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Représentation cinématographique des procès politiques


Introduction


Le mot même de procès politique renvoie bien évidemment à une tradition que l’on peut penser éloignée de la justice. L’image, parfois authentique, parfois fantasmée, de la justice aveugle pesant avec objectivité le pour et le contre de ses décisions est sans doute illusoire dans bien des cas, mais le mythe même ainsi représenté demeure, pour le meilleur ou le pire, le fondement de notre vision d’une cour et d’un procès, la base morale sur laquelle tout est censé, normalement, se jouer.

L’ajout du mot politique est bien évidemment capital car il crée une contradiction qui met à bas ce fondement, ou cette illusion si l’on prend un point de vue plus cynique.

Df.Un procès politique est, par définition, une opération dénuée d’objectivité, d’équilibre, nécessairement biaisée par des critères idéologiques. Techniquement, un procès politique peut être décrit comme un procès vidé du concept de justice même, ce qui rend son existence, et sa représentation cinématographique, fascinante.

Car que reste-t-il quand le principal, la nature même de ce qui devrait être représenté (la loi, l’indépendance, l’impartialité) n’est même plus envisagé ? Il reste des corps, des gestes, les rites de la cour, les formes de la loi, l’enveloppe vidée donc de son contenu.

C’est cette théâtralisation de gestes devenus essentiels, car vidés de tout le reste, que nous allons ici tenter de décrire, en voyant comment les films qui ont évoqué les procès politiques ont, précisément, exposé une forme d’exaltation scrupuleuse des apparences de la justice, comme si c’était un moyen de la faire surgir là où elle ne pouvait exister.

C’est ce système que nous nous proposons ici de décrire, à travers un ensemble de films fort disparates, que ce soit par leurs nationalités (France, États-Unis, Afrique, Italie, Allemagne), l’époque de leur tournage, ou même leurs orientations idéologiques.

Rq.Tous ont néanmoins un point commun : ils ont voulu filmer la loi sans justice, et ont souvent fait surgir des similitudes plus troublantes encore par leur disparité.

Section 1. Le procès politique, nécessairement historique



Si l’on veut tenter d’isoler un point commun à tous les longs métrages ayant placé en leur centre un procès politique, il n’est guère difficile à repérer. Toutes ces œuvres sont presque toutes liées à une démarche historique.

Ex.La question de l’esclavage dans Amistad (1997), du conflit irlandais dans Au Nom du père (In the Name of the Father, Jim Sheridan, 1993), celle de l’héritage de la Deuxième Guerre Mondiale dans Jugement à Nuremberg (Judgment at Nuremberg, Stanley Kramer, 1963) ou Section spéciale (Constatin Costa-Gavras, 1975) : tous témoignent d’une volonté d’utiliser le thème, ou le schéma, du procès politique, pour évoquer les spécificités d’une période historique précise.

Ex.Le cas le plus clair, l’exemple le plus éclatant de ce procédé, est très probablement L’Aveu (1970), tourné par Constantin Costa-Gavras avec Yves Montand dans le rôle principal d’après le roman d’Arthur London, lui-même fortement inspiré par le procès Rudolf Slánský de 1952.
London et Costa Gavras reprennent les lignes principales de cette célèbre affaire, tout en retirant plusieurs aspects, notamment l’antisémitisme notoire des accusations. Mais le réalisateur a d’autres objectifs en tête, liés avant tout à la critique d’une époque et d’un système précis, en l’occurrence le stalinisme.

Une scène résume clairement son propos. Elle montre le personnage principal, Arthur Ludvik, marcher en rond dans sa cellule sans possibilité de s’arrêter. Dès qu’il semble ralentir, un soldat ouvre brusquement la porte et force le prisonnier à continuer sa ronde naturellement insoutenable, créant ainsi une forme de torture mentale et physique par l’épuisement.

Or, au moment où un des geôliers pousse et agresse le malheureux, un gros plan sur le chapeau de l’agresseur met en avant les symboles de la Russie communiste. Subitement, une suite d’images d’archives se succède en un montage rapide, faisant apparaître en un flash le passé presque entier de l’URSS, Lénine en tête. Cet effet de montage est révélateur d’une intention globale. Costa-Gavras veut bien entendu resituer le sort de son héros, de son procès, dans l’histoire de l’URSS, ses triomphes autant que ses traumatismes.
Yves Montand dans L’Aveu (Costa-Gavras, 1970)


Par sa nature politique, les accusations portées contre le personnage permettent au cinéaste de poser la mise en accusation globale d'un système. La critique de la justice est ici la critique d'une dérive idéologique entière (celle du stalinisme, évidemment).

Une des victimes évidentes de cette approche, du moins en termes de cinéma, voire de narration, est la caractérisation des héros, souvent tirés du réel, de ces terribles histoires.

Le protagoniste de L'Aveu n'est presque défini que par deux traits de caractère :
  • sa fidélité totale au parti,
  • puis les souffrances qu'il endure tout au long du récit.
Ce deuxième point étant évidemment davantage un événement, infligé au protagoniste, qu'une caractérisation au sens propre, il est même possible d'affirmer que le communisme sincère du personnage est le seul trait qu'il nous est permis d'apercevoir.

Rq.La prestation d'Yves Montand est légendaire à cet égard, dans son investissement physique profond (il a perdu de nombreux kilos pour le rôle), investissement qui traduit a contrario la nature dudit rôle. L'acteur a perdu du poids et a accepté une forme de souffrance pour son interprétation, précisément car cette souffrance est le seul horizon pour sa prestation. Ludvik n'est que douleur et est ainsi uniquement pensé, défini, présenté au spectateur, sous l'angle de l'injustice qu'il subit.

Ex.Le film Au Nom du père de Jim Sheridan présente une approche relativement similaire. Inspiré de faits réels fameux, le récit se concentre sur Gerry Conlon, un jeune homme emprisonné, dans les années 1970, pour des attentats de l'IRA, avec lesquels il n'avait rien à voir. La justice expéditive du temps des « troubles » (désignant la période violente du conflit irlandais qui s'est arrêté à la fin des années 1990), est épinglée dans toute sa folie.
Au milieu de cela, Conlon, interprété par Daniel Day Lewis, est un bloc de souffrance et de colère. Il est également une forme d'énigme.
Tous traits distinctifs, toute forme de passion, ont disparu dans la description de ce personnage qui n'existe que pour, et à travers, l'injustice et la souffrance qu'il a endurées.


Rq.Il semble que cette injustice fait disparaître les protagonistes qui y font face. Sa violence efface littéralement, dans les films cités, les personnalités, pour prendre uniquement, obsessionnellement, la forme du châtiment et des épreuves crées par le procès faussé dont ils ont été la victime.

Cette opération peut ainsi, bien naturellement, créer des situations où la source historique et la personnalité véritable ayant inspiré le protagoniste s'éloignent à toute vitesse du personnage du récit.

Plusieurs critiques et historiens ont pu à ce titre critiquer Amistad réalisé par Spielberg. Le protagoniste central, Joseph Cinqué, interprété par Djimoun Hounsom, est dépeint sous des traits presque christiques, liés au martyre de sa séparation avec sa famille par un enlèvement violent. C'est cet enlèvement et, à travers lui, l'esclavage, qui se retrouve en procès lorsque la mutinerie dirigée en 1839 par Cinqué, sur le bateau esclavagiste le transportant, est jugée par le système américain.

Très rapidement, la réalité des faits, la défense de l'avocat incarné par Matthew, disparaît derrière une politisation totale des faits, une instrumentalisation absolue de la procédure. La démarche devient totale lorsqu'un ancien Président en personne, John Quincy Adams, est appelé pour défendre le cas. Sa plaidoirie achève la transformation des protagonistes, et de l'affaire, en un simple prétexte pour une problématique bien plus large. 

Rq.C'est alors qu'apparaît l'aspect peut-être le plus permanent de tous les procès politiques au cinéma : l'extrême théâtralisation. Le geste est ici spectaculaire.

Adams participe en effet finalement au procès et, évoquant la reine d'Espagne et son mécontentement devant les procédures américaines (mécontentement né de l'indépendance de la justice, alors effectivement inconnue en Espagne), il suggère de la prendre au mot et, tout en faisant face aux jurés, il déchire de façon dramatique une feuille de papier, en suggérant que cette feuille pourrait être la constitution des États-Unis d'Amérique.
 
Rq.Nous entrons ici dans une autre dimension. Celle de la justice spectacle peut-être. Mais surtout celle de la loi, ses procédés, ses coutumes, transformée en un rite symbolique fort, censé enterrer de fait tous les arguments légitimes ou bureaucratiques.



Anthony Hopkins dans Amistad (Spielberg, 1997)


Cette ritualisation théâtralisée n'est pas si étonnante si l'on considère ce que nous avions déjà remarqué à propos des protagonistes des films cités, protagonistes vidés de substance, voire de personnalité, volontairement réduits à leur cause.

Rq.L'idéologisation des procès s'apparente en effet à une sorte de destruction par le vide. Les symboles, et le spectacle pouvant en découler, vont recouvrir tous les enjeux et procédés réguliers de la justice en soi.

Si l'on prend un peu de recul, il semble évident que, par la définition même de leur appellation, les procès politiques sont liés à l'idéologie.

Mais, dans un retournement qui témoigne d'une logique étrange mais valide, les films les dépeignant témoignent au contraire, la plupart du temps, d'un schéma inverse : le fonctionnement de la justice y est tellement biaisé, tellement contourné, que toute vraie réflexion idéologique est évacuée derrière l'efficacité (parfois douteuse) du système.

Ex.Dans Section spéciale, réalisé par Costa-Gavras en 1973, le fonctionnement partiel et hautement subjectif de la machine judiciaire est ainsi perçu dans sa totale vacuité. Le procès même n'a ici qu'une fonction administrative. Il n'est conçu que pour donner un vernis légal à l'exécution politique de prisonniers, exigée par le régime nazi après l'assassinat en pleine rue, en 1941, d'un officier allemand.

Se met en place une invraisemblable comédie de l'absurde où les instances de Vichy montent de toutes pièces un faux système judiciaire, uniquement destiné à sauver l'honneur et à faire croire que les exécutions procèdent de leur système, et non des ordres allemands.

La logique est claire, dans son illogisme. Il s'agit ici de faire un procès à l'issue écrite d'avance.

L'absurdité de la démarche et son mépris des formes les plus élémentaires de la justice créent plusieurs refus de pétainistes pourtant convaincus, mais qui ne peuvent se résoudre à ce travestissement total de la notion même de loi. Ce qui se déroule ensuite est une sorte d'opération de nettoyage par le vide. Les politiques font en effet défiler dans leurs bureaux plusieurs juges potentiels. Certains, pourtant collaborateurs convaincus, sont profondément choqués par la proposition, manifestent leur désapprobation par de vrais arguments juridiques, avant de refuser finalement d'y participer.

Parmi eux, un seul acceptera d'être juré, devenant ainsi la voix de la conscience (ou de la légalité) dans les débats. Sa position sera claire : il soulignera en permanence l'aspect dramatique de la situation, aspect qui possède également une forme absurde.

Tout le procès décrit dans le film est en effet une mécanique totalement vidée de sens. Les gestes sont accomplis, les accusés défilent, les plaidoiries sont faites, mais dans un cadre bien entendu déjà fixé (l'issue du procès est décidée), et donc totalement dénuée d'enjeu.

Quelques accusés, dont le journaliste interprété par Bruno Crémer, remarquent totalement ce fait, et comprennent que le procès n'a aucun sens, aucune réalité. Il est la justice réduite à l'os, à des rites qui remplacent bel et bien la notion même de justice.
la loi transformée en spectacle dans Section spéciale (Costa-Gavras, 1975)

Section 2. Le spectacle derrière la loi

 

Bien entendu, cela ne signifie pas que lesdits procès sont dénués d'enjeux, ou même de coups de théâtre.

Ex.Ainsi, dans l'adaptation du roman de John Le Carre, L'Espion qui venait du froid (The Spy who came in from the cold, Martin Ritt, 1965), la partie directement liée à l'organisation d'un procès se construit sur un modèle plus proche de la partie d'échecs que du processus légal, avec presque autant d'effets de manches et de stratégie.

Le concept de procès politique y est respecté sans le souci légal des apparences de Section spéciale, puisqu'il s'agit ici bien d'une mise en accusation idéologique, doublée par celle d'une trahison effective du pays et de la cause de l'Union Soviétique.

Une cour est ici rapidement constituée à la demande d'un agent du KGB, Fiedler, désireux de prouver grâce à l'aide d'un nouveau transfuge anglais (le protagoniste éponyme, l'espion venant du froid), que son supérieur, Mundt, est en fait un agent double à la solde du Royaume Uni.

Ce que Fiedler ignore, c'est que son indicateur anglais, Leamas, est en fait mandaté par ses chefs pour mener une opération d'élimination, par le discrédit de la trahison, contre Mundt. Ce que Leamas ignore est le fait que Mundt est en fait bel et bien un agent double au service de l'Angleterre, et que la vraie cible n'est pas lui mais Fiedler.

Le brutal retournement de situation ainsi crée surgit à la fin de l'intrigue, lorsque Leamas comprend enfin la manœuvre et réalise qu'il a été un pion savamment utilisé dans une opération destinée à discréditer, voire liquider, Fiedler. Cette idée de manipulation est capitale, car elle révèle effectivement un schéma global posé, préparé et planifié à l'avance.

Le procès éclair organisé par Fiedler pour attaquer Mundt n'était pas ce que son instigateur pensait, à savoir une procédure légale ayant pour but de démasquer un traître étatique et idéologique.

Rq.C'était une comédie, dont la spécificité résidait dans l'ignorance de ce fait de la plupart des participants. Les témoignages, les accusations, le déroulé : tout était pensé et prévu à l'avance pour laisser place à un coup de théâtre effectivement théâtral, donc mis en scène par ses concepteurs.

Si la conséquence de l'emprisonnement et de l'assassinat probable de Fielder est évidemment réelle, le procès qui l'a amenée était plus proche d'une création dramaturgique que d'une procédure de justice.


Sous cet angle, le rôle même des juges, avocats et procureurs devient essentiel et, potentiellement, différent de ce que l'on pourrait imaginer.

Ex.Dans Bamako, réalisé en 2006 par Abderrahmane Sissako, l'héroïne revient dans sa famille, après un mariage difficile, et découvre que la cour de sa maison a été transformée en Cour de Justice ou, au milieu des poules ainsi que des activités du quotidien, se montre un procès dont l'aspect bricolé contraste avec le sérieux absolu des plaidoiries, de leur contenu.

En effet, ce sont les institutions mêmes du capitalisme mondial (banque internationale, FMI) qui sont mises en procès au nom du continent africain.

Bien entendu, l'étrangeté même du contexte, du décor, dans lequel a lieu le procès, créé une ambiguïté permanente entre le processus légal et le « happening » théâtral, terme qui semble le plus apte à décrire l'étrange événement qui se déroule sous les yeux du spectateur et de la protagoniste.

Ex.Dans le film apparemment plus traditionnel Les Sept de Chicago, (The Trial of the Chicago seven, Aaron Sorkin, 2020), l'idée même de théâtralisation occupe une place centrale.

L'un des principaux enjeux du récit est en effet un débat entre deux des accusés, Tom Hayden et Abbie Hoffman.
  • Le premier est persuadé que le procès qu'ils vont subir est traditionnel, mû par une conception claire et légale de la procédure.
  • Le second est lui persuadé de sa nature profondément idéologique, politique.

Ce qui équivaut, dans sa vision, à un procès déjà joué puisque sa nature profonde ne peut se lire dans les subtilités juridiques d'une démarche qui n'est pas juridique. La conclusion et la solution, pour Hoffman, sont alors de traiter littéralement l'audience comme un « happening » théâtral ayant deux objectifs distincts et liés : souligner l'absurdité intrinsèque du processus, et faire circuler, à travers un art de la représentation, parfois spectaculaire, leurs propres idées et opinions politiques. Et, lorsque Hayden décide de laisser sa place de témoin, pour une intervention qui aurait nécessairement été sobre, à Hoffman, c'est la conception de ce dernier du procès, voire de la justice, qui est finalement adoptée par les sept de Chicago.
Sacha Baron Cohen dans Les Sept de Chicago (Sorkin, 2020)


Rq.La justice spectacle est donc parfaitement conjointe à la justice idéologique.

Ex.Un autre long métrage américain illustre cet aspect, Larry Flint (The People vs Larry Flint) réalisé en 1996 par Milos Forman. Basé, comme Les Sept de Chicago, sur une histoire vraie, le récit se concentre principalement sur les démêlés de Flint avec la justice et avec les tribunaux face aux multiples accusations d'obscénité qui lui sont lancées.

Là aussi, une tension centrale se dessine entre la conception théâtrale du procès envisagé par le flamboyant Flint, éditeur et créateur de Penthouse, et celle légaliste, voire pointilleuse, de son avocat. Ici, et contrairement au procès des sept de Chicago, l'avocat parvient à ses fins et remporte de manière traditionnelle, juridique, la bataille.

Mais cette victoire est étrangement presque escamotée par le film. Elle n'est montrée qu'à travers un coup de fil de l'avocat à son client, comme si le processus légal classique, même lorsqu'il s'impose ne valait pas le coup d'être pleinement filmé, regardé.

Que faut-il alors regarder ? Peut-être le geste du John Adams interprété par Hopkins dans Amistad, cette démonstration presque cabote où l'ancien président déchire la constitution devant le jury.

Rq.Ce que les personnages de Adams, Hoffman, Flint, ou les procureurs de Bamako comprennent peut-être est que, lorsque la justice devient idéologique, sa nature profonde, légale, égalitaire, devient une coquille vide. Et que, donc, nécessairement, seuls le spectacle, la théâtralisation mais surtout le symbole font alors sens.

La loi et son processus devenant de fait sans objet, le procès ne peut alors qu'être un lieu d'affrontements de ces symboles, chacun campe et représente ses penchants ou croyances, tel Hoffman transformant sciemment la cour de Chicago en lieu de performance, apte à diffuser son message, sa vision du monde.

Section 3. La justice métamorphosée en comédie de l'absurde



Mais si, pour citer Shakespeare, le monde est une scène, et le procès une pièce, la question de son registre se pose.

Ex.L'aveu appartenait ainsi clairement à la tragédie, montrant la destruction inexorable du protagoniste ainsi que l'éternel recommencement de la machine totalitaire.

Il faut néanmoins constater que les scènes de procès pures étaient de fait assez peu présentes, peu filmées. La justice truquée est au cœur du récit, mais la vision de cette justice demeure peu présente.

Ex.Section spéciale, mis en scène par le même réalisateur (Costa-Gavras), en revanche, contemple le processus de la loi, le déroulement du procès, avec la précision d'un horloger.

L'aveu semble se focaliser sur la tragédie humaine, Section Spéciale sur celle de la loi. Il n'y a d'ailleurs aucun personnage central dans le récit, pas de héros, pas de vilains non plus, aucune figure principale ne se dégage : l'observation du processus légal est le cœur du récit, les protagonistes apparaissent et disparaissent constamment car ils ne servent que de support au thème de la justice, ici biaisée et détournée.

Rq.Or que montre finalement le film ? Une suite de gestes, de paroles, d'actes qui se présentent presque comme des rites.

Des gestes ritualisés précisément parce qu'ils sont vidés de leur enjeu.

Ex.Dans Autopsie d'un meurtre, pour citer l'un des plus célèbres films de procès, les détails les plus absurdes du procès sont chargés d'une tension extrême liée à l'issue du procès mais également au duel féroce que se livrent les camps afin de définir et faire triompher leur version de l'affaire, leur vision de la réalité.

Ex.À l'inverse, toute l'intrigue de Section spéciale repose sur un procès à l'issue déjà déterminée, et une partie du récit est consacrée au recrutement de ceux prêts à jouer les gestes, les rites de la justice, vidés de débat ou même, pourrait-on dire, de suspense. Finalement, le spectacle ici donné est celui de la loi sans la justice.


Cette conclusion redéfinit forcément le rôle des avocats, des procureurs, de ceux qui sont censés représenter et appliquer le processus de la loi.

Ex.Nous avons déjà vu comment, dans Les Sept de Chicago, le personnage de Hoffman est l'incarnation même de cette question, du passage de la quête de vérité à celle d'une justice spectacle, non dénuée néanmoins de message idéologique.
Amistad souligne cette logique avec encore plus de clarté, lorsque l'avocat du récit, interprété par Matthew McConaughey, décide de faire appel à un ancien président, toujours actif en tant que politicien (Adams est alors membre du congrès, où il s'est fait élire après sa présidence) pour plaider l'affaire. Il reconnaît ainsi implicitement le rôle plus politique que légal de la stratégie de défense, rôle auquel Adams ajoute, comme nous l'avons déjà remarqué, une dimension symbolique et théâtrale assumée.

Quel rôle pour les avocats et procureurs, si ce n'est celui d'acteurs du spectacle que constitue le procès ?

Ex.À cet égard, Bamako interroge avec perfection cette notion, puisque tous les participants sont avant tout des comédiens de la représentation en décor naturel du procès au cœur du film.

Les enjeux ont beau être extrêmes et d'une importance presque démesurée, la mise en scène rappelle sans cesse, que ce soit par le décor, par les pérégrinations de la protagoniste, par des animaux du coin s'invitant de manière imprévue aux plaidoiries, l'aspect artificiel, la « performance » artistique, bien évidemment, que constitue ce procès.

Tous sont alors des participants de cette performance, des artistes conscients ou involontaires, rappelant la dimension presque carnavalesque du spectacle qu'ils livrent tous.
Bamako (Sissako, 2006)


Ex.Section spéciale reste le film le plus marquant, sous cet aspect, puisque tous les membres de la cour, de l'avocat au procureur en passant par les juges, ne font qu'exécuter une partition dont l'issue est écrite. Ils ne sont très littéralement que des interprètes sages d'un texte déjà finalisé, ne permettant au mieux que quelques légères improvisations.

Rq.Qu'est-ce que la loi sans la justice ? C'est finalement la question posée par les procès ici filmés, une forme de mise à nu du fonctionnement de la cour prenant ici place.

Ce que capte l’œil des cinéastes dans Section Spéciale, Les 7 de Chicago, Bamako , Larry Flint, ou L’Espion qui venait du froid, est une forme de réduction du procès, réduction à une suite de rituels, effectués par les acteurs du spectacle qu’est le procès.

À partir de là, deux options s’offrent au metteur en scène voire au spectateur.
Ex.
  • Dans Section Spéciale, ce qui apparaît est une sorte de comédie de l’absurde. Les gestes des juges, des avocats, des procureurs, sont si vidés de sens que la théâtralisation extrême de la procédure prend une coloration parfois forcément comique, face à des gestes, des paroles et des actions (tels que les plaidoiries des procureurs, identiques et déconnectées des cas présentés, du réel) parfaitement creux. Les gestes et les mots sont là, le sens derrière n’existe plus. Le procès apparaît donc sous une lumière brutale et cruelle, comme un jeu de masques, un kabuki exécuté par des participants. L’absurdité de la théâtralisation permanente des procès, présente dans tous les récits de ce genre (Vers sa destinée, Autopsie d’un meurtre) devient finalement grotesque.

  • L’autre solution, celle que l’on peut constater de la façon la plus évidente dans Les Sept de Chicago, est une utilisation de ce grotesque dénué de sens. Le personnage de Hoffman, prenant acte du manque de sens, prend pour lui-même, en l’exagérant, la théâtralisation presque bouffonne du spectacle pur du procès. Puisque tout ceci n’est qu’un jeu, autant pousser le jeu, vers la flamboyance, vers la comédie, vers l’absurde même. Le résultat est positif, pour Hoffman, sur les deux tableaux : il se fait remarquer et peut ainsi articuler son message, son idéologie, mais il explicite aussi, par son exemple propre, par son refus des codes, rituels de la cour, le vide total ayant enveloppé ces rites, devenus mécaniques.

Conclusion


Ce tour des représentations cinématographiques des procès politiques a donc permis de poser plusieurs éléments.

  • En premier lieu, la façon dont les protagonistes de ces procès sont souvent réduits à un rôle pur de victimes et de symboles, les privant de toute spécificité psychologique.
  • Ensuite, la manière dont l’idéologie vide le processus même de la justice, réduisant le procès en une suite de gestes privés de tout enjeu (privés de la loi en elle-même).
La justice devient alors un jeu d’ombre, une forme de kabuki où chacun exécute des figures obligées, programmées, démontrant la ritualisation excessive du procès cinématographique, ritualisation qui, dans un contexte moins politique, peut être porteuse de suspense et de questionnements.

Elle est ici bien entendu vide, et fait surgir sous une lumière crue la théâtralisation profonde du procès en soi, théâtralisation qui devient alors exagérée, démonstrative.

C’est le troisième point de la leçon : la transformation en spectacle du procès peut donner lieu à une pantomime pénible, absurde et même grotesque dans certains cas.

Mais elle peut aussi apparaître comme une possibilité, surtout pour ceux (avocats ou accusés) qui comprennent ce procédé, savent en saisir les opportunités et jouent donc le jeu du symbole, de la théâtralisation et de l’outrance.

Rq.Le spectacle n’est donc en réalité pas entièrement privé de sens, mais pour ceux qui comprennent sa nature, et acceptent d’en jouer.
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