Introduction
Voici, dans l’ordre chronologique des sorties des films, les discours qui nous serviront de fil conducteur (deux initiales, données en référence, identifieront les films dans la suite de la leçon) :
- Le discours du professeur Brett Fletcher (Gian Maria Volontè) à un espion de la police qui a été démasqué, avant que celui-ci ne soit exécuté dans Faccia a faccia (Le dernier face à face), Sergio Sollima, 1967 - FF.
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Faccia a faccia (Le dernier face à face), Sergio Sollima, 1967 (version anglaise).
Brad Fletcher (Gian Maria Volontè), professeur d'histoire, souffrant, part en convalescence dans le Sud pour profiter d'un climat sec. Enlevé par un hors-la-loi (Tomas Millián) lors de l'évasion de ce dernier, il finit par se joindre à la bande de malfrats, puis à imprimer un leadership sur celle-ci. Ses propos s'adressent à Wallace (Lorenzo Robledo), espion agissant pour le compte de l'agence privée Pinkerton.
« FLETCHER : Vois-tu, Wallace, je suis sûr que tu as été à l'Université. Je veux dire, avant que tu rejoignes les Pinkerton, bien sûr. Une Université de l'Est comme Charley Siringo, hein ? (il fait signe à un comparse de frapper Wallace). Laissez-nous. (Il s'approche de Wallace, essuie le sang sur son visage avec un mouchoir) Tu as mal. Hé, oui ! Mais la torture est parfois nécessaire, Wallace. Elle exalte le moral des soldats en guerre. Je parle bien sûr de la torture des autres. Vois-tu, tu t'es fait repérer justement à cause de ton langage : la culture laisse chez nous des traces indélébiles.
WALLACE : Oui, je sais. Je ne comprends pas comment un homme comme toi a pu devenir...
FLETCHER : Moi, ce que je n'arrive pas à comprendre, c'est l'inverse. Comment un homme comme moi a-t-il bien pu rester dans l'ombre si longtemps entre les comparses avant découvrir la puissance qui était en lui. Parce que, te rends-tu compte de ce que peut faire un homme intelligent dans un pays comme celui-ci, où les hommes les plus frustes et les plus ignorants ont pu s'imposer et réussir.
WALLACE : Je me rends compte mais toi, tu ne sembles pas avoir conscience de ce que tu es. Tu te crois fort, mais tu es un faible en réalité. Quand tu étais à Boston, tu étais un civilisé parmi les autres civilisés. Ici tu es un violent parmi les violents. Tu te laisses influencer par le milieu où tu vis, comme un caméléon.
FLETCHER : Tu n'as pas su profiter à fond des leçons que tu as reçues, Wallace. Tu n'as rien compris à ce qu'est la violence. Un violent, quand il est seul, s'appelle un hors-la-loi. Quand il y en a cent, c'est une bande. Quand ils sont cent mille, c'est une armée. C'est pas plus compliqué. Il suffit de franchir les limites de la violence individuelle qui est criminelle pour atteindre la violence de masse qui fait l'histoire. Vois-tu, Wallace, ça m'a fait plaisir pour une fois de discuter avec quelqu'un capable de me comprendre. Ceux-là ne comprennent que les choses les plus élémentaires. Pour ces gens, par exemple, un espion doit être puni. (il se retourne et demande une arme). La raison d'État, Wallace ! Toi qui as étudié, tu sais pourquoi j'agis de la sorte, sans haine et avec commisération (il lui tire un coup de pistolet dans la nuque). ».
- Le discours d’il Dottore (Gian Maria Volontè) au moment de sa prise de fonction à la tête de la section politique de la police dans Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon), Elio Petri, 1970 - IC.
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Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (Indagine su un cittadino al di sopra di ogni sospetto), Elio Petri, 1970 (trailer du film, à défaut d'avoir la scène du discours).
Le chef de la section criminelle de la police (Gian Maria Volontè) assassine sa maîtresse et, assuré de son insoupçonnabilité du fait de sa position, sème volontairement des indices le compromettant. Le discours de référence est celui qu'il tient aux policiers de son service au moment de sa prise de fonction à la tête de la Sûreté de l'État.
« Entre les délits de droit commun et les délits politiques, les différences de nos jours, s'amenuisent au point de disparaître [...].
Tout criminel est un agitateur en puissance. Tout agitateur est un criminel en puissance.
Dans notre ville, subversion et crime ont déjà tendu des fils invisibles qu'il nous appartient de trancher. Quelle différence y a-t-il entre des pilleurs de banques et la subversion organisée, institutionnalisée, légale ? Aucune. Les deux ont le même objectif, avec des moyens différents : la destruction de l'ordre établi.
Six mille prostituées fichées, grèves et occupations d'édifices en augmentation de 20 %, deux mille maisons de passe dénombrées. En un an, trente attentats contre des biens de l'État. Deux cents viols. Marche de protestation de 50 000 élèves du secondaire. Attaques de banques en augmentation de 30 %. 10 000 agitateurs de plus. 6 000 homosexuels fichés. Plus de soixante-dix groupes subversifs agissant hors de la légalité. Banqueroutes frauduleuses en augmentation de 50 %. Un nombre indescriptible de revues politiques incitant à la révolte.
L'abus de la liberté menace le pouvoir traditionnel et les autorités constituées. Il tend à faire de chaque citoyen un juge et nous empêche d'exercer librement nos fonctions sacrées. Nous sommes les protecteurs de la loi que nous voulons immuable, sculptée dans l'éternité. Le peuple est mineur, la ville est malade.
A d'autres la tâche de guérir et d'éduquer. A nous le devoir de réprimer ! La répression est notre vaccin ! La répression est la civilisation ! ».
- Le discours du député Giuseppe Tritoni (Ugo Tognazzi) dans le camp d’entraînement de la jeunesse fasciste dans Vogliamo i Colonnelli (Nous voulons les Colonels), Mario Monicelli, 1973 – VC.
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Vogliamo i Colonnelli (Nous voulons les Colonels), Mario Monicelli, 1973. Un député de droite organise un coup d'État s'entourant de néo-fascistes et de nostalgiques du régime fasciste. Si sa tentative échoue, le ministre de l'Intérieur en profite pour imposer un pouvoir autoritaire et peut-être un changement de régime. Voici le bref discours du député prononcé dans un camp de jeunesse néo-fasciste.
Beppe TRITONI [venant de faire entendre un extrait du discours de Mussolini suite à la déclaration de guerre à la France et à la Grande-Bretagne] :
« Vous avez entendu, d'une voix plus belle que la mienne, ce que la patrie attend de vous. D'ici peu, camarades, on vous confiera les brides du pays. Je dis « brides » parce que ce pays a besoin de brides, du mors et de la cravache [acclamations]. Ordre, obéissance, discipline. Ça suffit, l'égalité ! Ça veut dire quoi ? Pourquoi un ingénieur devrait être l'égal d'un maçon ? Seules les couilles sont égales l'une à l'autre ! [rires] Si c'est ça la démocratie, vous savez ce que je vous dis ? Mousquetaires, aux armes ! Artilleurs, allumez la mèche ! Ingénieurs, sabotez les lignes ! Caïmans, le poignard aux dents ! Détruisons cette démocratie ! Ecrasons ce monstre infâme ! Vive l'obéissance ! Vive le commandement ! ». - Le discours du Président de la Cour suprême Riches (Max von Sydow) dans Cadaveri eccellenti (Cadavres exquis), Francesco Rosi, 1976 - CE.
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Cadaveri eccellenti (Cadavres exquis), Francesco Rosi, 1976 (Bref extrait - final de la scène).
Suite à l'assassinat d'un Procureur, l'inspecteur Rogas (Lino Ventura) mène l'enquête. Deux autres magistrats sont assassinés. Le policier croit d'abord à la culpabilité d'un pharmacien, Cres, jugé coupable d'avoir tenté de tuer son épouse, mais qui, innocent, se vengerait des juges impliqués dans sa condamnation, et il suppose une vengeance contre le système judiciaire. Plus tard, l'enquête dévoilera l'existence d'un complot visant la prise du pouvoir. Le discours étudié se situe au moment où Rogas décide d'avertir le Président de la Cour suprême Riches (Max Von Sydow), lequel est tué à son tour.
[Plan sur le bureau de Riches. Le magistrat est assis à son bureau, dans le fond de sa bibliothèque. Entrée de Rogas. Le magistrat se lève et invite l'inspecteur à s'asseoir]
« RICHES : S'il vous plaît. [Rogas prend place devant le bureau] Ainsi, vous croyez qu'on va me tuer.
ROGAS : Oui. Je crois qu'on va essayer.
RICHES : Les groupuscules ou cet individu ?
ROGAS : Cet individu. Cres.
RICHES : Ah, oui ! Le pharmacien qui avait tenté de tuer sa femme... Son plan était ingénu. On l'a condamné à combien ?
ROGAS : Cinq ans en première instance, confirmés par vous en appel.
RICHES : Pas par moi.
ROGAS : Mes excuses. Je voulais dire par la Cour que vous présidiez.
RICHES : Et donc ?
ROGAS : Il était innocent.
RICHES : Vraiment ?
ROGAS : Je crois que oui.
[Le Président se lève, fait le tour bureau et se place debout devant l'inspecteur]
RICHES : Il était innocent... ou vous croyez qu'il était innocent ?
ROGAS : Je crois qu'il était innocent. Je ne peux pas en être sûr.
RICHES : Ah... [Il passe derrière le fauteuil de l'inspecteur] Vous ne pouvez en être sûr, alors.
ROGAS : Oui. J'ai un doute. Il a pu s'agir d'une erreur. D'une erreur judiciaire.
[Riches s'éloigne, va jusqu'à sa bibliothèque, prend un livre et se retourne vers Rogas]
RICHES : L'erreur judiciaire n'existe pas. Vous êtes catholique pratiquant ?
ROGAS : Pratiquant, non...
RICHES : Mais catholique ? Certainement. Catholique comme tout le monde. Et comme tout le monde, vous allez de temps en temps à la messe. Avez-vous déjà songé au problème du pain et du vin qui deviennent le corps, le sang et l'âme du Christ ? Chaque fois – je dis : chaque fois – que le prêtre mange ce pain et boit ce vin, le mystère s'accomplit.
[Riches se rapproche] Jamais – je dis : jamais – le mystère ne manque de s'accomplir. Le prêtre peut en être indigne, par ses actes ou ses pensées, mais le seul fait qu'il ait été ordonné prêtre permet qu'à chaque célébration de la messe, le mystère se réalise. [Riches s'assoit en face de Rogas] Quand le juge célèbre la loi, c'est exactement comme quand le prêtre célèbre la messe. Le juge peut douter, s'interroger, être en proie au tournent, mais au moment où il prononce la sentence, c'est fini. À ce moment, la justice s'est accomplie.
ROGAS : Toujours ? Il y a un prêtre qui, en rompant l'hostie, s'est retrouvé avec du sang sur lui.
RICHES : C'est parce qu'il doutait. À moi, ça ne m'est jamais arrivé. Aucune sentence n'a jamais ensanglanté mes mains. Aucune condamnation n'a taché ma toge.
ROGAS : Certes. C'est toujours une question de foi.
RICHES : Nous ne nous sommes pas compris. Je ne suis pas catholique. Et naturellement, je ne suis pas chrétien. Pourtant, je n'ai jamais eu ce type de faiblesse. Je n'ai jamais cru à Voltaire, à son Traité sur la tolérance. C'est lui qui a commencé avec l'histoire de l'erreur judiciaire. La vertu, la pitié, l'innocent tombé, victime de l'erreur. Quelle erreur ? [Riches se lève et jette le livre sur le fauteuil. Il commence à faire des allers-retours dans la pièce] Le juge qui, par une sentence, peut tuer impunément ! Et Voltaire a semé le doute sur la justice. Mais gare quand la religion commence à tenir compte des doutes ! C'est qu'elle est déjà morte ! On en arrive ainsi à Bertrand Russell, à Sartre, Marcuse et à tous les délires des jeunes d'aujourd'hui !
ROGAS : Alors, tout ça est la faute à Voltaire ?
RICHES : Oui. Mais Voltaire avait une excuse : de son temps, on ne se rendait pas pleinement compte du danger de telles idées. Aujourd'hui, avec l'avènement des masses, le danger est devenu mortel. Si l'on continue ainsi, la seule forme de justice sera celle que les militaires en temps de guerre nommaient décimation. Tuer pour punition un soldat sur dix. L'individu n'existe plus ! La responsabilité individuelle n'existe plus ! Votre métier, mon cher ami, est devenu ridicule. C'était bien en temps de paix, mais aujourd'hui, nous sommes en guerre ! Vols, séquestrations, meurtres, sabotages... C'est la guerre ! Et comme en temps de guerre, la riposte est : décimation ! Un, deux trois, quatre, cinq : dehors ! Un, deux, trois, quatre, cinq : dehors ! Un, deux, trois, quatre, cinq : Cres, condamné !
ROGAS : Cres circule avec un calibre 22 et il garde une balle pour vous... ».
[Plan sur le visage hébété du Président]
- Les propos tenus par don Luigino Magalone, le Podestà (Paolo Bonacelli) à Carlo Levi (Gian Maria Volontè) dans Cristo si è fermato a Eboli (Le Christ s'est arrêté à Eboli), Francesco Rosi, 1979 - CF.
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Cristo si è fermato a Eboli (Le Christ s'est arrêté à Eboli), Francesco Rosi, 1979. Médecin, peintre et écrivain turinois, Carlo Levi (Gian Maria Volontè) participe au mouvement antifasciste Giustizia e Libertà, dont il devient l'un des dirigeants. Arrêté le 15 mai 1935, il est incarcéré à la prison de Regina Coeli (Rome), puis confinato (assigné) jusqu'au 26 mai 1936, dans le sud de l'Italie, à Grassano puis à Aliano, commune de la province de Matera, dans la région de Basilicate. Dans l'entretien auquel le Podestà (Paolo Bonacelli) a convoqué Levi, est en cause une lettre de celui-ci à sa sœur.
[Les deux hommes sont assis de part et d'autre du bureau du Podestà]
« PODESTA : Vous rendez-vous compte que, étant en guerre, ce ne sont pas les idées qui comptent mais la Patrie ? Vous aussi êtes pour l'Italie ?
LEVI : Oui.
PODESTA : Je suis sûr qu'on vous a envoyé ici par erreur. Mussolini ne peut tout savoir. Il y a des gens qui pensent bien faire mais commettent des injustices. Et en ville, on a parfois des ennemis.
LEVI : Nous parlions de la lettre...
PODESTA : Oui, la lettre !
LEVI : Vous trouvez que, dans ma lettre, je ne suis pas pour l'Italie ?
PODESTA : Que me faites-vous dire, don Carlo ! Penser ça de vous ? Mais d'autres pourraient le penser. Chaque jour partent des villages de Lucanie des lettres anonymes à la Préfecture. Elle n'en est pas fâchée, du reste. Je vous l'ai dit, ici, il y a des méchantes gens et certaines affirmations...
LEVI : Par exemple ?
PODESTA : Par exemple : « Pas un paysan n'est inscrit à un parti politique ». Il ne manquerait que ça ! « Ils ne sont pas fascistes, comme ils ne seraient d'aucun autre parti politique qui pourrait d'aventure exister ». Ceci n'atténue pas la gravité de votre affirmation, au contraire. Vous ajoutez : « Qu'ont-ils à voir avec le gouvernement, le pouvoir, l'État ? L'État, quel qu'il soit, ce sont ceux de Rome. Ça l'a toujours été et le sera toujours, comme la grêle, les éboulements, la sécheresse, la malaria ». L'allusion est un peu lourde. N'oublions pas qu'à Rome, il y a le Duce ! « Pour les paysans, l'État est plus lointain que le ciel et plus mauvais car il est toujours de l'autre côté. L'État est l'une des formes du destin, comme le vent qui brûle les récoltes et la fièvre qui ronge le sang ». C'est bien écrit, je ne dis pas... Mais, vous les trouvez belles, ces comparaisons ? Et qui sont ceux de Rome ? Pourquoi donner tant d'importance aux paysans ? Ne vous fiez pas à leurs bavardages. Ils sont superstitieux, ignorants, et plus on leur en donne, plus ils sont ingrats ! Restez avec les gens de votre classe. L'État, c'est nous, non ? C'est médire de vous-même !
LEVI : Sur ce point, je ne puis vous donner tort.
PODESTA : Oh, vous le reconnaissez.
LEVI : Oui, oui. Les jeunesses fascistes, les écoliers, instituteurs, institutrices... Que sais-je, veuves de guerre, dames de la Croix-Rouge, mamans, boutiquiers, journalistes, policiers, employés des ministères de Rome... Bref, ce qu'on appelle le peuple italien, tous vous donneraient raison.
PODESTA : Mais nous faisons cette guerre aussi pour vos paysans. Je l'ai dit l'autre jour sur la place. Pour eux, ici, il y a peu de terres, on leur en trouve en Afrique. L'espace vital, c'est surtout pour eux que nous le voulons.
LEVI : Vous dites bien « vital » car ils n'arrivent plus à vivre. Je le constate chaque jour.
PODESTA : Oui, mais ce sont les gentilshommes qui partent, volontaires, leur conquérir la terre. Un seul a demandé à y aller. J'y serais parti aussi [il se lève] mais, vous le savez, je n'ai pas de santé. Et si j'étais parti, qui serait resté pour maintenir l'ordre et faire la propagande ?
[le Podestà va à la fenêtre et sur le balcon, puis montre à Levi la plaque sur le mur de l'église avec les noms des morts de la Grande guerre]
PODESTA : Pas une famille qui n'ait eu un mort. Sans compter les blessés et les malades [Levi regarde sa montre pendant qu'il a le dos tourné]. Mais vous, qu'écrivez-vous ? « La Grande Guerre n'intéresse pas les paysans. Pourquoi personne n'en parle jamais, ne raconte les batailles, ne montre les blessures, ne vante les histoires, comme dans le Nord » ? [il invite Levi à s'asseoir sur le canapé]. « Même la Grande Guerre a été un malheur supporté comme les autres. Elle était aussi une guerre de Rome ». Vous en voulez vraiment à Rome ! [le Podestà s'assoit à côté de Levi] Vous rendez-vous compte du danger d'écrire cette phrase : « Aujourd'hui ils meurent en Abyssinie, comme hier sur l'Isonzo et la Piave, pour l'histoire d'autrui qui ne les regarde pas ? » ».
La transcription des discours et propos ci-dessus est donnée en annexe, avec une brève contextualisation. Les analyses qui suivent supposent, comme prérequis, d’avoir pris connaissance des discours. Mieux encore, bien sûr, voir vu les films…
Quelques commentaires et précisions sont nécessaires.
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Les « années de plomb ».
Cette expression, qui vient du titre d’un film de Margarethe Von Trotta (Die Bleierne Zeit, 1981), désigne une période de violence politique en Italie. Symboliquement délimitées entre les attentats de la Piazza Fontana (Milan) en 1969 et de la gare de Bologne en 1980, ces années trouvent racine dans des contestations antérieures (grèves, manifestations étudiantes) et se prolongent par quelques autres actions violentes. L’hégémonie de la Démocratie chrétienne, au pouvoir depuis la fin du fascisme ainsi que le dédain des revendications sociales politiques qui s’étaient manifestées, créait véritablement une chape de plomb sur le paysage politique italien. En outre, le « compromis historique », c’est-à-dire le pacte entre Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne (enlevé puis assassiné en mai 1978), et Enrico Berlinguer, secrétaire général du Parti communiste italien, s’est fondé pour le PCI sur l’abandon d’une perspective révolutionnaire, considéré par certains comme une trahison. Une partie de l'extrême gauche s’est alors engagée dans la lutte armée (Brigate Rosse, Prima Linea…), en même temps que de nombreux attentats ont été organisés par l'extrême droite et les services secrets (réseau Gladio, implication de l’OTAN) - il y eut plusieurs centaines d’attentats et plus de trois cents morts. L’activisme d’extrême droite consistait à mettre en œuvre la « stratégie de la tension », c’est-à-dire à provoquer une déstabilisation susceptible d’engendrer un coup d’État d’extrême droite.
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Le corpus.
Les films choisis s’étalent de 1967 à 1979. La période va ainsi du début des mouvements dans les universités, au cours du Maggio striscante prémices à une contestation plus générale qui aboutit deux ans plus tard à l’Automno caldo avec des affrontements violents, au changement de doctrine du PCI qui provoque la chute du gouvernement Andreotti et s’allie avec le parti socialiste contre la Démocratie chrétienne, ainsi qu’à l’intensification de la lutte contre les mouvements terroristes et à la formation du gouvernement Cossiga qui sera à l’origine d’une législation plus répressive. Les films sont aussi sélectionnés pour leur diversité. L’un d’entre eux pointe le fascisme historiquement (FF) mais il est significatif que le réalisateur ait souhaité inscrire cette thématique au sein d’une période de menace latente de résurgence fasciste, trois d’entre eux visent directement la période considérée en évoquant les risques de coups d’État (CE, VC) et en dressant le portrait d’une figure monstrueuse de l’ordre et de la répression (IC) et le cinquième (FF) assure la présence du cinéma « de genre » - ici le western – pour rappeler que le cinéma populaire (giallo, poliziottesco…) n’est pas sourd aux problèmes politiques de la période où il se développe.
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Le fascisme.
Avec le Ventennio – on désigne ainsi la vingtaine d’années entre la marche sur Rome (1922) et la fin du régime (1943) – l’Italie possède le fascisme en héritage. Dans la période des années de plomb, celui-ci demeure présent dans la nostalgie de certains et l’apparition d'idéologies d’extrême droite et réactionnaires, toujours prêtes à soutenir des tentatives de prise de pouvoir, voire à fomenter des attentats. D’ailleurs (et en sens inverse), l’antifascisme et la Résistance constituaient des références pour les groupuscules terroristes de la gauche extraparlementaire. C’est ce fascisme-là qui transparaît dans les films étudiés. En revanche, il ne sera pas question ici de ce que Pasolini désignait comme nouveau fascisme avec la coercition sur les corps, la langue, les traditions, etc., considérant diverses sortes d’aliénations imputables au consumérisme, au néo-capitalisme au comportement de la petite bourgeoisie… Ceci constituerait un autre champ d’études.
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L’axe de la leçon.
L’objectif de cette leçon est circonscrit à l’analyse des discours. Il faudrait prolonger par une analyse filmique (découpage, plans, photographie, cadre, mouvements de caméra, bande-son, etc.), en les rapportant bien sûr au contenu des discours, et que seules des études particulières à chaque film et à chaque séquence pourrait permettre.
On sait que l’idéal démocratique de gouvernement se résout en des systèmes représentatifs dans lesquels, au mieux, une plus ou moins grande diversité des instances décisionnelles tempère l’arbitraire des gouvernants. Nous verrons dans ces films apparaître une pathologie au sein de l’appareil démocratique.