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Dans l'ancien droit, il n’existait pas dans le droit français de véritable droit des étrangers. En effet, il n’existait pas de textes spécifiques sur l’entrée, le séjour ou l’éloignement des étrangers en France. La condition des étrangers était régie par leur statut civil.
Sous l’Ancien régime, le fait d’être aubain, c’est-à-dire de ne pas être sujet du Roi (régnicole), empêchait d’accéder à certains droits civils ou privilèges réservé aux sujets du Roi, sauf à bénéficier d’une lettre de la naturalité ou d’être assimilé aux sujets du Roi par des accords (Ecossais, Suisses, etc.).
- Jules Mathorez, Les étrangers en France sous l’Ancien Régime, t.1, Librairie ancienne, 1919.
- Jean-François Dubost, Peter Sahlins, Et si on faisait payer les étrangers ? Louis XIV, les immigrés et quelques autres, Flammarion, 1999, 477 p.
Puis, à partir du Code napoléon, qui privilégie le droit du sang (paternel) comme mode d’accès privilégié à la nationalité, la distinction entre Français et étrangers se fait essentiellement sur la question de la jouissance des droits civils.
- Albert Mathiez, La Révolution et les étrangers. Cosmopolitisme et défense nationale, La Renaissance du Livre, 1918, 190 p.
- Sophie Wahnich, L’impossible citoyen. L’étranger dans le discours de la Révolution française, Albin Michel, 1997, 407 p.
Cela étant dit, il est difficile de déterminer l’acte de naissance du droit des étrangers (Section 1). Alors que la condition des étrangers était, jusqu’en 1848, essentiellement régie par le Code civil, avec l’augmentation de l’immigration au milieu du siècle, ressentie comme une concurrence pour la main d’œuvre nationale, des législations relatives à la protection du travail national sont adoptées sous la IIème et IIIème République, parallèlement à l’adoption de législations favorisant la naturalisation des étrangers et l’accès à la nationalité française de la seconde génération d’immigrés afin de faciliter leur insertion dans le « creuset français » (Gérard Noiriel, Le Creuset français. Histoire de l'immigration (XIXème – XXème siècle), Seuil, coll. « L'Univers Historique », 1988 (réédité en collection « Points-histoire », Seuil, 1992), 450 p) (Section 2). Dans un contexte de crise de l’entre-deux-guerres, elles aboutissent l’adoption des premières législations restrictives à l’encontre des étrangers dans les années 1930, aggravées par le Gouvernement de Vichy (Section 3).
A la Libération, sans rompre avec la législation d’avant-guerre, l’ordonnance n° du 2 novembre 1945 pose les fondations du statut des étrangers qui bénéficiera d’une application assez souple durant les trente glorieuses (Section 4).
Mais la crise pétrolière de 1973 et le chômage de masse des années 1980 justifieront la suspension de l’immigration du travail et des familles à partir de 1974 puis des politiques de maîtrise de l’immigration et de lutte contre l’immigration irrégulière (Section 5).
La fin du XXème siècle est marquée par l’européanisation des politiques d’asile et d’immigration dans le cadre de la construction de l’Union européenne mais aussi l'émergence d'un embryon de statut constitutionnel et conventionnel des étrangers (Section 6).
Section 1. Difficile détermination de l'acte de naissance du droit des étrangers
Quel est l’acte de naissance du droit des étrangers ?
Est-ce le décret du 1er février 1792 par lequel l’Assemblée nationale instaure l’obligation de détention d’un passeport « pour voyager dans le Royaume » et les premiers décrets d’expulsion d’étrangers considérés comme ennemis de la Révolution ?
Est-ce la loi du 21 avril 1832 relative aux réfugiés adoptée par la Monarchie de Juillet qui répartit les proscrits étrangers dans des dépôts sur l’ensemble du territoire et prévoit, pour les récalcitrants la possibilité de leur enjoindre de « sortir du royaume » ?
Est-ce la loi du 3 décembre 1849 sur la naturalisation et le séjour des étrangers en France, qui durant près de 150 ans va régir les expulsions des étrangers indésirables du territoire français ?
Paris 1851, les étrangers résidant dans la ville font la queue devant la Préfecture de Paris (actuel quai des Orfèvres) pour se faire délivrer des permis de résidence instaurés en septembre 1851. Lithographie parue dans L'Illustration le 27 septembre 1851. Source : site de Musée de l'Histoire de l'immigration : https://www.histoire-immigration.fr
Ou, comme cela est souvent écrit, le décret du 2 octobre 1888 qui, pour la première fois, impose aux « étrangers vivant en France » de déclarer à la mairie leur résidence, complété par la loi du 8 août 1893 ?
Déclaration de résidence (en éxécution de la loi du 8 août 1893) de Sébastien Aniorte dans la commune de Saint-Etienne en 1923. Source : Archives départementales de la Loire série M, dossier 1084. Site de Musée de l'Histoire de l'immigration : https://www.histoire-immigration.fr
On évoque aussi souvent le décret du 21 avril 1917 qui, durant la Première guerre mondiale, porte création « d’une carte d’identité spécifique de travailleur étranger», ancêtre de la carte de séjour, ou encore la loi du 10 août 1932 sur la protection du travail national ?
La carte d'identité d'étranger de Pablo Picasso en 1918. Source : https://www.histoire-immigration.fr
En tout état de cause, si l’ensemble de ces textes ont défini un embryon du droit des étrangers, le premier vrai statut des étrangers est issu d’une série de décrets-loi adoptés par le Gouvernement Daladier en 1938 .
File d'attente devant la Préfecture de Police à la suite des premiers décrets Daladier concernant le séjour des étrangers vivant en France. Paris, 31 mai 1938. Source : Eyedea/Keystone France.
L’économie de ces textes adoptés dans l’avant-seconde guerre mondiale va être reprise, moyennant certaines adaptations, dans l’ordonnance du 2 novembre 1945 généralement considérée comme le texte fondateur du droit moderne des étrangers à l’issue de la seconde guerre mondiale.
Sujette à de multiples réformes depuis lors, l' a été enrichie et durcie, avant d’être codifiée au début du 21ème siècle sous la forme du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) en 2005, recodifié en 2020.