faits. La reconnaissance par Paine de sa condition s'accompagne d'une dénonciation du fonctionnement de la démocratie américaine : le peuple serait incapable d'élire le « bon représentant », celui capable de défendre ses intérêts : « Oui c'est vrai, j'ai transigé, mais depuis je suis réélu et combien de textes j'ai pu défendre dans l'intérêt de l'Etat (chômage, subvention…). On ne peut pas compter sur les votes. D’ailleurs ils ne votent pas ! ».

La critique est aussi présente dans les films historiques. Ainsi, dans Le Tigre et le Président, la dénonciation vient des plus hautes sphères de l’Etat. Poincaré, Président de la République sortant, met en garde Deschanel nouvellement élu : « Sachez surtout que la muraille de ministres, chef de cabinet, députés, Sénateurs et autre président du conseil, ne nous laissera absolument rien faire. Je peux vous assurer qu'ils ont un pouvoir de nuisance proportionnel à leur pleutrerie ». Ici ce n’est pas simplement le fonctionnement du Parlement qui est décrié, mais celui de tout le régime de la Troisième République, marqué par l’immobilisme et l’instabilité. Critique du personnel politique et plus particulièrement parlementaire partagé Outre-Atlantique dans Lincoln. L’un des protagonistes y décrit le Parlement comme : « un vrai panier de crabes... Toujours la même bande de pèquenots et de sans talents ». Qualités qui permettent d’envisager des techniques plus ou moins régulières pour convaincre les élus de soutenir l’initiative présidentielle. Outre le spoil system, le Président et ses fidèles, vont alors tenter de faire pression sur les élus à travers leurs électeurs, dans une démarche proche du clientélisme. Ainsi Lincoln reçoit un couple à propos d’un poste de péage et profite de la résolution de leur requête pour leur demander de solliciter leur député républicain pour lui rappeler leur attachement au 13e amendement.

Rq.Mais les principales manœuvres se déroulent auprès des leader politiques et notamment des Blair présentés comme les fondateurs du parti républicain et capables d’emporter le vote. Ce que le film représente, le patriarche donnant consigne d’un vote favorable à l’amendement. Consigne dont il peut aisément suivre le respect, le vote s’opérant par appel nominal, sous le regard de tous. Marchandages dénoncés par le parlementaire qui était le plus hostile à la révision : « la plus grande législation du 19e siècle a été adoptée par la corruption... ». Tirade qui n’est pas sans rappeler la sentence de Churchill : « Les lois c’est comme les saucisses, il ne faut pas savoir comment c’est fait ».

Sous cet angle, le Parlement apparaît comme le lieu où le bien public est placé entre les mains de personnes intéressées par la satisfaction de leurs intérêts. Le Parlement de la Ve République n’est plus critiqué sur ce point ; les parlementaires y sont toutefois perçus comme toujours prêts à profiter des circonstances pour accaparer le pouvoir. Le Président, joué par Albert Dupontel dans le film éponyme, est à peine convaincu d’une faute que le Parlement envisage d’actionner la procédure de destitution. Mais cette vision manichéenne, si elle se rencontre habituellement dans les séries, est peu présente dans le cinéma français qui préfère moquer le fonctionnement global des institutions.
Ex.C'est le cas de Quai d'Orsay qui dénonce l’insignifiance du Parlement, l’attachée parlementaire du ministre préférant fréquenter la buvette de l'hémicycle puisque « c'est là que tout se passe ». Le Parlement ne serait qu'un lieu de grenouillages, une façade - encore - démocratique. Les questions au Gouvernement sont utilisées pour étayer cette critique, le même conseiller étant chargé de rédiger la réponse du ministre, mais également le texte de la question, qu'elle soit posée par la majorité ou comme ici, par l'opposition. La caricature pointe et il est permis de s’interroger sur la véracité de la représentation cinématographique du Parlement.

On reste ainsi au niveau des apparences, c’est encore le cas dans L’exercice de l’Etat où le Parlement est seulement évoqué à l’occasion des questions au Gouvernement, point de contact entre Gouvernement et Assemblées… voire entre Gouvernement et majorité… ici la véracité a largement cédé le pas devant la critique et la caricature.


Sy.Il est alors permis de se demander quelle est la part de vérité dans la représentation cinématographique du Parlement : nous offre-t-on une version fidèle de son fonctionnement ou s’approche-t-on davantage de la caricature ?

Si certaines fictions sont très lâches avec la réalité constitutionnelle, la description de la procédure de destitution évoquée plus haut ferait saigner les oreilles de tout étudiant de première année en droit constitutionnel lorsqu’elle évoque un président empêché dès le déclenchement de la procédure et remplacé par le Président du Sénat, d’autres dépeignent avec exactitude la procédure parlementaire.

Les scènes mêlent alors les dimensions juridiques et politiques des procédures. Avec parfois un souci du réalisme qui les fait ressembler à des docufictions.
Mais le téléspectateur pourra-t-il retenir ces éléments très spécifiques, ces procédures qui même imagées peuvent rester obscures ? Retiendra-t-il l’existence d’un moyen permettant à la chambre de dessaisir la commission, ou les improbables aventures de l’héroïne toute de rose vêtue ? Comprendra-t-il que les liens entre la finance et la politique devraient être encadrés par le droit, ou que l’un des candidats a à plusieurs reprises frappé un bébé ?

Il y a fort à parier que le spectateur retiendra la caricature, comme celle dressée dans The campaign, le député sortant avouant n'avoir jamais lu un projet de loi en 5 mandats.

Simone, le voyage du siècle démontre même que le cinéma donne à voir au spectateur la vision qu’il attend : le vacarme et l’invective. Ainsi le film, dont on s’attend à ce qu’il montre la bataille parlementaire qui a abouti à l’adoption de la loi dépénalisant l’avortement, s’ouvre sur les outrances des parlementaires, certains n’hésitant pas à faire écouter les battements du cœur d’un fœtus. Rien sur le travail de coulisse qui a abouti à l’adoption du texte, sur les voix de gauches qui ont permis cette adoption.

Le débat parlementaire est aujourd’hui devenu un spectacle dans de nombreux Etats et les spectateurs s’attendent à ce que l’image qu’on va leur offrir corresponde à celle à laquelle il est habitué. Il conservera donc l'image qui le conforte dans sa vision biaisée du Parlement : lieu de manœuvres où l'ambition éclipse l'intérêt général. Le happy end qui clôt ces films nous laisse alors un goût amer.
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