
Il existe de nombreuses sources formelles du droit des étrangers. Alors qu’entre 1945 (ordonnance n° du 2 novembre 1945), pour le statut des étrangers, 1952 (création de l’OFPRA) ce droit a été relative stable, avec la politisation du droit des étrangers à la fin des années 1970 puis son européanisation à partir des années 1985/1995, on a constaté un emballement législatif et plus largement une profusion de textes de droit interne (Section 1) mais aussi au niveau international et européen (Section 2).
Section 1. Les sources internes
Ces sources internes sont composées de normes légales et réglementaires, souffrant d’une grande profusion et instabilité (§1), et d’une somme d’infra droit relevant du droit souple (§2).
§1. Profusion et instabilité législative et réglementaire
Le droit interne des étrangers est dominé par le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) , qui a repris en 2005 a codifié à « droit constant » l’essentiel des textes régissant les questions d’immigration et d’asile, en particulier en absorbant l’ordonnance du 2 novembre 1945 et de la loi du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile.
Cette codification s’imposait d’autant plus que ce droit était devenu illisible avec l’accumulation de réformes législatives depuis 1980, en moyenne une réforme tous les 2 ou 3 ans. Parmi ces réformes on peut signaler, pour les plus marquantes :
- Loi n° 80-9 du 10 janvier 1980 dite « Bonnet » relative à la prévention de l'immigration clandestine et portant modification de l'ordonnance n° 45-2658 du 02 nov. 1945 [Droite] et loi n° 81-973 du 29 octobre 1981 « Deferre » relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers France [Gauche] ;
- Loi n° 84-622 du 17 juillet 1984 dite « Dufoix » relative « titre uniques de séjour et de travail » [Gauche] ;
- Loi n° 86-1025 du 9 septembre 1986 dite « Pasqua 1 » relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France [Droite] ;
- Lois n° 89-548 du 2 août 1989 dite « Joxe » relative aux conditions de séjour et d'entrée des étrangers en France et n° 90-34 du 10 janvier 1990 « Joxe 2 » modifiant l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France [Gauche] ;
- Loi n° 92-625 du 6 juillet 1992 dite « Quilès » sur la zone d'attente des ports et des aéroports [Gauche] ;
- Loi n° 93-1027 du 24 août 1993 dite « Pasqua 2 » relative à la maîtrise de l'immigration et aux conditions d'entrée, d'accueil et de séjour des étrangers en France et loi n° du 30 décembre 1993 portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l'immigration [Droite] ;
- Loi n° 97-396 du 24 avril 1997 dite « Debré » portant diverses dispositions relatives à l'immigration.
- Loi n° 98-349 dite « Chevènement » du 11 mai 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile [Gauche] ;
- Loi n° du 26 novembre 2003 dite « Sarkozy 1 » relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité [Droite] ;
- Loi n° du 10 décembre 2003 dite « De Villepin » modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile [Droite].

Codifié par une ordonnance du 24 novembre 2004, le CESEDA 1 est entré en vigueur de manière progressive, le 1er mars 2005 pour la partie législative et le 15 novembre 2006, pour la partie réglementaire.
L’entrée en vigueur n’a pas eu pour effet de freiner cette inflation législative, accélérée par la nécessité de transposer les directives européennes (« paquet asile » de 2003- 2005 puis de 2013, directive « retour » de 2008, etc.).
- Loi n° du 24 juillet 2006 dite « Sarkozy 2 » relative à l'immigration et à l'intégration [Droite] ;
- Loi n° du 20 novembre 2007 dite « Hortefeux » relative à la maîtrise de l'immigration, à l'intégration et à l'asile [Droite] ;
- Loi n° du 16 juin 2011 dite « Besson » relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité ;
- Loi n° du 29 juillet 2015 dite « Valls » relative à la réforme du droit d'asile [Gauche] ;
- Loi n° du 7 mars 2016 dite « Valls / Cazeneuve » relative au droit des étrangers en France [Gauche] ;
- Loi n° du 10 septembre 2018 dite « Collomb » pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie [Droite] ;
Toutes ces lois sont assorties d’une myriade de décrets et de circulaires d’application précisant les conditions précises d’application des nouveaux textes.
Bien souvent, il arrive que les décrets d’application de la réforme précédente ne sont pas encore publiés.


=> A défaut de prendre le décret d’application, la disposition prévoyant les tests ADN finira par être abrogée en 2011.
Il en est de même pour les lois adoptées plus récemment.


Le constat est moins accablant pour la loi « Valls » du 7 mars 2016 avec un seul décret non pris.


Et pour la loi « Collomb » n° 2018-778 du 10 septembre 2018, si un nombre important de décrets ont été adoptés, certaines dispositions sont toujours inappliquées 4 ans après son adoption.


Non moins marquant est l’article L. 123-1 du CESEDA qui prévoit la présentation chaque année par le Gouvernement au Parlement d’un rapport sur les orientations pluriannuelles de la politique d’asile, d’immigration et d’intégration avec des données chiffrées.
Or ce débat n’a même pas lieu tous les ans et la périodicité des rapports laissent à désirer (alors même que plusieurs candidat.e.s à la Présidentielle annoncent, comme Sarkozy en 2006, des quotas ethniques d’immigration).
- Voir « Au Parlement, la promesse enterrée du débat annuel sur l’immigration », Le Figaro, 20 janvier 2022.
Le CESEDA de 2005 vient de faire l’objet d’une nouvelle codification au 1er mai 2021.
- Ordonnance n° du 16 décembre 2020 portant partie législative du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
- Décret n° du 16 décembre 2020 portant partie réglementaire du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.
- d'Harcourt Claude, Savy Antoine, « Repenser un code à droit constant. L'élaboration du nouveau Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile », AJDA 2021 p. 838.
Et s’il n’y a pas encore eu de réformes d’ampleur de ce nouveau CESEDA depuis mai 2021 il a déjà fait l’objet de modifications ponctuelles. Par exemple :
§2. Du droit souple à foison
Aux dispositions législatives et réglementaires intégrées dans le CESEDA s’ajoutent les très nombreuses circulaires, lignes directrices, orientations générales, notes de services et instructions, dont la publicité n’est pas toujours nécessairement assurée. Pourtant, ce sont des textes essentiels en ce qu’ils guident la mise en œuvre du CESEDA par les diverses administrations impliquées, comme l’a montré l’arrêt GISTI de juin 2020.
« Les circulaires et instructions adressées par les ministres aux services et établissements de l'Etat sont tenues à la disposition du public sur un site internet relevant du Premier ministre. […] Une circulaire ou une instruction qui ne figure pas sur le site mentionné au précédent alinéa n'est pas applicable. Les services ne peuvent en aucun cas s'en prévaloir à l'égard des administrés.
Article 2 : L'article 1er prend effet à compter du 1er mai 2009.
Les circulaires et instructions déjà signées sont réputées abrogées si elles ne sont pas reprises sur le site mentionné à l'article 1er . »
= St Barthélemy des circulaires
Il en existait des milliers. Elles ont disparu, sauf sur le site du GISTI.

En savoir plus
Serge Slama,
- « Abrogation de toutes les circulaires ministérielles non reprises au 1er mai 2009 sur [lien url=https://www.interieur.gouv.fr/Publications/Circulaires]circulaires.gouv.fr et impossibilité de les remettre en vigueur par une publication ultérieure », La Revue des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés[/lien], mis en ligne le 27 février 2011.
- « Le droit des étrangers sous perfusion des circulaires » in Geneviève Koubi, La littérature grise de l'administration, Berger-Levrault, 2015, pp. 135-155.
Désormais l’article L. 312-2 du CRPA :
Article L. 312-3 du CRPA créé par la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 - art. 20 :
Toute personne peut se prévaloir de l'interprétation d'une règle, même erronée, opérée par ces documents pour son application à une situation qui n'affecte pas des tiers, tant que cette interprétation n'a pas été modifiée.
Les dispositions du présent article ne peuvent pas faire obstacle à l'application des dispositions législatives ou réglementaires préservant directement la santé publique, la sécurité des personnes et des biens ou l'environnement. »
Voir la liste des documents opposables.

Voir Serge Slama, « La saga de l'invocabilité de la circulaire "Valls" de 2012 (suite et pas fin) », AJDA, n° 2, 2021, p. 49.
Le « droit caché » pour reprendre une expression de Pascale Deumier a une incidence très forte sur les pratiques quotidiennes. Echappant à l’exigence de publicité, les notes de service ou autres instructions informelles peuvent constituer un obstacle considérable dans l’accès aux droits. Il n’est ainsi pas rare de constater, d’une sous-préfecture à une autre, que les listes de documents demandés pour la délivrance d’un titre de séjour varie ce qui, pour les usagers du service public, peut être source de déstabilisation.
« Par une requête, enregistrée le 14 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI) demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la note d'actualité n° 17/2017 de la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité de la direction centrale de la police aux frontières du 1er décembre 2017 relative aux "fraudes documentaires organisées en Guinée (Conakry) sur les actes d'état civil" ; […]
3. La "note d'actualité" contestée, du 1er décembre 2017, émanant de la division de l'expertise en fraude documentaire et à l'identité de la direction centrale de la police aux frontières, vise à diffuser une information relative à l'existence d'une "fraude documentaire généralisée en Guinée (Conakry) sur les actes d'état civil et les jugements supplétifs" et préconise en conséquence, en particulier aux agents devant se prononcer sur la validité d'actes d'état civil étrangers, de formuler un avis défavorable pour toute analyse d'un acte de naissance guinéen. Eu égard aux effets notables qu'elle est susceptible d'emporter sur la situation des ressortissants guinéens dans leurs relations avec l'administration française, cette note peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur. »