9088
Inventaire des sources formelles
100


Les sources formelles du droit des étrangers sont nombreuses. Alors que ce droit a été relativement stable entre 1945 (ordonnance n° du 2 novembre 1945), pour le statut des étrangers, et 1952 pour le droit d'asile (création de l’OFPRA par la loi de 1952) et le début des années 1980, il va connaître avec sa politisation à la fin des années 1970 puis son européanisation, à partir des années 1985/1995, un phénomène d'emballement législatif et plus largement une profusion de textes de droit interne (Section 1) mais aussi au niveau international et européen (Section 2).

Section 1. Les sources internes


Ces sources internes sont composées de normes légales et réglementaires, souffrant d’une grande profusion et instabilité (§1), et de textes d’infra droit relevant du droit souple (§2).


Le droit interne des étrangers est dominé par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) . Dans le cadre d'une codification à « droit constant », ce code a repris en 2005 les textes qui régissaient l’immigration et l’asile, en particulier en absorbant l’ordonnance du 2 novembre 1945 et de la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile.

Cette codification s’imposait d’autant plus que ce droit était devenu illisible avec l’accumulation de réformes législatives depuis 1980, en moyenne une réforme tous les 2 ou 3 ans.

Tx. Liste des lois sur l'immigration et l'asile modifiant l'ordonnance de 1945 (1980-2003) :

1. Loi n° 80-9 du 10 janvier 1980 dite « Bonnet » relative à la prévention de l'immigration clandestine et portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 02 nov. 1945 [Droite] ;

2. Loi n° 81-973 du 29 octobre 1981 « Deferre » relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers France [Gauche] ;

3. Loi n° 84-622 du 17 juillet 1984 dite « Dufoix » relative « titre uniques de séjour et de travail » [Gauche] ;

4. Loi n° 86-1025 du 9 septembre 1986 dite « Pasqua 1 » relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France [Droite] ;

5 et 6. Lois n° 89-548 du 2 août 1989 dite « Joxe » relative aux conditions de séjour et d'entrée des étrangers en France et n° 90-34 du 10 janvier 1990 « Joxe 2 » modifiant l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France [Gauche] ;

7. Loi n° 92-190 du 26 février 1992 dite « Marchand » portant modification de l'ordonnance no 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée, relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France (application de Schengen) [Gauche]

8. Loi n° 92-625 du 6 juillet 1992 dite « Quilès » sur la zone d'attente des ports et des aéroports [Gauche] ;

9. Loi n° 93-1027 du 24 août 1993 dite « Pasqua 2 » relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France et loi n° du 30 décembre 1993 portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l'immigration [Droite] ;

10. Loi n° 97-396 du 24 avril 1997 dite « Debré » portant diverses dispositions relatives à l'immigration ;

11. Loi n° 98-349 dite « Chevènement » du 11 mai 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile [Gauche] ;

12. Loi n° du 26 novembre 2003 dite « Sarkozy 1 » relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité [Droite] ;

13. Loi n° du 10 décembre 2003 dite « De Villepin » modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile [Droite].

A cette dizaine de lois sur l'immigration et l'asile, on peut ajouter aussi deux importantes lois sur la nationalité (Loi "Méhaignerie"93-933 du 22 juillet 1993 réformant le droit de la nationalité (suite au débat sur la nationalité et le droit du sol ouvert par le Front National et la commission Marceau-Long) en 1986 et loi "Guigou" 98-170 du 16 mars 1998 relative à la nationalité (suite au rapport de la commission Weil)
Arte, Trente ans de lois sur immigration/asile/nationalité


Codifié par une ordonnance du 24 novembre 2004, le CESEDA 1 est entré en vigueur de manière progressive, le 1er mars 2005 pour la partie législative et le 15 novembre 2006, pour la partie réglementaire.

L’entrée en vigueur n’a pas eu pour effet de freiner cette inflation législative, accélérée par la nécessité de transposer les directives européennes (« paquet asile » de 2003- 2005 puis de 2013, directive « retour » de 2008, etc.).

Tx.Loi sur l'immigration & l'asile modifiant le CESEDA 1 (2005 - 2018) :

1. Loi n° du 24 juillet 2006 dite « Sarkozy 2 » relative à l'immigration et à l'intégration [Droite] ;

2. Loi n° du 20 novembre 2007 dite « Hortefeux » relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile [Droite] ;

3. Loi n° du 16 juin 2011 dite « Besson » relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité ;

4. Loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 dite « Valls » relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour irrégulier pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées ;

5. Loi n° du 29 juillet 2015 dite « Valls » relative à la réforme du droit d'asile [Gauche] ;

6. Loi n° du 7 mars 2016 dite « Valls / Cazeneuve » relative au droit des étrangers en France [Gauche] ;

7. Loi n° du 10 septembre 2018 dite « Collomb » pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie [Droite].


Arte, Trente ans de lois sur immigration/asile/nationalité : les 21 textes




Dans son avis sur le projet de loi « Collomb » en 2018 tout comme dans son avis sur le projet de loi « Darmanin » en 2023 (dont la première mouture a été abandonnée au moment de la réforme des retraites), le Conseil d'Etat a critiqué cet emballement législatif et l'absence d'évaluation sérieuse de l'efficacité des lois antérieures avant l'adoption d'une nouvelle réforme.

Tx. Avis du Conseil d'Etat, projet de loi pour une immigration maîtrisée et un droit d’asile effectif, 15 février 2018.

« 7. Quelques évolutions majeures, dont le Conseil d'État apprécie la pertinence, sont proposées par le projet de loi. Elles se résument pour l’essentiel au choix de privilégier la promptitude de la décision statuant sur la demande d’asile en premier lieu, à celui d'une répartition volontariste des demandeurs d'asile sur l'ensemble du territoire, pour améliorer l'efficacité de leur prise en charge, en deuxième lieu, et à plusieurs mesures visant à lutter contre l’immigration irrégulière, en rendant plus rapide et plus effective la mesure d’éloignement, en troisième lieu. L’essentiel des autres mesures est de nature technique, avec une portée relativement limitée. Si chacune d’entre elles est justifiée avec précision dans l’étude d’impact, celle-ci - et c’est la deuxième critique que l’on peut adresser à ce document - devrait poser plus clairement un diagnostic d'ensemble. Diagnostic d’autant plus nécessaire que, depuis 1980, 16 lois majeures sont venues modifier les conditions d’entrée et de séjour ou d’asile ; depuis la création du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) en 2005, le législateur est intervenu en moyenne tous les deux ans pour modifier les règles. Le projet de loi soumis à l'examen du Conseil d’État ne peut même pas s’appuyer sur une année entière d'exécution de certaines des mesures issues de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 qu’avait précédée la loi n° 2015‑925 du 29 juillet 2015, comme le reconnaît l'étude d'impact. S'emparer d'un sujet aussi complexe à d'aussi brefs intervalles rend la tâche des services chargés de leur exécution plus difficile, diminue sensiblement la lisibilité du dispositif et risque d’entraîner à son tour d’autres modifications législatives pour corriger l’impact de mesures qui, faute de temps, n’a pu être sérieusement évalué.

8. A cet égard, le Conseil d’État ne peut que regretter que le projet ne soit pas l’occasion d’une simplification drastique des dispositifs qui, au fil de la sédimentation des dispositions, se multiplient et se déclinent en variantes dont la portée, le régime ou les conditions diffèrent marginalement, sans que cette sophistication n’entraîne un surcroit d’efficacité. Pour s’en tenir au droit de l’éloignement, le CESEDA ne compte aujourd’hui pas moins de neuf catégories différentes de mesures d’éloignement, dont certaines se subdivisent elles-même en sous-catégories, régies par des règles différentes. Le même constat peut être fait pour les régimes d’assignation à résidence applicables aux étrangers, dispersés en six catégories qui, chacune, comportent des nuances et des spécificités. Un troisième exemple de complexité sans doute inutile concerne les titres de séjour : alors que deux récentes directives de l’Union européenne prévoient la délivrance – dans le champ qu’elles concernent – de quatre types de titre de séjour (chercheur, étudiant, jeune au pair, étranger non communautaire en mobilité intragroupe), leur transposition en France conduit à distinguer 17 mentions différentes sur les titres délivrés. Enfin, le Conseil d’État note, pour le regretter, les difficultés inextricables qui envahissent, dans les matières traitées par le projet de loi, la définition des compétences respectives du juge de l’asile (la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) ) et du juge administratif de droit commun (le tribunal administratif) : le Conseil d’État a dû, par plusieurs décisions ou avis contentieux récents, lever les incertitudes liées à l’absence de répartition claire des compétences entre ces deux juridictions, notamment lorsque la CNDA est saisie de décisions par lesquelles l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) oppose certains motifs d’irrecevabilité à la demande d’asile ou clôture le dossier en application de certaines dispositions du CESEDA. Les étrangers, les services en charge de la gestion de l’asile et du séjour et les juridictions ne peuvent que déplorer cette complexité toujours croissante, à laquelle le projet de loi, loin de remédier, ne fait qu’ajouter des couches supplémentaires.

9. Le Conseil d'État insiste à nouveau sur la nécessité, dans ce domaine particulièrement sensible, de ne légiférer qu’au vu d'évaluations claires des dispositifs en vigueur, ce qui suppose d’assigner d’abord des objectifs précis et mesurables en termes d’efficacité, de coût et de praticabilité et de vérifier ensuite si ceux‑ci ont été atteints ou non [...]
»


Avis sur un projet de loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, 26 janvier 2023
.

« 4. En premier lieu, comme il l'avait indiqué, dans son avis sur la loi du n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie (AG avis du 15 février 2018 n° 394206), le Conseil d'État aurait souhaité trouver dans le contenu du texte, l'exposé des motifs et l'étude d'impact, les éléments permettant de prendre l'exacte mesure des défis à relever dans les prochaines années. Il rappelle à cet égard la nécessité de disposer d'un appareil statistique complet pour éclairer tant le débat démocratique que la définition des choix structurants de la politique publique en matière d'immigration et d'asile.

5. En deuxième lieu, [...] l'élaboration du projet aurait gagné, au-delà des quelques brèves lignes consacrées dans l'étude d'impact au bilan de la loi du 10 septembre 2018 qui s'assignait les mêmes objectifs que le présent projet de loi, à pouvoir s'appuyer sur un diagnostic d'ensemble des principales mesures législatives prises en matière d'immigration et d'asile ces dernières années et sur l'explicitation des difficultés d'application rencontrées. Il aurait été utile que ce diagnostic fasse le départ entre celles qui peuvent tenir au caractère inadapté des normes juridiques qui ont été sans cesse perfectionnées et rendues plus complexes et celles qui trouvent leur cause dans des questions concrètes de mise en œuvre et d'organisation de la chaîne administrative de traitement de l'immigration et de l'asile. Ce diagnostic aurait pu également comprendre un premier bilan de l'application de la loi n° 2021 1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, dont l'objet même est étroitement lié à certaines meures du projet.

6. Il observe, en troisième lieu, qu'il est saisi du huitième projet de loi majeur réformant sur des points essentiels les instruments juridiques de gestion du séjour des étrangers en France et de l'asile depuis la création du code du séjour des étrangers et du droit d'asile, il y a seize ans. La complexité croissante des actes, titres, procédures résulte d'une stratification des règles qui pour les agents en charge de la mise en œuvre comme pour les personnes concernées, complique la maitrise du droit et contribue à susciter la défiance ou l'incompréhension de l'opinion publique. Le Conseil d'État appelle de ses vœux une réorganisation du droit des étrangers se donnant pour but de réduire significativement le nombre de titres et d'affecter un but et un sens clairs à chaque procédure et se propose de participer, comme il l'avait fait en proposant une simplification des procédures juridictionnelles, à cette réflexion, aujourd'hui indispensable.[...]
»

Par ailleurs,toutes ces lois sont assorties d’une myriade de décrets et de circulaires d’application précisant les conditions précises d’application des nouveaux textes.

« Les 100 réformes qui ont durci la condition des immigrés en France », Le Monde, 6 nov 2019.



Bien souvent, il arrive que les décrets d’application de la réforme précédente ne sont pas encore publiés.

Ex.Ainsi, si on prend comme exemple le bilan de l’application de la loi du 20 novembre 2007 par le Sénat on se rend compte que des décrets d’application de mesures-phare de cette loi n’ont jamais été pris, en particulier ceux autorisant le recours aux tests ADN dans le cadre du regroupement familial (qui avait suscité une importante polémique).

=> A défaut de prendre le décret d’application, la disposition prévoyant les tests ADN finira par être abrogée en 2011.


Il en est de même pour les lois adoptées plus récemment.

Par exemple, pour la loi « Collomb » n° 2018-778 du 10 septembre 2018, si un nombre important de décrets ont été adoptés, certaines dispositions sont toujours inappliquées 4 ans après son adoption.




Le CESEDA 1 (2005) a fait l’objet d’une nouvelle codification au 1er mai 2021.
Tx.
  • Ordonnance n° du 16 décembre 2020 portant partie législative du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
  • Décret n° du 16 décembre 2020 portant partie réglementaire du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
  • d'Harcourt Claude, Savy Antoine, « Repenser un code à droit constant. L'élaboration du nouveau Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile », AJDA 2021 p. 838.

Et s’il n’y a pas encore eu de réformes d’ampleur de ce nouveau CESEDA depuis mai 2021 il a déjà fait l’objet de modifications ponctuelles.
Ex.Par exemple, 6 des 103 dispositions de la loi « séparatisme » n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République modifient le CESEDA.

Non moins marquant est l’article L. 123-1 du CESEDA qui prévoit la présentation chaque année par le Gouvernement au Parlement d’un rapport sur les orientations pluriannuelles de la politique d’asile, d’immigration et d’intégration avec des données chiffrées.

Or ce débat n’a même pas lieu tous les ans et la périodicité des rapports laissent à désirer (alors même que régulièrement des candidat.e.s à la Présidentielle annoncent leur volonté de mettre en oeuvre des quotas d’immigration).
En 2023, ce débat a bien eu lieu. Il visait à esquisser la réforme Darmanin pour laquelle la recherche d’une majorité au Parlement est une équation complexe. Les statistiques sur l'immigration 2022 ont été publiées le 26 janvier 2023.

Le droit des étrangers est un droit qui est régi, de longue date, par des circulaires ou plus largement de l'infra-droit (voir sur cette notion l'introduction).

Aux dispositions législatives et réglementaires intégrées dans le CESEDA s’ajoutent les très nombreuses circulaires, lignes directrices, orientations générales, notes de services et instructions, dont la publicité n’est pas toujours nécessairement assurée. Pourtant, ce sont des textes essentiels en ce qu’ils guident la mise en œuvre du CESEDA par les diverses administrations impliquées, comme l’a montré l’arrêt GISTI de juin 2020.

Tx.Le décret n° du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des circulaires prévoyait à son article 1er que :

« Les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l'Etat sont tenues à la disposition du public sur un site internet relevant du Premier ministre. […] Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné au précédent alinéa n'est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s'en prévaloir à l'égard des administrés.

Article 2 : L'article 1er prend effet à compter du 1er mai 2009.

Les circulaires et instructions déjà signées sont réputées abrogées si elles ne sont pas reprises sur le site mentionné à l'article 1er
. »

Le 1er mai 2019, constat que pratiquement aucune circulaire ou instruction dans le domaine du droit des étrangers n’a été reprise sur ce site.
Il en existait des milliers. Elles ont disparu, sauf sur le site du GISTI.

Dès lors l’article L. 312-2 du CRPA :
Tx.« Font l'objet d'une publication les instructions, les circulaires ainsi que les notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif ou une description des procédures administratives. Les instructions et circulaires sont réputées abrogées si elles n'ont pas été publiées, dans des conditions et selon des modalités fixées par décret. »

Article L. 312-3 du CRPA créé par la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 - art. 20 :
Tx.« Toute personne peut se prévaloir des documents administratifs mentionnés au premier alinéa de l'article L. 312-2, émanant des administrations centrales et déconcentrées de l'Etat et publiés sur des sites internet désignés par décret.

Toute personne peut se prévaloir de l'interprétation d'une règle, même erronée, opérée par ces documents pour son application à une situation qui n'affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n'a pas été modifiée.

Les dispositions du présent article ne peuvent pas faire obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement.
»

Voir la liste des documents opposables.

Le « droit caché » pour reprendre une expression de Pascale Deumier a une incidence très forte sur les pratiques quotidiennes. Échappant à l’exigence de publicité, les notes de service ou autres instructions informelles peuvent constituer un obstacle considérable dans l’accès aux droits. Il n’est ainsi pas rare de constater, d’une sous-préfecture à une autre, que les listes de documents demandés pour la délivrance d’un titre de séjour varie ce qui, pour les usagers du service public, peut être source de déstabilisation.

Tx.C.E., sect., 12 juin 2020, GISTI, n° :

« Par une requête, enregistrée le 14 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la note d'actualité n° 17/2017 de la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité de la direction centrale de la police aux frontières du 1er décembre 2017 relative aux "fraudes documentaires organisées en Guinée (Conakry) sur les actes d'état civil" ; […]

3. La "note d'actualité" contestée, du 1er décembre 2017, émanant de la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité de la direction centrale de la police aux frontières, vise à diffuser une information relative à l'existence d'une "fraude documentaire généralisée en Guinée (Conakry) sur les actes d'état civil et les jugements supplétifs" et préconise en conséquence, en particulier aux agents devant se prononcer sur la validité d'actes d'état civil étrangers, de formuler un avis défavorable pour toute analyse d'un acte de naissance guinéen. Eu égard aux effets notables qu'elle est susceptible d'emporter sur la situation des ressortissants guinéens dans leurs relations avec l'administration française, cette note peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur.
»

Pourtant, s'agissant de la circulaire « Valls » du 28 novembre 2012 qui fixe des critères pour permettre la régularisation des sans-papiers (appelée « admission exceptionnelle au séjour des étrangers en séjour irrégulier »), le Conseil d'Etat considère depuis 2015, dans une jurisprudence absurde, qu'il s'agit d'une « orientation générale » dont ne peuvent se prévaloir les étrangers depuis les juridictions, car la possibilité du régulariser n'est pas un droit mais une mesure de faveur relevant de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire de l'administration (C.E., 4 février 2015, ministre de l'Intérieur, n° 383267 ; C.E., avis, 14 oct. 2022, n° 462784, au Lebon).

Section 2. Les normes internationales et européennes


Ces normes sont deux types, soit des accords bilatéraux (§1), soit des conventions internationales multilatérales (§2), soit du droit européen des droits de l’Homme (§3) ou du droit de l’UE (§4).


De longue date, la France conclut en matière d’extradition (A) ou d’immigration (B) des accords bilatéraux avec d’autres États et, de manière plus récente, des accords de coopération transfrontalière parallèlement à ses engagements dans le cadre de l’UE (C).


S’agissant de l’extradition, il existe une multitude d’accords bilatéraux d’extradition, parfois très anciens.

La France est liée par ce type d’accords avec une cinquantaine d’États dans le monde et, avec les États membres de l’Union européenne par le Mandat d’arrêt européen.


Certains accords d’extradition relèvent de l’UE ou du Conseil de l’Europe.



Ex.Ainsi, par exemple, dans deux des arrêts importants du droit administratif – Dame Kirkwood de 1952 et Koné de 1996 – il est fait état d’accords d’extradition et le Conseil d’État vérifie que le décret d’extradition respecte ces accords ou que ces accords soient conformes à la Constitution (PFRLR de non extradition pour un motif politique issu de la loi de 1927).


1. Dans l’immédiate après Première guerre mondiale, compte tenu de la dénatalité et des besoins de main d’œuvre dans l’industrie et les mines, la France a conclu des accords avec les principaux pays d’origine des travailleurs immigrés (égalité des salaires, assistance, rapatriement, etc.).
Tx.
  • Convention entre la France et la Pologne relative à l’émigration et à l’immigration de septembre 1919 ;
  • Traité de travail entre la France et l’Italie du 30 septembre 1919 ;
  • Convention entre la France et la République tchécoslovaque du 20 mars 1920.

l'introduction de la main d'oeuvre immigrée relève alors de la Société générale d’immigration (SGI) qui met en oeuvre ces accords en effectuant des recrutements collectifs dans les pays d'origine (Pologne, Italie, etc.).

Rq.NB : La France avait déjà conclu des accords durant la Première guerre mondiale avec la Chine et l’Indochine pour faire venir de la main d’œuvre coloniale notamment dans les industries d’armement.


2. Dans l’après seconde guerre mondiale, confronté à une crise, la France négocie avec la Pologne en 1946 des accords de rapatriement des mineurs polonais (Accords du 20 février 1946, 28 novembre 1946 et le 24 février 1948) - liés aussi aux grandes grèves de 1947 et chasse aux sorcières.

En 1963 est aussi négocié des accords avec le Portugal de Salazar : recrutement collectif, mission de recrutement de l’ONI au Portugal, principe d’égalité salariale, sociale et en matière de formation professionnelle, etc. Mais cet accord du 31 décembre 1963 ne fonctionnera jamais totalement.


3. Dans le cadre de la décolonisation, des accords sont négociés.

Pour les accords bilatéraux entre la France et l’Algérie, le Maroc ou la Tunisie, la circulation, le séjour et l’emploi sont visés.

Pour les autres accords bilatéraux dit de « gestion concertée », ce sont principalement la circulation et le séjour qui font l’objet de précisions particulières, dérogatoires au droit commun habituellement applicable.


Les accords qui ont le plus d’importance sont la convention franco-algérienne (CFA) négociée au moment de l’indépendance.

Au moment de l’indépendance, les du 18 mars 1962 pose le principe de liberté de circulation et d’égalité des droits, hormis les droits politiques, entre Français et Algériens.

négociateurs des accords (Louis Joxe) pensent alors que les 1,5 M de Français d’Algérie (les « pieds noirs ») vont rester massivement en Algérie. D’où l’égalité de traitement. Mais ils se rapatrient massivement en 1962 en Métropole.
1963, compte tenu de ce régime de liberté de circulation (simple carte d’identité suffit) et des besoins de main d’œuvre de l’industrie française, on constate un afflux des travailleurs algériens (480 000 entrées).

Dès 1963, la France rouvre les négociations avec la volonté d’assurer une maîtrise quantitative mais aussi sanitaire et selon les qualifications professionnelles.

C'est donc ce contexte que les autorités françaises multiplient en 1964 les refus d’entrée pour motifs sanitaires et qu’est créé le Centre de rétention d’Arenc.

Premier accord modificatif signé le 10 avril 1964 : principes de contingentement et de contrôle médical organisé en Algérie avant le départ. Sans remettre en cause, le principe de liberté de circulation, le gouvernement algérien doit indiquer périodiquement ses disponibilités de main d’œuvre et le gouvernement français ses besoins selon l’état du marché du travail.

Création du Fonds d’action sociale pour les travailleurs musulmans d’Algérie en métropole et pour leurs familles, créé par l’ordonnance du 29 décembre 1958 transformé par un décret du 14 septembre 1966 en Fonds d’action sociale pour les travailleurs migrants (FAS).

En 1966 le nombre d’Algériens immigrés en France atteint les 515 000 et les familles arrivent.

De longues renégociations aboutissent à l’accord du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l’emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles .

Pour venir en France aux fins de travail, les algériens doivent être titulaires d’une carte délivrée par l’Office national de la main d’œuvre algérien (ONAMO) revêtant le timbre de la mission médicale française en Algérie et selon un contingent fixé par la France.
Le contingent est fixé à 35 000 travailleurs par an, pour les trois années suivantes. Il sera ensuite fixé pendant 2 ans à 25 000 par an alors que le gouvernement algérien souhaitait 80 000. Profitant d’un Sommet des non-alignés et alors que le gouvernement français s’apprêtait à suspendre l’immigration du travail, le 19 septembre 1973 le président Boumediène prononce unilatéralement l’arrêt de l’émigration algérienne dans un contexte de multiplication des actes racistes en France.

A cette date, environ 820 000 algériens en France.

Fin des années 1980, le gouvernement français envisage en vain le départ de 500 000 algériens. Négociation d’un quota de départ volontaire de 35 000 travailleurs par an. Mais cela aboutit à un échec.

En 1981, avec l’arrivé de la Gauche au pouvoir , de nouvelles négociations aboutissent à la conclusion d’un avenant du 22 décembre 1985 aux accords de 1968 visant à aligner la situation des Algériens sur celle des autres étrangers, situation qui se trouvait modifiée depuis la loi du 17 juillet 1984.

Alors que Charles Pasqua est ministre de l'Intérieur, un avenant du 28 septembre 1994 durcit les conditions d’entrée et de séjour des Algériens.


Au début des années 2000, suite à la guerre civile en Algérie (asile territorial), le gouvernement Jospin négocie avec les algériens un troisième avenant de juillet 2001 qui aligne sur certains aspects le statut des ressortissants algériens sur les autres étrangers (ordonnance de 1945 issue de la loi « Chevènement » de 1998).


Tx. .
L'.

«La circulation, le séjour et le travail des algériens en France sont régis de manière complète par l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié. Ils relèvent ainsi d'un régime spécifique. Le droit commun ne leur est pas appliqué, à l'exception des dispositions de procédure. L'accord prévoit également les règles concernant la nature et la durée de validité des titres de séjours qui leur sont délivrés. Ces titres de séjour portent le nom de "certificats de résidence" et leur durée de validité est soit d’un an soit de dix ans.».


Sur ces questions la jurisprudence est abondante :
Ex.
  • C.E., 29 juin 1990, n° 78519, Groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI), Lebon p. 170 ; AJDA 1990. 621, concl. R. Abraham : compétence du C.E. pour interpréter les accords franco-algériens sans renvoi au MAE ;
  • C.E., 22 mai 1992, Mme Larachi, n° 99475, Lebon 203 ; RD publ. 1992. 1793, concl. R. Abraham : distinction des dispositions de fond et de procédure ;
  • C.E., Ass., 5 mars 2003, Aggoun, n° 242860, Lebon 77, concl. J.-H. Stahl, p. 80 : ratification implicite des accords ;
  • C.E., 11 févr. 2004, Chevrol, n° 257682, Lebon 64 ; D. 2004. 1414, concl. R. Schwartz ; CEDH, 13 fév. 2003, Chevrol c. France , n° 49636/99 ; C.E., 9 juill. 2010, Cheriet-Benseghir, n° 317747, Lebon ; RFDA 2010. 1133, concl. G. Dumortier : interprétation de la condition de réciprocité.



Depuis 2002, situation de blocage entre la France et l’Algérie (faiblesse du gouvernement algérien). Malgré plusieurs tentatives, aucune renégociation n’a abouti. Les Français souhaitent un alignement du statut des algériens sur le droit commun (CESEDA) et la délivrance des laissez-passer consulaire. Les algériens souhaitent conserver leurs spécificités mais avec le bénéfice des évolutions du CESEDA depuis 2002.

On peut se demander si aujourd’hui les algériens tirent plus d’avantages (facilités regroupement familial, prise en compte de la kafala, statut de commerçant, etc.) que d’inconvénients à conserver leur statut tant il est en décalage avec les évolutions du droit des étrangers depuis (régularisations, droit au travail des étudiants étrangers, changements de statut des étudiants, cartes pluriannuelles, etc.) – surtout qu’on leur applique toutes les dispositions « procédurales » défavorables (régimes des autorisation de travail, mesures d’éloignement, etc.).


En savoir plus


Consulter l'article sur le site Le Monde.

« Les obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont au centre des tensions entre les deux pays, qui entretiennent chacun la confusion sur leur vrai nombre.

Par Assma Maad et Romain Geoffroy

Alors que l’Algérie et la France traversent une crise diplomatique sur fond de politique de réconciliation mémorielle, les tensions se cristallisent désormais autour de la question de l’immigration illégale.

La tension s’est accrue depuis que le président algérien, Abdelmadjid Tebboune, a dénoncé, dimanche 10 octobre, le "gros mensonge" du ministre de l’intérieur français, Gérald Darmanin, sur le nombre d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) prononcées contre des ressortissants algériens. M. Darmanin a maintenu que 7 730 OQTF avaient été prononcées depuis janvier. Ce qu’a contesté le chef de l’Etat algérien : "Il n’y a jamais eu 7 000 [clandestins algériens], c’est complètement faux". […]
Contacté par Le Monde, le ministère de l’intérieur confirme avoir envoyé entre janvier et juillet 2021 des demandes de laissez-passer consulaires pour 97 personnes ultra-prioritaires (et non pas 94, comme l’affirmait M. Tebboune) en situation irrégulière inscrites au fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT).

Mais le représentant de la place Beauvau insiste sur le fait que d’autres demandes ont été effectuées auprès des autorités algériennes pour des profils spécifiques, à expulser en priorité, notamment des personnes qui sortent de prison (trafic de stupéfiants, crimes…).

Au total, selon les services de M. Darmanin, 597 demandes de LPC concernant des personnes placées en rétention et devant être expulsées ont été formulées entre janvier et juillet. Parmi celles-ci, l’Algérie n’en a délivré que 31, soit 5 %, relève le ministère de l’intérieur. Pour appuyer le manque de coopération consulaire, le ministère insiste sur le fait que le taux d’obtention de laissez-passer demandés à l’Algérie était de 56,3 % en 2019 et de 34 % entre janvier et août 2020.

En résumé, le ministère de l’intérieur entretient la confusion entre le nombre d’OQTF prononcées par les préfectures et le nombre de demandes adressées à l’Algérie afin qu’elle récupère ses ressortissants.

S’il y a bien eu près de 7 300 clandestins algériens visés par une telle procédure, la France n’a formulé "que" 597 demandes à Alger entre janvier et juillet 2021. Un taux de 5 % qui reste trop faible pour le gouvernement français, et qui justifie, selon lui, la réduction drastique de demandes de visas accordés pour l’Algérie
».



Les autorités françaises ont négocié et renégocié des accords avec l’ensemble de ses anciennes colonies et protectorats.

Dans le cadre de la Communauté française prévue par le titre XII de la Constitution de 1958, un accord multilatéral sur les droits fondamentaux des nationaux des États de la Communauté est signé le 22 juin 1960 par la France, Madagascar avec la fédération Sénégal-Mali puis avec le Congo, le Gabon, la république centrafricaine et le Tchad. Il reposait sur un régime de liberté de circulation et d’établissement au profit des ressortissants des États signataires.

Dans les années 1960, des conventions bilatérales d’établissement viennent préciser cet instrument (Bénin, Côte d’Ivoire, Gabon, Haute-Volta, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et Togo) et prévoir une clause d’assimilation au national et des facilités de circulation (avec la seule carte d’identité), de dispense des cartes de séjour et de travail et la possibilité d’accéder à toutes activités salariées, y compris les emplois publics – sous la seule réserve du contrôle médical.

A partir de 1974, les accords sont progressivement « normalisés » : la décision de juillet 1974 suspendant l’immigration du travail prévoit aussi « d’insérer progressivement l’immigration en provenance des pays africains et malgache d’expression française dans le cadre général de la politique d’immigration ».
  • En 1978, le Conseil d’État censure cette suspension des accords bilatéraux faite par simple… circulaire (C.E., 24 novembre 1978, CGT et Gisti, n° 98339, 98699, publié au Lebon).
Mais progressivement dans les années 1980, les gouvernements français renégocient ces accords pour les rapprocher du droit commun.
  • Ainsi, en 1986, instrumentalisant une campagne d’attentats terroristes, le gouvernement décide, à l’initiative du ministre de l’Intérieur Charles Pasqua, de rétablir unilatéralement l’obligation de visas d’entrée en France pour les étrangers dispensés, en particulier en suspendant les stipulations des accords bilatéraux pour les ressortissants des anciennes colonies françaises.

Dans les années 2000, le ministre des affaires étrangères Alain Juppé puis le ministre de l’Intérieur Brice Hortefeux négocient des accords de gestion concertée.
L’idée est d’accorder plus facilement des visas aux élites et étudiants internationaux et des « listes de métiers » en tension plus favorables pour ces ressortissants en contre-partie de la délivrance facilitée de laissez-passer consulaires pour le renvoi des irréguliers, d’accords de réadmission de ressortissants de pays tiers ayant transité par ces pays ou des coopérations sécuritaires (terrorisme).

Hormis le Mali qui a refusé en 2009 de signer ces accords (Montreuil est la seconde ville malienne), on dénombre 14 accords bilatéraux sur la gestion des migrations entre, d’une part, la France et, d’autre part, l’Algérie, le Bénin, le Burkina-Faso, le Cameroun, la Centrafrique, le Congo-Brazzaville, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Maroc, la Mauritanie, le Niger, le Sénégal, le Togo et la Tunisie.

Au total, la France est liée par une cinquantaine d’accords bilatéraux (7 accords de gestion concertée, 11 accords relatifs à la mobilité des jeunes et des professionnels, 3 accords relatifs uniquement aux migrations professionnelles et donc 14 accords en matière de circulation et de séjour).

En savoir plus


Une soixantaine d’accords bilatéraux signés par la France dans le champ du séjour et du travail sont actuellement en vigueur.

7 accords de gestion concertée des flux migratoires :

L'objectif des accords de gestion concertée des flux migratoires (AGC) est d'assurer une gestion efficace des flux migratoires et de favoriser le développement solidaire. L’accent a été mis sur le nécessaire partenariat avec les pays d’origine par la conclusion d’accords bilatéraux spécifiques.

Chacun des AGC fait l'objet d'une négociation particulière adaptée aux besoins des 2 pays signataires et à la nature des flux migratoires du pays partenaire. De manière générale, ils sont fondés sur 3 volets, distincts et complémentaires : l'organisation de la migration légale, la lutte contre l'immigration clandestine et le développement solidaire.


Les accords en matière de circulation et de séjour :

La France a également conclu 14 accords (ou conventions) bilatéraux en matière de circulation et de séjour avec certains pays africains.Source : Ministère de l'intérieur.


Parallèlement au système « Schengen », on constate un phénomène de retour au bilatéral s’agissant de la coopération transfrontalière en matière d’immigration.
C’est un phénomène général par exemple les Allemands ont négocié plusieurs accordes bilatéraux avec des partenaires européens en matière migratoire (voir « L'Allemagne patauge toujours dans sa politique migratoire », Libération, 15 août 2018). La coalition SPD-CDU-CSU poursuit sa politique restrictive sous la pression du ministre de l'Intérieur, Horst Seehofer, et de l'extrême droite. Samedi, Angela Merkel a signé un premier accord bilatéral avec Madrid pour expulser les migrants déjà enregistrés en Espagne.

Si la France a négocié de tels accords avec la plupart de ses voisins, deux accords ont pris une particulière importance :
> Dans les relations avec l’Italie (Menton) : les Accords de Chambéry.
Le 3 octobre 1997, en application de la convention de Schengen du 19 juin 1990, les ministres de l'intérieur français et italien ont signé à Chambéry un accord qui engage une coopération transfrontalière en matière policière et douanière :
  • mise en place de patrouilles mixtes (effectuées par les forces de l’ordre des deux États à la frontière de l’un des deux) et de centres de coopération policière et douanière (CCPD) ;
  • conditions de mise en œuvre de la procédure de réadmission : chaque État signataire peut remettre aux autorités du pays cosignataire tout étranger en situation irrégulière interpellé sur son territoire et pour lequel il peut prouver qu’il a séjourné ou qu’il provient de ce pays voisin.
Tx.Décret n° du 18 septembre 2000 portant publication de l'accord.

>
Dans les relations avec le Royaume-Uni (Calais) :
En 1991, est signé le protocole de Sangatte relatif à l'exercice des compétences régaliennes de ces États dans le cadre du tunnel sous la Manche. Il est complété par un protocole additionnel en 2000 :
  • permettent la mise en place de contrôles frontaliers aux Français et britanniques, des deux côtés du tunnel, sur des personnes se trouvant sur des secteurs définis ;
  • organisent les contrôles frontaliers dans les ports maritimes de la Manche et de la mer du Nord.
Suite à la fermeture du centre de Sangatte en 2002, est négocié le Traité du Touquet signé le 4 février 2003.
  • Il permet au Royaume-Uni d’effectuer des contrôles migratoires sur le territoire français (Gare du Nord, Gare de Lille, Terminal Eurotunnel à Calais-Frethun).
  • Les Britanniques financent le renforcement des contrôles frontaliers en France et la sécurisation des frontières.
Ce traité a été régulièrement été renégocié depuis, toujours dans le sens d’un renforcement des contrôles ou le financement d’une clôture sur l’autoroute. Régulièrement lors des campagnes présidentielles, certains candidats annoncent que s’ils sont élus ces accords seront dénoncées.

 

En savoir plus


« Qu’est-ce que les accords du Touquet ? », Infomigrants, 19/01/2018 (dernière modification : 29/11/2021).

« Conclu le 4 février 2003, lors du 25e sommet franco-britannique, ce traité a eu pour effet un "déplacement de la frontière britannique" de Douvres, à Calais.

En clair, les personnes voulant se rendre en Angleterre sont contrôlées en France par des policiers britanniques et, inversement, les voyageurs voulant se rendre en France sont contrôlés sur le sol britannique par des Français. C'est à ce titre, par exemple, que la police britannique effectue des contrôles à la gare du Nord de Paris et la police française à la gare de Saint-Pancras, à Londres.

Des bureaux de contrôle d’immigration communs, dits "juxtaposés", ont également été installés dans les ports de la Manche et de la Mer du Nord : à Calais, Boulogne-sur-Mer, Dunkerque, côté français, et à Douvres, côté anglais.

En vertu de ces accords, Paris ne peut pas légalement laisser les migrants traverser la Manche. Et les personnes s'étant vu refuser l'accès au territoire anglais doivent, de fait, rester en France. Il n'y a donc pas de voies légales d'immigration pour aller au Royaume-Uni.

Le traité a été complété par d'autres accords bilatéraux en 2009, 2010, 2014, 2018 et 2020 : la France s’y engageait à renforcer le contrôle et la sécurisation de sa frontière, y compris aux abords du tunnel sous la Manche, contre des compensations financières du Royaume-Uni. Cette année, par exemple, le Royaume-Uni s’est engagé à payer à la France 62,7 millions d’euros (pour les années 2021-2022) afin de financer le renforcement des forces de l’ordre françaises sur les côtes.

Les accords du Touquet sont aujourd’hui largement dénoncés. […]

Après le Brexit

C’est le grand flou depuis la sortie du Royaume-Uni de l'UE le 31 janvier 2020. Le 9 octobre 2021, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a jugé nécessaire de négocier avec Londres "un traité qui nous lie sur les questions migratoires".

Durant sa campagne de 2017, Emmanuel Macron avait déjà déclaré qu'il souhaitait "remettre les accords du Touquet sur la table, pouvoir en renégocier les modalités, en particulier pour les mineurs". […]
».


« La Grande-Bretagne nous paie pour que nous gérions, sur notre territoire, son immigration », Le Monde, 17 janvier 2018 .
Pour le juriste Olivier Cahn, les accords du Touquet signés en 2002 sont fondamentalement déséquilibrés.

Par Maryline Baumard. Publié le 17 janvier 2018.

« Maître de conférences en droit pénal à l’université de Cergy-Pontoise (Val-d’Oise), Olivier Cahn a consacré sa thèse de doctorat à la « coopération policière franco-britannique dans la zone frontalière transmanche ». Pour lui, la souveraineté de la France est mise à mal par ces accords.

Le chef de l’Etat a fait savoir avant le sommet franco-britannique qu’il allait négocier un avenant aux accords du Touquet pour demander aux Britanniques de faciliter l’entrée légale de migrants mineurs. Il va aussi plaider pour une contribution financière supplémentaire des Britanniques. Est-ce suffisant à vos yeux ?


Olivier Cahn : Sur le fond, ces annonces suscitent une question et une remarque. Il est ainsi possible de s’étonner que les exigences françaises se limitent aux mineurs. Pourquoi ne pas exiger que les Britanniques acceptent d’examiner la situation de toutes les personnes présentes à Calais qui peuvent justifier de liens familiaux au Royaume-Uni ?

Par ailleurs, si l’intention est louable, la notion d’aide au développement économique suscite un malaise pour deux raisons : d’abord parce qu’elle renvoie aux rapports entre pays développés et pays en voie de développement, ce qui n’est pas flatteur pour le Calaisis ; ensuite, parce qu’elle implique que la France accepte que la situation dans le Calaisis soit vouée à perdurer et que les autorités françaises sont disposées, en échange d’une compensation financière, à assumer le contrôle de l’immigration vers le Royaume-Uni, sans considération pour les conséquences pour les habitants du Calaisis.

Pour bien comprendre… On parle beaucoup de ces accords du Touquet, sur lesquels vous avez travaillé des années. Comment les résumer ?


Ce sont les accords qui organisent les contrôles frontaliers dans les ports maritimes de la Manche et de la mer du Nord. Signés en février 2003 par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, et par son homologue britannique, David Blunkett, ils ont pour objectif de rendre étanche la zone portuaire de Calais. Ils complètent le protocole de Sangatte (1991) et son protocole additionnel (2000), qui verrouillent la frontière ferroviaire en organisant les contrôles dans les gares Eurostar à Paris et à Londres, au niveau du tunnel sous la Manche et, par un arrangement complémentaire de 2002, autour de la gare de Calais-Fréthun.

Qu’est-ce qui ne va pas avec ces textes ?


Ils présentent une apparence de réciprocité, puisqu’ils autorisent les policiers français à effectuer leurs contrôles d’immigration sur le territoire britannique, et les agents des services d’immigration britanniques à faire la même chose sur le sol français. Mais le mouvement migratoire est à sens unique. En pratique, ces textes déplacent de la frontière britannique en France et transfèrent en France la gestion de l’immigration vers le Royaume-Uni. […]
».


En novembre 2022, un nouvel avenant à l'accord a été signé entre la France et le Royaume-Uni pour lutter contre les traversées de la Manche.

Tx.cf. la thèse d'Olivier Cahn, La coopération policière franco-britannique dans la zone frontalière transmanche, Thèse Poitiers, 2006.

On constate une émergence, relativement récente, d’un droit international des migrations, encore embryonnaire et ayant peu d'influence sur le statut des étrangers en France (A), hormis le droit des réfugiés et apatrides qui constituent une véritable protection internationale de ces catégories (B).


Un peu à l'image du droit de l'environnement/ réchauffement climatique il y a une trentaine d'années, le droit international des migrations est encore largement embryonnaire et émargent en droit international général (1). Certaines conventions sectorielles des Nations-Unies peuvent être utilement invoquées (2).


Le droit international général s’intéresse assez peu à la question des migrations.

> Certes, la , adoptée le 10 décembre 1948 sous forme d’une résolution de l’AGNU, comporte trois séries de dispositions susceptibles de les intéresser.

D'une part, l'article 13 proclame le droit à liberté de circulation.
Tx.« 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un État.

2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays.
»

=> Droit absurde : droit d’émigrer (sortir) mais pas d’immigrer (entrer dans un autre pays).

D’autre part, les articles 3 et 5 garantissent le droit à la vie et la prohibition des TTID.
Tx.Article 3 : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne. »

Article 5 : « Nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. »

=> Ces droits sont invocables dans le cadre de la "protection par ricochet" (voir infra).

Enfin, la DUDH est un des rares textes internationaux à proclamer expressément le droit d'asile en son article 14.
Tx.« 1. Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays.

2. Ce droit ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement fondées sur un crime de droit commun ou sur des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.
»

En savoir plus


« La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 [...] est une pièce essentielle de la formation du droit coutumier. Elle proclame (article 3) : « Tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté de sa personne ». Mais pas plus que les Pactes, elle ne déploie explicitement la notion de liberté dans toutes ses conséquences quant au droit de circuler. Il est ainsi précisé (alinéa 1 de l'article 13) : « Toute personne a le droit de circuler et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un État ». Et l'article 14 ajoute : « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays ». Est-ce suffisant pour considérer que la libre circulation des hommes d'un pays à l'autre fait partie des droits fondamentaux ? [...] La Déclaration ne va pas jusqu'à assimiler totalement l'étranger et le national du point de vue des droits dont ils peuvent jouir. La Commission des Droits de l'homme des Nations unies, lors de sa deuxième session avait débattu du projet préparé sous l'égide du secrétariat. Il y avait été question de l'absence complète d'entraves à la liberté de circulation. Alors avait été soulignée l'incohérence qu'il y a à reconnaître le droit à l'émigration si ne sont pas accordées parallèlement des facilités pour l'immigration et le transit dans et à travers d'autres pays.

Madame Roosevelt, représentant les États-Unis, avait déclaré que rien dans cet article ne se rapportait au droit à l'immigration qui restait soumis à la législation nationale de chaque État.

Sauf à faire dire au texte et à ses auteurs plus qu'ils ne l'ont fait réellement, on doit admettre que selon la Déclaration, l'étranger une fois admis sur un territoire y dispose des mêmes droits que le national en matière de circulation et de résidence, que toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien. Mais un droit strict à l'immigration n'a pas été formulé comme tel, même si l'on trouve trace dans les travaux préparatoires de l'idée que les Nations unies auraient à coopérer pour accorder les facilités nécessaires à la réalisation du droit de quitter son pays
».

Pour accéder à cet article, cliquez ici.


> En application de la DUDH, le (PIDCP) du 16 décembre 1966 (entrée en vigueur le 23 mars 1976) garantit aussi le droit à la vie (art. 6), la prohibition à la torture et peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (art. 7).

L’article 12 garantit la liberté de circulation (dans le sens de la sortie) et prohibe le bannissement des nationaux.
Tx.« 1. Quiconque se trouve légalement sur le territoire d'un État a le droit d'y circuler librement et d'y choisir librement sa résidence.

2. Toute personne est libre de quitter n'importe quel pays, y compris le sien.

3. Les droits mentionnés ci-dessus ne peuvent être l'objet de restrictions que si celles-ci sont prévues par la loi, nécessaires pour protéger la sécurité nationale, l'ordre public, la santé ou la moralité publiques, ou les droits et libertés d'autrui, et compatibles avec les autres droits reconnus par le présent Pacte.

4. Nul ne peut être arbitrairement privé du droit d'entrer dans son propre pays.
»

Plus spécifiquement sur les étrangers, l’article 13 encadre les procédures d’expulsion :
Tx.« Un étranger qui se trouve légalement sur le territoire d'un Etat partie au présent Pacte ne peut en être expulsé qu'en exécution d'une décision prise conformément à la loi et, à moins que des raisons impérieuses de sécurité nationale ne s'y opposent, il doit avoir la possibilité de faire valoir les raisons qui militent contre son expulsion et de faire examiner son cas par l'autorité compétente, ou par une ou plusieurs personnes spécialement désignées par ladite autorité, en se faisant représenter à cette fin. »

Pour défendre les droits des étrangers (cristallisation des pensions des anciens combattants de ex-colonies et protectorats français), il a aussi été mobilisé l’article 26 du PIDCP.
Tx.« Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont droit sans discrimination à une égale protection de la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination et garantir à toutes les personnes une protection égale et efficace contre toute discrimination, notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique et de toute autre opinion, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation. »

En 1989, saisi par plus de 700 anciens tirailleurs sénégalais dont les pensions avaient été cristallisées dans les années 1980, le Comité des droits de l’Homme avait estimé la législation française hérité de la décolonisation contraire à l’article 26 PIDCP en raison de son caractère discriminatoire.
Tx.Comité des droits de l’homme 3 avr. 1989, communication n° 196/1985, Gueye c/ France.

Il a pourtant fallu plus de trente années de contentieux pour aboutir à un rétablissement de l’égalité des droits au bénéfice des anciens fonctionnaires civils et militaires des anciens territoires sous souveraineté française dont les pensions avaient été « cristallisées » lors de la décolonisation.

En effet, dans un avis Doukouré de 1996 le Conseil d’Etat avait neutralisé l’article 26 du PIDCP en refusant, contra legem, de faire une application autonome de ce principe d’égalité devant la loi et de non-discrimination selon la nationalité.

Tx.C.E., Ass., avis, 15 avr. 1996, Doukouré :

« Il résulte de la coexistence du Pacte relatif aux droits civils et politiques et du Pacte relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ouverts à la signature le même jour, que l'article 26 précité du premier de ces Pactes ne peut concerner que les droits civils et politiques mentionnés par ce Pacte et a pour seul objet de rendre directement applicable le principe de non-discrimination propre à ce Pacte.

Les dispositions de l'article 26 du Pacte relatif aux droits civils et politiques ne sont donc invocables que par les personnes qui invoquent une discrimination relative à l'un des droits civils et politiques énumérés par ce Pacte.
»


L’égalité sera rétablie par l’invocation de l’article 14 de la combiné à l’article 1er du 1er protocole additionnel mais aussi grâce à la QPC n° 1 et grâce au film Indigènes.



Tx.C.E., Ass., 30 nov. 2001, Ministre de la Défense c/ Diop, n° 212179, Lebon

CJCE, 13 juin 2006, Ameur Echouikh c. Secrétaire d'État aux Anciens Combattants, aff. C-336/05

C.E., Sect., 18 juillet 2006, Gisti et Ka (avis), n° 274664.

Cons. const., déc. n° 2010-1 QPC, 28 mai 2010, consorts Labane.

Il est possible aux étrangers d’invoquer les conventions sectorielles des Nations-Unies avec les 9 organes de traités des droits de l’Homme.

1/ Ainsi, la protection par ricochet est issue de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 10 décembre 1984 (EV : 26 juin 1987).

Tx.Article 3 :

« 1. Aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.

2. Pour déterminer s'il y a de tels motifs, les autorités compétentes tiendront compte de toutes les considérations pertinentes, y compris, le cas échéant, de l'existence, dans l’État intéressé, d'un ensemble de violations systématiques des droits de l'homme, graves, flagrantes ou massives.
»

Cette convention bénéficie d’un comité onusien chargé d’en assurer l’application : Comité contre la torture (CAT).

Tx.Par exemple sur la protection par ricochet : CAT, déc., 9 mai 1997, n° 34/1995, Seid Mortesa Aemei c. Suisse .


2/ Autre exemple, la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant est issue de la Convention relative aux droits de l'enfant (CIDE) adoptée le 20 novembre 1989 à NY et entrée en vigueur le 2 septembre 1990. Ce principe est garanti par l’article 3-1 de la CIDE.

Tx.Article 3 :

« 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.

2. Les Etats parties s'engagent à assurer à l'enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à cette fin toutes les mesures législatives et administratives appropriées.
»


Si la Cour de cassation a hésité sur l’effet direct de ces stipulations (Cass., 1993, Le Jeune C/ Sorel et revirement de mai 2005), le Conseil d’État l'a reconnu dès 1997 (C.E., 22 sept. 1997, Mlle Cinar, n° 161364; C.E., 7 juin 2006, Assoc. Aides et a., n° 285576 (aide médicale d’Etat)).

Rq.NB : Avec l’article 8 de la CESDH, l’article 3-1 de la CIDE est la disposition la plus invoquée devant les tribunaux en droit des étrangers.


En revanche, toutes les stipulations de la CIDE ne sont pas d’effet direct. Certaines ne créent pas de droits subjectifs au profit des particuliers mais seulement des obligations à charge des Etats membres dont ils doivent rendre compte devant le Comité des droits de l'enfant (CRC) mais pas devant les juridictions internes.
Par exemple, l’article 9 de la CIDE :
Tx.« 1. Les États parties veillent à ce que l'enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l'intérêt supérieur de l'enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l'enfant, ou lorsqu'ils vivent séparément et qu'une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l'enfant. »

Pas d’effet direct : C.E., 28 juillet 1994, Préfet de la Seine-Maritime c/ époux Abdelmoula ; C.E., 10 juin 1998, Sanches Lopes, n° 165388.


3/ Dans le domaine du droit des étrangers, la seule convention internationale qui concerne les travailleurs migrants (y compris sans-papiers) et leur famille est la Convention internationale sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille du 18 décembre 1990 (entrée en vigueur le 1er juillet 2003, après avoir été ratifiée par vingt États). Mais ni la France ni aucun de ses partenaires européens ou occidentaux ne l'a signé ni ratifié.


Depuis 2004, il bénéficie d’un Comité des travailleurs migrants (CTM, en 2003 / Committee on Migrant Workers (CMW)).


Participe à l’émergence d’un Droit international des migrations, le Pacte de Marrakech – même s’il ne relève que de la soft law et n’est pas très ambitieux.
Ce Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières a été adopté à l’occasion d’une conférence intergouvernementale organisée à Marrakech, au Maroc, les 10 et 11 décembre 2018.

Cette conférence est organisée sous les auspices de l'Assemblée générale des Nations Unies, à travers la résolution 71/1 du 19 septembre 2016, intitulée « Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants », selon laquelle les États Membres s'engagent à lancer un processus de négociations intergouvernementales devant conduire à l’adoption du pacte mondial.
Ce Pacte a défini vingt-trois objectifs.

L’idée est de privilégier le dialogue et la coopération entre les États membres des Nations Unies et les organisations internationales (OIM) dans la gestion des flux d'immigration et d'émigration. Mais, les États ont tenu à insister, dans la déclaration préliminaire consacrée à la « souveraineté nationale », sur le fait que le Pacte réaffirme clairement que « le droit souverain des États de définir leurs politiques migratoires nationales et leur droit de gérer les migrations relevant de leur compétence, dans le respect du droit international ».
Le point 7 du préambule renvoie ainsi à un « cadre de coopération juridiquement non contraignant, qui repose sur les engagements convenus par les États membres dans la Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants ».


S’il a le mérite d’exister et d’exprimer l’État d’un consensus (ou d’un dissensus) international et des standards existants dans ce domaine, le Pacte ne crée aucune obligation nouvelle et relève de la soft law.


Il ne faut pas négliger l’importance de certaines conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), parfois anciennes.

Certaines de ces conventions garantissent des droits aux travailleurs migrants légalement installés. Et le Conseil d’État a reconnu l’effet direct de certaines des stipulations de ces conventions :
Ex.Par ex., l'article 6 de la convention internationale du travail n° 97 du 1er juillet 1949 concernant les travailleurs migrants sur le Droit au logement .
  • C.E., Ass., 11 avr. 2012, GISTI et FAPIL, n° 322326, Lebon, p. 142.
C’est aussi le cas de l'article 4-1 de la convention n° 118 de l'organisation internationale du travail du 28 juin 1962 .
  • C.E., Sect., 23 avril 1997, Groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI), n° 163043, au Lebon, concl. R. Abraham (égalité de traitement en matière de sécurité sociale).

Cette protection conventionnelle des migrants reste donc indirecte (dans la mesure où elle ne garantit pas que très peu de droits fondamentaux spécifiquement aux migrants), embryonnaire et surtout soumise au bon vouloir des juridictions pour la reconnaissance de l’invocabilité directe de ces stipulations ou leur application autonome.

Alors que dans l’entre-deux-guerres, dans le cadre du système de la Société des Nations, il n’existait que des accords qui ne protégeaient les réfugiés / apatrides que de manière collective selon certaines nationalités ou groupes (arrangements, avec le passeport Nansen), les atrocités de la Seconde guerre mondiale vont amener les États à adopter la Convention de Genève de 1951 et une protection individualisée des réfugiés. Mais ces textes ne garantissent pas en soi le droit d’asile. En outre, dans les années 1950, les Nations unies ont décidé de distinguer la protection accordée aux réfugiés et celle des apatrides.


L’article 14 de la DUDH a bien consacré ce droit d’asile :
Tx.« 1. Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l'asile en d'autres pays.

2. Ce droit ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement fondées sur un crime de droit commun ou sur des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.
»

En revanche la ne garantit pas à strictement parler de droit d'asile (au sens de droit à l'accueil sur un territoire). Toutefois elle pose une définition du réfugié et lui accorde un statut avec droits et des protections (principe de non-refoulement, immunité pénale).


Cette convention a été ratifiée par 145 Etats dont la France dès 1954 (avec création de l’OFPRA).
Tx.Décret n° 54-1055 du 14 octobre 1954 portant publication de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.

A l'origine, le texte de 1951 faisait l’objet d’une double limitation temporelle (événements avant le 1er janvier 1951) et géographique (uniquement les Européens).
C’est le qui va mettre fin à ces limitations et rendre la convention réellement universelle à partir du 4 octobre 1967.

Le Haut commissariat aux réfugiés des Nations Unies (UNHCR) a un rôle de « gardien » de la Convention de 1951 et de son Protocole de 1967. Conformément à la législation, les États doivent coopérer avec nous pour veiller à ce que les droits des réfugiés soient respectés et protégés.

Le 17 décembre 2018, l’Assemblée générale des Nations Unies a approuvé la résolution affirmant le Pacte mondial sur les réfugiés , après deux années d’intenses consultations menées par le HCR avec les États membres, les organisations internationales, les réfugiés, la société civile, le secteur privé et des experts.
Le Pacte mondial sur les réfugiés entend fournir la base d’un partage prévisible et équitable de la charge et des responsabilités, compte tenu du fait qu’une solution satisfaisante aux problèmes des réfugiés ne peut être obtenue sans une coopération internationale.

Tx.
  • Karen Akoka, L’asile et l’exil. Une histoire de la distinction réfugiés/ migrants, La Découverte, 2020, 352 p.
  • C. Lantero, Le droit des réfugiés, entre droits de l’Homme et gestion de l’immigration, Bruxelles, Bruylant, 2011, 613 p.
  • M. Tissier-Raffin, La qualité de réfugié de l'article 1 de la Convention de Genève à la lumière des jurisprudences occidentales, Bruylant, Bruxelles, 2016, 814 p.

Alors qu’on aurait pu imaginer une protection commune entre réfugiés et apatrides, au début des années 1950 les Nations-Unies vont les dissocier.

La DUDH de 1948 proclame en son article 15 un droit à une nationalité.
Tx.« 1. Tout individu a droit à une nationalité.

2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité.
»

Dans le cadre des Nations-Unies, deux conventions ont été adoptées :

D’une part, la . Cette convention vise à fait bénéficier aux apatrides d’un statut.
Après avoir défini l’apatride comme « une personne qu’aucun État ne reconnait comme son ressortissant par application de sa législation », elle fixe des normes minimales de traitement des apatrides concernant un certain nombre de droits. Il s’agit notamment du droit à l’éducation, à l’emploi et au logement. Elle garantit aussi le droit à l’identité, à des documents de voyage et à l’assistance administrative.
La France est partie à cette convention dès 1954. Mais elle n’est ratifiée que par 83 États dans le monde.

D’autre part, la (entrée en vigueur le 13 décembre 1975).
La Convention de 1961 vise à prévenir l’apatridie et à la réduire au fil du temps. Elle crée un cadre international visant à garantir le droit de chaque personne à une nationalité. Elle exige que les États prévoient des garanties dans leurs lois sur la nationalité afin de prévenir l’apatridie à la naissance et plus tard dans la vie.
Elle prévoit que les enfants doivent acquérir la nationalité du pays dans lequel ils sont nés s’ils n’acquièrent aucune autre nationalité. Elle établit aussi des garanties pour prévenir l’apatridie liée à la perte ou à la renonciation à la nationalité et à la succession d’États. La Convention prévoit également les situations très limitées dans lesquelles les États peuvent priver une personne de sa nationalité, même si cela la rendrait apatride.

Mais seuls 61 États sont parties à la Convention de 1961 et la France a refusé de la ratifier (dans le contexte de la guerre d’Algérie).

Rq.NB : Peu avant la ratification des conventions de 1951 et 1954, la a créé l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) dont la mission est d’assurer la protection des personnes bénéficiaires de ces conventions – qui sont directement appliquées.

L’influence du Conseil de l’Europe en droit des étrangers s’affirme principalement à travers la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme (CESDH), qui protège un certain nombre de principes fondamentaux (A.). Il existe des conventions spécifiques sur les travailleurs migrants mais elles ont peu d’effectivité et d’intérêt (B.).


Signée à Rome le 4 novembre 1950 et ratifiée par la France en 1973/1974, la Convention a un champ d’application ratione personae favorable aux étrangers. En effet, avec la notion de « juridiction » de l’article 1er, elle s’applique indistinctement à toutes les personnes physiques séjournant sur le territoire français, sans condition de nationalité ou de régularité de séjour (CEDH,7 octobre 1988, Salabakiu c. France, n° 10519/83).


> Formellement, si l’on examine le texte originaire, sans ses protocoles additionnels, on ne peut que constater la relative indifférence de la Convention de 1950 à la nationalité du titulaire des droits et libertés qu’elle garantit. Seules deux dispositions prévoient des restrictions spécifiques à l’égard des étrangers :
  • l’article 5 § 1 f. de la CESDH permet l’arrestation et la détention régulière d’une « personne » – le mot « étranger » n’est pas même utilisé – pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours ;

  • l’article 16 de la CESDH indique que les dispositions des articles 10 (liberté d’expression), 11 (liberté de réunion pacifique et d’association) et 14 (principe de non-discrimination) ne peuvent être considérées comme interdisant aux États membres « d’imposer des restrictions à l’activité politique des étrangers ».


L’article 16 de la CESDH n’a cessé d’être critiqué par la doctrine pour ces raisons et parce qu’il incarne une conception dépassée du droit international. L’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a même revendiqué en 1977 son abrogation – refusée par le Comité des ministres en 1981.
La Cour EDH s’est soit efforcée de neutraliser cette disposition dans les trois affaires dans lesquelles cette disposition était opposée par un État défendeur.
Ex.
  • Dans la première, la Cour a écarté la position française défendant l’applicabilité de l’article 16 pour « couvrir » l’expulsion et l’interdiction du territoire de Polynésie française dans un contexte de campagne électorale d’une députée écologiste allemande en raison de son soutien aux opposants aux essais nucléaires (CEDH, 27 avril 1995, Piermont c. France, n° 15773/89, § 61).
  • Dans la seconde, c’est le Gouvernement défendeur qui, par effet boomerang, renvoya à la Cour son propre raisonnement. Alors que la Cour avait soulevé d’office l’article 16, l’Italie fit en effet valoir qu’« aucune [de ses] loi[s] nationale ne limite le droit de tout individu, italien ou étranger, de s’exprimer en matière politique […] » (CEDH, 1er février 2011, Dritsas et a. c. Italie, n° 2344/02, § 8).
  • Mais c’est surtout dans la troisième et dernière affaire, que la Cour a, pour la première fois, précisé le cadre d’application de l’article 16 dans un arrêt de Grande chambre. Après avoir rappelé que les clauses justifiant des ingérences dans les droits garantis par la Convention sont « d’interprétation restrictive », elle a estimé que « la seule interprétation à donner » à cet article est qu’« il n’autorise que les restrictions aux « activités » se rapportant directement au processus politique ». Par suite, cette clause ne pouvait justifier la restriction du droit à la liberté d’expression à un ressortissant turc s’exprimant à l’occasion de conférence en Suisse même s’il niait l’existence du génocide arménien (CEDH, Gde ch., 15 octobre 2015, Perinçek c. Suisse, n° 27510/08, § 122-123).
Du reste, comme le note la Cour dans cet arrêt, elle avait déjà fait bénéficier dans plusieurs affaires (CEDH, 3 février 2009, Women On Waves et a. c. Portugal, n° 31276/05, § 28-44 ; CEDH, 20 mai 2010, Cox c. Turquie, n° 2933/03, § 27-45) à des étrangers du droit à la liberté d’expression « sans qu’il soit indiqué nulle part que l’article 16 pût y faire obstacle » (Perinçek, préc., § 121).


> Le silence de la Convention sur les étrangers ou la migration visait d’abord et avant tout à assurer une application indifférenciée des droits et libertés garantis. Au cours des travaux préparatoires, ont été écartées des projets visant à établir des règles particulières régissant la jouissance et l’exercice par les étrangers de certains droits et libertés garantis par la Convention. Toutefois, le revers de la médaille est que dans le texte initial il n’y a pas de droits spécifiques aux étrangers : ni droit d’asile, ni principe de non refoulement, ni protection par ricochet, ni droit à la nationalité, ni procédure d’expulsion.

Ce sont les protocoles additionnels qui vont combler partiellement ce « vide normatif originaire » (Frédéric Sudre).



Le Protocole n° 4 adopté le 16 novembre 1963 garantit :
D’une part en son article 2, sous réserve des considérations d’ordre public (CESDH, art. 2 § 3), la liberté de circulation à « quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un État », entendu comme droit d’y circuler librement et d’y choisir librement sa résidence (CESDH, art. 2 § 1) et le droit de « toute personne », sans exclusive, de quitter librement n’importe quel pays (CESDH, art. 2 § 2).

D’autre part son article 4 pose une interdiction absolue des expulsions collectives d’étrangers. Il s'agit d'un pis-aller car les nationaux bénéficient eux de la prohibition du bannissement.

Le Protocole n° 7 adopté en 1984 apporte un certain nombre de garanties procédurales, déduites du droit d’être entendu et du respect des droits de la défense, en cas d’expulsions individuelles des seuls étrangers résidants régulièrement sur le territoire d’un État partie.


Dans sa jurisprudence, la Cour européenne chercher à préserver la souveraineté des États membres dans cette matière en leur reconnaissant une marge d’appréciation.

Dès l’arrêt Abdulaziz, Cabales et Balkandali c. Royaume-Uni en 1985, la Cour reprend comme une antienne un principe selon lequel « d'après un principe de droit international bien établi les États ont le droit, sans préjudice des engagements découlant pour eux de traités, de contrôler l'entrée des non-nationaux sur leur sol » (CEDH, 28 mai 1985, n° 9214/80, § 67).

Par la suite, elle précise que les États peuvent aussi souverainement décider de leur séjour et de leur éloignement (CEDH, 21 octobre 1997, Boujlifa c. France, n° 25404/94, § 42 ; CEDH [GC], 18 octobre 2006, Üner c/ Pays-Bas, n° 46410/99, § 54 ; Cour EDH, 28 février 2008, Saadi c/ Italie, n° 37201/06, § 124) ainsi que des conditions d’acquisition ou de retrait de la nationalité, sauf à ce qu’elles soient arbitraires (CEDH, 11 octobre 2011, Genovese c. Malte, n° 53124/09, § 23).

Mais si ce credo « souverainiste » est sans cesse rappelé par la Cour c’est aussi pour qu’il agisse comme un talisman. On sait en effet que de manière régulière elle essuie le courroux de certains États membres désireux de conserver leur pleine marge d’appréciation dans le domaine des politiques d’asile et d’immigration.
Dans ce cadre, la Cour a su faire bénéficier aux étrangers de ses standards protecteurs et a même développé des mécanismes procéduraux spécifiques comme par exemples la « protection par ricochet » et le recours suspensif de plein droit.

Le caractère protecteur de cette jurisprudence est tellement avéré que depuis le début des années quatre-vingt-dix, le droit de la Convention européenne des droits de l’homme a envahi le champ du droit des étrangers. De nos jours pas une seule décision préfectorale refusant le séjour ou ordonnant l’éloignement d’un étranger, pas un seul recours contentieux d’un avocat ou d’une association spécialisée n’omettrait de se référer à la Convention, en particulier à ses articles 3 et 8. Ces vingt dernières années, en France mais aussi dans nombre de pays européens, le droit de la Convention est désormais devenu, avec le droit de l’Union européenne, la principale matrice du droit des étrangers – surtout lorsqu’on la compare à la faiblesse de la protection accordée par le juge constitutionnel.

Toutefois, comme le fait fort justement remarquer Jean-Pierre Marguénaud, confronté aux droits des étrangers, la Cour de Strasbourg a, en réalité, le plus souvent un « double visage » (« La rétention en droit européen » in Olivier Lecucq, La rétention administrative des étrangers. Entre efficacité et protection, L’Harmattan, coll. « bibliothèques de droit », 2011, p. 34). Dans ce domaine plus que dans d’autres, la Cour est en effet soucieuse de ménager les susceptibilités étatiques en retenant bien souvent son glaive protecteur par des jurisprudences qui restent la plupart du temps au milieu du gué voire même s’abstient, de manière critiquable, d’assurer leur protection, comme par exemple s’agissant des étrangers gravement malades.

Tx.La protection des étrangers malades à l’encontre desquels des mesures d’éloignement ont été prononcées a alimenté le contentieux devant la Cour européenne des droits de l’homme. Par une décision récente (Gde ch., 13 décembre 2016, Paposhvili contre Belgique, req. n° 41738/10), la Cour de Strasbourg a affiné sa jurisprudence antérieure (CEDH, 27 mai 2008 N. contre Royaume-Uni, n° 26565/05) : « La Cour estime qu’il faut entendre par "autres cas très exceptionnels" pouvant soulever, au sens de l’arrêt N. c. Royaume-Uni (§ 43), un problème au regard de l’article 3 les cas d’éloignement d’une personne gravement malade dans lesquels il y a des motifs sérieux de croire que cette personne, bien que ne courant pas de risque imminent de mourir, ferait face, en raison de l’absence de traitements adéquats dans le pays de destination ou du défaut d’accès à ceux-ci, à un risque réel d’être exposée à un déclin grave, rapide et irréversible de son état de santé entraînant des souffrances intenses ou à une réduction significative de son espérance de vie. La Cour précise que ces cas correspondent à un seuil élevé pour l’application de l’article 3 de la Convention dans les affaires relatives à l’éloignement des étrangers gravement malades. »

D’autres stipulations sont en revanche considérées comme inapplicables aux étrangers, à l’instar de l’article 6 de la CESDH, relatif au droit à un procès équitable. La Cour de Strasbourg considère ainsi de longue date que les questions touchant au droit des étrangers ne relèvent ni de la matière civile, ni de la matière pénale, au sens où la jurisprudence les définit (CEDH, 5 octobre 2000, Maaouia contre France, n° 39652/98)

En savoir plus

  • Jean-Paul Costa, « La Cour européenne des droits de l’homme et les étrangers » in Mélanges François-Julien Laferrière, Bruylant, 2011, p. 190.
  • Andrew Drzemczewski, « La situation des étrangers au regard de la Convention européenne des droits de l’homme », Dossier sur les droits de l’homme n° 8, éd. Conseil de l’Europe, 1985 (révisé en 2001 par Hélène Lambert).
  • Estelle Faury, « Convention européenne des droits de l’homme », Dictionnaire permanent droit des étrangers, Editions Législatives.
  • Hugues Fulchiron, Les étrangers et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, LGDJ, 1999, p. 30.
  • Didier Rouget, « Les étrangers et la Convention européenne des droits de l’homme : une protection limitée et contrastée », Revue québecoise de droit international, 2000 (13.1.), p. 220.
  • Catherine Teitgen-Colly, « La protection des étrangers » in Catherine Teitgen-Colly, La Convention européenne des droits de l’homme, 60 ans après ?, LGDJ coll. « Systèmes droit », 2013, p. 43.


Dans le cadre européen on peut évoquer aussi la de 1977, adoptée sous l'égide du Conseil de l'Europe et ratifiée par la France en 1983.

Mais celle-ci n'a qu'une portée très limitée dans la mesure où, fondée sur un principe de réciprocité, elle ne s'applique qu'aux ressortissants des États européens qui l'ont ratifiée.

Il existe également plusieurs conventions du CoE sur la protection des minorités mais par principe la France ne les ratifie pas.

Sur l’aspect historique v. supra.

A partir de 1995, la suppression graduelle des frontières intérieures a été favorisée par la Convention d’application de l’Accord de Schengen de 1990. A partir du traité d’Amsterdam de 1997, les politiques d’asile et d’immigration sont intégrées dans les traités originaires et des instruments de droit dérivé vont être adoptés à partir du début des années 2000.

S’agissant du droit originaire,l’article 67 § 2 du prévoit que l’Union
Tx. « assure l'absence de contrôles des personnes aux frontières intérieures et développe une politique commune en matière d'asile, d'immigration et de contrôle des frontières extérieures qui est fondée sur la solidarité entre États membres et qui est équitable à l'égard des ressortissants des pays tiers. »

L’article 3 § 2 du énonce :
Tx.« L’Union offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans frontières intérieures, au sein duquel est assurée la libre circulation des personnes, en liaison avec des mesures appropriées en matière de contrôle des frontières extérieures, d'asile, d'immigration ainsi que de prévention de la criminalité et de lutte contre ce phénomène. »

Conformément aux articles 77, 78 et 79 du TFUE, l’Union développe des politiques communes.






L’européanisation des politiques migratoires s’est accompagnée d’une importante production normative en droit des étrangers ; les visas, le droit d’asile, les titres de séjour, la circulation, l’éloignement sont autant de domaines dans lesquels le droit de l’Union européenne est intervenu.

L’origine de ces sources en droit de l’Union européenne est plus complexe qu’il n’y paraît. En effet, de nombreux textes ont d’abord été adoptés dans le cadre de la coopération intergouvernementale (Schengen, Dublin, etc.), pour être progressivement intégrés en droit de l’Union européenne (« acquis Schengen »).

Désormais, les textes sont la plupart du temps élaborés selon la procédure législative ordinaire qui suppose, à l’initiative de la Commission, tant une intervention du Parlement européen que du Conseil de l’Union européenne. Ce dernier est composé des ministres des Etats-membres de l’UE, ce qui permet aux Etats de peser sur les choix politiques et législatifs dans tel ou tel domaine de la politique des visas, de l’asile et de l’immigration.

La tendance que l’on vient de décrire au niveau national est perceptible aussi au niveau de la politique d’immigration et d’asile menée au niveau de l’Union européenne où l’on constate le même contraste entre les principes proclamés et les atteintes aux droits fondamentaux des migrants engendrés par cette politique.
De manière assez descriptive, on peut dégager plusieurs « paquets » de législation relatifs à l’asile, à l’immigration régulière et à l’immigration irrégulière.


Les conventions Dublin et Schengen sont reprises au début des années 2000 dans le droit de l’Union sous forme de règlement. Elles intègrent alors un certain nombre de "paquets" relatifs à l'asile et à l'immigration constituant le "régime d'asile européen commun":
  • Premier paquet asile entre 2003 et 2005.
  • Refonte entre 2011 et 2013.
  • Réforme en cours dans le cadre du nouveau pacte asile – immigration depuis 2020.

Nous citons ces textes de manière quasi-exhaustive car il est nécessaire de connaître leur existence comme ressource possible du droit des étrangers/ asile.


Tx.Règlement (UE) n° du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dit « Dublin III » établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte du règlement « Dublin II » de 2003).

EURODAC « Empreintes » :
Tx.
  • règlement (CE) n° du Conseil du 11 décembre 2000 concernant la création du système « EURODAC » pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace de la Convention de Dublin ;
  • règlement (CE) n° du Conseil du 28 février 2002 fixant certaines modalités d'application du règlement (CE) n° 2725/2000 concernant la création du système « EURODAC » pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace de la Convention de Dublin ;
  • règlement (UE) n° du Parlement européen et Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'EURODAC pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE).

Directives « Qualification » :
  • Tx.Directive n° du Parlement et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (refonte).

Les directives « Procédure » :
  • Tx.Directive n° du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte de directive 2005/85/CE du Conseil du 1er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres).

Les directives « Accueil » :
  • Tx.Directive n° du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte de directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d'asile dans les États membres).

La protection temporaire :
  • Tx.La directive n° du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l'octroi d'une protection temporaire en cas d'afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les États membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil (jamais mise en œuvre)

L’Agence de l’Union européenne pour l’asile (AUEA ou European Union Agency for Asylum – EUAA)) est une agence indépendante de l’Union européenne. Elle s’est substituée, le 19 janvier 2022, après dix ans de fonctionnement, au Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA ou European Asylum Support Office – EASO) avec des compétences élargies et des moyens renforcés pour garantir son indépendance et son efficacité opérationnelle. Le rôle de l’AUEA est de contribuer à assurer « l’application efficace et uniforme du droit de l’Union en matière d’asile dans les États membres d’une manière qui respecte pleinement les droits fondamentaux ».

Tx.
  • Règlement (UE) n° du Parlement européen et Conseil du 19 mai 2010 portant création du Bureau européen d’appui en matière d’asile (abrogé).
  • Règlement (UE) n° du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2021 relatif à l’Agence de l’Union européenne pour l’asile et abrogeant le règlement (UE) n° 439/2010.

Pour mener ces diverses missions, l’AUEA est chargée de constituer et déployer des équipes d’appui « asile » et une réserve « asile » - sur le même modèle que les équipes « Frontex ». Elle doit aussi acquérir et déployer les équipements techniques nécessaires pour soutenir ces équipes ainsi que des experts et des officiers de liaison dans les États membres mais aussi dans des États tiers.
Enfin elle mène des actions de communication sur l’asile et met à la disposition du public des informations sur ses activités .
En tant qu’organe européen indépendant, l’AUE travaille en étroite collaboration avec les autorités compétentes des États membres, mais également avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), l’Agence européenne des droits fondamentaux, la Commission européenne et FRONTEX.

L’AUEA, dont le siège est à La Valette (Malte) bénéficie d’un budget de 172 millions d’euros en 2022. Outre ses propres agents, l’Agence est en capacité de déployer une réserve d’au moins 500 experts issus des États membres (dont 80 pour la France). En mai 2022, 12 États membres bénéficiaient d’un soutien direct de l’Agence au moyen de plans annuels ou pluriannuels : Belgique, Bulgarie, Chypre, Tchéquie, Grèce, Italie, Lettonie, Lituanie, Malte, Moldavie, Roumanie et Espagne .

Depuis 2019, la directrice exécutive du BEEA puis de l’AEUA est la Slovène Nina Gregori.
Par ailleurs, pour contrôler et garantir la protection des droits fondamentaux, l’Agence doit adopter et mettre en œuvre une stratégie en matière de DF et désigner un officier aux droits fondamentaux chargé de veiller, de manière indépendante, à ce que l’Agence les respecte dans le cadre de ses activités notamment par un mécanisme de plaintes – probablement pour éviter les dérives en la matière qu’a connues l’Agence Frontex.

À compter du 31 décembre 2023, l’Agence commencera à contrôler la manière dont les États membres de l’UE mettent en œuvre la législation européenne sur les pratiques en matière d’asile et d’accueil.


Il y a peu de textes de l’UE dans le domaine de l'immigration familiale ou de l'intégration. A noter tout de même :
Tx.
  • Directive n° du 22 septembre 2003 du Conseil relative droit au regroupement familial : directive fruit d’un difficile compromis avec un standard minimum et beaucoup de dérogation.

Ex.Cf. CJCE, 27 juin 2006, aff. C-540/03, Parlement européen c/ Cons. UE ; CJUE, 4 mars 2010, aff. C-578/08, Chakroun.

Le rapport de 2008 sur sa mise en œuvre ayant conclu que la directive n° 2003/86/CE n’était pas intégralement et correctement appliquée dans les États membres, la Commission a publié à leur attention, en avril 2014, une communication comportant des orientations sur les modalités de son application.

En juillet 2011, la Commission a adopté l’agenda européen pour l’intégration des ressortissants de pays tiers.

En novembre 2020, la Commission a présenté un plan d’action en faveur de l’intégration et de l’inclusion pour la période 2021-2027, comprenant un cadre d’action et des initiatives concrètes visant à aider les États membres à intégrer et inclure les quelque 34 millions de ressortissants d’États tiers résidant légalement sur le territoire de l’Union dans le domaine de l’éducation, de l’emploi, des soins de santé et du logement.

Des instruments spécialisés de financement ayant vocation à soutenir les politiques nationales d’intégration reposent sur le Fonds « asile, migration et intégration » (FAMI) et le Fonds social européen (FSE+) ; dans le nouveau cadre financier pluriannuel (CFP), à partir de 2021, ces instruments de financement relèvent du FAMI et du FSE+.

Depuis 2008, plusieurs directives majeures ont été adoptées ou révisée. L’approche actuelle consiste à adopter une législation sectorielle, par catégorie de migrants, afin d’élaborer une politique en matière de migration légale au niveau de l’Union :
  • directive « carte bleue européenne » du 25 mai 2009 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi hautement qualifié remplacée par la directive (UE) n° du Parlement européen et du conseil du 20 octobre 2021 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi hautement qualifié, et abrogeant la directive n° 2009/50/CE du Conseil ;
  • directive sur le permis unique (directive n° du 13 décembre 2011) établit une procédure commune simplifiée pour les ressortissants de pays tiers qui demandent à résider et à travailler sur le territoire d’un État membre, ainsi qu’un socle commun de droits pour les immigrants qui résident légalement dans un État membre ;
  • directive n° , adoptée en février 2014, sur les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers aux fins d’un emploi en tant que travailleur saisonnier ;
  • directive n° du 15 mai 2014 établissant les conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers dans le cadre d’un détachement intragroupe.

Dans le domaine des études ou des recherches :
  • directive (UE) n° du 11 mai 2016 relative aux conditions d’entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d’études, de formation, de volontariat et de programmes d’échange d’élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair. Elle remplace les actes antérieurs visant les étudiants et les chercheurs, en en élargissant la portée et en en simplifiant l’application.

Le statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée dans l’Union européenne est régi par la directive n° du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, modifiée en 2011 pour étendre son champ d’application aux réfugiés et aux autres bénéficiaires d’une forme de protection internationale.

Rq.L’actuelle proposition de règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration et la directive « carte bleue » adoptée incluent des amendements proposés à la directive relative aux résidents de longue durée.

De ce fait, comme cela a été souligné dans le bilan de qualité de la législation en matière de migration légale publié par la Commission en mars 2019, les catégories de migrations régulières qui ne sont pas encore couvertes par la législation européenne comprennent la main-d’œuvre peu qualifiée qui s’installe pour une période excédant neuf mois, ainsi que les investisseurs et les ressortissants de pays tiers exerçant une activité indépendante.

L’Union européenne a adopté plusieurs actes législatifs majeurs dans le domaine de la lutte contre la migration irrégulière.


Tx.Directive n° du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier

Elle régit les normes et les procédures européennes communes applicables au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Lors de son adoption, elle a été particulièrement critiquée sur certains aspects (rétention administrative possible jusqu'à 18 mois, rétention des enfants même non accompagnées, interdiction d'entrée accompagnant certains décisions de retour).
Le bilan de sa mise en oeuvre est contrasté.
Elle a donné lieu à une jurisprudence abondante.

Ex.CJUE, 28 avril 2011, El Dridi, aff. C-61/11 ; CJUE, Gr. Ch., 6 décembre 2011, Achughbabian c/ préfet du Val-de-Marne, aff. C329/11.

Le premier rapport sur sa mise en œuvre a été adopté en mars 2014. En septembre 2015, la Commission a publié le plan d’action de l’UE en matière de retour, suivi par l’adoption, en octobre 2015, de conclusions du Conseil sur l’avenir de la politique en matière de retour. En mars 2017, la Commission a complété le plan d’action par une communication « relative à une politique plus efficace de l’Union européenne en matière de retour — plan d’action renouvelé » et une recommandation visant à rendre les retours plus effectifs.

En septembre 2017, elle a publié une version mise à jour de son « manuel sur le retour », qui fournit des orientations concernant l’exercice des fonctions des autorités nationales chargées des tâches liées au retour.

Depuis 2001, les États membres reconnaissent mutuellement leurs décisions respectives d’éloignement (directive n° 2001/40 du 28 mai 2001), de ce fait, une décision adoptée par un État membre d’éloigner un ressortissant d’un pays tiers présent dans un autre État membre est respectée et mise en œuvre.

Ex.Refonte en cours :

En septembre 2018, la Commission a proposé une refonte de la directive « Retour » afin d’accélérer les procédures, notamment une nouvelle procédure à la frontière pour les demandeurs d’asile, des procédures et des règles plus claires pour éviter les abus, des programmes efficaces de retour volontaire à mettre en place dans les États membres, ainsi que des règles plus claires en matière de rétention.
Dans le pacte asile - immigration, la Commission s’oriente vers un système commun de l’UE en matière de retour, prévoyant un soutien opérationnel accru aux États membres, Frontex étant appelée à devenir le bras opérationnel de la politique de l’UE en matière de retour, ainsi que la nomination d’un coordinateur chargé des retours, soutenu par un nouveau réseau de haut niveau pour les retours.
En avril 2021, la Commission a publié sa stratégie en matière de retour volontaire et de réintégration, assortie d’objectifs communs pour une plus grande cohérence entre les initiatives de l’Union et les initiatives nationales. La prise en charge des retours est également proposée au titre du règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration comme une mesure de solidarité permettant aux États membres de soutenir d’autres États membres sous pression.
Tx.
  • Directive n° du Conseil du 28 novembre 2002 établissant une définition commune de l’infraction d’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers, et la décision-cadre n° 2002/946/JAI du Conseil, qui instaure des sanctions pénales contre ces pratiques.
  • Directive n° du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes.
  • Directive n° du Conseil du 29 avril 2004 : octroi d’un titre de séjour aux victimes de traite ou de trafic illicite qui coopèrent avec les autorités compétentes.

En septembre 2021, la Commission a adopté un nouveau plan d’action de l’UE contre le trafic de migrants pour la période 2021-2025, qui comprendra une intensification des efforts visant à prévenir la criminalisation de l’aide humanitaire et un rapport sur la mise en œuvre du train de mesures relatives aux passeurs en 2023.

Tx.La directive concernant les sanctions à l’encontre des employeurs (directive n° du 18 juin 2009) détaille les sanctions et les mesures que les États membres sont tenus de prendre à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

Le premier rapport sur sa mise en œuvre a été présenté le 22 mai 2014. Suite à son annonce dans le nouveau pacte, la Commission a adopté une communication sur l'application de la directive en septembre 2021, avec comme objectif de renforcer la mise en œuvre tout en protégeant les droits des migrants irréguliers.
L’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne, dénommée « « Frontex » (pour « Frontières extérieures »), a été créée le 1er mai 2005, dans le cadre du Programme de la Haye sur l’élaboration d’une stratégie de « gestion intégrée des frontières extérieures».
Tx.Règlement (CE) n° 2007/2004 du Conseil du 26 octobre 2004 portant création d’une Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l’Union européenne.

Dans le contexte de la « crise migratoire » de 2016, et malgré un bilan très mitigé, notamment dans le domaine de la protection des droits fondamentaux des personnes migrantes, elle a été remplacée, avec une renforcement de son mandat et de ses moyens, le 6 octobre 2016 par l'Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes – tout en continuant à être « communément appelée «Frontex» .

En 2016, le Parlement et le Conseil ont adopté le règlement (UE) n° relatif à l’établissement d’un document de voyage européen destiné au retour de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.
L’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (dite Frontex) a été repensée et renforcée récemment et apporte une aide plus forte aux États membres dans la gestion des retours (10 000 agents Frontex en 2027).

Tx.Règlement (UE) n° 2016/1624 du Parlement européen et du Conseil, du 14 septembre 2016 relatif au corps européen de garde-frontières et de garde-côtes, modifiant le règlement (UE) n° 2016/399 du Parlement européen et du Conseil et abrogeant le règlement (CE) n° 863/2007 du Parlement européen et du Conseil, le règlement (CE) n° 2007/2004 du Conseil et la décision 2005/267/CE du Conseil.

Créée pour coordonner l’action des États membres de l’UE et des États associés à l’espace Schengen dans le contrôle et l’étanchéification des frontières extérieures de l’espace de libre circulation, elle s’est vu attribuer en 2016 un rôle de gestion « intégrée » des frontières, avec la création d’un corps européen de garde-côtes et de garde-frontières (1 500 agents en 2022, 10 000 à l’horizon 2027) et une responsabilité accrue dans la lutte contre la criminalité transfrontalière mais aussi dans les opérations de recherche et de sauvetage en mer des migrants et, officiellement, de respect de leurs droits fondamentaux.

Pourtant, suite à une enquête ouverte en janvier 2021 par l'Office européen de lutte anti-fraude (Olaf), à propos d’allégations graves de refoulements illégaux de migrants (push backs) couverts par Frontex, l’agence Frontex est entrée dans une crise ayant conduit son directeur exécutif, le Français Fabrice Leggeri, à démissionner le 28 avril 2002 et le Parlement européen à refuser d’avaliser les comptes de l’agence.

En savoir plus


Frontex : (focus).

Principales missions et activités de Frontex. – Avec sa refondation en 2016, dans la logique d’agenciarisation, le nombre de missions et les moyens impartis à l’agence européenne se sont considérablement accrus et, surtout, dans une logique quasi-fédérale, Frontex est devenue une véritable agence opérationnelle, dotée d’un véritable corps européen d’agents permanents spécialisés, avec une appréhension plus globale de sa mission de contrôle et de sécurisation des frontières et non plus seulement de coordination d’opérations menées par les États membres de l’UE ou les Etats associés à Schengen.
Suivant son credo de contribuer « à un niveau efficace, élevé et uniforme » des contrôles aux frontières et des « retours » , ses missions sont multifacettes. A partir de l’article 8 du règlement (UE) 2016/1624 et de ses rapports annuels d’activité, on peut les synthétiser de la manière suivante :

- Rôle préventif : analyse des risques et évaluation des vulnérabilités :

L’agence européenne est d’abord chargée d’évaluer les risques « pour la sécurité aux frontières de l’UE », c’est-à-dire détecter les parcours migratoires empruntés par les exilés pour quitter ou fuir leur pays et trouver refuge en Europe, et d’évaluer annuellement les « vulnérabilités » dans chaque Etat, au besoin en déployant des officiers de liaison dans les États membres, associés ou dans des pays tiers et en recueillant et en analysant des données transmises par ces États.
Frontex joue aussi un rôle clé dans la mise en place du nouveau système européen d’information et d’autorisation concernant les voyages (ETIAS). Ce nouveau dispositif, opérationnel à partir de 2023, impose aux ressortissants de soixante pays exemptés de l’obligation de visa « Schengen » d’obtenir une autorisation électronique avant d’entrer dans l’espace Schengen.

- Fonction de contrôle : surveillance opérationnelle des situations :

Agence opérationnelle, Frontex assure, avec ses propres agents et en coordination avec ceux des Etats membres, une surveillance constante des frontières extérieures de l’Union, en développant aussi des stratégies de surveillance dans le cadre du système européen de surveillance des frontières (Eurosur).
Face à un afflux de migrants (qualifié, dans la novlangue bruxelloise du règlement de 2016, de « défis migratoires »), elle est susceptible d'assister les États membres dans les situations qui exigent une assistance technique et opérationnelle renforcée, en coordonnant et en organisant des opérations conjointes ou des interventions rapides avec sa « réserve » de réaction rapide (Rapid Border Intervention Team – RABIT).

T. TERVONEN, J. POURQUIE, A qui profite l'exil? Le business des frontières fermées, Delcourt, 2023.


Durant ces opérations de surveillance, Frontex est également censée, selon le règlement de 2016, apporter une assistance technique et opérationnelle aux États membres et aux pays tiers en vue de soutenir les opérations de recherche et de sauvetage de personnes en détresse en mer, conformément au droit international et européen et, plus généralement, tenir compte du fait que certaines opérations relèvent de cas d'urgence humanitaire et impliquent des sauvetages en mer. Diverses enquêtes ont néanmoins mise en cause la passivité ou la complicité de Frontex face à certaines opérations de pushbacks
En cas d’afflux de migrants dans une zone (dénommée dans le règlement de 2016 « zones d'urgence migratoire »), elle est aussi susceptible de déployer des équipes dans des hotspots et des équipements techniques afin de fournir une assistance au filtrage, au debriefing sécuritaire, à l'identification et au relevé d'empreintes digitales (EURODAC) mais aussi, en coordination de l’Agence de l’Union européenne de l’asile, de mettre en place une procédure pour orienter les personnes en besoin ou sollicitant une protection internationale. Dans la pratique, Frontex aide surtout, dans ces zones, les autorités des États membres à procéder au filtrage sécuritaire et identitaire des demandeurs d’asile et migrants….

- Fonction répressive : partage de renseignements relatifs aux activités criminelles:
L’agence Frontex coopère avec les autres agences européennes (EUROPOL, Eurojust) et les autorités policières et judiciaire des États membres afin de partager des renseignements recueillis lors de ses opérations sur des activités criminelles, telles que le trafic de migrants, la traite d’êtres humains et le terrorisme, etc. Elle se prévaut même, sur son site, de tâchés liées à la sécurité maritime et à la… protection de l’environnement.

- Fonction punitive : coordonner et organiser des opérations de « retour » :

Cette fonction d’assistance des États membres ou associés dans l’organisation des « retours » de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, au sens de la directive 2008/115/CE, a été constamment et considérablement renforcée ces dernières années, particulièrement dans le règlement de 2016. Frontex contribue à la coordination et au financement des opérations d’éloignement conjointes et peut également organiser de telles opérations de sa propre initiative. À cette fin, elle peut affréter des avions ou réserver des sièges sur des vols commerciaux. Elle aide également à obtenir les documents de voyage requis (laissez-passer consulaire). Elle constitue également des « réserves » de contrôleurs, d'escortes et de spécialistes pour les retours forcés et peut déployer « des équipes d'intervention européennes » au cours des interventions en matière de retour. Elle assisterait les États dans la réalisation de 10 % des « retours effectifs », soit environ 15 000 personnes en 2019.

Frontex : effectifs et moyens.

– Alors que pendant longtemps Frontex employait quelques centaines d’agents permanents, effectifs qui varient au gré des opérations et des agents mis à disposition par les Etats membres il a été décidé, à l’issue de la « crise migratoire » de 2015 et du sommet européen du 28 juin 2018 et d’un accord avec le Parlement européen, de porter ses effectifs permanents à 10 000 agents d’ici 2027 (3000 agents de Frontex et 7000 agents détachés par les États membres) . Pour sa part, le président français, Emmanuel Macron, proposait la création d’une véritable police aux frontières européennes.
Alors que le contingent devait être porté, dès 2021, à 5000 agents, cet objectif n’a toutefois pas été tenu – probablement en raison de la crise de gouvernance que traverse Frontex – puisque ses effectifs sont en 2022 de 1500 agents .
Ce contingent permanent de Frontex est constitué de quatre catégories d’agents : personnel de Frontex, les agents détachés auprès de l’Agence par les États membres pour des missions de longue ou de courte durée, ainsi qu’une réserve pouvant être activée en périodes de crises .
Depuis la création de l’agence en 2005, le siège de Frontex se situe à Varsovie (Pologne). Elle a été dirigée par Ilkka Laitinen (2005-2014) puis, après un intérim, depuis 2015, par le Français Fabrice Leggeri jusqu’à sa démission.
En tant qu’agence de l’UE, le budget de Frontex est financé par celui de l’UE ainsi que par des contributions des pays associés à l’espace Schengen ou dans le cadre de programme spécifique pour un montant total de plus de 500 millions d’euros en 2021. Dans un rapport, la Cour des comptes européenne constate « une augmentation exponentielle des ressources » de l’agence. Pour atteindre, d’ici 2027, un contingent permanent de 10 000 membres agents opérationnels, le budget devra être porté à 900 millions d'euros par an. Il était déjà passé de 19 millions en 2006 à 330 millions d'euros en 2019.

- Continuum sécuritaire et xénophobie business :
T. TERVONEN, J. POURQUIE, A qui profite l'exil? Le business des frontières fermées, Delcourt, 2023.


Frontex développe un réseau de partenariats avec les autorités d’États tiers à l’UE, notamment dans le cadre de la politique européenne de voisinage (PEV). Elle développe aussi des actions de formation à destination des agents des États membres et associés et développe des standards de formation communs Assumant totalement la « Xénophobie business », pour reprendre l’expression de Claire Rodier, Frontex assume de servir de passerelle aux industriels, et à leurs lobbies , en développant des relations avec « des experts en contrôle des frontières » et « des acteurs de la recherche et de l’industrie » afin de déployer dans les contrôles migratoires des technologies de surveillance « avancées » et élaborer des projets pilotes en la matière .

- Frontex et l’atteinte aux droits fondamentaux.

Dès sa création, l’agence Frontex a été critiquée en raison notamment du fait que son mandat, essentiellement centré sur le contrôle sécuritaire des frontières extérieures de l’Union, serait incompatible, par essence, avec le respect des droits fondamentaux des personnes migrantes et en particulier ceux des demandeurs d’asile. Ce credo est porté par un certain nombre d’associations européennes et africaines de défense des migrants, notamment Migreurop, dans le cadre de la campagne Frontexit, menée depuis 2013 ou depuis 2021, Abolish Frontex, visant à la suppression pure et simple de l’agence.
Si, comme cela a été mentionné, le respect des droits fondamentaux, et « l’orientation » des demandeurs d’asile vers une procédure de protection internationale ont été expressément intégrés dans le mandat de l’agence européenne en 2016, sa désinvolture à l’égard de la protection effective des droits fondamentaux des personnes migrantes, voire sa passivité ou sa complicité dans certaines atteintes, n’ont cessé d’être dénoncées par les ONG .
Son attitude a particulièrement été critiquée lorsqu’à la demande de l’Union européenne, le gouvernement italien a mis fin à l'opération « Mare Nostrum » (18 octobre 2013 – 31 octobre 2014), lancée dans la foulée du drame de Lampedusa du 3 octobre 2013, pour la remplacer par l'opération « Triton » de Frontex le 1er novembre 2014, dont l’objectif n’était plus principalement de sauver les migrants en mer Méditerranée mais de surveiller les frontières, en limitant son rayon d'action aux eaux territoriales européennes et en formant et équipant les gardes côtes libyens (opérations de pullback). Les 12 et 19 avril 2015, deux naufrages en Méditerranée feront plus de 1200 mors.
En févier 2018, l’opération Triton a été remplacée par l’opération « Themis » en centrale, ainsi que par l'opération « Poséidon », en Méditerranée orientale, et l'opération « Indalo », en Méditerranée occidentale. Parallèlement en mai 2015 l’Union européenne a lancé l'opération militaire EUNAVFOR MED dite « Sophia », remplacée en mars 2020, par l'opération Irini, ciblant avec des moyens militaires les réseaux de trafic de migrants et de traite des êtres humains grâce à la collecte d'informations et à l'organisation de patrouilles aériennes.
Selon l’UE, l’ensemble de ces opérations civiles ou militaires auraient permis entre 2015 et 2022 le sauvetage de 609 158 personnes, pour 24 829 pertes de vies humaines - sans qu’on sache précisément suivant quelle méthodologie Frontex s’attribue les vies sauvées et si lorsque des migrants sont interceptées par des patrouilles libyennes cela est dénombré dans ce décompte…

Suite à différentes enquêtes journalistiques (Lighthouse Reports) faisant état de pratiques illégales des autorités grecques en mer Egée de push backs de migrants vers la Turquie, constatées par des patrouilles de Frontex, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a ouvert une enquête et mené des investigations sur place. A l’issue de cette enquête, l’OLAF a constaté dans un rapport, non public , qu’au moins six bateaux grecs, co-financés par Frontex, auraient été impliqués dans plus d’une dizaine de refoulements illégaux entre avril et décembre 2020 et qu’un aéronef de Frontex s'est volontairement éloigné d'une zone en mer Egée lorsqu’il a été constaté une telle pratique. Plusieurs « fautes graves » sont imputées à des responsables de Frontex, dont son directeur général. Il aurait notamment refusé de recruter 40 agents des droits fondamentaux, fonction pourtant prévue par le règlement de 2016, et estimant que « la Commission européenne était trop centrée sur les questions de droits de l’homme ».
Suite à ce rapport, le Parlement européen a refusé la décharge les comptes de Frontex pour 2020 et décidé du gel du budget 2020 tant que l’Agence n’aura pas rempli un certain nombre de conditions spécifiques, « telles que le recrutement de 20 officiers aux droits fondamentaux et de trois directeurs exécutifs dotés de qualifications suffisantes, la mise en place d’un mécanisme de signalement des incidents graves aux frontières extérieures de l’UE et la création d’un système opérationnel de surveillance des droits fondamentaux ».

L’officier aux droits fondamentaux (ODF) est chargé de contrôler le respect par Frontex des obligations qui sont les siennes en matière de droits fondamentaux, conformément au droit européen et international, et de conseiller le directeur exécutif sur les questions liées aux droits fondamentaux. L’ODF et le personnel de l’office des droits fondamentaux ont un rôle indépendant au sein de l’agence visant à soutenir ses travaux du point de vue des droits de l’homme et à renforcer le respect, la protection et la promotion des droits fondamentaux. Afin de contrôler efficacement le respect des droits fondamentaux par l’agence, l’ODF peut mener des enquêtes sur n’importe laquelle de ses activités et effectue régulièrement des visites sur place.

Fermer